Radikal MC « Le rap est un supermarché où il n’y a que du poulet avec écrit « trap » dessus »

Sample, Rimes riches et jeux avec les mots. OVLMD, morceau vitrine de Radikal MC en collaboration avec A2H, nous remémore un temps pas si lointain où la technique et le flow faisaient les beaux jours du rap français. Plutôt que de la garder dans sa poche, le MC use sa langue pour distiller ses phases techniques sur scène et dans la cabine, et pour exprimer au mieux ses états d’âmes.
Au moment de la sortie de son premier opus, Lever L’encre, l’occasion est parfaite pour une discussion d’une rare franchise, ou le rappeur s’attarde longuement sur sa vision du rap aujourd’hui, l’apologie de la rue, le mouvement trap, et ses aspirations en tant que rappeur catalogué conscient. Loin du donneur de leçon ou du rappeur underground aigri, le natif de Châtillon s’exprime toujours de la même façon, avec sincérité et de manière radicale.

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Que s’est il passé depuis Maturité ?

Sur ce qui est du papier, en parlant de la musique t’as le 1er projet en 2009, une mixtape en décembre 2011 qu’on a fait gratuitement et une autre en décembre 2012. Lever L’Encre, l’album qu’on sort le 8 Juin, on devait le sortir à la base en 2012. L’idée c’était 1ere mixtape, 2eme mixtape, puis l’album dans la foulée. L’album a trainé on a retiré des morceaux, on en a rajouté, on s’était dit 2013 et au final il sort là en 2015… Entre temps on avait hésité à faire une 3eme mixtape, ce qu’on n’a finalement pas fait. Si je dois te donner une vraie raison de pourquoi ça a trainé, c’est juste qu’on veut faire du bon boulot. C’est la seule raison valable que je peux te donner. Après c’est la vie, tu bosses etc.

Ce n’est pas un peu précipité de sortir cet album alors que tu n’as pas encore construit toute ton image?

Si on ne le fait pas là, on ne le fera jamais. Il faut essayer de pousser les portes avec les moyens que l’on a. Quand tu compares avec certains, même s’ils peuvent paraitre en indé, ils ne le sont pas vraiment. Tu as une équipe particulière avec quand même certains réseaux. Quand tu vois un Joke avec Omar Dinho, tu vois qu’il a déjà son circuit. Nous on part de rien du tout. Le projet vaut le coup. En retardant cet album, je me coltinais cette image de kicker et je préfère casser cet image, peut être en sortant un album trop tôt, pour que le peu qui l’aient écouté se disent « Radikal c’est ça en fait, on voit ou il veut aller. » Le but pour nous c’était pas forcement de vendre des CD, parce que les CD on les fait à perte de toute façon, il faut en vendre beaucoup pour récupérer sa mise. Le but c’était de sortir cet album pour pouvoir le proposer sur scène et démarcher des tourneurs, et faire le circuit à l’envers. Toucher des tourneurs permet de faire un maximum de dates et que ça engendre un retour sur investissement. On n’aura pas les semaines Skyrock, les gros medias etc. On fait l’inverse.

De quoi a été faite ton éducation musicale ?

Y’a une grande différence entre ce que je fais et ce que j’aime. Je peux écouter des trucs pendant des heures sans que ça m’influence. Mes deux parents sont sourds, ce qui fait qu’on écoute de la musique chez moi depuis super longtemps, et génération 87 on a grandi avec les boyz bands, même si il y avait le rap. Je n’écoutais pas du tout de rap cainri quand j’étais petit. J’e n’écoutais que du rap français car j’aimais comprendre les paroles. J’étais un peu l’inverse de tous les gens que je connaissais qui n’écoutaient pas de rap français justement parce qu’ils comprenaient et ils n’aimaient pas. Vers 12-13 ans c’est mon frère qui m’a poussé un peu la porte, avec un album qui a tout changé, c’est celui de Common, Like Water For Chocolate (2000). Et après j’ai fait mon introspection, et je suis reparti en arrière. Et du coup là maintenant il y’a beaucoup de monde. Si on doit faire la liste ce sera long.

Certains plus que d’autres peut-être ?

