Nicki Minaj : Le cul entre deux chaises

Nicki Minaj

L’ascension sociale est un concept qui regorge de nombreuses spécificités. En effet, pour grimper dans les hautes sphères, il faut savoir parler, s’habiller ou encore se tenir correctement. Mais ces réalités sont parfois bien plus complexes car dans certains cas, il faut adopter de nouveaux codes, soigner son image, voire même développer ses papilles gustatives : « supplément merguez, j’me suis embourgeoisé ». Pour la sortie de son troisième album Pinkprint, Nicki Minaj semble avoir changé de statut. De surcroît, elle aurait même gommé quelques traits qu’elle portait à son début. Plus large que le hip-hop, ses fesses lorgnent désormais un siège bien plus moelleux : la pop. Un changement progressif qui laisse Nicki entre deux chaises : plaire aux uns ou plaire aux autres ?

ONIKA OU NICKI ?


« Avant de plaire aux autres, il faut déjà se plaire à soi-même ».

Naît un jour de décembre 1982 à Saint James, une petite ville festive de Trinité-et-Tobago, Onika Tanya Maraj a mis plusieurs années avant de saisir pleinement cet adage. Issue d’une fratrie « réduite » – un frère aîné pendant la majorité de sa jeunesse – Onika passe les cinq premières années de sa vie sous le toit de sa grand-mère maternelle. Chez cette dernière, rien ne lui manque, hormis ses deux parents Carol et Robert Maraj partis en quête du rêve américain dans le quartier du Bronx de New York City.

Cependant, la réalité au pays de l’oncle Sam est bien plus morose. Après avoir occupé une série de petits boulots plus précaires les uns que les autres à Trinité – de l’autre côté de l’Atlantique – Carol Maraj se retrouve dans la même vulnérabilité qu’elle a pourtant cherchée à fuir à l’obtention de sa Green Card. Seulement, les causes ne sont plus « financières » mais plutôt sentimentales, elle et son conjoint Robert entretiennent une relation tumultueuse fondée sur une multitude de promesses non tenues. Débarqué six mois après sa dulcinée, monsieur Maraj lui promet de décrocher un boulot pour ensuite éduquer correctement ses deux progénitures. Dans un premier temps, il honore cet engagement. Les choses se déroulent merveilleusement bien, les deux tourtereaux emménagent à Jamaïca un quartier du Queens, et Carol confiera : « il était adorable, vraiment adorable. Il cuisinait pour moi et faisait un tas d’autres choses ». Pourtant, le père d’Onika perd soudainement son emploi … et la famille s’apprête à vivre un vrai calvaire.

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En 1987, Onika et son frère Jelani rejoignent leurs parents dans ce contexte. En effet, durant la période des Immigration and Nationality Act of 1965, 170 000 visas annuels sont délivrés dans l’hémisphère Est sans aucun quota pour le regroupement familiale, ce qui donne l’opportunité aux Maraj d’être enfin unis. Mais le bonheur est éphémère car la réalité rattrape tout le monde très vite quand le paternel, exclu de la vie active, sombre dans l’alcool et devient accro au crack. Cette époque, Nicki n’en parle quasiment jamais et elle évoque encore moins du jour où son père tenta d’assassiner sa mère en mettant le feu à sa maison. En revanche, à la différence de Carol Maraj qui fait de son mieux pour affronter les médisances – « Les voisins entendaient. Vous deviez cacher votre visage et baisser la tête » – Onika est hermétique à travers le monde imaginaire qu’elle se bâtit. Dans celui-ci, elle s’érige des alter-egos diamétralement opposés, comme Cookie, une facette introvertie créée pour s’éloigner des drames familiaux ou Nicki, un archétype féminin encore approximatif, enrichi par ses cours de théâtre. Cet espace de créativité synonyme de refuge, transpose les rêves d’Onika dans son quotidien angoissant. Appréhendée de cette manière, elle se levait chaque jour plus joyeusement que la veille. La vie est une fantaisie nourrie par l’évasion. En pleine promotion de Pinkprint, Onika confessera dans un magazine très tendance que « l’imagination était ma réalité ». En somme, tous ces personnages la couvent pour sortir sans heurt de son enfance. Et parmi tous ces masques, Nicki est le plus confortable à arborer, car ce modèle de femme l’aidera à construire sa vie d’adulte.

