Odd Future, le début de la fin ?

Le grand public a découvert Tyler en 2011 avec « Yonkers », avant de se familiariser à son collectif Odd Future. Si le succès a été au rendez-vous pour le groupe et les entités qui le composent, aujourd’hui elles n’occupent plus depuis longtemps les esprits. Deux ans après son deuxième album Wolf, Tyler, The Creator vient d’annoncer une tournée qui le verra traverser les Etats-Unis ainsi que l’Europe pendant deux mois. Le «créateur » aura-t-il le pouvoir d’insuffler un nouveau souffle à sa famille musicale ou son échec signera-t-il la fin du collectif ?

 

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Tyler, The Destructor

 

Cela ne fait pas moins de 4 ans que l’on connaît Tyler et pourtant il semble s’être écoulé une éternité depuis le moment ou Tyler Gregory Okonma était vu comme le prochain phénomène du rap et de la musique. Jeune, talentueux, impertinent, drôle, torturé, et une voix ténébreuse reconnaissable entre mille : tous les ingrédients étaient réunis pour permettre l’éclosion de cette nouvelle étoile annoncée. Tout avait pourtant bien commencé pour cet enfant prodigue. Précoce il s’amuse à imaginer et dessiner les jaquettes et les tracklists de ces albums à l’âge de 7 ans, il apprend même le piano à 14 ans. Une précocité qui s’oppose à une autre tendance déjà forte à l’instabilité pour le Californien, qui connaîtra pas moins de 12 établissements scolaires… en 12 ans. Très tôt donc, Tyler affiche un esprit novateur et rebelle qui se révèlera aux yeux du monde sous l’étiquette Odd Future, un collectif qu’il façonne entièrement dès ces 16 ans. The Creator écrit et rappe, mais The Creator produit également, dessine – le logo OF est une de ses créations -, design la ligne de vêtements, ou encore réalise certains clips du collectif. Un alias non galvaudé donc pour celui qui représente à lui seul OF, l’âme d’un groupe qu’il a fondé avec un noyau d’amis d’enfance et de rencontres diverses, parfois même virtuelles, comme celle d’Earl Sweatshirt avec qui les premiers contacts se font sur Myspace. Adepte du « Do It Yourself », il met un point d’honneur à tout faire seul, de l’enregistrement qui se fait dans le garage-studio de Syd Tha Kid, à la communication, que Tyler maitrise sous toutes ses formes. « I created O.F cause I feel we’re more talented/ Than 40-year- old rappers talking about Gucci/ When they have kids they haven’t seen in years » annonce-t-il dans Bastard en 2011, comme pour mieux justifier son arrivisme.

 

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L’empire que Tyler a crée s’est bâti autour de plusieurs personnalités singulières comme Syd Tha Kid, Earl Sweatshirt, Frank Ocean, mais surtout du caractère de son leader, qui mène le groupe, et surtout dicte la ligne directrice. Une emprise sur la pensée collective qui semble avoir fait des victimes parmi lesquelles BrandUn Deshay, ancien membre du groupe qui déclarera plus tard : « C’était cool. Je n’aurais jamais travaillé avec eux si je ne les appréciais pas mais dans une bande il y a forcément des divergences dans les mentalités et dans la façon de voir la musique. Tu dois t’ouvrir et essayer des choses différentes dans le but de grandir. C’est ce qu’on a fait. » Ou encore Casey Veggies qui abandonnera le navire très tôt, pour se mettre en solo et assouvir ses envies de liberté. Autre exemple, le cas du rappeur Vince Staples, non-membre mais affilié au groupe. Une confusion qui passe mal aux yeux de Tyler, qui déclare ne pas le détester, mais détester le fait qu’on le prenne pour un membre du collectif. Vince Staples calmera le jeu en expliquant qu’ils ne se connaissaient à peine tous les deux. Offensif avec les « siens », Tyler s’est forgé une réputation d’agitateur par ses lyrics politiquement incorrectes et des sorties virulentes et provocations qui lui ont valu de nombreuses critiques contre la teneur homophobe, sexiste et sa supposée apologie à la violence et au viol, ainsi que des « beefs » avec Chris Brown, B.o.B ou Bruno Mars. Bipolaire, Tyler est paradoxalement la colonne vertébrale et le garant de l’idée artistique du groupe mais en même temps un catalyseur, empêchant peut être l’épanouissement des autres membres. Assez gênant quand on s’aperçoit que le créateur a signé son plus gros succès d’estime, « Yonkers », il y a déjà plus de quatre ans. Une éternité pour une si jeune carrière.