(Long soupir de réflexion ndlr) Après c’est par période. J’ai eu une grande période rap nu-soul, Little Brother, Talib Kweli & Hi-Tek, … ça a duré longtemps, j’en ai pris plein la gueule. Et ensuite c’est passé. Ensuite il y a eu Common, Jay-Z, Talib, Mos Def. En plus récent REKS que j’ai beaucoup écouté et que je trouve vraiment très fort. Mais globalement dans ma vie j’ai écouté moins de rap que tout le reste. J’ai toujours écouté plus de pop, de rock ou de R’n’b que de rap.

Pourquoi ?

Parce que je maitrisais les codes. A un moment donné c’est comme si tu te complaisais à te regarder dans le miroir. Et j’avais besoin de découvrir autre chose, après j’ai écouté beaucoup de pop, beaucoup de rock. Je suis un grand fan de Coldplay par exemple. Mais tu ne me verras pas chanter sur du Coldplay. En fait le rap je l’absorbe très vite. L’album de J.Cole je l’ai écouté une fois, pour moi c’est l’un des meilleurs des dernières années, au bout de la deuxième fois j’en maitrisais les paroles. J’absorbe le rap beaucoup trop vite donc je suis obligé de bouffer autre chose. Je suis du genre à télécharger 30 ou 40 albums par semaine parce que j’ai besoin que ça gamberge. Quand j’enclenche un album, je ne parle à personne, j’y vais tête baissée et j’écoute tous les éléments d’un coup et je les analyse bien. Quand j’étais petit je pouvais m’écouter un album 25 fois pour tout maitriser, là en deux fois c’est plié.

Et en rap français, qu’est ce qui a fait ton introduction ?

Diam’s m’a fait rapper. La Diam’s de Premier Mandat, juste après Mafia Trece. Je viens de Chatillon, c’est à coté de Bagneux, Comité de Brailleurs, Saian aussi sont proches de chez moi. Diam’s m’a fait rapper avec le morceau « Rimer ou ramer », c’est ce morceau qui a allumé la mèche. Après sans méchanceté il y a des rappeurs qui ne m’ont pas du tout touché dans le paysage du rap français. Un Rohff, en comparaison à la carrière qu’il a, même si Génération Sacrifiée est dans mon top 5, ça ne m’a pas du tout touché. Disiz, Kery, AKH, Shurik’n, Fabe,… Après le truc c’est qu’il y a des morceaux, comme Busta Flex avec « Pourquoi » a changé beaucoup de choses. Salif avec un « Dur d’y croire » m’a beaucoup touché. J’ai connu le rap fr juste après Time Bomb donc les Ill, Diable Rouge c’est la génération de mon frère. Mais Retour Aux Pyramides c’est quelque chose, Demain c’est loin je reconnais le classique mais ça ne m’a pas touché. Il y a des morceaux que je reconnais, en tant que classiques et des morceaux qui m’ont fait grandir. J’ai beaucoup écouté Ol’Kainry étant petit, Kamnouze aussi, qui est un ami. Je saurais te donner un morceau de chaque personne qui m’a marqué. Maintenant au niveau des carrières, Diam’s et Booba tout en haut.


Booba j’ai l’impression que c’est quelqu’un que tu respectes beaucoup pour la carrière, pour le rap aussi, mais qu’en est il de son évolution et de ce qu’il a plus ou moins engrangé dans le rap ?

Pour moi, ce n’est pas le meilleur rappeur au niveau des skills. Il y a plein de trucs qu’il ne fera jamais, mais c’est le patron du jeu. Il y a très peu de rappeurs français qui ont su avec leurs qualités et leurs défauts, donner le rythme. On l’a beaucoup critiqué mais il a souvent fait avant les autres ce qui devait être fait. Après on était peut-être pas prêts, on est français, chauvins, on n’aime pas le changement… Dans le fond il a eu raison car tous ceux de sa génération du tout début, ne sont plus là. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on est obligé de reconnaître son évolution car il est encore là vingt ans après. Le résultat justifie l’évolution. Il aura toujours cette magie où il te déçoit sur un titre, et il revient avec un autre pour t’en mettre une. Et ça fera toujours ça, quand « Temps Mort 2.0 » est sorti, tout le monde a eu mal. « 3G » est sorti, tout le monde a eu mal. Au final je ne trouve pas qu’il ait évolué dans le fond, beaucoup dans la forme, ça s’est épuré, ralenti, ça a changé de rythme. Mais dans le fond… Il a dit il y a vingt ans « Je veux ma tête sur des billets », aujourd’hui il a sa vie de rêve, il la raconte. Je le trouve super linéaire. Sans critiquer, il y a pas mal de rappeurs qui on un côté presque bipolaire. Quand tu prends un Kery, dans certains morceaux tu vas retrouver un côté très « la rue m’a volé mes potes et je regrette » et dans d’autres ce sera l’inverse « 9.4, fier de ce qu’on est, viens pas nous chercher, on va te rentrer dedans. »


Tu t’inspirerais plus du parcours d’un Booba ?

