Prince Waly : « Avant ils étaient à la recherche de la ‘street crédibilité’, mais ça ne veut plus rien dire »

Les syllabes allongées, le sweat outrancièrement large et l’image résolument rétro. Quand Prince Waly publie le clip de « Junior », il semble s’amuser une fois de plus des frontières temporelles. La date indique pourtant l’année 2016, et nul doute que le jeune artiste est bel et bien ancré dans son époque. Dans un paysage rap où certains endossent un rôle, Waly se taille tour à tour des costumes sur-mesure de mafieux et d’hustlers aux petites combines. Il s’assume en tant qu’acteur d’un mouvement en préférant soigner son interprétation plutôt que de chercher à prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. D’autres choses l’importent plus, comme « la famille, les amis, la gonzesse chez qui [il se] confesse » et sa ville, Montreuil. C’est ici qu’il nous a accueilli, avec toute la chaleur et la simplicité qui le caractérise.  

Photos par Steeve Cute : Instagram, Website 

Tout d’abord, peux-tu nous raconter comment s’est faite la connexion avec Myth Syzer, avec qui tu as réalisé Junior ?

Déjà, on avait commencé à bosser ensemble en 2013 sur un track qui s’appelait « Clean Shoes ». Suite à ce son là, on a vu qu’on avait des bons retours et que beaucoup de gens nous poussaient à poursuivre la collaboration. On nous disait que ca pourrait donner quelque chose de très cool. De là, on s’est revus il y a environ un an et demi, deux ans. On se voyait chez lui, il me faisait écouter pas mal de « prods », on enregistrait un peu, on maquettait. On a vraiment pris notre temps en fait, tout s’est fait au feeling, sans réelle pression et aujourd’hui, Junior est né.

Pour un premier projet solo, c’est un véritable parti pris de choisir de ne travailler qu’avec un seul producteur.

Myth Syzer est vraiment un producteur que je trouve très talentueux. En fait, il y en a très peu que je trouve vraiment très bon et que j’estime correspondre à mon registre. Habituellement, je bosse essentiellement sur les « prods » de Fiasko, mais quand Syzer m’a fait « Clean Shoes », j’ai pété un câble. Et depuis, je n’ai jamais vraiment été déçu des productions qu’il m’envoyait, donc progressivement, on s’est dit qu’on allait faire un projet. Au départ, on était parti sur 4 titres, mais à chaque fois qu’on se revoyait on rajoutait un son, et finalement on s’est arrêté sur 7 morceaux. Il y en avait un 8ème, mais finalement on ne l’a pas gardé. Au-delà de ça, ce qui est bien en travaillant qu’avec un seul producteur, c’est que ça permet de donner une véritable couleur au projet. Il y a une sorte de petit fil conducteur entre les titres de Junior, et je pense que Syzer y est pour beaucoup.

Quelles ont été tes principales sources d’inspiration pour ce projet ?

La plupart de mes inspirations viennent de fictions. Il y a peut-être un ou deux morceaux sur lesquels je parle de la réalité, je pense notamment à « Junior » qui est un des premiers titres sur lequel je me livre vraiment, notamment sur ce que j’ai pu vivre. Mais à part ça, un titre comme « Vinewood » c’est purement fictionnel puisque ca me vient de GTA. Quant à « Ginger », il m’a été inspiré du film Casino. J’y parle du personnage de Ginger qui est une fille un peu perdue, à la recherche de l’argent facile. J’aime ce genre d’histoires et j’aime aussi le fait de sortir un peu de la réalité, d’essayer d’amener le public autre part. C’est d’une certaine manière un peu comme une séance de cinéma.

Au regard de ta façon d’écrire et de tes nombreuses références cinématographiques, tes morceaux prennent instantanément une dimension visuelle. Comment travailles-tu cet aspect de ta musique ?

Là encore, je bosse vraiment au feeling. Je me donne juste quelques lignes directives, je me dis que sur tel morceau je vais essayer d’emmener le public vers un délire particulier, mais ce n’est pas calculé pour autant.

