Nawell Madani

Humoriste révelée au grand public par le Jamel Comedy Club, Nawell Madani s’impose dans le dur domaine du stand-up avec son accent belge et quelques pas de danse hip-hop. Récemment intégrée au roster de Def Jam Comedy, elle joue en ce moment son spectacle « C’est moi la plus Belge » partout en France et raconte aujourd’hui son parcours.

En préparant cette interview dans le cadre de la Journée des Droits des Femmes, en avec les quelques recherches que j’ai faite sur toi…

Tu as découvert que je n’étais pas une femme.

(Rires, ndlr) Non j’ai découvert qu’en tant que jeune fille, quand tu évolues à Anderlecht, à Bruxelles, tu es un peu un garçon manqué.

J’évolue en tant que garçon manqué parce qu’on était que des filles dans la famille. Quand on allait à l’école, il fallait développer un peu ce côté masculin pour se défendre. On avait pas de grand frère, et donc on devait montrer que s’il fallait taper, on répondait très bien. Il fallait endosser la casquette de petit mec quoi.

Il paraît que t’étais une punchlineuse redoutable jeune. C’est vrai ?

Oui, mais tu sais quand j’étais petite, j’ai eu une accident domestique. J’ai été brûlée au troisième degré et quand tu es petit, tu connais la méchanceté dans les cours d’école. Il a fallu que je me défende. Tous les jours, je rentrais en pleurant à la maison. Ma mère me disait : « Il faut que tu essaies de déceler leurs failles, leur défauts. Et avant qu’ils t’attaquent, attaque-les ou sois déjà prête. » Elle a développé en moi ce sens de l’observation, ce sens de la répartie, sans qu’elle le sache.
Et quand tu es dans une famille nombreuse, il faut aussi trouver ta place. J’étais la petite dernière, j’en avais marre de manger un peu plus que les autres. Donc, pour faire ma place, il a fallu que je développe aussi ce sens de la vanne.

Quand es-tu devenue une meuf, véritablement ?

Quand j’ai rencontré la danse et surtout le hip-hop. Ca m’a permis d’accepter mon corps J’allais dans le classique, elles étaient toute fines. Moi j’avais le tutu qui rentrait entre les fesses tellement j’étais boulote. Je me suis rendue à un cours de hip-hop, j’ai vu que les femmes avaient plus de formes, des gens de toute tailles, des mecs, des meufs, des blacks, des blancs. Et c’était une discipline qui ouvrait la porte à tout le monde, plus tu étais atypique et plus ça te donnait une force.

Quand est-ce que c’est devenu un projet professionnel la danse ?

À partir du moment où j’ai commencé à regarder les clips. J’ai grandi en regardant les clips de Janet Jackson, Paula Abdul… Je voulais devenir danseuse professionnelle, et je me voyais aux États-Unis à danser, créer des chorégraphies, faire des tableaux. Je savais déjà à l’âge 8-9ans, ce que je voulais faire.

Comment l’as-tu annoncé à tes parents ? Quelle a été leur réaction ?

C’était très compliqué. Quand j’ai appris la danse, j’étais entourée de blacks. Mon groupe de danse s’appelait les Blacks Barbies. Mon père me voyais revenir de mes cours de danse entourée de blacks et les voisins lui disaient : « Tu vas voir, un d’entre eux va la mettre enceinte. » Ils partaient dans des raccourcis : « Regarde elle est entourée de Black, il y en a un qui va la choper. Leur danse, ils se frottent les uns les autres. » Les gros clichés tu vois. Et mon père s’est laissé avoir par les bruits de couloirs, j’ai dû me battre deux fois plus. En Belgique, il n’y a rien qui se passe, on a pas de vitrine. Il fallait que je parte, mais en plus de ça, j’avais un deuxième obstacle, c’était l’approbation de mes parents. Je l’ai jamais eu d’ailleurs.

 

Nawel-Madani-3_Trianon-2014_©JeanRymond-Lebeau

 

Tu l’attends encore aujourd’hui ?

