Princess Nokia nous parle de féminisme et d’audace lors du Martell Home Live
[tps_header]
[/tps_header]
Quel est le point commun entre l’icône de la bounce music Big Freedia, les danseurs Javier Ninja, Archie Burnett et Dejiavu Ferguson et les artistes Charli XCX et Princess Nokia ? Leur audace, à n’en pas douter. Au détour de l’évènement Martell Home Live, qui se tenait à NYC, nous avons eu l’opportunité d’interroger la rappeuse new-yorkaise. Entretien.
Photos: @antoine_sarl
Le 11 avril dernier, Maison Martell publiait le tout premier épisode des Martell Home Live, alors animé par le légendaire Killer Mike au Greystone Court, à New York. Une plateforme digitale qui entend donner un coup de projecteur à des profils créatifs évoluant dans la musique, les arts et le divertissement, diffusée en direct sur les pages Facebook et YouTube de Maison Martell. Martell Home Live Episode 01 était donc le premier volet d’une série de talk culturels, qui auront systématiquement lieu dans des endroits peu conventionnels aux quatre coins du monde. Chaque épisode conviera des visionnaires issus de domaines d’activité très vastes, qui inspirent leur semblables à emmener la culture toujours plus loin.
La première édition du show était centrée autour de la musique, la danse et l’entertainment, avec des performances spéciales de Princess Nokia, Big Freedia et ses danseurs Javier Ninja, Archie Burnett et Dejiavu Ferguson, mais aussi Charli XCX. Autant d’artistes qui, à force de prises de position, se sont fait une place à part au sein de leur discipline. En bon hôte, Killer Mike a échangé avec l’ensemble de ses convives du jour, les invitant à livrer de délicieuses anecdotes sur leurs débuts ou à raconter la manière dont il ont su rester fidèles à eux-mêmes et à leurs convictions tout au long de leurs glorieux itinéraires.
À l’issue du programme, nous avons eu le privilège de retrouver Destiny Frasqueri, plus connue en tant que Princess Nokia, pour évoquer avec elle la question du féminisme, ainsi que sa volonté assidue de faire bouger les choses.
Je t’avais rencontré à Paris il y a un peu plus de deux ans, quand tu avais fait un concert sold out devant une foule de femmes qui pleuraient en entendant tes discours. Tu te souviens de ce moment ?
Je me rappelle effectivement de ce moment, qui était assez spécial, très sentimental. C’était ma toute première année passée en tournée. Avant ça, il y avait eu quelques workshops et autres rassemblements au cours desquels j’avais déjà pu avoir un aperçu de l’effet que ma musique pouvait provoquer, mais jamais avec une telle intensité. Quand j’ai vu les réactions de certaines femmes de mon public lors de ma tournée pour 1992, j’ai été réellement émue. Ça m’a aidé à me trouver intérieurement.
Y’a t-il des choses qui ont changé chez toi depuis ?
Toutes mes intentions demeurent les mêmes. Mon objectif était de créer un espace libre dans le hip-hop pour les gens comme moi qui ne se conforment pas toujours aux stéréotypes du milieu. J’aspire à rendre cet environnement plus sain pour les femmes. On n’y est pas encore totalement, mais il y a déjà eu plusieurs initiatives notables où les femmes ont pu avoir un espace au sein duquel elles n’avaient pas à craindre d’être agressées ou de subir une quelconque atteinte de ce genre. J’ai toujours souhaité propager l’amour, le bonheur, la joie auprès des plus jeunes, et aider à faire en sorte que les femmes puissent être fières d’êtres féministes. Ma carrière avance, mais je n’ai pas changé sur ce point.
À Paris, tu avais dit au public que le rap était « un endroit très dangereux pour les femmes ». As-tu toujours ce ressenti ?
Toujours. Mais je pense que tous les milieux sont dangereux pour les femmes. En ce qui concerne le rap, j’ai le sentiment que, à mesure que les mentalités évoluent dans le monde, on parvient à trouver des leviers de progression au sein même de la communauté. Puis je ne suis pas spécialement là pour en parler en mal.
Tu avais aussi parlé de lancer « ton propre afro-féminisme à travers le hip-hop » : te considères-tu toujours comme la « grande soeur » de ces femmes qui se réfèrent à toi ? Quel genre d’inspiration souhaites-tu leur donner ?
