Yvick, chasseur de rêves

De toute l’heure passée à échanger avec Mister V, son flot continu de parole ne s’interrompt que pour laisser place à un running gag moquant ses métaphores hésitantes et très alambiquées. Devant l’objectif, son visage se tord en toutes sortes de mimiques qu’aucun autre n’oserait, de peur d’avoir l’air ridicule. Intenable. On n’a pas de mal à le croire quand il nous dit qu’il n’aurait pu se faire à la discipline de la vie de bureau. Ce qu’il lui reste de sérieux, il s’en sert pour mener de main de maître une carrière qui se diversifie un peu plus chaque jour. Lui qui rêvait NBA se retrouve aujourd’hui à suivre les finales au plus près des parquets. Prendre le micro était une passion inavouée ? La voici matérialisée en un disque vendu à presque 100 000 exemplaires. Et désormais, c’est cette Amérique qu’il a tant fantasmée qui s’offre à lui. Mais que fait donc Yvick de sa vie ? Il coche une à une les cases vides de ses rêves.

Il y a neuf ans, tu publiais tes premières vidéos sur Dailymotion. Aujourd’hui, ton activité est si diverse qu’on ne sait même pas quel dénominatif utiliser pour te désigner. Qu’est-ce que tu réponds à celui qui te demande ce que tu fais de ta vie ?

Bah comme je l’explique souvent, il n’y a pas vraiment de mot en fait. On appelle ça « entertainer » généralement. Parce que sinon, youtubeur[Il réfléchit] Déjà je ne suis plus « seulement » youtubeur. Puis maintenant, ça ne veut plus dire grand chose dans la mesure où les youtubeurs font de tout. Est-ce qu’on va me mettre dans la même case qu’un youtubeur beauté ou lifestyle ? Le youtubeur, c’est juste une personne qui poste des vidéos sur YouTube. Donc oui, j’en suis un, mais vu que ça regroupe tellement de choses, je ne peux pas être « que » ça. Non pas que ce soit réducteur, mais je pense m’être ouvert à d’autres axes artistiques, que ce soit la musique, le cinéma ou la scène avec le Woop. Plein de choses qui sont allées plus loin que juste être dans ma chambre et parler à ma caméra, même si j’aime toujours faire ça. Aux States, comment on appellerait un Jamie Foxx ? Chanteur ? Acteur ? Standupper ? On s’adapte. Pareil pour Timberlake. Quand il sort un film, on dit que c’est un acteur et quand il sort un album, on dit que c’est un artiste. J’aspire à la même chose, à la différence près que je pense que j’ai des étapes à passer avant de pouvoir me considérer comme un rappeur. Je suis encore stagiaire là-dedans.

Personnellement, je pense que tu es de ceux qui ont réussi à faire de l’amusement une profession. N’y a t-il pas quelque chose de profondément réjouissant là-dedans ?

À l’arrivée, je me dis que je n’aurais jamais pu faire autre chose. C’est tellement ce que je voulais faire depuis gamin… J’ai des journées qui ne se ressemblent pas. Je vais me lever le matin, avoir une réunion d’écriture avec mes auteurs ou le Woop ; quand je vais rentrer le soir, je vais aller dans mon studio pour enregistrer un son, me marrer avec des potes, faire une story sur Insta… En fait ouais, mon taf c’est de faire ce que j’aime. Quand j’étais en cours, mon passe-temps c’était de faire du montage, d’écrire des blagues, des choses comme ça. Aujourd’hui, j’ai transformé mes hobbys d’après-cours en job. Et ça, c’est le meilleur cadeau que j’ai pu me faire à moi-même, la meilleure opportunité que j’ai pu saisir. Après, il y a quand même des bas, des choses que je n’avais pas prévues. Me retrouver en soirée à devoir faire des photos alors que je suis avec des potes un peu éméché, disons que… [rires] Je n’avais pas parié dessus quoi. Mais je vis avec ça, sans souci. Puis ça m’a aussi permis de faire des voyages, de rencontrer plein de gens venant de tous les corps de métier. Cet été, j’ai tourné un film avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, donc du cinéma d’auteur à 100%, et le lendemain je faisais Rentre dans le Cercle avec Fianso… [rires] Donc tu vois, je passe vraiment du coq à l’âne. T’imagines un peu ? Je peux me permettre d’avoir de nouveaux métiers…

Justement : à tous les enfants du web, on sent qu’Internet a donné une force telle qu’elle vous pousse à explorer tout le champ des possibles.

