Rémy : « J’ai peur de ne plus pouvoir écrire un jour »

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En 2018, il sortait son premier album C’est Rémy. Aujourd’hui, il continue sur sa lancée avec Rémy d’Auber. À l’occasion de la sortie de son second projet en solo, on s’est assis avec Rémy pour discuter de ce qui nous semble être essentiel : la place d’un artiste en marge des tendances. 

Le 18 avril 2018, YARD était parti faire la rencontre d’un jeune talent du 93, héritier direct du rap d’Aubervilliers : Rémy. Avec sa mélancolie, son style à l’ancienne, et sa volonté de porter un message, le rappeur était loin d’être certain de pouvoir trouver sa place dans le rap français actuel. Et pourtant, un an et quelques mois plus tard c’est chose faite : C’est Rémy est certifié disque d’or. Après une tournée de concerts dans toute la France, des apparitions sur la compilation 93 Empire, Rémy s’est fait une place de choix dans le paysage du rap francophone. Pilier actuel d’une musique dont le sens de ses mots est une priorité, sans jamais être un frein aux bonnes sonorités, le rappeur a réussi à trouver le juste équilibre entre deux époques d’un même genre. S’il aime qu’on le voit comme un mélancolique, un lyriciste de première zone, Rémy reste lucide et se sait capable d’avoir une palette musicale large : à la hauteur de son talent. C’est cette modernité, cette remise à niveau du rap d’antan qui interpelle la curiosité de plus en plus d’auditeurs et qui lui a permis de se construire un réel éco-système dans lequel il se sent bien et légitime. À l’occasion de notre émission « En Y » sur Rinse France, on a invité le natif d’Aubervillers à participer à un débat presqu’éternel pour l’histoire du hip-hop : les mots ont-ils encore un sens et quelle place réserve-t’on à ceux que l’on considère comme des lyricistes en 2019 ? Interview.

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On s’était rencontrés à l’occasion de ton premier album, C’est Rémy, l’année dernière. Depuis, tu as été certifié disque d’or, tu as fait une tournée, tu as été présent sur la compilation 93 Empire, et tu as sorti ton second projet Rémy d’Auber. Est-ce que tu te situes à la place que tu souhaitais ?

Pour l’instant, je me sens à la place que je veux. Parce qu’on ne peut pas griller les étapes. Je suis très content de là où je suis maintenant. Je ne vais pas te mentir, depuis que je suis petit, je me suis vu percer. Mais si un jour on me l’avait dit, je ne l’aurais jamais cru. Donc aujourd’hui, je suis à la place où je veux être parce que j’ai des objectifs, qui sont plus personnels que professionnels, qui sont justement en train de se réaliser. Autour de la musique bien sûr, mais pas que.

Quand tu as signé chez Def Jam, tu n’avais aucun morceau. Tu as été signé sur une promesse, celle d’un échange entre toi et la maison de disque pour faire quelque chose ensemble qui devait fonctionner. Personne ne te connaissait vraiment et aujourd’hui, tu es certifié disque d’or. Est-ce qu’il n’y a pas une meilleure manière de commencer dans le rap ?

Je ne pense pas. Avant, je n’étais pas connu, mon premier album est disque d’or… Clairement, je ne pense pas. Le disque d’or en plus, je ne le voyais pas vraiment venir. Je demandais mes chiffres de temps à autres, et au bout d’un an et quelques mois, l’album était à 40.000 ventes et quelques ; je me suis dit qu’il allait arriver au même moment que le deuxième album. Mais il est venu juste avant.

J’ai l’impression que tu as réussi à trouver ton rythme…

J’ai réussi à me connaître. À me comprendre. Avant d’être signé, j’avais déjà posé une quinzaine de sons au studio, j’avais fait deux-trois clips mais c’était des choses que seul mon entourage proche savait. Je n’avais jamais été dans le « vrai rap », donc je ne connaissais rien. C’est comme si tu rentres en seconde au lycée, tu ne connais rien de cette vie-là. C’est Mac Tyer qui m’a tout appris, surtout les mauvaises choses, les vrais vices. Il me disait : « Lui, c’est une merde », « Lui, c’est un bon. » Il m’a montré les vrais dessous du métier, donc ça m’a aidé à comprendre plus vite. C’est aussi lui qui m’a dit que faire un album, c’est important. Ce n’est pas juste réaliser un quinze ou seize titres, c’est plus que ça. C’est lui qui m’a appris à rapper en vérité. J’ai eu un bon professeur.

