Stéphane Ashpool (Pigalle) et Kelly Oubre (NBA) nous racontent le retour de Converse sur les parquets

En s’associant avec Converse, le joueur des Suns de Phoenix et le fondateur de Pigalle réinventent une histoire qui s’écrivait en pointillés depuis la démocratisation de la Chuck Taylor. Interview croisée.

Photos : @alextrescool

À droite un basketteur NBA féru de sapes, à gauche un designer qui ball. La rencontre entre Kelly Oubre, prometteur ailier des Suns de Phoenix, et Stéphane Ashpool, créateur de la marque Pigalle, sonnait comme une évidence. Au croisement de la Fashion Week et du Quai 54, il est coutume de croiser dans la capitale des joueurs de NBA venus se détendre à l’issue d’une longue et éprouvante saison passée sur les parquets. Ce n’était nullement le cas du « sapologue 3.0 de la ligue », dixit TrashTalk, qui se tenait prêt à défiler pour la première fois à l’occasion du show donné le 23 juin dernier par le label du 18e arrondissement.

Outre d’évidentes passions communes, c’est surtout Converse qui a fait office de trait d’union entre les deux hommes. En novembre 2018, Kelly Oubre s’était en effet engagé avec la marque à l’étoile, amorçant le retour de celle-ci sur les terrains de basket, qu’elle avait délaissé depuis 2012. De l’iconique Chuck Taylor à Dwayne Wade, en passant par Wilt Chamberlain et Magic Johnson, l’histoire de Converse a pourtant toujours été intimement liée à la balle orange. Dès lors, qui de mieux que Pigalle et Stéphane Ashpool – à qui l’on doit déjà plusieurs collections sportswear conçues avec Nike – pour l’épauler dans cette périlleuse reconquête ? Leur collaboration donne naissance à une nouvelle itération de la All Star Pro BB, modèle pensé précisément pour la pratique du basket, à même de répondre aux besoins techniques des athlètes sans négliger leur allure.

La veille du défilé, on s’est donc installé aux côtés de la nouvelle figure du basket selon Converse et du premier designer à travailler avec la multinationale sur une paire de baller pour évoquer avec eux cette collaboration, et les rapports entre sport et mode.

Kelly, tu t’apprêtes à défiler pour la toute première fois à l’occasion du show Pigalle. Comment tu te sens ?

Kelly Oubre : Je suis super excité. Pour le moment, je ne ressens pas de nervosité ou quoique ce soit, même si j’imagine que juste avant le début du show, ça va être un peu comme avant un match : je vais peut-être avoir un peu la pression. Heureusement, Stéphane me facilite la vie niveau « préparation mentale » parce que je comprends l’énergie et le message derrière sa collection. Je suis juste là pour honorer son travail.

Quel est donc ce message ? 

Stéphane Ashpool : Je vais toujours très loin dans ma tête donc je ne m’attends pas toujours à ce que tout le monde comprenne tout. Mais pour résumer le concept du show, c’est une sorte d’empereur égyptien qui débarque dans une ville futuristique, et cette ville s’avère être Paris.

KO : C’est justement pour ça que j’adhère à son idée. Moi-même à ma manière, je suis un empereur étranger venu des États-Unis qui découvre Paris à travers ce défilé. C’est quelque chose à voir, vous allez le ressentir pendant le show.

Kelly, quelle est ta relation avec la mode ?

KO : Je ne suis pas nécessairement de ceux qui sont à l’affût de toutes les nouvelles marques, je préfère laisser les marques capter mon attention. Je remarque un vêtement quand il est unique. Quand c’est les mêmes trucs vus et revus, ça ne m’intéresse même pas. Pour moi, la mode fonctionne au coup de coeur : tu te réveilles, tu veux être propre sur toi, tu admires ce qui est propre chez les autres, etc. C’est quelque chose qui coule dans mes veines, et c’est pourquoi j’aime autant la sape.

SA : Je peux confirmer que tout est très instinctif chez Kelly. Il a juste à enfiler un vêtement pour instantanément faire corps avec lui. Tu sens qu’il n’a pas besoin de forcer les choses.

KO : Ceci dit, j’aimerais un jour faire comme Stéphane et pouvoir porter mes propres vêtements.

Chacun à votre manière, vous êtes tous les deux rattachés à Converse, une marque dont l’histoire est en partie liée au basket. Est-ce que ce passif a joué un rôle dans votre envie de collaborer avec la marque ?

SA : Clairement. Je pense même que c’est une des raisons pour lesquelles ils ont fait appel à moi. À la base, j’étais en train de travailler sur une collection de vêtements pour Nike quand j’ai reçu un appel de Converse qui me disait : « On vient de signer Kelly, est-ce qu’on ne partirait pas sur une paire de Converse plutôt qu’une paire de Nike ? ». C’est comme ça que ça a commencé. Je suis donc reparti quatre jours à Portland pour penser le design, puis j’ai passé un jour et demi à Boston pour découvrir la paire. C’était le premier prototype, et je n’en étais pas particulièrement fan à ce moment-là. Puis je l’ai essayée et j’ai fini par l’apprécier. Mais c’est clair que sans cet ADN basket, ça n’aurait été ni authentique ni cohérent, donc je ne l’aurais pas fait. Je préfère faire petit mais faire bien plutôt que voir les choses en grand mais qu’il n’y ait pas d’âme.