Aujourd’hui, ce sont les premiers à applaudir. Mais quand j’ai dû partir, j’ai dis à mon père que j’allais à Paris pour étudier du marketing. C’était ma couverture. J’ai mitonné grave, je suis arrivée à Paris, j’avais dit que j’allais faire mes études, mais en fait je venais parce que je voulais absolument avancer. Et d’ailleurs je pensais que j’allais tout de suite trouver du travail. Je ne mangeais pas à ma faim, il fallait que je sers les dents, parce que je ne devais surtout pas revenir en Belgique. Déjà, ils allaient comprendre que j’avais mitonné et de deux, une fois que j’étais partie, si je me plaignais, ils n’allaient plus jamais me laisser partir.

Dans ce milieu hip-hop, comment tu te retrouves en tant que meuf ?

J’ai fait le parcours un peu classique. J’ai fait l’AED (l’Académie Internationale de la Danse). J’ai intégré cette école, et au fur et à mesure des rencontres, j’étais mise au courant de castings. J’ai fais le casting de Diam’s pour être danseuses et le directeur du casting m’a pris en tant que modèle. Il m’a dit « Je ne veux pas du tout que tu danses, je veux que tu sois en bombe latine dans le clip. » (Nawell apparaît dans le clip « DJ » de Diam’s) Et c’est comme ça que ma carrière de modèle à commencer.

Dans ce milieu archi masculin, comment tu arrives à t’adapter ?

Tu n’y arrives pas  justement. Déjà il faut essayer de ne pas céder aux propositions. Dès que tu arrives et que t’es un petit peu jolie, tu es fraîche, tu es « brand new » dans le milieu. La plupart des nanas qui sont dans le hip-hop, on les connaît, les danseuses on les connaît, les modèles on les connaît. Dès qu’il y a une nouvelle tête, tout le monde la veut en fait. Et puis souvent tu te fais draguer, tu te fais aborder par des mecs de ce milieu-là, et il ne faut surtout pas céder à ces propositions. Il faut rester ferme, même si parfois il y a des gens qui peuvent être très sincères dans leur proposition. Même s’il y en a, il faut que ça reste professionnel. Il ne faut pas passer d’un mec à un autre, parce que ça parle beaucoup et tu peux être grillée assez vite en fait.

J’imagine que dans des ambiances de clips, les gars ont une parole très débridée et toi tu te retrouves là-dedans.

T’es un steak dans une cage à lion. Et souvent les rappeurs, dès qu’ils tournent un clip, ils viennent soutenus par leur team. Et ce qui est bien, c’est qu’à partir du moment où tu établis des règles, tu leur montres que tu n’es pas comme ça, tu gagnes un respect extraordinaire. Tu vois moi aujourd’hui, j’ai des très bonnes relations avec des rappeurs, parce que j’ai montré une ligne de conduite à respecter. Déjà, pour montrer qu’on est apte à travailler, qu’on n’est pas groupies, pour passer d’un artiste à un autre. Tu vois moi à l’époque, j’ai fait le clip de Mac Tyer et jusqu’à aujourd’hui on est amis. Je m’entends très bien avec Sopra, je m’entends très bien avec Akhenaton. À partir du moment où t’as une ligne de conduite, en fait dans n’importe quel milieu c’est la même chose.
Finalement, c’est partout pareil. Dans tous milieu prédominant, tu regardes même dans la politique, si t’es politicienne, et que tu t’es tapée un ou deux ministres, un ou deux  mecs de la professions, on se dit : « Bah voilà, elle est passée sous la table pour y arriver » Ce sont les même codes. Seulement le rap, c’est une formation accélérée. Parce que c’est des mecs qui sont rentre dedans, sans beaucoup de finesse. On ne tourne pas autour du pot et tout s’ébruite assez vite. C’est une formation accélérée du monde réel.

Pour passer au stand-up, quand tu dis à Kamel Laadaili, que tu veux t’y mettre et qu’il te dit  « Fais attention, c’est un milieu de gars, il n’y a pas beaucoup de meufs qui percent » quelle est ta réaction ?