Est-ce que tu penses que c’est facile pour un artiste comme toi de trouver son écosystème dans le rap ?

Non, ce n’est pas facile, vraiment pas. Personnellement, les gens ont adhéré à ma personne, à mon image et je pense savoir pourquoi parce que j’ai une bonne auto-analyse. Mais la réalité du milieu c’est qu’il faut avoir quelque chose maintenant. Moi, par exemple, c’est que je suis un gros, blanc, de cité. Voilà, c’est ça la vérité. Si j’avais été maigre, peut-être que je ne me serais pas fait connaître de la même manière. Ce que les gens veulent voir c’est quelque chose qu’ils n’ont pas l’habitude de voir et c’est pour cette raison que maintenant des artistes font le buzz pour tout et n’importe quoi. Dès qu’un mec lève sa jambe plus haut que sa tête, il perce. C’est là que tu vois que la mentalité française s’américanise petit à petit.

On parlait avec Niska récemment, qui nous disait que pour que ton album marche, il faut que tes sons passent en club. Toi, Rémy, tu as très peu de morceaux qui passent en club. Et on sait que pour les rappeurs, la partie showcase, c’est ultra-important financièrement.

Je suis quelqu’un de simple, je suis devant ma feuille et j’écris ce qu’il me passe par la tête selon l’instrumentale. On pourrait croire que je ne fais que du mélancolique, du conscient avec un message, un engagement particulier… Mais dans mon premier album, tu peux trouver quelques morceaux qui sont loin de cette image. Et ce sont des morceaux que j’ai fait peut-être encore plus naturellement que d’autres sons mélancoliques. Dans le rap, il y a deux écoles. Celle des concerts, et celle des clubs. Tout dépend du style de musique que tu as. Personnellement, je ne suis pas un mec des showcases, mais je suis un mec des concerts. Moi, ce que je veux, c’est remplir les salles et faire rêver les gens à travers ça. Selon moi les showcases, c’est plus le côté « je prends mon argent et je me barre », ça perd un peu sa saveur. Il y a un truc important que les gens oublient souvent, c’est que les clubs appartiennent au monde de la nuit. Aujourd’hui, il y a plein d’artistes qui font des millions de vues et qui écument tous les clubs de France mais je ne les connais pas et personne que je connais ne les connaît. C’est un autre monde, comme un autre rap. Quand tu fais des showcases, tu rappes à 2h ou 3h, quand tu fais un concert, tu commences à 21h. Tout est différent.

« Ce que je veux, c’est remplir les salles et faire rêver les gens à travers ça »

Tu parlais de Mac Tyer tout à l’heure, qui te disait combien un album était important. Quand on regarde le rythme de production dans le rap aujourd’hui, c’est presque un rythme d’usine. Toi pourtant, tu sembles faire un rap qui demande plus de temps et de réflexion. Est-ce que tu as une pression particulière des labels ?

Je n’ai aucune pression du label. Je travaille comme je veux et comme j’en ai envie. Si tu regardes aux États-Unis, certains artistes envoient leur album tous les deux ou trois ans, mais pourquoi ? Parce qu’ils font 17 titres qui, quand tu les écoutes, te font comprendre pourquoi ils ont mis deux ou trois ans à les sortir. Moi, je me suis bien découvert maintenant, donc je sais que je suis quelqu’un qui écrit doucement. Je n’ai pas l’inspiration tout le temps et tous les jours. Ce que je sors, ce sont des trucs vrais. Alors je pourrais écrire tous les jours, mais ce ne sera pas le même rendu ni le même résultat. Maintenant, je connais ma manière de travailler et je sais que je ne peux pas sortir deux albums en un an dont je suis totalement fier et content. Mais le fait de sortir 3 sons par jour n’enlève en rien la qualité de la musique si tu prends en exemple un mec comme Jul. C’est juste que chacun a sa manière de travailler.