Booba a fait cela pour rester numéro 1. Mais comme moi je ne ressens pas l’envie d’être une star… Quitte à choisir je préfère avoir une carrière à la Common avec 5, 6, 7 albums qui se valent plus ou moins, plutôt que des fulgurances. Entre un Common et un Lil Wayne, je prends un Common. Même s’il a fait des tentatives, c’est resté assez homogène au niveau du fond et de la forme. En français, je dirais plus un Disiz qu’un Booba, mais avec un fond un peu moins paradoxal.



Tu as beaucoup cette image de rappeur conscient. Dans OVLMD tu dis « J’ai croisé le rap conscient, j’lui ai dit tu dates » …

Dans les artistes qui avaient la côte quand j’étais petit, t’avais des NTM, IAM, Diam’s, Kery, Disiz, Rohff, Pit Bacardi, Busta Flex, Ol’kainry… En fait, c’était tous des rappeurs qui savaient kicker et en même temps faire des morceaux conscients. Et franchement, ça fait 6 ans, quand on parle de rappeurs exposés, si tu retires Youssoupha et Médine – qui est semi-exposé – tous les derniers gros succès c’est seulement du sans fond. Ce n’est pas méchant. 1995 c’était beaucoup de freestyle, c’était assez froid, Kaaris j’t’en parle pas, Booba il est là mais lui aussi c’est du sans fond. Il y a eu Sefyu a un moment donné, on y a cru. Despo aussi ça m’a percuté mais je ne sais pas comment a été géré son projet artistique. Ca fait très longtemps que je n’ai pas écouté un album où tu ne bouges pas la tête à la première écoute et où tu as l’impression qu’on te rappelle un truc. Mais je ne me place pas en porte-drapeau du rap conscient, et je ne juge pas le fond ou la forme de chacun. Quand tu écoutes un album, tu rentres dans un univers. Là, j’ai l’impression qu’ils rappent tous pareil, sur les mêmes instrus. Depuis Kalash, il y a eu un tremblement de terre qui a créé plein de minis Booba et de minis Kaaris, j’en peux plus. Et ça a même impacté les gens qui ne faisaient pas ça avant. Quand je vois Médine faire de la trap aujourd’hui, même si c’est de la trap consciente, je me dis qu’on abandonne tous, on va finir par tous faire des demi-phrases avec 20 secondes de trop. Wow! Ce qui m’a fait plaisir c’est d’écouter l’album de Youssoupha. Le rap c’est un grand supermarché il en faut pour tout le monde. C’est juste que quand je rentre dans mon supermarché j e n’ai pas envie qu’il y ait que du poulet. En ce moment il n’y a que du poulet avec écrit « trap » dessus.


Est ce que tu penses qu’il y a toujours un public pour des mecs comme toi, Kery , Youssoupha, Médine ?

Il y aura toujours un public pour tout. Le truc c’est combien de temps ce public va écouter les mêmes personnes. Aujourd’hui un morceau de Kery si il sort, je ne sais pas si ça fera vraiment de l’effet. Je pense que ce qu’il faut ce sont des nouveaux rappeurs conscients, des gens qu’ont laisse monter. Car il y a des rappeurs qui ont leur univers, il faut juste leur laisser un peu de place pour que le panel soit un peu plus beau.

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Tu n’as pas l’impression d’être un dernier des mohicans dans ce paysage, essayant d’amener plus de sens et de fond ?

Plus de sens, plus de fond, plus d’intimité. J’en ai eu marre à un moment d’écouter du rap. Surtout quand j’écoutais beaucoup de rap cainri, quand je revenais à du rap fr, j’avais l’impression de descendre d ‘un palier. Au niveau de l’interprétation, du choix des titres etc. Quand tu écoutes 5 albums de rap français, il y a trop de points communs. Quand tu écoutes 5 albums cainris, tu peux trouver 5 univers totalement différents. Dans la même semaine j’avais pris le J.Cole, Joey Bada$$, et d’autres qui n’avaient rien à voir. Par contre quand les 5 albums français démarrent, t’entends tout venir.