Avec Internet, tu es ton propre producteur. Vu que ta chaîne, c’est ton média, t’en fais ce que tu veux. Le jour où TF1 décidera de passer des courses équestres à la place du 20h, on regardera des courses équestres. Et c’est pareil pour moi : j’ai envie de vous montrer que je fais de la musique, alors voici ma musique. Vous aimez ou vous n’aimez pas, mais au moins vous savez qu’elle est là. Dans mon cas, je pense avoir eu la bonne idée de faire une chaîne dédiée, où j’ai pu développer mes concepts musicaux sans pour autant lier ça à mes vidéos d’humour. J’ai laissé la liberté aux gens d’aller les consulter ou non. Je suis content parce que j’ai été un des premiers à tester un truc différent, et quand je vois le succès que ça a eu, je me dis que tout est possible en fait. Tout ce qui compte, c’est d’être sincère dans ta démarche. Si les gens sentent que c’est forcé, qu’on te pousse à faire ce que tu fais, ils ne kifferont pas le délire. Je pense d’ailleurs que c’est pour ça que la télé est un peu en déclin. En télé, il y a des normes, t’es brandé, tu dois faire tel contenu à telle heure pour telle personne qui a besoin de telle chose. Sur YouTube, on s’en fout. Si on veut poster une vidéo à 2 heures du mat’, on le fait.

On remarques aussi qu’au même titre que tous les autres vidéastes, tu parles souvent d’Internet comme d’un filet de sécurité. Du genre : « J’essaye de faire telle ou telle chose et si ça prend pas, je retourne à mes vidéos. »

Ouais mais au-delà de ça, ce qui est bien avec ce média-là, c’est que tu peux t’adresser directement à ta communauté. Quand j’ai sorti ma vidéo « FAIRE UN ALBUM », j’ai voulu m’expliquer parce que je savais ce que les gens allaient attendre de moi, de même que je savais ce qu’ils allaient se dire. Avec la vidéo, ils ont bien vu que je ne faisais pas ça juste pour être stylé, pour faire de l’argent ou parce que je n’ai plus d’inspi dans l’humour. Le fait d’être sincère avec eux, de leur faire comprendre que c’est vraiment un kiff, une passion, je pense que c’est ce qui a plu aux gens. Et tout le monde ne peut pas faire ça. En TV, t’es obligé de passer par une conférence de presse, de laisser les gens dans l’incompréhension. Nous, il nous suffit de prendre notre caméra pour leur dire ce qui nous plaît, ce qui nous motive, pour leur demander ce qu’ils pensent de telle ou telle chose. Une story Snap et ça y est. C’est trop fort. C’est pour ça que de plus en plus de gens émergent d’Internet, au contraire de la télé où tu vois de moins en moins de phénomènes. Pour te dire, je ne regarde plus la télé.

J’ai transformé mes hobbys d’après-cours en job. Et ça, c’est le meilleur cadeau que j’ai pu me faire à moi-même.

Mister V

T’as une réticence particulière vis-à-vis de la télé ?

Même pas, c’est juste que tout ce qu’on m’a proposé jusqu’à présent ne m’intéressait pas. Puis en soit, eux-mêmes n’essayent même plus de proposer parce qu’ils sentent qu’on est pas dans ce truc-là. Mais je respecte totalement ce qui se fait en télé. J’en ai fait deux ans sur Canal + avec le Studio Bagel, on faisait le « Dézapping » dans le Before du Grand Journal. C’était cool mais en vrai, on était aussi bien sur Internet parce qu’on faisait les mêmes choses mais on avait le contrôle sur tout. Alors qu’en télé, tu es plus surveillé, ça te freine dans ce que tu veux dire. Sur Internet, tu t’en fous. Et puisque ça, ça n’a pas de prix, tu favorises toujours Internet.

Depuis 2016, on te voit de temps en temps aux côtés de vidéastes américains, avec qui vous semblez former une sorte de nébuleuse. Que peux-tu nous dire à ce sujet ?