Est-ce que tu n’as pas l’angoisse de ne plus pouvoir écrire un jour ? De ne plus avoir quelque chose à dire ?

Tous les jours. C’est une grosse peur que j’ai. Si demain t’es signé pour quoique ce soit qui découle de ton inspiration ou de ton prétendu « génie », et que du jour au lendemain tu n’es plus inspiré, tu fais quoi ? Moi, maintenant, je me connais, mais j’ai toujours cette peur permanente. À chaque fois que je ne rappe pas pendant une semaine, j’ai cette peur. Mais c’est logique, on est des humains. C’est comme ça, on se remet en question souvent mais on continue.

Est-ce que tu penses que les « lyricistes » ont toujours leur place aujourd’hui dans le rap français ? Quand on écoute ton rap, on pourrait presque se dire que tu ne vis pas à la bonne époque. 

Je pense au contraire que j’arrive au bon moment. Pour moi les mots ont un sens, mais ce n’est que de la musique, donc selon moi, tout dépend de la mentalité dans laquelle tu as grandi, et l’environnement musical dans lequel tu as évolué. Par exemple, si tu grandis avec des sons plutôt dansants, tu as plus de chance qu’à un moment dans ta vie le côté musical passe devant les paroles. Pour ma part, les mots sont super importants.

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Est-ce que tu arrives à être un consommateur d’un rap purement divertissant ? 

Je vais en consommer bien sûr, mais en consommateur averti. J’aime tous les styles de musique, et je n’écoute pas que des morceaux avec des mots qui ont un sens, parce que notre cerveau n’a pas tout le temps envie de recevoir autant d’informations tout le temps. Moi, je sais que les gens qui m’écoutent ne m’écoutent pas tout le temps, 24 heures sur 24, même moi je ne m’écoute pas tout le temps, je deviendrais fou sinon. Mais, selon moi, les mots ont un sens, oui, car il ne faut pas oublier que le rap, à la base, c’est ça. Cependant, on peut se permettre de faire de la musique sans porter un message quelconque, aussi parce que tout le monde le fait aujourd’hui.

Comment tu construis ton rap ? Entre, d’un côté, la brutalité de ce que tu vois et de ce que tu vis au quotidien, et, de l’autre, la volonté de traduire cette brutalité de la bonne manière, façon rap ?

Au début, quand je rappais, ce n’était que du naturel. C’est-à-dire que la manière que j’avais d’accompagner mon propos, avec les flows, c’était une manière qui me semblait être la bonne parce qu’elle me venait naturellement. En réalité, c’était surtout mon propos qui guidait ‘ma manière’, je trouvais le flow suivant les mots que j’écrivais. C’est en ça que, selon moi, les mots sont super importants : ils définissent ton flow. Aujourd’hui, on ne parle pas beaucoup de Nekfeu, mais pour moi c’est quelqu’un qui a réussi à allier le flow et le fond comme peu de gens. Quand j’écoute Nekfeu, je comprends pourquoi le public a, aujourd’hui, besoin de mots et de sens dans les phrases qu’ils écoutent. Après, je sais qu’on est peu à avoir la volonté de faire ça, mais on revient petit à petit. Je pense que dans le rap français, il y a eu un moment il y a quelques années où les mots n’étaient plus du tout importants car les gens n’avaient pas envie de ça. Quand je suis arrivé avec le morceau « Réminem », j’ai senti que les gens se remettaient au ‘mélancolique’, parce qu’il n’y avait personne qui le faisait. Après, les artistes commençaient à ressortir un son mélancolique par-ci par-là, genre : « Regardez, moi aussi je sais rapper comme ça. » C’est ça les tendances de toute façon. Ils sont moins plébiscités parce que maintenant tout est une question de buzz. C’est le buzz qu’on plébiscite.

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