Je n’ai pas lancé l’afro-féminisme dans le hip-hop, je suis simplement une femme qui a investi du temps et qui accorde de l’importance à cette cause. Je suis une féministe noire, mais l’afro-féminisme ne vient évidemment pas de moi. Ça a commencé il y a 400 ans déjà. Mais oui, je me considère toujours comme une grande soeur. J’ai moi-même eu une grande soeur, qui m’a appris tout ce que je sais dans la vie et qui était cette figure qui m’a aidée à me sentir plus à l’aise avec moi-même, moins bizarre, plus cool, etc. J’ai le sentiment d’avoir endossé un rôle qui impliqué beaucoup de maturité par rapport à l’âge que j’ai. Ça me permet de coexister avec un monde d’amour, d’amitié et de féminité plutôt qu’un monde où les femmes artistes ne se soutiennent pas, ne s’inspirent, et ne sont pas dans une démarche positive. L’idée que les femmes puissent se rassembler d’une manière très affectueuse et bienveillante est souvent perçue comme fausse. Donc oui, je me plais à être une grande soeur.
Tu viens juste de donner une performance et de débattre au cours de cette expérience Martell Home Live. Tu as pu rencontrer et échanger avec des personnalités fortes : dans quelle mesure est-il important pour des artistes issus d’une même culture de partager leurs expériences respectives ?
Les échanges intellectuels génèrent des idées neuves, c’est à travers ça qu’on façonne le présent et le futur. Je pense qu’il est très important pour les gens issus d’une même culture d’être soudés les uns vis-à-vis des autres, et je pense aussi qu’il est essentiel que les gens de cultures différentes s’organisent en communauté. Parce que c’est seulement comme ça que tu peux en apprendre plus sur les différents parcours de vie, et c’est quelque chose que ni les livres, ni l’école ne peuvent t’enseigner.
Au court de ce concert à Paris, tu as parlé de ton ex et du fait qu’il t’avait recommandé de ne pas changer ton nom en Princess Nokia. As-tu le sentiment que ce changement de nom a été la chose la plus audacieuse que tu aies faite ?
Il ne m’a pas explicitement dit de ne pas changer mon nom en Princess Nokia. Mais je pense effectivement que c’était la chose la plus audacieuse que j’aie faite. J’ai l’impression que les gens comptaient vraiment sur Wavy Spice [son précédent nom d’artiste, ndlr], pour beaucoup de personnes dans l’industrie, c’était comme un investissement. Et j’ai ruiné cet investissement. À vrai dire, je dirais plutôt plutôt que j’ai ruiné un investissement pour en obtenir un meilleur. Donc oui, c’est à la fois la plus grande, la plus courageuse et la plus stupide des décisions que j’ai pu faire. Pourquoi stupide ? Parce que je suis déjà fatiguée de ce nom.
« Changer de nom pour Princess Nokia a été la chose la plus audacieuse que j’aie faite. »
Envisages-tu de changer à nouveau ?
Tout à fait !
As-tu déjà de nouvelles idées ?
Je ne sais pas encore, on verra bien.
Pourquoi ressens-tu le besoin de changer ?
Je pense ça représente la personne que j’étais il y a cinq ans et j’ai le sentiment d’avoir déjà bien grandi depuis. J’adore ce nom mais mes amis ne m’appellent pas comme ça. Je me présente toujours en tant que Destiny, même quand je suis avec d’autres personnes célèbres, donc je ne me sens pas particulièrement attachée à ce nom. Peut-être aussi que je ne me sens pas attachée à quoi que ce soit, qui sait ?
Tu ne te sens attachée à rien dans cette vie ?
Ce sont les principes du bouddhisme et de l’hindouisme, de ne pas être attachée. L’attachement est à la base de toutes les souffrances. Alors en n’étant attachée à rien, tu peux connaître la paix et le nirvana, puisque tu es à l’abri de la souffrance.
Tu n’es donc pas attachée aux gens que tu aimes ?
Si, évidemment, mais je suis en paix avec l’idée qu’ils puissent se retrouver dans le monde des esprits. C’est une bénédiction, leur être est transcendé et je suis à l’aise avec cette idée. Mais je te donne trop de réponses sur moi maintenant. [rires]