Quant aux clips, je travaille principalement avec Clifto Cream, qui faisait déjà les vidéos de Big Budha Cheez et qui a réalisé plusieurs visuels de Junior. Pour « Zero », en featuring avec Ichon, on a travaillé avec Global, des mecs qui bossent dans la pub à la base. Vu qu’ils kiffaient vraiment mon univers, ils m’ont dit qu’ils étaient chauds pour travailler avec moi et ils m’ont demandé de leur envoyer toutes mes inspirations : des sons, des photos, des clips ou quoi que ce soit. Donc je leur ai envoyé tout ce que je kiffais : du Dre au Passi de l’époque. À l’arrivée, ils ont mixé un peu tout ça et ca a donné « Zero ».

« Myth Syzer est vraiment un producteur que je trouve très talentueux. En fait, il y en a très peu que je trouve vraiment très bon et que j’estime correspondre à mon registre. »

Myth Syzer et toi avez des univers musicaux assez différents l’un de l’autre, mais à l’arrivée, on se dit que la connexion était presque évidente. Comment expliques-tu cela ?

La relation que j’entretiens avec Myth Syzer est humaine avant tout. Je suis un rappeur c’est un « beatmaker », on fait de la musique, certes, mais à force de se fréquenter on est devenus des potes. Je pense que cet aspect a un peu pris le dessus sur la dimension purement artistique. Ça se ressent sur Junior et ça doit probablement jouer sur la perception du public. Après, c’est vrai que sa musique est beaucoup plus ouverte que la mienne qui est plus rétro, ce qui ne parle pas à tout le monde. Par rapport à ce qu’il fait, lui peut réussir à toucher une audience assez vaste. Le fait de travailler avec Syzer m’a justement permis de m’ouvrir un peu, on a chacun fait des petits compromis qui sont bons à prendre. « Vinewood » par exemple, c’était un type de beat sur lequel je n’avais pas du tout l’habitude de poser, il m’a poussé à tenter quelque chose dessus, et au final, c’est un des titres les plus appréciés du projet.

Au niveau de tes références, des marques que tu portes ou encore de tes visuels, on sent chez toi une véritable fascination pour les années 90. D’où te vient-elle ?

Je suis le plus petit de mes quatre grand-frères et je pense que ce sont les quatre cerveaux qui ont déteint sur celui du petit dernier, d’une certaine manière. Ce n’est pas forcé. Aujourd’hui si je mets du Tommy Hilfiger ou du Fubu, c’est juste parce que je kiffe. Je n’ai pas vraiment vécu les années 90, mais avec mes frères j’avais un petit pied dedans et aujourd’hui c’est quelque chose que j’aspire à développer. J’ai envie de montrer cette facette de ma personnalité. Mais malgré tout, ça n’empêche qu’aujourd’hui il y ait des marques ou des sons qui me plaisent. Il y a des hits de « ouf ». Par exemple, en ce moment j’écoute pas mal le dernier Skepta – A$AP Rocky (« Put that on my set »), c’est un de mes morceaux préférés cette année. Au niveau musical, j’écoute de tout. Et c’est pareil pour les sapes, même si ce qui me plaît le plus souvent, ça reste les sapes un peu vintage, à l’ancienne.

As-tu parfois le sentiment d’être en décalage avec ton époque ?

C’est sûr qu’il y a un décalage. Quand je vois certains de mes potes, on n’est pas du tout dans le même « mood », dans la même ambiance. Après j’en suis pas non plus au point de me dire, « J’aurais préféré rapper dans les années 90 », parce que si ca avait été le cas je n’aurais pas été la personne que je suis aujourd’hui. Je ne serais probablement pas Prince Waly, je pense que j’aurais fait autre chose. Peut-être même que je n’aurais jamais fait de rap, on ne sait pas. Mais voilà, à l’heure actuelle c’est ce qui me parle, et je suis bien content d’être en 2016. Faut pas croire, dans les années 90 il y avait aussi des trucs nazes à mort. Et quand aujourd’hui je peux jouer à ma Play 4 je suis bien content, je ne regrette pas la Sega (rires).