En fait, quand j’étais en vacances aux États-Unis, Jérôme Jarre – un vineur français expatrié aux USA – m’a invité à un repas où il y avait plusieurs vineurs très connus : Rudy Mancuso, Anwar Jibawi, Christian Delgrosso et deux ou trois autres gars qui ne sont pas dans le Vine game. Et il faut savoir qu’en fait, mon anglais est bon qu’à partir du moment où je suis bourré. [rires] Du coup, pendant le dîner, j’étais grave marrant et le feeling a bien fonctionné, on a gardé contact. À partir de là, j’ai rencontré tous les gars : KingBach, Amanda Cerny, Logan Paul, Lele Pons, etc. Et depuis, à chaque fois que je pars là-bas, on se voit tout le temps, on se fait des soirées ensemble, on se marre. Une fois en After, j’ai fini chez Justin Bieber avec tous ces gars-là. C’est un autre monde quoi. Quand je rentre chez mes parents à Grenoble, je me dis « c’est fou, je viens de là quoi ». « Started From The Bottom ». [rires] En plus quand je suis à L.A., je m’installe à Hollywood. C’est un rêve de gosse. Là j’ai pu réaliser ma première vidéo avec un crew entièrement américain. Il y a un mec qui a joué dans Les Feux de l’Amour pendant cinq saisons, qui est apparu dans High School Musical et dans pleins d’autres trucs et dans ma vidéo, il joue un concierge. [rires] C’est un truc de fou.

On te sent particulièrement fasciné par l’Amérique. Qu’est-ce qui te plait tant quand tu es là-bas ?

Ça fait déjà dix fois que je vais à Los Angeles, et c’est vraiment une ville que je kiffe. L’atmosphère est très cool, tu sens que tout le monde à envie de se bouger, de faire quelque chose de sa life. Ça me motive en fait. En plus je suis tout seul dans cette aventure. Je pars jamais avec des potes, c’est juste moi et mon sac à dos. Comme ça je sais que je ne suis pas en vacances. Je prends mon AirBnb, je pose mes affaires et je suis déjà au taquet : « Vous êtes où les gars ? On se retrouve à quelle heure ? 6 heures ? Ok, qu’est-ce qu’on tourne ? » En fait, je suis comme un rookie en NBA. Je découvre et tout m’émerveille : quand je les vois jouer, quand je les entend brainstormer, quand je capte la manière dont ils visualisent la comédie et le business. Parce qu’eux, ils n’ont pas de filtre par rapport à l’argent. Ils sont tous très businessman. Ils s’investissent dans des applications, des conneries comme ça. Ils pensent à trop de trucs. Du coup, c’est marrant de revenir en France avec la vision que j’ai de là-bas. À chaque fois que je reviens, je n’ai plus les mêmes motivations, les mêmes idées, les mêmes inspirations. J’ai un bagage en plus, tu vois. Et même là-bas, je ne développe pas que de la comédie. J’ai pu rencontrer des producteurs, des mecs qui font que la musique bouge à Los Angeles. C’est ce qui est bien avec cette double casquette.

Comment expliques-tu que ce soit ton humour et pas celui d’un autre qui ait été plébiscité outre-Atlantique ?

Je pense être dans un délire assez visuel, autant au niveau de l’expression du visage que dans les gestes qui accompagnent mes vannes, et ça aide beaucoup à la compréhension. J’ai des gestuelles, des mimiques, et c’est ce qui les fait marrer quand ils voient un français. Si je raconte une blague avec l’accent américain, ça va pas leur parler. Alors que s’ils me voient faire le con, faire des danses bizarres ou me retrouver dans des situations loufoques, ça leur parle. Après il y a quand même Gad Elmaleh qui se développe pas mal là-bas, il se débrouille super bien en stand-up. Mais globalement, c’est vrai que c’est compliqué de s’y faire un nom quand tu es français et que tu ne parles pas leur langue, leur slang. Il faut vraiment être dans leur culture pour être un de leur gars. Et moi, j’ai beau parler un anglais du fin fond du Dauphiné, ils arrivent à capter ma vibe humoristique, parce que c’est sensiblement la même que la leur. Anwar ou KingBach, ils sont aussi vachement là-dedans. Puis comme je disais, je pense qu’ils respectent aussi le fait que je ne fasse pas le mec et que je sois là pour bosser. Je ne suis pas en mode « En France, on me connait, j’ai mes abonnés donc mettez-moi au même niveau… » [Il coupe] Non, j’arrive en mode hustler ! J’ai tout à prouver, je ne suis personne là-bas.

