Rico Nasty voit la vie en trouble

Il en faut de la force pour élever un enfant toute seule. Encore plus quand on a 17 ans et que le père du bambin est décédé avant même d’avoir pu le voir. Rico Nasty en a fait son plus gros atout. En s’exprimant à travers différentes personnalités dans son rap abrasif, l’artiste américaine a su expier ses démons de la plus belle des façons. En concert à Paris, nous avons rencontré une des énergies les plus punk du rap.

Photos : @samirlebabtou

Développer plusieurs personnalités est un mécanisme de défense bien connu quand il s’agit de faire face à un traumatisme. Qu’elle soit Taco Bella, Trap Lavigne ou Rico Nasty, Maria Kelly, de son vrai nom, lutte sans relâche contre les obstacles qui ponctuent son parcours. En 2014, elle fait ses premiers pas dans l’univers du rap avec sa mixtape Summer’s Eve, dans la continuité de la drill music développées par ses consœurs de l’Illinois, Sasha Go Hard et Katie Got Bandz. Malheureusement, elle subit un violent coup d’estoc quelques mois après la sortie de son premier projet, quand son petit ami décède d’une crise d’asthme sous codéine. Comme si le destin n’en avait pas eu assez, elle apprend à 17 ans qu’elle porte l’enfant de cet homme disparu.

Dévastée, Rico redevient Maria et sous les conseils de sa mère, se concentre à préparer la venue de son futur enfant en travaillant comme réceptionniste dans un hôpital. Dur retour à la réalité pour celle qui avait à peine commencé à prendre goût au rap. Enceinte, elle rencontre alors son futur manager et petit ami, Malik Foxx. Malgré tout, la jeune femme cultive son ambition, qu’elle essaie de transmettre à Malik : « Je lui ai demandé, pourquoi fait-on ces jobs ? On a que peu de temps libre pour faire des sorties ensemble et à chaque fois on se demande comment on va faire pour finir le mois. Tous tes potes veulent être rappeurs, en deux heures de studio tu peux te faire 40$. C’était la première fois qu’un homme écoutait réellement mes conseils, et depuis ce jour on est une équipe. »

Faire partie d’une minorité, être une mère, une artiste et une femme se conjuguent aussi bien séparément qu’entrelacés et Rico Nasty a choisi d’en faire sa force.

Après un hiatus de deux ans, Rico Nasty enchaîne les projets, portée non seulement par la nécessité de réussir pour son enfant, mais aussi par l’envie d’expier les démons qui la hantent. Avec les mixtapes The Rico Story et Sugar Trap, la rappeuse du Maryland récolte ses premiers millions de vues grâce aux singles « iCarly » et « Hey Arnold » où elle emprunte beaucoup à Lil Yachty. La jeune femme y affine alors les différentes facettes personnifiées de sa musique. Quand elle est l’élégante Taco Bella, ses morceaux sont auto-tunés, chantés, sonnent presque pop. Transformée en Trap Lavigne, sa musique est vindicative, criée sur d’agressives productions. Enfin, Rico Nasty, sa principale personnalité, est une avide trappeuse qui pourchasse le succès.

Si les différents aspects de sa musique lui permettent de se diversifier et de toucher plusieurs publics, c’est également une façon d’aborder les multiples masques qu’une femme noire américaine se doit d’incarner au quotidien. Faire partie d’une minorité, être une mère, une artiste et une femme se conjuguent aussi bien séparément qu’entrelacés et Rico Nasty a choisi d’en faire sa force : « Être occupée m’aide à oublier mes problèmes. Mes fans me font également part de leurs problèmes, c’est une source de motivation, ça me fait aller encore plus fort et je fais ressortir tout ça en studio. J’essaie d’en rire. »

Une thérapie par la musique qui vient s’ajouter à l’épanouissement d’être une mère. Quand elle parle de son fils, Rico semble animée par une toute autre énergie, d’une plénitude solaire qui vient contraster celle dans laquelle elle aurait pu s’enfermer à 17 ans : « J’étais dépressive, très irresponsable. Quand j’ai eu mon fils, j’ai voulu redevenir présentable pour lui. Il m’a sauvé la vie, c’est un fait. » Détachée de tous ses freins, Rico Nasty va toujours plus vite et ne quitte plus le studio, elle se doit de réussir non seulement pour son fils, mais pour elle-même.

La convergence de tous ces efforts ont finalement payé quand elle signe avec le label Atlantic Records. Un choix qui fait sens pour l’artiste : « Ils m’ont fait me sentir à l’aise. Ils me permettent de changer mon image autant de fois que je veux, ils aiment le changement et moi, j’embrasse le changement, que ce soit dans mon style ou dans ma musique. Ils me permettent d’être moi-même. » Après les récentes signatures de Cardi B et Bhad Bhabie chez Atlantic, Rico Nasty rejoint ainsi un roster de rappeuses vouées au succès, chaperonnées par une de ses idoles : Missy Elliott. Son premier album Nasty, débarque alors une semaine avant l’été 2018.

« On ne s’arrêtera pas tant qu’ils ne nous stopperont pas. » – Rico Nasty

Repérée par Kenny Beats, qui produira la plupart des pistes du projet et l’aidera à donner de l’intensité à sa voix, Rico donne une nouvelle dimension à sa Trap Lavigne. À travers une poignée de clips acerbes, elle redéfinit son image pour coller aux explosives instrumentales de Kenny Beats. Désormais, elle abandonne ses perruques flashy pour montrer ses vrais cheveux, et va jusqu’à les styliser en piques comme une punk. Dans la lancée de « Smack A Bitch » et « Trust Issues », son single « Rage » est un exutoire évident à mi chemin entre trap et metal. Son rap hostile est crié et la production, auto-pilotée par une guitare électrique, sonne comme une tronçonneuse.

Quand il s’agit de citer ses références, elles sont d’ailleurs loin du rap : « Plus jeune, j’écoutais Slipknot, Chop Suey, Fall Out Boy, Paramore, puis je me suis intéressée aux artistes qui ont inspiré ces groupes comme David Bowie, The Smith ou Blondie. » Inspirée par Joan Jett, notamment connue grâce au succès d’ »I Love Rock N Roll », pour ses performances live, c’est une véritable énergie punk qui se dégage sur scène. Ses concerts sont également l’occasion pour Rico Nasty de se connecter à tout l’amour que lui fournit son public, majoritairement féminin, en opposition à toute la haine et la jalousie qu’elle exulte en chanson.

Après s’être cherchée pendant plusieurs années, c’est non sans sacrifices que Rico Nasty a réussi à tirer un nouvel équilibre pour aller de l’avant. Pour son prochain projet, la transformation en Trap Lavigne sera complète, toujours épaulée par Kenny Beats : « On ne s’arrêtera pas tant qu’ils ne nous stopperont pas. » En laissant tomber ses précédentes mues au profit de Trap Lavigne, elle rencontre aujourd’hui un certain succès commercial. Cette impénitente personnalité reste pour elle la meilleure des thérapies et un symbole de combativité pour ses fans. Si le punk demeure avant tout une attitude, c’est en sublimant ses multiples facettes qu’elle a réussi à s’affirmer sans concessions. En capitalisant ainsi sur son énergie propre, Rico Nasty démontre de façon indiscutable qu’elle a de beaux jours devant elle. Le slogan punk « No Future » n’est pas prêt de la concerner.

 

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