 

Wu-Tang Is Not Forever

 

Battre le fer tant qu’il est chaud. Un adage que les membres n’ont pas su, ou voulu respecter : peut être par manque d’ambition, d’expérience, ou simplement par simple envie de profiter d’une réussite financière à laquelle aucun d’eux ne s’attendait réellement. Il semblerait que chacune des personnalités du collectif ait choisi de prendre le temps de réaliser des projets divers. Peut-être à tort, tant leur instant de gloire semble éloigné et difficile à retrouver aujourd’hui. Google, souvent un baromètre assez précis d’une situation, agit comme un indicateur de ce que pense le monde. « What.Happened.To.Odd.Future », il suffit de taper ces cinq mots et de se rendre sur une poignée des résultats pour se rendre compte de la détresse affichée par les fans et admirateurs du groupe dans différents forums de la toile. Peut-on pour autant parler d’échec de la bande à Tyler ? Pas vraiment. Dans cette équipe de joyeux lurons, certains ont su tirer leur épingle du jeu en réussissant à se faire un nom dans ce bordel organisé. On pense à Domo Genesis, qui collabore notamment en 2012 avec Alchemist sur le projet No Idols ou Syd Tha Kid et son association avec le producteur maison Matt Martians sous le groupe The Internet, qui a connu un joli succès pour son album Feel Good en 2013. Deux projets lointains pour ces deux entités qui restent somme toute assez insignifiante dans le monde du hip-hop. Avec Nostalgia, Ultra (2011) et Channel Orange (2012), Frank Ocean devient véritablement la grande révélation et le (seul) cheval de course sur lequel miser au sein du groupe, même si le dernier projet commence aussi à dater pour le double détenteur de Grammy. Malgré ces coups d’éclats, un goût d’inachevé nous vient inévitablement quand on pense au potentiel du collectif.

 

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Tout ça pour ça ? L’interrogation est légitime. Si tout a si bien commencé, on est en droit de s’interroger sur les raisons de ce hiatus musical. Peut-être s’agit-il de la fin de l’efficacité d’une stratégie basée sur la provocation et un anticonformisme excessif qui ne paye plus aujourd’hui dans le monde de la musique (une pensée pou Miley Cyrus) ; ou de la sur-utilisation d’Internet qui à certes fait leur succès, et de l’extension de leur activités (notamment télévisuelle, avec Loiter Squad, une émission de sketchs diffusée sur le câble américain ; ou marketing, avec leur pop-up shop à Los Angeles, ouvert en 2011 et qui a fermé ses portes il y a à peine quelques mois) au détriment peut-être de leur projets musicaux, vrai nerf de la guerre. Peut-être est-ce aussi l’échec d’un système assez déroutant de collectif porté par des subdivisions au sein du collectif, où une individualité peut faire partie de plusieurs petits groupes, ajoutés aux différentes entités solos et à leurs alias et autres alter-egos. Tout cela accroît l’impression de flou chez les néophytes. Enfin, est-ce peut-être aussi la démonstration de l’échec d’un certain hip-hop alternatif aux ambitions grand public, ses représentants peinent à se frayer une place : à l’image d’artistes comme SpaceGhostPurrp ou Hopsin, qui a récemment décidé d’arrêter la rap. Une place encore plus difficile à obtenir, même à échelle locale dans le contexte d’émulation et de renouveau de la côte ouest qui a vu des artistes comme ceux du label TopDawg Entertainment imposer leurs marques sur le territoire. Peu importe la raison, la situation laisse perplexe, pour un groupe que l’on annonçait trop vite et à tort, comme le nouveau Wu-Tang Clan.

Alors que beaucoup spéculent sur un éventuel quatrième album de Tyler, the Creator pour cette année 2015 qui devrait voir de nombreux projets du collectif : comme le nouveau d’Earl Sweatshirt, I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside: An Album by Earl Sweatshirt le 23 mars prochain, ,e premier album de Domo Genesis, de nouveaux projets pour The Internet et Franck Ocean, de nouvelles tapes des rappeurs Mike G et Hodgy Beats, ainsi qu’une éventuelle collaboration de longue date entre Tyler et Earl Sweatshirt sous le groupe EarlWolf, seront autant d’indicateurs de l’avenir du collectif. Et surtout, l’occasion de savoir si Tyler saura insuffler une énergie nouvelle à sa création principale, remettre en marche une machine enrayée ou si son échec signera la fin du groupe. Pour l’instant toutes les hypothèses sont possibles, même celle d’une pause planifiée et d’un acte calculé de Tyler, grand plaisantin, qui n’en serait pas à son premier coup.

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