Est-ce qu’à leur contact, tu as commencé à faire évoluer ta manière de bosser tes sketchs ?

Carrément. Parce qu’il faut savoir que là-bas, les gars sont très rapides. Pour tourner une vidéo, on fait une prise pour chaque plan et le Vine est fait. De mon côté, j’avais l’habitude de prendre mon temps, d’avoir plusieurs angles de caméras, de faire plusieurs prises pour trouver la bonne diction, le bon flow, la bonne gestuelle. Eux, ils arrivent à se dire que la première prise sera toujours la meilleure parce que c’est la plus instinctive. Du coup, j’essaie désormais d’aller beaucoup plus à l’essentiel, de faire en sorte que dès la première prise, la vidéo soit bien. Après je gratte toujours une deuxième voire une troisième prise par principe [rires] mais j’ai de plus en plus tendance à me préparer avant la scène, plutôt que de tourner, puis de réfléchir à ce qui pourrait être amélioré. Plus de préparation, moins de corrections.

Quand je vais à Los Angeles, je ne pars jamais avec des potes, c’est juste moi et mon sac à dos. Comme ça je sais que je ne suis pas en vacances.

Mister V

Dans quelle mesure est-on pointilleux dans ses projets quand on donne l’impression de ne rien prendre trop au sérieux ?

Je pense que la meilleure intelligence, c’est de pouvoir faire croire qu’on est con. Se faire passer pour un con, c’est la plus… [Il hésite et bafouille] Putain j’arrive pas à le dire ! J’ai voulu faire une grande citation mais je l’ai très mal dite, c’était nul. [rires] Plus simplement, on va dire que derrière tout comédien qui joue ce genre de personnage, il y a quelque chose de profondément réfléchi. J’en serais pas là où j’en suis si je n’avais pas été smart à un moment donné. Pour percer sur la durée, il faut savoir prendre du recul, se poser, analyser les situations et identifier ce qui peut être bon pour soi. Je me suis très bien entouré. Mes parents m’aident à fond, notamment ma mère qui s’occupe de tout ce qui est administratif, comptabilité et tout. Je ne me prends pas la tête sur ça, comme ça je peux être encore plus con dans les autres trucs, tu vois ? [rires] Mon agent, c’est la meilleure du monde. 5 ans qu’on bosse ensemble, on s’est jamais quittés. Mes potes de Grenoble sont aussi de très bons conseillers. Tortoz m’a pas mal accompagné sur tout mon projet musical. Samy et Théo, qui sont sur mon album et dans mes vidéos, m’aident aussi à faire les bons choix dans l’écriture et les opportunités qui se présentent à moi. Je ne suis pas tout seul dans l’aventure quoi. Derrière chaque artiste, il y a tout un ensemble de personnes. Puis même là, quand je te parle, j’essaie de montrer que je ne suis pas juste un couillon qui danse en slip. Il y a toujours une part de moi qui reste sérieuse, même s’il y a surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup d’immaturité et de connerie. [rires] C’est important parce que tu te perds vite sur Internet. Heureusement j’ai eu de bons mentors. Norman, Cyprien, toute la première génération de youtubeurs avec qui j’ai grandi, c’était des gars hyper smart. Surtout Cyprien. Pour moi, c’est le plus intelligent de tout ce game. Il sait très bien ce qu’il fait, tout est réfléchi. Il m’a beaucoup inspiré dans ce truc de ne pas faire tout ce qu’on te demande parce que c’est payé. Chacun de tes choix doit aller dans le bon sens.

D’autant que je devine que quand tu commences, tu es justement tenté de répondre positivement à toutes les demandes.

