Pyroman : « Je ne me vois pas dans l’ombre »

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Niska et Kalash ont été des grands vainqueurs de 2017, foudroyant tous les records de ventes d’écoutes avec leurs tubes respectifs « Réseaux » et Mwaka Moon ». Deux titres qui portent la signature de Pyroman, compositeur discret mais sûr de sa force. Rencontre avec l’homme qui laisse le Top Streaming à feu et à sang.  

On a bien cru que « Despacito » s’était aussi solidement scotché à nos têtes qu’à la première place du Top Spotify France, jusqu’à ce qu’il n’en décide autrement. En 2017, Pyroman s’est définitivement imposé comme l’un des principaux hitmakers à la française, étant coup sur coup à l’origine des bombes « Réseaux » et « Mwaka Moon ». Deux titres imparables qui ont permis au compositeur de siéger en tête du streaming français de fin juillet à début décembre 2017, avant qu’un autre ne vienne ouvertement réclamer son Trône. La performance n’en demeure pas moins remarquable. Pyroman aurait-il mis la main sur la véritable recette du succès ? On ne se hasardera pas à répondre de manière trop affirmative, mais si tel est le cas, le producteur la parfait depuis un certain temps déjà.

Car c’est en Guadeloupe, vers l’âge de quatorze ans, que le jeune Pyro commence à bidouiller le logiciel Fruity Loops, aidé par un proche dont il suit les pas. Débrouillard, il s’ouvre très vite les portes du chaotique marché américain de la mixtape, avant même de se placer du côté des artistes de métropole : « Je tapais ‘send beats’ dans la barre de recherche, et je voyais que des artistes communiquaient leur mails. Donc de mon côté, je récupérais ces mails et j’envoyais mes instrus. C’est comme ça que j’’ai réussi à placer des prods sur des mixtapes de Waka Flocka, Yo Gotti, Rich Homie Quan ou Soulja Boy. » Des références en rien inaccessibles, mais qui permettent au compositeur de se constituer un épais catalogue de noms plus ou moins ronflants. Smart. Plein d’ambition malgré son naturel réservé, Pyroman a depuis rejoint la métropole (et la nébuleuse ETMG). Les études en ligne de mire, avant qu’elles ne s’avèrent finalement incompatibles avec l’emploi du temps d’un artiste désormais prisé. Dans un studio de Boulogne-Billancourt, il a évoqué avec nous ses « diez » de beatmaker.

Photos : @alextrèscool

#Studio

« C’est très important pour moi de suivre toute l’évolution d’un morceau. Je fais en sorte d’être là au moins jusqu’au mix en général. J’aime aussi observer le mix et le mastering, c’est le meilleur moyen d’être sûr que le rendu final soit propre, qu’il mette mon travail en valeur. Il faut que la qualité soit au rendez-vous jusqu’au bout. J’aime aussi être en studio avec les rappeurs parce que ça permet de mieux les connaître, de mieux cerner leur univers, leur façon de penser. Par exemple Kalash, vu que je suis allé en studio avec lui à de nombreuses reprises, c’est plus simple de travailler avec lui plutôt qu’avec d’autres. »

« De manière générale, j’aime bien bosser avec tout le monde. Je réfléchis surtout en fonction du talent. Si on me propose de bosser avec quelqu’un de moins connu mais qui a du talent, ça ne me dérange pas de prendre un plus petit billet, ce n’est pas un problème. Après, chaque travail doit quand même être payé à sa juste valeur. À l’inverse, on pourrait me proposer énormément d’argent pour une instru, si le rappeur en question n’a pas de talent ou si je n’aime pas son travail, je pourrais très bien refuser. Je sélectionne un minimum. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais bossé avec un artiste que je ne validais pas. »