Mais au niveau de ma position, je côtoie pas mal de gens et on est tous sur la même longueur d’ondes. Si tu vois le morceau « Hip hop Ninja » de Vicelow, on est tous là. Et ça marche. Kenyon, A2H, Dandyguel, … Quand on se croise, ça marche. Je ne suis pas un ovni, on est tous des ovnis. C’est plutôt ça. On est tous différents dans cette scène, quand tu écoutes « Hip hop Ninja », chacun des gars a son style, mais on a réussi a s’entendre sur un titre. Si je prends un album de Sadek, Sultan, S-Pri Noir il y a beaucoup de points communs ! Après ils ont peut-être le même public, donc ils répondent aux mêmes demandes, je ne juge pas. Ce n’est pas de l’incapacité à être créatif mais ils ont tous la même vision du rap donc ils tapent au même endroit.


Y’en a quand même qui te font kiffer aujourd’hui ?

Ouais ! Kiffer est un grand mot. Il y a des gens que je peux écouter plusieurs fois, que je respecte énormément. Des gens dont je me réjouirais de leur succés, comme A2H et Kenyon, quand je les écoute ça me fait de l’effet.

A2H et Kenyon sont deux mecs qui sortent un peu du circuit hip-hop bizarrement…

Ils ne sont pas centrés râp à la base. Le Saian Supa Crew est peut-être notre point commun. C’est l’opposé du rap de rue qui dit « J’viens de la rue donc je suis ». Le Saian c’est « Je suis car je suis fort ». Le morceau ne sort que si c’est technique et « rapologiquement dinguissime ». Ce rap d’exigence s’opposait à la street crédibilité d’un 113, Rim’K par exemple qui en matière de rap n’était pas ouf techniquement, on lui donnait du crédit à cause de la street crédibilité. Ce n’est pas un soucis, mais nous on a grandi avec le Saian.

C’est vrai que maintenant on assiste un peu à l’apologie de la non-technique…

Aujourd’hui, il y a des gens qui ont des problèmes ! En ce moment il y a une mode de la demi-mesure et du rap syllabique. Ce sont des onomatopées ! Il y a des bouts de phrases, des lettres, ça va ! En fait je me dis que c’est un cycle. On a eu un rap super conscient, puis un rap de rue en 2000, un rap conscient de nouveau, ensuite un rap samplé à la 1995 puis on est retombé sur un rap de rue qui est la trap d’aujourd’hui. Avant c’était du rap de rue façon dirty south et bientôt ce sera autre chose. Ce qui me rassure c’est que celui qui reste, c’est le Boom-Bap. Il revient à chaque fois. Dans le fond, nous sommes au bon endroit. C’est juste une question de temps. Je n’ai pas trop peur.

Des artistes comme Kaaris ou Gradur, tu as appréciés leurs morceaux ?

Pas Kaaris, mais Gradur oui, c’est autre chose. J’ai apprécié écouter Gradur car je le trouvais cohérent avec lui-même. Kaaris, la première fois que je l’ai vu, il était rasé. A l’époque je faisais des interviews pour Street Live, donc je le voyais avant les Galactik Beat. Quand je l’ai vu revenir, je me suis dis il a vraiment changé. Gradur est arrivé tel qu’il est. J’ai écouté je trouvais ça frais, il faisait bien son truc, mieux que pas mal d’autres personnes. Il a l’air de s’amuser, quand d’autres sont trop dans le cinéma, trop dans l’attitude. Quand je le voyais sur ses premières vidéos, j’ai ressenti quelque chose. C’est le fruit de la mode mais c’était spontané. Kaaris je l’ai vu mal rapper, donc à partir de là…Quand j’ai écouté « Zoo » je suis rentré dans la folie, « Kalash » la folie. Mais après il y a quand même énormément de saletés pour rien. Ça te met de mauvaise humeur quand tu écoutes du Kaaris, c’est aussi pour ça que les gens kiffent. Ça agit sur toi, c’est mauvais pour ta santé. Moi j’écoute de la musique pour me détendre. Quand tu écoutes du Kaaris tu as envie de t ‘embrouiller dans le métro.