RAP…



Après une tentative de carrière ratée au cinéma, sans complexe, Onika se reconvertit dans la musique avec le quartet The Hood$tars et son compagnon Safaree Samuels. Mais très vite, Nicki ambitionne à plus. Dans son coin, ses feuilles blanches se noircissent et ses compositions personnelles sont mises en ligne sur Myspace. Par chance, le manager d’artistes Big Fendi traîne par-là, et la « rêverie » continue.

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Pour atteindre les oreilles de ses futurs auditeurs, quelques retouches sont suggérées par son nouveau manager. Dans un premier temps, son patronyme Nicki Maraj devient Nicki Minaj. Ensuite, son exposition s’élargit grâce à la série de son mentor The Come Up DVD. Cet outil promotionnel « sauvage » situé entre deux ères – la crise du disque et le développement des médias numériques – lui attire le regard bienveillant de Lil  Wayne. Pour finir, pragmatique dans sa stratégie, Big Fendi métamorphose l’image d’Onika. Jadis innocente, désormais son nom de scène incarne un idéal du fantasme masculin. L’un des faits révélateurs de ce changement se déroule entre 2007 et 2008. En pleine conception de sa seconde mixtape Sucka Free, Big Fendi organise une séance photo pour la promouvoir. Sournois, il calque celle-ci sur les clichés de Lil’ Kim à la position prête. Les jambes fléchies. Ecartées. Dans un deux pièces ultra-moulant. Une seule différence de taille est décelable. Sur cette pellicule, Nicki tient une sucette. La bouche grande ouverte, les yeux rivés sur l’observateur, Minaj est prête à la gober… Même si à vue d’œil, cette sucrerie est bien trop grosse pour cet orifice. Le malaise est palpable dans la petite communauté du hip-hop. Plagier dans un art qui prétend innover constamment pour survivre est un sacrilège. Logiquement, les interrogations sur sa verve artistique surgissent, et Nicki congédie Fendi pour y répondre.

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Par la suite, Onika collabore avec Debra Antney. Cette femme bienveillante, présidente d’une association pour les jeunes déshérités d’Atlanta, mais aussi CEO d’une compagnie de management d’artistes (Mizay Entertainment), va reconstruire la jeune femme point par point. Dans son association, Debra focalise son attention pour redonner l’estime de soi inhérente à tout artiste : « Elle traversait une période très difficile : à qui faire confiance, toutes ces choses-là. La première chose qu’elle souhaitait travailler était le chant. Alors, je l’ai inscrite avec Jan Smith pour qu’elle ait des cours de chant ». Auparavant, très perméable aux critiques, Nicki apprend à les gérer, à les dompter, et à les surpasser avec une éthique de travail intraitable : « Nicki m’a rendu la tâche compliquée pour travailler avec d’autres artistes féminines. Son dévouement était phénoménal […] Il n’y avait pas de soirée, pas de drogue, ni de petit ami, rien de tout ça […] Elle travaillait ». Petit à petit, Onika s’oublie face à Nicki la bête de travail. Une bête, superbement personnifié sur « Monster », un titre sur lequel elle se joint à Kanye West et JAY Z, sans une once de doute. Parsemant son couplet de voix angéliques et démoniaques, ses métaphores voleront la vedette à ses deux compères. Le plus important est là, sa présence dans le paysage « rapologique » est enfin légitime.

“So let me get this straight, wait, I’m the rookie?
But my features and my shows ten times your pay?
50K for a verse, no album out”

 



… OU POP ?



