Chronique d’album : PNL – Le Monde Chico

Parfois l’humanité rencontre des phénomènes quelque peu inexpliqués : le Big-Bang, les pyramides égyptiennes, Amanda Lear. La musique aussi. Dans le paysage du rap français qui plane principalement entre la trap de Chicago et celle d’Atlanta, rien ne pouvait laisser présager la perturbation PNL. Même Olivier Cachin ne l’avait pas vu venir.

L’histoire semble prendre sa première majuscule le 2 mars 2015, le jour où le projet Que la famille s’impose comme la profession de foi d’un duo jusqu’ici inconnu, PNL. Peut-être un peu de programmation neuro-linguistique mais surtout beaucoup de Peace & Lovés, la véritable origine de l’acronyme représente parfaitement le message du tandem fraternel. Une utilisation aérienne de l’auto-tune sur des productions qui le sont tout autant ; deux éléments qui plantent le décor d’un conte ultra-moderne de deux dealers (a minima) des Tarterêts. La saison 1, Que la famille, était déjà intrigante donc la saison 2, Le monde chico, qui sortait en fin de semaine dernière, devenait forcément la nouvelle attraction du rap français. L’éclosion du Monde chico, celle d’un second projet, est toujours piégeuse pour des artistes portés par la fraîcheur d’un premier essai inattendu. Il s’agit d’éviter les écueils d’un format souvent caractérisé par une envie de trop bien faire : trop long, trop fouillis, trop répétitif… Alors quand la « tracklist » annonce 17 tracks et près d’une heure et quart de musique… On doute. Et pourtant.

 

 

La force du Monde chico c’est justement qu’il permet pour une dizaine d’euros de le voir, le monde. Le duo nous fait traverser, au fil des tracks, différents univers : dans « Mexico » on se replonge dans l’atmosphère du duel à l’arme blanche qui opposait O-Ren Ishii et The Bride dans le premier Kill Bill, un morceau plus loin c’est les cuivres du New York de Spike Lee qui nous dépose directement sur « La porte de Mesrine », puis quelques secondes après on enfourche une moto sortie de Tron en Kevin ou Sam Flynn pour « Dans ta rue ». Une diversité inspirée et mystérieuse, jusqu’à l’identité même des producteurs qui ne sont pas crédités sur le livret de l’album. Un périple sonore qui épouse parfaitement la texture des voix auto-tunées d’Ademo, à la constante recherche d’une émotion particulière et de nouveaux flows, et de N.O.S, capable à la fois de performances plus construites « rapologiquement » et d’autres plus fantaisistes.

 

Malgré cet exotisme musical qui tranche dans le rap français, le thème central développé dans l’album reste la vie de dealer menée par les deux frères. Là où certains pourraient y déceler une redondance qui révèlerait le manque d’inspiration du groupe et sa contribution à l’uniformisation du rap français, en s’associant notamment à une partie de la trap qui revient largement sur ce type de propos. PNL dénote. Ils apportent une sensibilité, une perspective singulière sur un sujet souvent déshumanisé dans le rap où le deal serait l’affaire de gros durs sans émotions. PNL nuance. Le jeu sur l’auto-tune et la fragilité de la voix des deux artistes, encore plus pour Ademo, apporte une finesse dans l’interprétation de leurs activités illégales. Mais à y jeter une oreille plus attentive, les textes aussi.

 

 

« C’est sale quand je vends la came, mais bon ne croyez pas que je kiffe, des remords quand je suis à table. » Dans « Oh Lala », Ademo vient résumer tout la complexité de la manière dont il envisage leur situation de dealer. Un état de fait totalement assumé, presque revendiqué, « c’est sale quand je vends la came », mais qui le conduit dans une réflexion totalement conflictuelle, des « remords » même. Leurs tourments, PNL les exprime à longueur de track. La précarité pour point de départ, c’est la nécessité qui les amène sur les sillons de l’illégalité (« La famille a faim pas le temps de raconter ma life, trêve de balivernes », Ademo dans « Le monde ou rien »). Cette contrainte originelle liée à l’obsession de l’argent n’est pas nouvelle dans le storytelling du rap français, Booba s’en est fait le porte-voix pendant 15 ans et plus encore. En revanche, le reste est plus rare. L’éreintement et la solitude générés par leur choix de vie se dévoilent notamment dans « Sur Paname » : «  Sans déconner j’ai le cerveau vide, les yeux vides, le cœur vide, le compte vide », « Et mon ombre tu t’rappelles, la bibi 7 sur 7 tout l’hiver ». Cette humanité tranche et permet à toute une frange de la population de s’identifier. Au-delà de la vente de substance illicite, dans une vie, certaines de ces émotions peuvent être éprouvées par tous. D’où le fameux « Je suis PNL ».

 

 

Une complexité qui rappelle Lunatic dans la parfaite expression des contradictions entre la réalité d’un mode de vie et certains idéaux : immatériels, familiaux, religieux… Une autre idée du bonheur, parfois difficile à atteindre. Cette dualité qui tiraille viscéralement une partie du public hip-hop (et pas seulement) a fait de Mauvais Œil un classique qui a su braver l’épreuve du temps. 15 ans plus tard, PNL endosse l’affiliation, met à jour la façon d’écrire et de rapper ces contradictions. Ademo les résume avec la maxime qu’on retrouve à la fois sur Que la famille (dans « Lala ») et sur Le monde chico (dans « Laisse ») : « J’fais l’wodou, j’fais peur au robinet. » En Islam, les petites ablutions (wodou) purifient le musulman et lui permet d’exercer sa prière. Avec la personnification, le rappeur nous fait comprendre que ses péchés sont tellement nombreux que même lorsqu’il essaie de s’en laver, le robinet s’y refuse. Quant à N.O.S, sur « Abonné » et « Mexico », il concrétise sa relation avec ses anges qui cherchent à le conduire vers la bonne direction, celle de la religion : « Mon ange a pleuré, parce que j’ai péché. Je voudrais lui dire que j’aimerais tous les aimer, mais qu’au final ces bâtards me feraient saigner », « On s’écarte des anges, c’est mieux. Faudrait pas qu’ils se brûlent les ailes. » La force de l’écriture de PNL réside justement dans l’originalité de parler de ces contradictions

PNL fait voyager le rap français mais surtout, comme ils le disent eux-mêmes, ils « emmènent la misère en balade ». Dans le clip de « Oh Lala », Ademo et N.O.S sont partis jusqu’en Islande tout en gardant leur style, leur histoire, leur authenticité. C’est ce symbole qu’incarne PNL. En partie, ils représentent les quartiers français et ils ont su les faire sillonner sur les routes de leur Monde chico.

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