Aujourd’hui la scène trap a ses forces : des phrases simples au refrain, des gimmicks et des cris, des danses… des artifices qui marchent à chaque coup. De l’autre coté, on kicke, mais il n’y a pas d’artifices. Est ce que le combat entre le conscient et la trap est égal en France ?

Je crois qu’il n’a jamais été égal. A partir du moment où les médias mettent en avant un style précis, c’est niqué. Les armes on les a, surtout quand tu vois un Youssoupha. Je crois que le rap conscient est une course de fond. Depuis 2000, on a plus de classiques conscients, le dernier doit être « 2 issues » de Kery peut-être. Le rap conscient travaille sur de l’intimité, tu essayes de convaincre quelqu’un avec une dizaine de titres quand ceux qui rappent pour la forme le font sur un titre. A partir de là c’est mort. Dans l’album Noir Désir, qui je pense est un classique des dix dernières années, il est impossible de sortir un morceau, et c’est bon signe. Les bons albums qui ont marqué le rap étaient des projets. L’école du micro d’argent, Première Classe… Je crois que c’est logique qu’on n’ait pas le même impact car on doit le faire sur un projet entier.

OVLMD, c’est une critique envers ce paysage rapologique ?

Quand j’écoute de la trap, c’est vide, il n’y a pas d’âme, c’est froid. Et moi je voulais me faire mon morceau de trap, juste au niveau du BPM. Musicalement, ce n’est pas compliqué. Rythmiquement on est sur un morceau qui se rapproche de la trap, mais il y a du débit, les mesures sont remplies, il y a un sample et une atmosphère. Mais on voulait le faire car mine de rien on en écoute aussi et c’était une manière de dire que c’était facile. On a essayé de faire un truc avec du relief. Le fond n’est pas dingue, mais il y a un truc. Quand l’instru est compliquée, il faut dépasser l’instru. Donc oui c’est un constat amer mais au final ça nous rassure, parce que quand on le fait, c’est facile. Et tant que ce sera facile je ne serais pas inquiet. Les vrais fans de rap sont comme nous, ils s’ennuient. Ils écoutent ce qu’il y a car il n’y a que ça mais ils attendent autre chose.

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Tes parents sont sourds mais ils t’ont quand même inculqué cet amour de la musique, ce n’est pas un truc qui t’est venu spontanément ?

C’est eux qui m’ont poussé vers la musique et nous l’achetaient. Il faut savoir que les tympans sont des muscles. Donc si tu grandis dans un endroit sans bruit, ton tympan s’adapte. Même si ça ne se serait pas produit, je pense que mes parents flippaient qu’on devienne sourds, donc il fallait constamment qu’on travaille nos tympans. Au niveau du choix de la musique on était donc autonomes mais je n’ai jamais manqué de walkman ou de musique dans mes oreilles.

Quelque part ce n’est pas un peu frustrant de ne pas pouvoir partager ta musique avec la chair de ta chair ?

Oui, mais en même temps si je fais ça, c’est aussi parce que je sais le faire. Le rap ça ne coute rien. Tout ce que j’aurais pu faire d’autre comme le théâtre, la danse, n’étaient pas le même type d’investissement. Et il fallait savoir le faire. Et puis je n’ai jamais fait ça en me disant que je rendrais mes parents fiers, mais parce que j’avais la passion du rap. Au départ tu le fais parce que tu kiffes. Et au final c’est parce que mes parents étaient sourds que j’ai rappé, car je pouvais le faire chez moi sans qu’ils m’entendent. Si ils m’avaient entendu, j’aurais surement arrêté car la honte aurait frappé trop fort. Ça va paraître très con ce que je vais dire, mais quand toute ta vie tu n’as jamais parlé à ta mère, ne pas pouvoir lui faire entendre ma musique n’est pas grand chose.

Tu as beaucoup changé musicalement depuis Maturité en 2009 j’imagine.

Au niveau du rap je n’y suis plus, déjà au niveau de l’attitude il y a un truc que je n’avais pas avant. Quand je rappais, j’étais obligé de kicker pour dominer l’instru, je n’en ai plus besoin. Et surtout j’arrive à énormément synthétiser mes idées. Dans le nouvel album, j’ai fait des trucs que j’étais incapable de faire avant. Pas incapable mais je ne les entendais pas, faire des morceaux avec des refrains, des trucs chantonnés, moins kickés et donc OVLMD en fait partie.