#Topline

« Pour l’instant, je fais des toplines uniquement pour moi. C’est-à-dire que quand je fais une instru, à tous les coups j’essaye d’avoir des idées de toplines, que je fredonne tout seul, à vive voix. Mais je ne suis pas encore dans l’optique de les enregistrer. Cela dit, on me dit souvent qu’elles sont bonnes, donc je vais sûrement commencer à le faire cette année. Disons que je n’en ai pas encore fait officiellement. »

« Ça arrive souvent qu’un producteur devienne aussi bon rappeur que les rappeurs eux-mêmes. Mais là-encore, ça dépend de son talent. Ce n’est pas donné à tout le monde non plus. D’autant qu’en général, les beatmakers n’ont pas la même mentalité que les rappeurs. La plupart aiment bien ne pas avoir toute la lumière sur soi. Quoique, la tendance a quelque peu changé avec la nouvelle génération. Moi, par exemple, je ne me vois pas dans l’ombre. »

#Signature

« Je pense avoir ma propre patte, vu que tout le monde me le dit depuis des années. [rires] Mais personnellement, je l’entends vite fait. Quand je dis ‘vite fait’, ça veut dire que je ne suis jamais vraiment satisfait de mes prods. C’est d’ailleurs ce qui me fait dire que j’évolue : quand je réécoute ce que j’ai fait deux mois plus tôt, c’est déjà pété pour moi. J’ai une signature sonore, mais elle n’est pas fixe, je la fait évoluer. Mais je pense qu’on reconnaît quand même une instru de Pyroman. Après, je ne saurais pas te dire exactement ce qui me distingue. Je fais juste mes instrus en essayant d’être original. Peut-être que ce sont mes drums… En vrai, il me faudrait une oreille extérieure pour me prononcer. » [rires]

« En règle générale, c’est indispensable d’avoir sa propre touche. D’abord parce que je n’ai pas envie que mes instrus sonnent comme celle d’un autre. Ensuite parce qu’en France, le nombre de beatmakers a explosé entre 2017 et 2018, la concurrence est énorme. C’est devenu plus facile aussi, parce qu’avec YouTube, tu peux tout apprendre très vite. Pour certains trucs que j’ai galéré à faire à mon époque, tu as maintenant des tutos tout prêts. Mais tous les beatmakers n’ont pas d’identité propre. Donc quand tu as la tienne, tu te démarques immédiatement. Il suffit juste qu’en plus tu aies les bons contacts, et tout peut aller très vite. »

#Futur

« Arriver à des morceaux ‘producteur feat. rappeur’, je pense que c’est le but de beaucoup de beatmakers. Mais c’est quelque chose qui vient au fil du temps, c’est rare de voir ce genre de configuration dès le début. Pour le moment, la mention ‘prod. by Pyroman’ me semble déjà très bien, ça me suffit. Même si j’espère pouvoir faire du ‘Pyroman feat. Niska’ dans le futur. Après c’est plus compliqué d’avoir des sons officiels qui sortent de la sorte, parce qu’après il faut gérer tout ça avec le label, l’artiste, etc. Alors que le ‘prod. by’ est plus simple. C’est la configuration de base. Quand on commence à se mettre au même niveau que le rappeur, c’est qu’on est déjà dans l’optique d’être plus qu’un ‘simple’ beatmaker. Non pas que je me considère comme tel… Mais voilà, c’est encore autre chose. »

#Anecdote

« Pour ‘Mwaka Moon’, tout est allé super vite. J’avais mon ordi posé sur mes jambes, j’ai commencé une première mélodie vite fait, puis je l’ai complètement modifiée pendant que Kalash était en cabine en train de poser. L’instru m’a pris quelque chose comme 20 ou 25 minutes. Je l’ai ensuite fait écouter à Kalash. Il a juste dit ‘Ok, j’y vais’ et il est directement retourné en cabine, sans écrire, sans rien. Il a lâché ses couplets d’une traite. Après il a envoyé à Damso et en moins d’une heure, le son était bouclé. Honnêtement, je ne m’attendais pas à un tel succès. Je savais que le morceau allait être lourd, mais je pensais pas qu’il frapperait les gens comme ça. »

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