Et si tout le monde avait écouté ‘Culture II’… sauf Migos ?

migos-quavo-takeoff-offset-culture-II-review

On n’est jamais trop cultivé. Certes, mais quand même : avec les 24 tracks de Culture II, Migos assouvit notre soif vorace de connaissance, bien au-delà des limites de la satiété. Mais pourquoi diable les artistes tiennent-ils donc tant à nous goinfrer ?

2018 aura finalement mis moins d’un mois à nous livrer un premier colis attendu de longue date. Culture II est venu succéder à Culture dans la discographie de Migos, quasiment un an jour pour jour après la sortie de ce triomphant premier volet. Si l’excitation suscitée par cette nouvelle dose de Culture était manifeste, elle n’a pas empêché le trio d’avancer masqué, visages dissimulés sous d’écrasantes lunettes noires. Jusqu’au 26 janvier, peu d’infos ont filtré quant au contenu du disque. On s’est d’ailleurs largement réjoui de voir le groupe partager une liste manuscrite de producteurs en lieu et place d’un tracklisting classique, à quatre jours de la date fatidique. Parce qu’il était vraiment temps de donner amour, respect et considération aux compositeurs ; et qu’au fond, ce sont eux, les véritables MVP. Puis disons-le franchement : on est plus rassuré de savoir que Mike Dean, Zaytoven ou Metro Boomin sont aux manettes de Culture II que d’apprendre l’intitulé des pistes ou la présence de Post Malone. Les premières écoutes du blockbuster tant attendu nous ont toutefois incité à tempérer quelque peu notre joie. Et si Culture II avait tout simplement été parachevé à trois jours de sa sortie ?

M A D E T H E C U T C U L T U R E I I

A post shared by Migos (@migos) on

Cela pourrait en effet expliquer un certain nombre de choses, comme l’impossibilité pour le groupe de délivrer à temps une tracklist en bonne et due forme ou l’omission de Dun Deal ou Wheezy de la liste des producteurs annoncée, alors qu’ils sont pourtant bien présents sur la galette. Ou même le fait que la sortie physique de l’album intervienne finalement une semaine après sa sortie digitale. À l’arrivée, Culture II compte 24 pistes, soit onze de plus que son prédécesseur. Aux portions légères et minutieuses des restaurants gastronomiques, nos trois cuistots ont cette fois préféré la consistance d’un grec-frite. Pourquoi pas. D’autant que les titres des morceaux nous incitent à penser au premier abord que l’album a été savamment construit. On a droit à une intro et une outro, toutes deux labellisés comme tel, dans lesquelles il est à chaque fois question d’honorer cette si chère « culture ». Ce qui aurait pu être cohérent… si ces pistes d’ouverture et de fermeture étaient autre chose que deux tranches d’un pain friable qui peinent à contenir un sandwich dégoulinant de tous bords.

Migos s’invite tantôt dans le Medellín rouge sang de Pablo Escobar (« Narcos »), tantôt dans le manoir luxueux d’un Rick Ross cigare au bec (« Made Men »). On passe des schémas rythmiques irréguliers de « Stir Fry » aux cuivres de « Too Playa ». Puis des redondances se font entendre ici et là. On frôle presque le ridicule sur « Open It Up », où le brillant Cardo est appelé à faire un triste remake du « Deadz » qu’il avait déjà produit un an plus tôt. Migos n’a cependant pas à rougir de la qualité générale des tracks quand ils sont pris indépendamment les uns des autres. Mais dans son entièreté, Culture II est boursouflé, lourd, foutraque. Plein de petits superflus. On en vient même à se demander si Quavo, Takeoff et Offset ont daigné écouter leur propre album dans sa version finale – parce qu’en leur qualité d’esthètes, pas sûr qu’ils auraient validé que leur art soit empaqueté dans une forme si indigeste. Ont-ils seulement songé à faire le tri dans les 24 titres qui le composent ? En vérité, il serait sans doute plus légitime de se demander si les artistes trouvent encore un intérêt quelconque à « faire le tri ».

Le streaming, encore et toujours

En avril 2016, on s’étonnait de voir le Views de Drake s’étendre sur une belle vingtaine de titres. C’était déjà moins le cas un an plus tard, avec les 22 de sa playlist More Life. Ou les 23 de l’album Grateful de DJ Khaled, également sorti en 2017. Les projets musicaux semblent s’allonger un peu plus semaines après semaines, et il serait naïf de penser que vos artistes préférés sont simplement pris d’un excès soudain de générosité envers leur fans. Le streaming étant le nouveau nerf de la guerre, jouer la carte de l’abondance constitue un moyen efficace de tirer profit des règles en vigueur. Celles-ci sont fixés par la RIAA (Recording Industry Association of America) qui détermine que dix téléchargements d’un projet dans son intégralité équivaut à une vente d’album, de même que 1500 écoutes de titres dans un même projet. Inutile donc d’être un grand mathématicien pour comprendre qu’un album de 24 titres écouté dans son entièreté générera plus de streams qu’un album aussi concis que 4:44, par exemple.

À bas la direction artistique et les partis pris : place aux projets fourre-tout dans lesquels le public les publics trouvent à boire et à manger. Plus de titres pour séduire une palette plus large d’auditeurs. Celui qui était venu déguster une salade repart – en partie – satisfait, et il en va de même pour celui qui était venu dévorer un burger bien fat. De là, chacun fera son propre tri. Nul doute d’ailleurs que bon nombre de fans du trio se sont empressés, dès leurs premières écoutes, d’écrémer ce Culture II en supprimant une bonne dizaine de morceaux. Le public dessine lui-même les contours d’un album métamorphe. C’est aussi lui qui désignera probablement les prochains singles du disque, selon ceux qu’il écoute le plus. À l’heure où nous parlons, « Narcos » et « Walk It Talk It » sont les deux titres qui se détachent sur Spotify et on ne serait pas surpris de voir l’un ou l’autre bénéficier d’un hypothétique clip. On est déjà loin de l’époque où la durée de vie de certains très bons projets s’écourtait après que les meilleures cartouches aient été grillées trop vite. Sur 24 titres, Migos a pour l’instant dégainé deux visuels – « MotorSport » et « Stir Fry » – en plus de l’audio de « Supastars », ce qui leur laisse la place pour manoeuvrer sereinement la suite de leur promo, en calibrant tranquillement leurs prochaines munitions.

https://twitter.com/chrisbrown/status/949208980206866432

La longueur d’un disque a aussi une incidence directe sur l’accès aux paliers de certifications. Puisque tout est aujourd’hui dématérialisé, un double-album n’est plus seulement un boîtier contenant deux CDs mais juste un projet dépassant une certaine durée définie. 12 titres, en l’occurrence. Les réseaux sociaux n’avaient d’ailleurs pas manqué de moquer la longueur déraisonnable du dernier album de Chris Brown, prétextant que « personne n’avait envie d’entendre autant de morceaux de lui en 2017 ». Puis ce dernier a communiqué ses chiffres de ventes, et tout a subitement pris sens. Fort de 57 pistes – soit l’équivalent de quatre albums en terme de quantité –, son double-album Heartbreak on a Full Moon a été certifié disque de platine alors qu’il n’avait vendu « que » 608 000 exemplaires, quand le palier est normalement fixé à un million. « Mot compte-double. » Et voici maintenant que – quelques jours après la sortie de Culture II – Swae Lee annonce que le prochain album de Rae Sremmurd sera en fait un triple-album comprenant son premier solo, celui de Slim Jxmmi, et SremmLife 3 tel qu’on l’attendait. Évidemment.

Dans le même genre