Dans son récent livre Pop Cuture, Richard Mèmeteau définit cette notion ainsi :

« La stratégie de la pop culture, c’est de dire qu’on va devoir à la fois garder un peu de cette authenticité mais la mélanger, l’hybrider, la métisser avec les formes plus majoritaires […] C’est à la fois une culture libératrice […] Et en même temps, on ne peut se départir de ça, c’est aussi une culture un peu de la trahison de sa propre communauté. Il faut en sortir, plaire à un public plus large et donc peut-être aussi se travestir, prostituer aussi sa propre culture originelle »*.

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Enhardie d’une confiance imperturbable, la Barbie Harajuku aspire conquérir ce nouveau territoire. Jan Smith – son coach vocal – lui donne la première opportunité d’élargir son public. En effet, débiter trente-six mesures par minute ne suffit plus, à présent, Nicki structure méthodiquement ses morceaux avec du chant, des refrains et des productions plus lentes pour digérer chaque vers. Cette polyvalence, le label Young Money l’affectionne et séduit Nicki pour faire partie intégrante de son équipe. Le projet est ambitieux – un jeune Canadien, ex-acteur de la série Degrassi y participe aussi – et Onika succombe pour la maison de disques de ses rêves. Ce pas de plus vers le grand public se traduit par une imagerie plus poussée. Les tenues excentriques, colorées voire féériques défilent car la demoiselle est avant tout visuelle. Les références sont aussi plus universelles. Dès maintenant, Nicki s’approprie la figurine Barbie, une poupée populaire, fédératrice au sein de toutes les couches sociales ; se compare à Jessica Parker l’actrice principale de la série Sex and the City ; enfile une perruque blonde platine pour un clin d’œil flagrant à Marilyn Monroe ; ou encore embauche Laurieann Gibson – la chorégraphe bien-aimée de Lady Gaga – pour donner vie à ses prestations. Tout semble aller pour le mieux mais la famille peut être un poids dans certains cas…

Comme Richard Mèmeteau le disait plus haut, faire partie de la Pop Culture implique aussi une « trahison de sa propre communauté ». Ce changement d’alliance, les auditeurs vont le ressentir brutalement dans leurs enceintes avec des productions plus consensuelles. A titre d’exemple, le producteur de pop/house RedOne sera le point culminant de la discorde. En produisant plusieurs titres pour son deuxième album dont le tant décrié « Starships », l’animateur de la station radio Hot 97, Peter Rosenberg, sortira de ses gonds pendant le festival prisé du Summer Jam :

« Je sais qu’il y a des filles ici qui n’attendent que de chanter ‘Starships’ tout à l’heure. Je ne leur parle pas maintenant, pas le temps pour ces conneries. Je suis là pour parler de vrai hip-hop : les gens venus pour voir A$AP Rocky aujourd’hui, les gens venus pour voir ScHoolboy Q sur cette scène. Voilà ce que je représente ».

Bien que la déclaration soit maladroite, Peter Rosenberg aura eu le mérite d’ouvrir le débat à l’échelle nationale.

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GLOIRE OU RECONNAISSANCE ?



Peu importe le nombre de ses détracteurs, à trente-et-un ans, Onika rêve toujours éveillé : « Plus de jugement de valeur. J’ai accompli quelque chose et je ne vais pas avoir honte de ce que j’ai réussi ». En effet, ce qu’elle est devenue, elle l’apprécie.