Qu’est-ce que ça t’inspire de voir que la plupart des artistes qui étaient arrivés il y a quelques années avaient aussi une identité très imprégnée des « 90’s » mais évoluent aujourd’hui ? Je pense notamment aux artistes de L’Entourage qui s’orientent progressivement vers des sonorités plus modernes.

C’est une bonne chose dans la mesure où ils ne tournent pas en rond. Ils explorent de nouveaux horizons et ils ont raison. Parce que tu peux faire la même chose pendant un an ou deux ans, mais au bout d’un moment ça ne passera plus et tu devras évoluer. Le public va finir par se lasser et toi-même tu vas finir par être saoulé de faire le même produit. L’idée c’est de faire ce qui te plaît avant tout. Moi-même, si demain il y a un son trap qui me plaît, crois-moi que je vais rapper dessus. Je kiffe la trap hein, faut pas croire… Je ne suis pas fermé du tout. Les mecs que tu m’as cité, ils ont su prendre le bon tournant au bon moment, ils n’ont pas manqué le coche. Quand tu vois Nekfeu aujourd’hui, là où il est, c’est énorme. Il le mérite amplement. Il fait son propre truc et personnellement je respecte ça.

« Faut pas croire, dans les années 90 il y avait aussi des trucs nazes à mort. Et quand aujourd’hui je peux jouer à ma Play 4 je suis bien content, je ne regrette pas la Sega (rires) »

Junior constitue déjà une première évolution musicale par rapport à ce que tu faisais avec Big Budha Cheez. Tu te verrais prendre le public un peu plus à contrepied encore sur tes prochains projets ?

Je pourrais le faire. Ce n’est vraiment pas mon but, mais je pourrais. J’arrive à me voir lancer une pépite comme ça, avec une « instru » sur laquelle les gens n’ont pas l’habitude de m’entendre. Mais il faut que je sois bon dessus, c’est ça le truc. Je ne suis pas dans l’idée faire quelque chose de différent, juste histoire de surprendre. Ce qui m’importe c’est la qualité finale du morceau, il faut que ce soit bien fait. Si c’est le cas, le public se le prendra forcément. Tu auras toujours une poignée pour râler et dire « Ouais, on préférait ce que tu faisais avant » mais je pense qu’il ne faut pas faire gaffe à ce genre de critiques. J’avais vu une interview de Mobb Deep où ils disaient que justement c’était un peu à cause de leur public si aujourd’hui ils n’étaient plus superstar.

Au sein de ton groupe, Fiasko Proximo et toi avez une complémentarité intéressante. On a le sentiment que tout le travail qu’il réalise – notamment à la production – contribue à te faire ressortir comme l’individualité forte du groupe.

À fond, c’est totalement ça. Déjà, faut savoir que c’est lui qui m’a appris à rapper. Il m’a donné beaucoup de conseils au niveau des placements et même du flow. Quand on a commencé à rapper, comme tout le monde on rappait dans nos chambres et tout, mais on a directement essayé de créer une base de travail solide. De là, on s’est dit qu’on allait foncer et que quoiqu’il arrive, même si on est amené à faire nos projets chacun de notre côté, il y aura toujours une identité Big Budha Cheez dans notre musique. Et même sur ce point, Fiasko y est pour beaucoup. C’est grâce à lui si je fais du rap aujourd’hui.

Dans un rap français où une partie du public est constamment à la recherche d’authenticité, tu assumes pleinement être celui qui « raconte des histoires » et ça semble te réussir plutôt bien. Comment expliques-tu ce paradoxe ?