KO : De mon côté, j’étais juste là pour m’assurer que tout ce qui concerne l’aspect « performance » ne soit pas négligé. Autrement, je n’avais pas réellement conscience de tout ce qui pouvait être fait avec la paire. C’est la première fois que j’assiste au processus de création. C’est assez fou parce que chaque détail apporté donne un nouvel éclat à la chaussure. Peu importe ce que c’est, à partir du moment où tu ajoutes un élément, tu rends ton message visible. Tu te sers vraiment de la paire comme base créative. Je n’avais jamais vu ça.

Comment cet « ADN basket » de Converse se manifeste-t-il aujourd’hui ? Sachant que beaucoup de gens n’ont même pas idée que la Chuck Taylor était à l’origine une paire destinée à la pratique du basket, par exemple.

SA : Je pense que c’est le point de départ d’un nouveau cycle pour Converse. Et le fait de nous avoir embarqué dans ce projet, Kelly et moi, rend cette histoire d’autant plus crédible. D’autant qu’ils nous ont laissé de temps de bien faire les choses. On en a écrit les premières pages, et on verra ce qui se passera par la suite.

KO : Je pense que le message qu’il y a derrière cette paire, c’est aussi justement que ce n’est pas qu’une paire pour le basket. Quand les gens verront ce modèle sur différentes tenues, ils ne réaliseront même pas que c’est une chaussure faite pour les parquets. Tu n’es pas forcé de la porter exclusivement sur le terrain, tu peux très bien l’intégrer à ta tenue de tous les jours. C’est ce qui est voulu en tout cas.

Dans quelle mesure vous vous souciez de votre style une fois sur le terrain ?

KO : C’est très important. Il faut que j’aie l’air frais. C’est ma seule manière d’opérer. [rires] Il y a probablement des gens qui n’en ont rien à foutre, mais personnellement, je tiens à rester impeccable sur même le terrain.

SA : Pour ma part, j’ai une autre manière de voir les choses. À Paris, je suis connu pour venir sur les terrains avec les mêmes vêtements que je porte quand je suis en train de bosser. Je me contente juste de réajuster un peu certains trucs, par exemple mon sweat que je vais retourner pour l’occasion, ce genre de détails.

KO : Pareil ! Je porte la tenue que j’ai sur moi, et au mieux j’enlève mon t-shirt. Mais je ne prends pas forcément la peine de changer de tenue.

SA : J’ai vu des photos et ça m’a étonné de voir Kelly comme ça. Le mec arrive à l’entraînement, il fait tomber le t-shirt et joue avec toutes chaînes en or sur lui. C’est le basketteur le plus stylé que je n’ai jamais vu.

Stéphane, qu’est-ce quin dans le basket, t’inspire tant quand il s’agit de concevoir des vêtements ? 

SA : Je suis simplement passionné par le jeu. J’entraîne des gamins depuis plus d’une dizaine d’années – depuis que j’ai 17 ans à vrai dire – donc c’est ancré dans mon ADN. Et s’il y a une chose que j’ai appris de ce sport par rapport à la mode, c’est que tu dois te sentir à l’aise dans tes vêtements. Au niveau des associations de couleurs également, le basket m’a beaucoup appris. Je me rappelle quand j’avais 7 ou 8 ans, j’adorais regarder les logos des équipes de NBA pour justement voir quel genre de couleurs allaient bien ensemble. Et en ayant grandi à Paris, j’ai pu faire ma propre cuisine avec tous ces ingrédients-là.

Quelle était l’ambition de cette collaboration entre Pigalle et Converse ? Ramener un peu plus de style sur les parquets ou au contraire faire en sorte qu’une paire de basketteur puisse devenir une paire de tous les jours ?

KO : Un peu des deux. On voulait juste s’assurer que la paire soit lourde, et qu’elle puisse l’être aux yeux de tout le monde. Peu importe que tu joues au basket ou que tu fasses de la danse, que tu sois un homme ou une femme… Une femme pourrait très bien voir ce modèle et se dire : « J’aime beaucoup, je me verrais bien la porter ! ». D’autant que la chaussure n’est pas aussi imposante que celles habituellement destinées à la pratique du basket, c’est un peu plus passe-partout.

SA : C’est vrai que pour le coup, la silhouette est assez affinée. Moi-même je prends du plaisir à la porter au quotidien. Comme vous le savez, j’ai mon propre terrain à Pigalle et parfois, quand je suis en vélo, ça m’arrive de voir des gamins en train de jouer au basket et de m’arrêter pour jouer avec eux. Dans ce genre de situation, c’est un luxe de ne pas à avoir à changer 2 ou 3 fois de paire dans la journée. J’ai envie de pouvoir faire toute la journée avec une seule paire, et celle-ci me le permet.

Pour conclure, j’aimerais Stéphane que tu me parles de ton projet Craft Studio et du travail que tu poursuis avec les jeunes de Pigalle ?

SA : Pour ce qui est des jeunes, rien de nouveau. Je suis un peu le maire underground de cet arrondissement de la ville, donc j’essaie de prendre soin de la communauté du mieux que je peux et ce depuis un petit bout de temps. Quant à Craft Studio, c’est une manière pour moi de donner une plateforme à la jeunesse, un endroit où ils peuvent fabriquer des vêtements, enregistrer un morceau, s’entraîner aux côtés de leurs amis et parfois d’invités prestigieux. Pour résumer, Craft Studio, c’est là où j’investis mon argent. C’est comme ça que j’essaie de rendre à la communauté, mais aussi de la faire participer.

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