L’album s’appelle Lever L’Encre, il y a une idée d’évolution musicale forte, à la fin tu « lèves l’encre » (dernier morceau de l’album). Ça veut dire que ton deuxième album ne sera peut-être même plus du rap?

Il y a un truc que je n’aime pas c’est refaire ce que j’ai déjà fait. Ca veut dire que tout ce que j’ai fait dans cet album-là je ne le referai pas. Je ne peux pas t’en dire plus. C’est en fonction de ce que je trouve, qui je rencontre, les instrus qu’on me propose. OVLMD, je peux t’en faire 25, rapologiquement c’est très facile à faire, mais je ne le referai pas. Il faut faire différent parce que sinon on s’arrête. Avant quand je citais les gens que je kiffais, ce que je faisais, c’était pas très cohérent. Là j’ai réussi à vraiment digérer mes influences et re-rapper ça à ma sauce. A l’époque je rappais vraiment comme un tel, comme dans tel morceau, là c’est fini je laisse parler mon truc. Il y a tout dans l’album ! En fait tout ce que j’aime est dedans. Il y le kick, le posé, le sentimental. En fait le lien c’est le texte. Le lien c’est moi.

Pour cet album, as-tu des attentes au niveau des ventes?

Le principe de base c’est que le peu de gens qui l’écoutent soient satisfaits. Pas dans le sens qu’ils kiffent le truc comme des dingues, mais qu’ils se disent « OK, on voit ce qu’il a voulu faire, on voit que ça a été sérieux ». Si j’arrive à montrer a tous ceux qui écoutent que je n’ai pas pris ça à la légère, que les gens sentent que je suis un gars qui essaye de respecter l’art, ça me suffit. Après tout le reste c’est du subjectif, c’est du perso. Dans Maturité il y a un morceau qui s’appelle « Les Signes », et bien ça n’avait pas vraiment frappé les gens. J’ai refait le même morceau trois ans après, sur la scène des Francofolies, et tout le monde a dit que c’était un truc de ouf mais c’était exactement le même morceau. Ça le fait souvent, au final. Aujourd’hui il aura peut être des morceaux qui ne parleront peut être pas, ça prendra peut être un peu de temps. Mais non, je n’ai pas d’attente particulière au niveau des ventes. J’espère juste que ceux qui me connaissent me reconnaissent. Après le reste…

Y a-t-il des gens avec qui tu aimerais collaborer?

Collaborer non, mais il y a des gens avec qui j’aimerais discuter. J’ai côtoyé tous les gens que je voulais côtoyer dans ma vie au niveau de la musique. Il en reste peut-être un, même si je sais qu’on se connait à distance, le seul avec qui j’aimerais me poser à une table, à qui j’aimerais poser deux trois questions c’est AKH mais pas pour rapper. J’ai vu Oxmo des millions de fois dans ma vie et on a jamais fait de morceaux, et tout le monde se demande pourquoi je n’ai pas fait un morceau avec lui, c’est juste que je n’en ai pas besoin. AKH, parce que surement dans une autre vie j’étais marseillais. L’AKH d’aujourd’hui c’est celui d’hier, c’est le même. Tous les gens que je respectais dans la musique ont tous été là à un moment donné pour me donner leur avis sur ce que je faisais, et il ne manque plus que lui.


Est-ce que tu n’as pas plutôt l’âme d’un écrivain plutôt que d’un rappeur?

C’est possible, j’aime beaucoup écrire. Peut-être même plus que rapper. Dans l’acte de rapper ce qui me procure le plus de sensations c’est d’avoir écrit, d’avoir trouvé, d’avoir deviné, inventé. Le texte je le kiffe quand je suis dans ma chambre et que je suis tout seul. Ceux qui n’ont pas ce truc-là tu le sens, c’est écrit, tu le vois. Ceux qui aiment écrire, souvent sont ceux qui ont des textes magnifiques avec quelques lacunes techniques, mais le texte est tellement beau que tu te le prends dans ta gueule. Et les gens qui savent écrire en général sont ceux qui arrivent à te faire accepter ça. Quand tu sais bien écrire toutes les lacunes techniques s’effacent, parce que les gens absorbent. Oxmo rate énormément de mesures. D’ailleurs Lino dans son dernier album aussi il a des moments de décalage dinguissimes. Au final quand tu vois la carrière d’un Rick Ross, il n’est pas dans les temps, il est dans son propre rythme.

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