L’année dernière, elle passait en primetime sur la chaîne conservatrice Fox grâce à son rôle de juge dans American Idol. Cette année, elle donnait des interviews détendues dans le fauteuil du Ellen DeGeneres Show, une émission essentiellement visionnée par la ménagère blanche de classe moyenne. Nicki excelle à tel point que sa musique peut servir comme point d’accroche à la vente de produits dérivés, ou même à décrocher son premier rôle au cinéma – dans la comédie Triple Alliance (2014), Onika Maraj partage l’affiche avec Cameron Diaz, Leslie Mann et Kate Upton. De surcroît, pour faire rayonner son image, Nicki enrôle Rushka Bergman, une styliste mondialement reconnue, pour exprimer trait par trait chaque point de sa personne :

« J’aimerais montrer au monde entier qui elle est réellement. Son apparence et son caractère sont primordiaux, le choix des vêtements est secondaire. Ils doivent épouser ses courbes comme une sculpture […] Je sais qu’elle est une star dans le rap, mais c’est important d’équilibrer qui elle est réellement avec son image. C’est une artiste polyvalente, une actrice et une femme d’affaires ».

En somme, une ascension sociale pleinement apprivoisée grâce aux codes sociétaux.

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Dans l’industrie du disque, impossible de rater Nicki. Pour illustrer cela, la reine de la pop Beyoncé la sollicite pour le remix de « Flawless » avec en guise, une invitation au Stade de France pour interpréter leur duo. En coulisses aussi, la demoiselle est inévitable… Après une année surchargée de postérieurs, des chercheurs très sérieux se sont penchés sur la question suivante : « Qui détient le meilleur fessier du show-business ? ». Pour délibérer, ces derniers ont pris en compte le « waist-to-hip-ratio » – soit la différence entre la taille et les hanches. Décrochant la deuxième place derrière Coco – la compagne d’Ice T affiche un ratio de 1.74 – Nicki étale fièrement son ratio de 1.73.

Mais à trop affirmer sa différence, les risques d’être étiqueté à celle-ci deviennent plus grands. Du coup, lorsqu’elle dévoile la pochette et le clip de son titre « Anaconda », son art en pâtit et les critiques fusent. Cependant, plus rien n’atteint Nicki… ou presque.

Pour la promotion de Pinkprint, Nicki s’affiche sur son Instagram au naturel. Sans maquillage, avec ses vrais cheveux, à nue, elle donne la sensation que ces deux personnages Nicki et Onika se sont réconciliés. Une vulnérabilité contrôlée sciemment dans une stratégie de communication. De ce fait, jeudi dernier sur le plateau d’Angie Martinez, Nicki ouvre le chapitre de sa vie personnel, des pages qu’elle a toujours religieusement conservées. Mariée depuis 2006 à son conjoint Safaree, cette année Onika a dû gérer leur séparation qui a laissé des traces apparentes : « Je ne sais même pas comment je vais avancer sans lui dans ma vie. Je n’ai jamais vécu ma vie de femme sans sa présence […] Quelquefois, il m’arrive de discuter avec mes ami(e)s proches… Mais parfois, j’ai toujours envie de lui raconter mes histoires, avoir son avis parce que … ». A partir de ce moment, Onika ne terminera pas sa phrase. L’émotion est trop vive, et les larmes ont déjà perlé. Les caméras se coupent, puis Onika reprendra son interview avec une parole bien plus maitrisée, mais entremêler d’une sincérité rare. En effet, toujours concernant son ex-mari, elle avouera : « Tu veux savoir ce qui est réellement fou ? Si je n’étais rappeuse, nous serions … Nous aurions des enfants, nous serions mariés, et nous vivrions heureux à tout jamais ». Les mots sont précis, mais Nicki est très lucide. Elle considère même avoir été trop dépendante de sa personne et qu’une relation vécue de cette manière peut être « malsaine » … La rançon du succès.

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Onika est désormais dans les hautes sphères. Sur Pinkprint elle semble avoir trouvé sa voie entre pop et rap sans se dénigrer. Mais la gloire est une drogue sous un aspect différent. Quand Lauren Nostro, journaliste pour le média Complex lui posera la question « qu’elle est votre plus grande peur ? ». Onika rétorquera « que je devienne complètement absorbée par mon travail et que j’en n’oublie ma vie personnelle ». A méditer.

 

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