Comment les géants des sneakers délaissent-ils leurs lacets ?

Si le public fantasme aujourd’hui la MAG de Nike comme objet de collection, les grandes marques de sneakers cogitent réellement sur un moyen viable et pratique de se passer des lacets. Et ce, depuis longtemps. 

Photos : @laguezz

Voitures volantes, projections holographiques et domotique : voici ce que devait être le futur, tel qu’on le supposait il y a encore quelques décennies de cela. Dès 1989, Robert Zemeckis s’essayait à une représentation plutôt fidèle de cet imaginaire avec le second volet de la saga Retour vers le Futur, qui voyait Marty McFly poser sa DeLorean dans un 2015 dématérialisé et technologiquement avancé. 29 années se sont écoulées depuis, nous rapprochant fatalement d’une réalité autrement différente de celle du cinéaste américain. Nos attentes vis-à-vis de l’avenir n’ont désormais plus rien de fabuleux, et on se contenterait volontiers d’un futur où les batteries des iPhones tiendraient un peu plus d’une journée.

Ceci dit, les prédictions de Zemeckis ne s’avèrent cependant pas toutes être de simples paris manqués, bien au contraire. Tel un voyage du Doc entre deux époques, Retour vers le Futur 2 a littéralement bouleversé le continuum espace-temps. Des objets initialement conçus pour les besoins de la fiction ont fini par prendre forme dans le réel, et ainsi donner de véritables pistes de réflexion sur ce que pourrait être le futur. On pense évidemment à la MAG, cette fameuse paire de sneakers auto-laçantes pensée par Nike spécialement pour la pellicule.

Quand Robert Zemeckis propose à Mark Parker et Tinker Hatfield de réfléchir à la chaussure de demain, le laçage automatique n’est pas la première idée qui germe dans leurs esprits. Eux sont alors deux jeunes designers pour l’enseigne virgulée. « On parlait plutôt de lévitation magnétique. Le personnage pouvait marcher au plafond et sur les murs. C’était un gag classique. Mais je ne voulais pas que ça reste un gag, je voulais quelque chose de futuriste qui enthousiasme les gens », se rappelle Hatfield dans l’épisode d’Abstract : l’art du design qui lui est dédié.

Chez Nike, l’accent est mis sur la performance. On aspire à créer une chaussure qui saurait s’adapter aisément à chaque situation.

Il faut finalement attendre 2009 pour voir Nike faire breveter E.A.R.L, son système de laçage automatique. Six ans plus tard, le premier modèle de MAG qui en est équipé voit le jour, symboliquement offert à Michael J. Fox. Avec la HyperAdapt 1.0 – disponible en France depuis le 29 septembre 2017 – l’objectif est désormais de présenter ce système révolutionnaire auprès du grand public. L’aboutissement de plusieurs dizaines d’années de recherches et d’innovations technologiques visant à faire évoluer notre manière d’enfiler et de nouer nos souliers. Du côté de Nike, mais pas seulement.

Lancée par Vans en 1977, la rudimentaire Slip-On fait presque aujourd’hui figure de pionnière en son genre. Pas de grande révolution technique à l’horizon, mais une première illustration concrète de ce que peut être une paire dépourvue de lacets. De quoi donner des idées aux autres géants de la sneaker, Reebok et Puma en tête. Les premiers développent dès 1989 un mécanisme de pompage avec la fameuse Pump, tandis que les seconds privilégient DISC, un système de fils internes qui se règlent à l’aide d’un disque rotatif. Des dispositifs dont la particularité est d’être tous deux inspirés par le fonctionnement de bottes destinées à la pratique de sports d’hiver. Cela fait notamment suite à l’acquisition du groupe italien Ellesse – alors spécialisé dans la fabrication de vêtements de ski – par Reebok, en 1987.

« Ils avaient un modèle de bottes de ski avec ce mécanisme de pompage. Un jour, quelqu’un a dit à Paul Firemen [le fondateur de Reebok, ndlr] : “Hey, tu devrais mettre ce bidule sur une chaussure !” Mais pendant un certain temps, personne ne l’a pris au sérieux. Peu de temps après, on cherchait à faire une sneaker de taille customisable, donc on s’est penché sur des mousses et des straps, avant de s’arrêter sur un mécanisme à pompe creux, de manière à ce que tu puisses changer la silhouette en la gonflant », raconte Paul Litchfield, développeur de ladite paire, à SneakerFreak. À chaque fois, la vocation est la même : épouser au mieux la forme du pied.

La donne n’est pas fondamentalement différente chez Nike, si ce n’est que l’accent est mis sur la performance. Toujours. On aspire à créer une chaussure qui saurait s’adapter aisément à chaque situation. Maintenir plus fermement notre pied quand l’effort l’exige, puis relâcher automatiquement la pression au repos. E.A.R.L s’inscrit dans cette optique. Pour un tel niveau de flexibilité, il faudrait sans doute ajuster nos lacets tout au long de la journée. Là, deux boutons suffisent. Moins contraignant.

« Après la sortie de la Air MAG, on a compris que les gens n’allaient pas beaucoup les porter. Alors que nous, on avait à cœur de trouver un système viable d’auto-laçage. »
– Tiffany Beers, à Complex

C’est en 2006 que Tinker Hatfield se décide à concrétiser la Nike MAG. Le projet est alors confié à Tiffany Beers, directrice du pôle innovation de la multinationale américaine, qui aboutit sur un premier prototype fonctionnel après un an et demi d’essais. Et si la demande du public est bien focalisée sur la paire aperçue dans Retour vers le Futur 2, c’est surtout la HyperAdapt qui concentre l’attention des cerveaux de Nike. « Après la sortie de la Air Mag de 2011, on a compris que les gens n’allaient pas beaucoup les porter – c’était un objet de collection. Alors que nous, on avait à cœur de travailler sur la performance et de trouver un système viable d’auto-laçage. On connaît beaucoup d’amis qui ont des problèmes pour lacer leurs chaussures ; ça représente certes une grosse avancée au niveau de la performance, mais ça répond également à un besoin », justifie Beers dans une interview accordée à Complex.

Basée sur la Jordan XX8 et sa semelle creuse, la HyperAdapt 1.0 est ainsi dotée de capteurs qui détectent le pied et activent le mécanisme qui serre les lacets. Celui-ci embarque également une batterie dont la durée de vie pourrait aller jusqu’à deux semaines. « Le plus difficile, ça a été de s’assurer du confort quand tu enfiles la paire, parce que le mécanisme est très puissant. Tu peux tirer tes lacets plus fort que tu ne le ferais avec tes doigts, et c’était dur de faire en sorte que ce soit équilibré quand les lacets se serrent ensemble. À l’arrivée, les lacets bougent différemment parce qu’ils s’adaptent au volume de ton pied », poursuit l’ingénieure, toujours auprès de Complex. 

Interrogée par le New York Times en juillet 2017, Tiffany Beers disait alors vouloir concevoir des modèles d’HyperAdapt plus abordables, notamment pour les femmes enceintes, qui rencontrent parfois les pires difficultés du monde à lacer leurs chaussures. Si elle ne devrait pas être en mesure de poursuivre d’elle-même son projet – la demoiselle ayant depuis été débauchée de Nike par Tesla – nul doute que les prochains mouvements de la maison à la virgule devraient aller dans ce sens. Après tout, le futur, c’est maintenant.

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