Pigalle Basketball, une affaire de famille

Pigalle. Ses rues bancales, ses dédales pavés, ses trottoirs grouillants, ses recoins tranquilles. Ses vieilles façades, ses enseignes néons, ses supermarchés du cul et ses spots underground. Ses façons populaires et ses airs bobos. Une âme belle et foutraque. Le Moulin Rouge, la Cigale, le Folie’s, Michou … et Stéphane Ashpool. Pigalle. Un truc sanguin, obsessionnel. Jusqu’à l’envie de se faire appeler un jour Monsieur le maire. Ashpool, ce n’est pas que la marque de mode hype et bien léchée qui porte le nom du quartier, c’est aussi un playground multicolore serré entre deux immeubles, une boutique de basket, des entraînements en gymnase et une bande d’ados au cœur plein.

Photos : @RickRence

 

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Il pleut mollement sur le terrain rue Duperré. Ca ne gêne pas les ballers, les vrais comme les swaggueurs, ce « Travis Scoutt » à petites nattes et slim noir tiens, qui parade en Yeezy 750 comme des appâts à meufs. Les ballons ricochent sur le sol anti-bruit en gomme recyclée genre jouets rebondissants. Le son est presque moelleux. Après les pétitions des voisins agacés, Stéphane a fait rénover à l’été 2015 l’espace qu’il avait créé six ans plus tôt, grâce au soutien de Nike.  Pour les gamins des alentours, la routine est la même tous les jours : quelques shoots en rentrant des cours avant de filer dans la petite boutique juste en face, Pigalle Basketball. A l’extérieur, pas d’enseigne tape-à-l’oeil, juste quelques stickers discrètement collés sur la vitrine. On veut rester niche. Au départ, en 2014, le lieu avait ouvert pour accueillir essentiellement les collections-capsules de Pigalle avec Nike, et puis c’est devenu autre chose. On y met des sneakers un peu rares, des modèles performance et des pièces Pigalle Basketball de belle facture, mais surtout de la chaleur humaine. « C’est un peu comme une association de quartier, sauf qu’il y a des produits dedans», résume Stéphane. Au fond, devant l’écran télé et contre le mur vert pétard sur lequel sont punaisés des croquis de basket, la marmaille locale se masse pour mater des matchs NBA, jouer à la play, chiller et chahuter. «Quand je me lève le matin, je n’ai pas la sensation d’aller travailler », confie Lionel, le vendeur, «  C’est un lieu de cohésion avec les petits du quartier, on échange, on discute, et ce qui nous réunit c’est le basket. C’est mieux de les avoir ici que de les voir traîner ». Choc des cultures quand des clients viennent y claquer de grosses sommes sans sourciller, des touristes étrangers pour la plupart, asiatiques surtout. Mais Stéphane ne veut pas laisser les riverains du côté des exclus aux belles sapes. Les produits, on leur donne ou on leur vend au rabais, parfois contre trois chèques signés des mamans. On s’arrange, toujours. Lionel admet ne pas vouloir se « faire de l’argent sur la famille ». Le mot est lâché, tendre et pas feint, il reviendra constamment comme un gimmick sincère. Pigalle Basketball, c’est la famille. Ca se sent quand Lionel passe un bras protecteur autour du cou de Titouan, ça s’entend dans les rires, ça se lit entre les vannes.

 

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Avec sa ligne basket, Stéphane répond aux envies de ceux qui veulent se looker confortable sur le court comme en-dehors – « y’a pas tellement de marques indépendantes qui proposent ça  » – mais avant tout aux siennes. S’offrir un kif, un caprice créatif, une à deux fois par an. Le shop, c’était un vieux rêve. C’est pour lui, et en fait surtout pour eux. Les prix des vêtements piquent un peu, c’est pas du Made in China. La qualité européenne se paie salée. L’étiquette dit 115€ le hoodie molletonné aux bandes arc-en-ciel, 110€ le jogging coordonné. Là-bas posée sur l’étagère entre deux copines, une paire de J’s en velours bordeaux me fait de l’œil, je repars avec sans avoir pris le temps d’hésiter. Pas venue pour rien.

 

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« C’est plus que la famille, c’est comme s’il y avait un statut entre frère et père ».