C’est un peu le souci de beaucoup de mecs qui font des vidéos et qui percent. Ils se retrouvent tout de suite à faire des pubs O’tacos, des trucs à la con qui – certes – touchent un certain public, mais qui ne sont pas forcément bénéfiques. Quand tu t’affiches partout, tu perds le côté un peu « rare ». Je pense que c’est d’ailleurs pour ça qu’un mec comme Wil Aime est autant suivi et apprécié. Lui aussi tu sens que tout ce qu’il fait est réfléchi. C’est peut-être même plus flagrant que moi, parce que quand on voit mes vidéos on se dit « Ouais… bon, lui il est quand même bien débile ». [rires] Mais Wil Aime, je pense que c’est le plus smart de toute cette génération-là, parce qu’il ne s’est pas perdu. Il reste dans son truc, il continue ses vidéos à l’iPhone et surtout il reste rare. Chaque vidéo qu’il envoie, les gens sont comme des oufs, ils l’attendent une semaine à l’avance. Je pense que c’est sur ce genre de détails que tu vois qui va durer. Et moi, je n’avais pas envie d’être un de ces gars dont on se dit « Mouais… On sent la fin ». C’est pourquoi je tiens à garder ce côté réfléchi, à prendre le temps de penser à tout, parce que tu ne sais jamais ce qui peut t’arriver après. Si YouTube lâche demain, je suis où moi ? Je me suis créé des portes de sortie avec le cinéma et la musique, et c’est là que je me dis que c’est une chance que j’ai de pouvoir développer plusieurs passions à côté.

Tu t’es lancé dans le rap très humblement, et du côté de Clique, tu disais d’ailleurs être bien conscient que tu n’allais pas être, ni devenir le meilleur rappeur. Mais dans ce cas, quelle était ton ambition à travers ce projet ?

L’ambition du projet, c’était simplement de me faire kiffer. Dans le sens où depuis que j’ai genre un an et demi, j’ai toujours voulu faire ça. J’ai toujours kiffé chanter. Je suis conscient de ne pas être le meilleur chanteur, de ne pas avoir les meilleurs textes ni les meilleurs flows, mais j’adore ça ! Là je viens d’acheter mon studio, jusqu’à 6 heures du matin hier soir j’étais dedans. Pour te dire : je suis revenu jeudi des États-Unis, vendredi soir j’invitais PLK du Panama Bende pour qu’il vienne enregistrer un son à lui. Je ne lui ai même pas demandé de faire un feat. Juste pour le kif. Je ne me considère même pas musicien, mais j’adore la musique. Et j’adore en faire. C’était juste ça le projet de l’album : me faire un kiff. Mais fallait faire un album que j’apprécie, à travers lequel je peux montrer mon univers aux gens. Et je ne demande pas aux gens de me mettre dans la catégorie des Niska ou quoi, juste je fais mon délire. On aime ou on n’aime pas, mais au moins, j’aurais réalisé mon rêve de gosse. Et c’était complètement à dissocier de mes vidéos. Je fais vraiment les deux. Qui a dit qu’on était obligé de se restreindre à un seul champ d’activité ? En France, si un acteur veut sortir un album, on part du principe que ça va être rincé parce que c’est un acteur. Il y a seulement quelques gars qui ont réussi à exceller dans plusieurs disciplines. Sinon Benzema, quand il a fait son feat. avec Rohff, tout le monde s’est foutu de sa gueule. Heureusement il est très bon au foot donc tout le monde l’a pardonné. Moi, je ne suis pas bon au foot, donc ça aurait été compliqué. [rires] C’était juste un pari de me dire, histoire de voir si c’était possible pour moi. Et remarque, je suis bientôt disque de platine mine de rien. [rires]

En parallèle, tu as très vite ressenti le besoin de souligner que cet album n’avait pas nécessairement vocation à faire rire.

Bah il y aura toujours un côté de moi qui ne pourra pas s’empêcher d’avoir de la punch ou de faire une vanne dans un son. Mais les sons où c’est tout le temps de la vanne, je ne les écoute pas en voiture. C’est ça le truc. Parce qu’au début, c’était ça l’album, beaucoup de blagues et d’humour. Mais quand j’étais avec mes potes en voiture, ils me disaient « Ouais… Mets du Migos, c’est mieux ! », « C’est bien, mais là on va en soirée, j’ai envie de m’ambiancer, pas d’écouter un son où tu dis que la go a pété ». Je trainais tout le temps avec des rappeurs et j’avais honte de leur faire écouter mes morceaux, parce que quand je jouais mes conneries, tu voyais que dans leurs têtes il me prenaient pour un guignol. Puis quand je me suis mis à faire un truc sérieux, j’ai vu que les gens me suivaient. J’ai quand même réussi à avoir un mec comme Hayce Lemsi sur mon album. C’est pas tout le monde qui ferait un feat. avec un mec qui fait des vidéos dans sa chambre. Faut avoir du cran, puis faut assumer. Lui l’a fait… Puis il a été en prison. C’est peut-être à cause de ça en fait. [rires]