Moi je me suis buté à l’album d’Oxmo Puccino, Opéra Puccino, et il le faisait beaucoup là-dessus. Quand il raconte un « Alias Jon Smoke », tu sens que ce n’est pas lui l’agent secret qui va en mission, c’est de la fiction pure et dure. Et inversement, sur des sons où il se confie un peu plus, tu le sens aussi. De la même manière, moi j’essaie de faire la part des choses. Malgré tout ce que j’ai pu te dire, mon principal moteur d’inspiration ça reste quand même la réalité. Mais j’adore faire dans la fiction. C’est ce qui me parle le plus. Un son comme « Soudoyer le maire », c’est un titre que j’ai kiffé réaliser. C’est mon son préféré du projet, parce que je me suis amusé en le faisant. Quand je l’écoute, j’ai l’impression de voir un bon film et de jouer un putain de bon jeu. Je veux faire de la musique qui permet au mec qui rentre du boulot de se détendre. Je n’ai pas envie d’être celui qui lui dit « T’as une vie de merde, bah moi aussi ». Après pour ce qui est de l’authenticité, c’est bien, mais ce n’est pas ce après quoi je cours. Avant, les gens étaient sans cesse à la recherche de la « street crédibilité », mais aujourd’hui ça ne veut plus rien dire. En vrai, c’est de la merde. C’est bien d’avoir un vécu, mais ce qu’on veut c’est que tu fasses de la bonne musique et ce n’est pas forcément ce qui va la rendre meilleure.

Vous vous donnez beaucoup de force entre Montreuillois avec TripleGo, Issaba voire même Ichon. Tu sens une volonté de créer ou recréer une nouvelle scène montreuilloise avec une identité propre ?

Grave. Je pense qu’il y a vraiment moyen de créer une identité montreuilloise. Pas forcément musicale d’ailleurs, mais au moins dans l’état d’esprit et l’atmosphère. Avant, il y avait une vraie scène locale avec des groupes comme La Légion, Théorème ou 93 Lyrics. C’était des mecs que j’écoutais beaucoup, ils avaient énormément de talent mais n’ont jamais réussi à pousser leur musique hors des frontières de la ville. Nous on se disait tout le temps : « Nos grands ils font du rap de « ouf », on kiffe, mais pourquoi on en parle pas en dehors de Montreuil ? ». Par rapport à ça, en tant que jeunes rappeurs, on se dit que c’est presque un devoir – ou du moins un objectif – de réussir à placer Montreuil sur la carte du rap français. On a la chance de faire de la musique, et d’avoir des gens derrière nous qui commencent à apprécier notre boulot. Il est peut-être temps pour nous de sortir un peu de notre fief et d’exporter notre musique. Tout en restant fidèle à Montreuil, bien évidemment. Ma ville me nourrit, c’est là où je puise toute mon énergie, mon inspiration. Pour tout te dire, je pourrais y passer ma vie. Mes gars, ma famille, mon job, tout ce qui m’est cher est ici. Je suis pas là à revendiquer Montreuil juste « histoire de ». J’ai vraiment de l’amour pour ma ville.

« Par rapport à ça, en tant que jeunes rappeurs, on se dit que c’est presque un devoir – ou du moins un objectif – de réussir à placer Montreuil sur la carte du rap français. »

C’est quelque chose qui manque au rap français selon toi ?

Même pas, je pense que dans certains quartiers il y a toujours une identité, un état d’esprit commun. Je pense à Marseille, avec un gars comme Jul par exemple. C’est très chaud ce qui se passe là-bas. Qu’on aime ou pas, on ne peut pas nier que le mec a son propre délire. Ce n’est pas forcément quelque chose de global, dans la mesure où tout Marseille n’est pas en train de faire du Jul, mais je n’ai aucun doute sur le fait qu’il va enfanter plein de nouveaux artistes à l’avenir. Pareil pour PNL. À une époque, il y avait toute l’écurie de Booba et L.I.M vers Pont de Sèvres qui avaient leur propre style. Mais aujourd’hui, la musique est plus globale, le rap est plus vaste, c’est différent.

Pour conclure, quelles sont des ambitions pour les années à venir ?

Continuer à faire du son tant que j’en aurais l’occasion. Essayer de porter ma ville le plus haut possible, avec mes gars et toute ma famille derrière moi.

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