 

On a rendez-vous rue Rochechouart, ça devait être à deux minutes à pied. J’y croyais moyen, puis Lionel m’a prévenu en rigolant : « Pour Stéphane, deux minutes, c’est dix minutes ». Quinze, en réalité, le temps de parler trop de bouffe et de se tromper vaguement de chemin. Le gymnase Paul Valeyre a plutôt bonne gueule. Les murs ont de jolies couleurs pastels, comme passées au filtre Instagram. Voilà Stéphane, barbe rousse, mèches roses, bonnet en angora blanc, trench à motifs graphiques, jogging mauve qui baille un peu aux fesses et Timberland marines. Ca vous change immédiatement une atmosphère, un Stéphane Ashpool. C’est fantasque, c’est bariolé, ça dévore l’espace. Son style se fout de tout, ça lui va bien. Tous les jeudis, avec Paul (Hamy) et Ibrahim, il entraîne une dizaine de jeunes plus ou moins cadets. « 95% d’entre eux habitent les rues parallèles ». Le Pigalle Basketball 9 s’est formé avec ceux qui venaient régulièrement au playground, des mômes qui ont grandi ensemble. Pour eux, avant, c’était le foot. Puis « comme le terrain était juste en bas de chez nous, on s’est vraiment mis au basket», raconte Théo, 16 ans. Théo et Stéphane c’est spécial, ça se voit tout de suite, pas seulement à cause de la ressemblance physique. Quand on questionne l’ado sur leurs rapports, il a ce genre d’émotion qu’aucun mot ne semble pouvoir fixer : «  C’est difficile de décrire notre relation. C’est plus que la famille, c’est comme s’il y avait un statut entre frère et père ».

 

Stéphane gueule un peu et chambre beaucoup. Il dit que c’est compliqué de les coacher, parce qu’ils sont très proches. Pourtant, le bonhomme connait le métier. Ç’avait été son tout premier, à 17 ans, quand il avait fallu faire des sous. Il était meilleur joueur qu’élève, l’avenir ne lui paraissait pas trop brillant, alors il avait entraîné des jeunes de l’AS Bon Conseil et de l’Eiffel basket. Ça avait duré sept ans. En parallèle, il y avait les soirées Pain O Chokolat avec les potes, puis finalement sa propre marque. Il avait arrêté le coaching. C’est les marmots de Pigalle qui lui ont redonné l’envie. Le basket, lui l’a découvert tout seul sous un arbre à panier dans la cour de l’Ecole Blanche, quand tous les autres couraient derrière un ballon de foot. Il aurait sans doute aimé qu’on lui prête la main qu’il tend aujourd’hui bien grande.

 

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« C’est un peu comme une association de quartier, sauf qu’il y a des produits dedans»


 

Les petits n’ont pas de licence sportive, ils disputent des matchs amicaux. Noah, le métis au nuage de bouclettes, fait partie de ceux qui jouent un peu au-dessus. Pourtant, il n’a pas envie d’aller voir ailleurs où c’est plus académique. « J’aime bien venir ici, y’a une bonne ambiance ». Du sérieux rigolard, du récréatif appliqué. « On préfère jouer avec la famille avant tout » renchérit Mamadou, l’aîné du groupe. Tous les deux parlent de Stéphane comme d’un grand-frère. Mamadou était là dès le début : «Il ne change pas, c’est resté le même, il est toujours là avec nous ». Il a un joli sourire, Mamadou, sa gentillesse m’enveloppe. Ce qu’ils déchargent tous de bonnes ondes. Polis, mignons, contents d’être là. « Ils savent » assure Stéphane, « Ils ont conscience de la chance qu’ils ont, d’avoir le terrain etc. Mais nous aussi avec Paul on a de la chance, on s’apporte autant mutuellement ». Il veut leur donner plus. Après les Philippines, les amener ailleurs, en Afrique peut-être, là où les gens ont de belles choses à vous apprendre. Le but, c’est pas d’en faire des LeBron, juste de bons gars. Le destin les couve rarement, là où ils vivent. « Psartek, on s’applaudit ». La séance est finie.

 

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Le samedi soir, c’est jeu libre, de 19h à 22h30. « Y’a tout le monde, les grands, les moyens, les petits ». Ca occupe les rejetons du quartier, ça les mélange. C’est l’idée du basket que défend Stéphane, du partage, un mode de vie. Ils sont près de soixante à inonder le parquet du gymnase façon pause récré. On se change à la va-vite sur le bord du terrain, abandonne ses fringues par terre en petits tas bouchonnés pour se presser sous les paniers. Certains improvisent un foot avec des mini-buts sur le côté. Quelques nanas viennent en curieuses. J’aurais pu être l’une d’elles dans mes années lycée, à essayer d’attraper les regards, en gilet peau de pêche, requins trop grandes et Motorola à clapet option caractères limités. Les voix se mêlent aux crissements des baskets dans un chahut bourdonnant. Ca fait sourire Stéphane: « Bienvenue dans la garderie ! ». On prend des shoots et de l’énergie. C’est un samedi comme ça qu’ont été capturées les images de la dernière collection. Les pièces venaient d’arriver, les petits les avaient essayées, pour voir. « Ca raconte des moments de vie entre nous, au-delà du basket. Parce que ça va plus loin que ça. Le week-end en général après on sort, on va à la séance de ciné de minuit ou on mange ensemble». Et les parents dorment tranquilles, Pigalle Basketball, c’est la famille.

 

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