Vu que tu ne joues pas la carte de l’humour, ne penses-tu pas que Double V manque peut-être de valeur ajoutée ? D’une certaine manière, tu deviens juste « un rappeur parmi tant d’autres ».

Peut-être. Mais le truc c’est qu’en France, ça me parait compliqué de faire du Tyler, The Creator, le genre de truc où tu sens que le rappeur est pas mal dans la vanne. Puis en vrai, j’écoute pas trop de rap rant-ma. Et quelque part, je pense qu’il fallait casser un code, pour que ça pète à la gueule des gens. Qu’ils se disent « Ah, il sait faire des trucs sérieux en fait ». Sortir un truc drôle, ça aurait été attendu. Mais je vais te dire un truc : quand j’ai sorti « LAPT », beaucoup de gens m’ont dit qu’ils auraient aimé que ce soit un truc sérieux. Parce que sur ce morceau, il y avait un truc. Quand le morceau commence, celui qui l’écoute se dit que je parle d’une meuf, que je suis sérieux, il kiffe. Puis il se prend le refrain. Quand j’ai vu que les gens étaient déçus que « LAPT » ne soit pas un « vrai » son, ça m’a encouragé. Mais j’ai toujours eu envie de faire des trucs plus sérieux. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’humour dans l’abum, mais ce n’est pas l’axe premier. Parce que je ne veux pas que ça devienne « Rires et chansons présente… Mister V ». Il faut un équilibre. Et le fait d’avoir fait créé ma chaîne musique, d’avoir fait Planète Rap, d’être apparu dans le clip de Nekfeu, d’avoir sorti la vidéo « Rap vs. Réalité », ça a contribué à faire la transition. C’était pas blague sur blague, et le lendemain, je sors un album. Il y a eu des appels de phare, les gens sentaient cette vibe arriver et c’est pourquoi je n’ai pas eu besoin de mettre trop d’humour. Pourtant des sons marrants j’en ai au moins 60 dans mon ordi qui ne sortiront jamais. J’en ai un qui s’appelle « Pedretti » en référence au footballeur Benoit Pedretti… [Il réfléchit] Ah peut-être que celui-là il sortira en fait ! [rires] Mais globalement, la musique comique vieillit très vite, ça peut être très ennuyant. C’est ce qui me faisait peur aussi. Parce qu’un Fatal [Bazooka], quand on réécoute les sons, c’est vraiment kitsch.

En France, si un acteur veut sortir un album, on part du principe que ca va être rincé parce que c’est un acteur.

Mister V

Après dans le cas de Fatal, on sentait quelqu’un de très extérieur à la culture hip-hop, du coup la parodie était plus grossière que celles que tu peux faire habituellement.

C’est sûr que je me trouve un peu plus légitime à faire un projet dans ce genre. Mais le fait est que lui, ça a mal vieilli. Du coup, il n’arrive plus à faire quoique ce soit de son personnage. Moi je n’ai pas envie qu’on se rappelle de mon album comme d’une blague un peu honteuse. Je veux que ça reste stylé. Ça me foutrais le seum que dans dix ans on puisse trouver “Space Jam” ridicule. [rires]

« J’oublie pas d’rendre le flow que j’ai volé à Drake », « Merci pour l’Auto-Tune, maintenant j’suis dans les bacs »… Tu évoques ton cas à travers ces lignes, mais ce sont aussi les reproches qui sont constamment adressés à bon nombre d’artistes. N’as-tu pas le sentiment de les discréditer malgré toi ?