En fait ça ne c’est pas vraiment passé comme ça. J’étais en cours d’acting avec Kamel Laadaili. Un jour je l’ai vu monter sur scène, je lui dis : « Ca me plaît, j’aime ce que tu fais. Ça me permettrait de jouer les rôles qu’on ne va jamais me proposer et ça me mettrait en vitrine. Est-ce qu’il y a moyen de le faire tu vois ? » Je pense qu’il ne m’a pas prise au sérieux. Et j’ai du par moi-même, chercher ce milieu qui était pour moi un monde parallèle.
Tu avais un milieu du stand-up où les mecs se donnaient rendez-vous de scènes ouvertes en scène ouvertes, avec des programmateurs qui se connaissent qu’entre eux. Il fallait qu’ils connaissent ton set pour te programmer. Je me disais :« Mais comment je vais venir tester, comment est-ce qu’on écrit ses premières vannes. Comment est-ce qu’on fait pour avoir un cinq minutes qui tienne la route ? C’est quoi la thématique ? C’est quoi la technique ?» Un jour Kamel a mis sur son Facebook : « Retrouvez-moi ce soir au Pranzo » et j’ai été le voir. J’y ai été deux-trois fois, j’ai observé, je l’ai regardé. J’ai été voir le directeur de l’établissement. Je lui ai dit « Ecoute, je veux jouer. », il m’a répondu : « T’as un cinq minutes ? » Et là j’ai baratiné, j’ai dit oui. Il m’a dit « Ok , rendez-vous la semaine prochaine. » J’avais une semaine pour écrire un texte de cinq minutes.

Là tu te rends compte que tu t’attaques à un cercle fermé, mais aussi archi masculin, où les plus grosse têtes d’affiche sont des mecs.

Pas encore. Je connaissais des têtes d’affiche comme tous le monde, mais je me disais pas encore que c’était un milieu masculin aussi dur. Pas du tout. Parce qu’en plus de ça, là où on répétait au Pranzo, c’était bon enfant. Il n’y avait que des jeunes humoristes qui venaient tester. Le directeur ne nous mettait pas du tout en compétition. Il donnait sa chance à tout le monde. Et à partir du moment où je suis montée sur scène, je me dis si ça marche, je continue. Si je me tape la honte, j’efface cette idée de ma tête à tous jamais.

À quel moment tu captes que tu rentres dans un milieu masculin ?

Le Jamel Comedy Club. Trois mois après.

 

Nawel-Madani-7_Trianon-2014_©JeanRymond-Lebeau

 

Comment tu es confrontée à ce truc-là ?

Ce sont des réflexions. Des humoristes me présentait et je ne trouvais pas ça du tout drôle tu vois : « Bon vous allez voir la prochaine, sa ‘teuche’ fait du miel, je l’ai goûtée. On dirait un Miel Pop’s. La prochaine : Nawell Madani. » ou « Ouais la prochaine, je l’ai ken sans pot-ca, ça glissait, elle a un cul de rabzouz. Nawell Madani. » Aussi hardcore que ça. Et je suis gentille car je me mangeais des réflexions encore plus hardcore. Et puis dans les loges, c’était en mode : « Ouais tu sais Nawell, ça marche pas. Au lieu de passer 10 minutes comme nous, joues que trois minutes tu vois. »

Comment tu réagis à ça ?

Si tu veux déjà pour moi ils étaient très forts, c’était comme dans une cour d’école, quand tu as un mec qui a le power, tu n’ouvres pas trop ta gueule. Ils m’impressionnaient tous tu vois. Ils étaient forts. Ils cartonnaient. Donc quand ils me parlaient au début, à propos de mon passage, je me laissais faire, j’essayais d’écourter un maximum. Mais quand ils ont parlé de moi et de ma condition de femme, c’est parti en sucette. C’est là que j’ai appellé Jamel. Je lui ai dit « Sois tu leur parles, sois je me barre. »

C’était très violent.

J’ai souffert au Jamel Comedy Club. Tu sais, ça ressemble au moment où tu n’as pas envie d’aller à l’école. Tu ne t’entends pas avec ta classe, tu y vas à reculons. Et on te dit qu’il faut y aller. Tout le monde me disait « Putain Nawell t’es obligée. Au Jamel Comedy Club, t’es la seule meuf ! Tu y es arrivé après trois mois sur scène. Tu imagines ? Monte, prends, tu t’en fous d’eux. » Et moi je leur réponds : « Mais vous ne savez pas comment c’est dur. ».
Personne ne me parlait. On ne me disait pas bonjour. Ils peuvent être à trois-quatre sur toi, en train de rigoler sur ta gueule tu vois. Des réflexions déplacées. Par exemple, j’avais des potes renois qui venaient me chercher, ils me disaient « Ah ! Toi aussi t’es une rebeu à renoi. Ah ouais, ça se voit que tu aimes bien le renoi, ça se voit. » Des réflexions constantes comme ça. Et un jour j’ai appelé Jamel.

Et justement toi à contre-pied presque, la manière dont tu te présentes au public, c’est trois sketches qui présentent ta féminité d’une manière controversée : le porno belge, le garçon manqué et une relation sexuelle avec un Noir.

Ouais mais parce que je répondais à ces connards en fait. C’est pour ça qu’aujourd’hui que je n’en parle plus du tout. Pour moi, c’était le reflet de ce que je vivais. La Brigade Anti-Batard, je l’ai faite pour eux. Le fait que ma première relation sexuelle, je l’ai eu avec un renoi et qu’il avait genre un sexe énorme, c’était pour eux en fait. La scène c’est un exutoire. Et je voulais leur montrer que j’allais devenir la meilleure, qu’ils m’ont hagar (persécuté) et qu’il ne fallait pas le faire. Ils ont touché au bâton qui va leur piquer l’œil.
À partir du moment où j’ai appelé Jamel, il a fait une réunion et leur a dit : « Mais lâcher lui les baskets. Je ne comprends pas votre délire avec elle. » Ils disaient « – Non mais vas-y on rigole. » « – Non non non, ça fait rire que vous. » Et une fois que je me suis plaint à Jamel, ils étaient tous là genre « Hahahaha t’es partie balancer à Jamel. » Ça a été pire. C’était la descente aux enfers. Et malgré le fait que j’ai eu un succès extraordinaire au Jamel Comedy Club, que j’ai eu l’un des passages qui a récolté le plus de vus, et que derrière le Grand Journal ma appelé. Au moment le plus important, le pic du Jamel Comedy Club, je me suis barrée.

Comment tu conçois les critiques du public sur Internet ?

Après tu sais sur Internet, tu ne connais pas leur âge, ou leur niveau mental. Je ne me fie pas trop à ces gens-là. Je ne me fie plus aux retours de mon spectacle. À partir de ce moment-là, ma carrière a commencé. Moi c’est ça que je retiens. Après que quelques internautes… C’est vrai ! C’est une réalité. Il y a un racisme latent. Il est là, on ne peut pas se le cacher. Maintenant, ils oublient que ces trucs-là, c’est un personnage et que ce n’est pas la vraie vie.

Comment toi tu te définis en tant que femme aujourd’hui ?

Je suis une femme urbaine, je vis avec mon temps. C’est vrai qu’aujourd’hui, malgré moi, j’ai un peu cette résonance féministe. À travers mon vécu, forcément j’ai une sorte de message d’espoir pour les nanas. Vous savez que si c’est plus dur pour nous, c’est parce que la récolte va être meilleure, c’est tout et qu’il faut se battre.
Déjà être une femme en général, c’est dur. Tu laisses une nana qui va un peu s’habiller en été, elle marche dans la rue, le regard des passant, ce qu’ils disent… On en a vu des caméras cachée. Donc je ne t’explique même pas quand tu prends un métier comme celui-là. Parce que le rire et l’humour, c ‘est un métier où tu prends beaucoup de place.
On est des prescripteurs, des messagers. C’est-à-dire qu’on fait appel à nous même en politique. On a de positions importantes. Quand une nana elle prend une place aussi décisive, c’est compliqué.

 

Nawel-Madani-4_Trianon-2014_©JeanRymond-Lebeau

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