Bah eux-mêmes le font en fait. Quand ils disent des phases du genre « les rappeurs ne sont pas des gangsters et les gangsters ne sont pas rappeurs », « La voiture de ton clip tu l’as louée »… Eux-mêmes il se clashent. C’est un truc de rappeur de clasher les autres rappeurs. Moi, je ne fais que rentrer dans ce jeu-là. Même un son comme « Top Album », c’est une manière pour moi de moquer une certaine hypocrisie du rap. Comme ces mecs qui se veulent underground, qui disent « moi je ne signerai jamais, je ne serai jamais dans ce game-là » mais qui sont bien contents quand il se retrouvent finalement en haut de l’affiche. Je peux me permettre de faire ça.

Mais as-tu conscience que le fait de voir un gars « extérieur » au milieu arriver dans le game, reprendre certaines techniques de rappeurs et sortir un album, ça peut donner l’impression que c’est « facile », d’une certaine manière ?

Non, quand je sors ce genre de phases, c’est plus une manière d’assumer le fait d’avoir repris le même flow de Drake, tout simplement. Pourquoi j’ai écrit cette phase sur « Petit-déjeuner » ? Parce que je savais qu’on allait me le reprocher. Du coup, je prends les devant et je dis « Bah ouais, mais je le sais en fait ». Quand Geronimo m’a envoyé la prod, je lui ai dit « Putain… C’est tellement Drake ce son ! ». Donc je me suis pris à faire le genre de flow un peu nonchalant qu’il sait faire. C’est même pas une manière de clasher les autres rappeurs. C’est juste par pure honnêteté envers moi-même. Oui, ce flow-là, c’est celui de Drake. Je vais pas faire semblant, faire crari en interview à base de : « Non mais en fait, c’est juste que l’inspiration… En fait, cette prod est faite pour ce flow… Puis tu sais quoi, en fait, c’est Drake qui m’a pompé ! ». [rires] Ce serait ridicule. Tout le monde recopie tout le monde, et il n’y a pas de mal à ça. Les auditeurs s’en foutent. Dans l’album, je voulais juste montrer que je pouvais avoir de l’autodérision. « Merci l’Auto-Tune, maintenant je suis dans le bacs », c’est vraiment ça ! Je remercie sincèrement l’Auto-Tune, j’en suis fan. Quand j’étais au lycée, j’avais l’application I Am T-Pain sur mon iPhone et je passais mes journées à chanter dessus parce que je trouvais l’effet trop cool. Si j’avais voulu discréditer le game, j’aurais fait ça de manière plus claire, avec un titre à la con du genre « Flow à la Migos » où j’appuierais vraiment sur le truc. Là, c’est une petite phase au hasard pour dire que ça se fait. C’est comme ça.

J’imagine que tu as pu remarquer sur les réseaux sociaux que ton succès était devenu celui à travers lequel on moque les autres rappeurs. Ça ne te fait pas un peu chier, honnêtement ?

Après ça j’y peux rien. Là encore, c’est le jeu. Twitter c’est le monde de la critique. L’anonymat permet aux gens de vraiment dire tout ce qu’ils veulent, et notamment des trucs qui ne sont pas vrais. Genre des mecs qui vont moquer tel ou tel rappeur en lui disant « La honte, t’as vendu beaucoup moins que Mister V ! ». Sauf que ce rappeur-là, est-ce qu’il est autant suivi que moi ? Est-ce que ce mec-là plaît autant aux jeunes que moi ? Parce qu’il faut le dire : j’ai un public jeune et le public jeune consomme. Je suis conscient que mon succès est principalement dû à ma fanbase. Mais ouais, c’est vrai qu’après la sortie, ça a été un bel argument pour tout le monde. Même pour le disque d’or. « Ah bah si même Mister V est disque d’or, c’est que tout le monde peut l’avoir ! ». Et encore, ça c’est gentil. C’est Twitter.

Je n’ai pas envie qu’on se rappelle de mon album comme d’une blague un peu honteuse. Je veux que ça reste stylé.

Mister V

Dans une vidéo récente, le youtubeur Maskey a répondu aux questions de ses fans, et l’une d’elle portait sur une hypothétique carrière musicale. Lui disait qu’il ne se voyait pas sortir un album précisément car il aurait le sentiment de partir avec l’avantage d’une fanbase qu’il n’aurait pas acquis grâce à la musique. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

Bah moi je m’en bats les couilles, on l’a bien vu. [rires] Plus sérieusement, je me suis évidemment posé la question, mais à l’arrivée, je n’ai forcé personne à écouter mes sons. Comme je t’ai dit, je pars du principe qu’à partir du moment où tu expliques ta démarche à ton public, il n’y a pas de problèmes. Moi je me suis juste dit que j’avais envie de le faire. Ça n’est pas allé plus loin. Après chacun voit midi à sa porte. Moi en tout cas ça me ferait plaisir que Maskey fasse un projet. Parce que c’est pas un youtubeur qui sait à peine aligner deux phases sur un beat. C’est un gars qui sait faire. Il m’a envoyé des prods d’ailleurs. Mais c’est lui et lui seul qui décidera. Moi je l’ai fait… parce que j’ai voilà les grosses couilles gros ! [rires] Non en vrai, c’est vraiment parce que j’aime ça. Après Maskey, il dit ça maintenant mais peut-être que dans deux ans, il n’aura pas le même discours. Même moi, j’ai eu une période où je me disais que je ne ferais pas d’album. Je me disais que je ferais peut-être une compilation de Sapassoupa, de petites vidéos comme ça. Là, j’ai un petit documentaire sur les deux années de conception de l’album qui va sortir et qui permettra aux gens de comprendre comment s’est passée la création de l’album.

Tu as déjà eu l’occasion de faire de la scène à travers l’humour, appréhendes-tu tout de même tes premières expériences scéniques musicales ?

Je ne suis pas pressé. Du tout. Parce que comme je disais tout à l’heure, il y a beaucoup de choses qui s’additionnent ensemble et je pense qu’il faut prendre le temps de faire en sorte que chaque nouvelle étape de ma « carrière alternative » se déroule bien. Je ne me sens pas encore prêt à faire des concerts parce que je vais avoir envie de faire des blagues, de faire le con. Puis même : est-ce que je sais vraiment chanter sur scène ? C’est ça le truc. Si l’album ne fonctionne pas sur scène, ou si son succès retombe très vite, ce sont des choses que tu sens quand tu fais des concerts. Et le fait d’être partout peut vite saouler les gens. Tu deviens usant et vite usé. J’ai pris deux ans pour faire l’album, et je suis content de l’avoir bien fait. Pour la scène, je veux que ce soit pareil. Je veux que ce soit un vrai show mec. Une performance dont tu te souviennes, dont tu parleras dans 20 ans à tes gosses aux repas de famille. [rires] Parce que moi, j’ai un concept à avoir sur scène. Je ne peux pas juste arriver et faire mes sons, je suis obligé de développer un show qui mélange rap et humour. Et il faut prendre le temps de faire ça.

Double V était un « kiff », un rêve que tu as toujours eu dans un coin de ta tête et qui est désormais devenu réalité. Du coup, est-ce que tu entends passer à autre chose, ou te vois-tu continuer dans la musique en sortant d’autres albums ?

[Il réfléchit] Je me dis que j’ai toujours cette même passion pour la musique, mais je n’ai pas commencé l’élaboration d’un nouveau projet. Après je continue à enregistrer des sons chez moi, et si au bout d’un moment j’arrive à en trouver quinze qui me plaisent suffisamment, on verra ce qui en découlera. Mais je pars du principe qu’il ne faut surtout pas se mettre un tête qu’il faille absolument sortir un second album. Peut-être que je n’arriverais plus à refaire de sons aussi, qui sait ? Dans l’idée en tout cas, j’aspire à continuer. Et je pense que les gens auront de mes nouvelles musicalement. Juste je ne me presse pas à faire une Jul et sortir un album tous les trois mois. Si je sens une forte attente, ça va clairement me motiver, mais je ne me forcerais pas à sortir un nouvel album pour autant.

Quels sont les autres rêves que tu poursuis à présent ?

J’ai envie de développer ce que je fais aux USA. Pas nécessairement avoir une carrière internationale, parce que j’aime ce que je fais en France, mais au moins développer les connexions que je peux avoir avec ces gars-là. Pourquoi pas tourner dans un film américain ? Ce serait mon rêve ça. Ouais, je pense que ce serait ça la prochaine étape. Avoir un rôle dans un film américain, un programme Netflix ou un truc comme ça. Même si on me demande de jouer un serveur dans un bar, un mec que tu vois une fois, je le fais. Mais un truc américain en tout cas.

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