Rowjay est prêt pour son tour du monde

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S’il s’est déjà épris de la Suisse et de la Belgique, le public rap hexagonal ne laisse que timidement traîner ses oreilles du côté du Québec. Le Canada ne reste qu’une simple « curiosité » où quelques perles brillent plus que les autres. Ici entre Rowjay, un OVNI déjà remarqué par la plupart des nouvelles coqueluches des auditeurs francophones. Portrait d’un « jeune finesseur » pour qui le monde est à portée de main. 

Photos : @mamadoulele

5502 kilomètres : c’est la distance qui sépare Paris de Montréal, la ville dont est originaire Rowjay. Le rappeur canadien de 21 ans n’est donc pas à proprement parler « chez lui » en terres franciliennes, mais c’est tout comme. Jamais sans repères, Jason – son vrai nom – ne se sent étranger nulle part. Il a même déjà désigné son quartier préférentiel dans la Ville Lumière : le « 10ème », qui donne son nom à l’un des titres phares de son dernier EP, Hors Catégorie, sorti en tout début d’année. C’est naturellement là, sur la place de la République, que nous rejoignons Rowjay, qui entend capturer quelques plans du morceau sus-cité. Le froid polaire qui pétrifie alors Paris n’a pas de quoi dépayser le québécois. Au point de rendez-vous, quelques têtes ne nous sont pas inconnues, comme celle du crooner orléanais Manast LL’ ou de Blasé, moitié du tandem Haute. Peu avant le tournage, c’est le rappeur MV – du collectif Eddie Hyde – qui se pointe à son tour. Il salue poliment son monde, fait son apparition devant la caméra puis tire sa révérence, une vingtaine de minutes après son arrivée. Sans doute avait-il mieux à faire ce jour-là. Qu’à cela ne tienne : son acte de présence – aussi bref soit-il – nous laisse deviner à quel point il était important pour lui d’apparaître dans ce clip.

Là, on comprend mieux pourquoi Rowjay se sent si à l’aise en France, et plus spécialement à Paris. Où qu’il aille, il saura trouver des gens pour l’accueillir. Jason le scande à longueur de tracks : il est « connecté partout sur la planète, tout cela en utilisant seulement l’Internet. » Rejeton d’un monde sans frontières, où plusieurs milliers de kilomètres s’avalent en à peine quelques clics. Dans son réseau tentaculaire, on retrouve quelques uns des artistes les plus plébiscités par le public francophone : Bon Gamin via Myth Syzer – qui l’a un jour qualifié de « génie » -, Krisy, Di-Meh et Slimka ou encore Hamza, qui a récemment remixé de son gré son morceau « Stripclub ». Si la plupart d’entre eux font aujourd’hui partie de ses amis, tous avaient d’abord soutenu publiquement sa musique et souhaité initier une connexion avec lui. Jason est le rappeur apprécié des rappeurs appréciés. Sans pour autant susciter autant d’enthousiasme auprès des fanbase pourtant grandissantes de ces artistes.

Francophone biberonné à la culture d’outre-Atlantique – ou d’outre-fleuve Saint-Laurent, si l’on se place géographiquement chez l’ami Jason –, le cas de Rowjay est symptomatique du paradoxe de Montréal. Lui-même reconnaît sans mal n’avoir que tardivement tendu l’oreille au rap français, qui n’en demeure pas moins le marché le plus réceptif – et accessible – à sa production, barrière de la langue oblige. « Le rap français, je l’ai connu très tard. Jusqu’en 2014 ou 2015, je ne connaissais rien en dehors Booba, La Fouine et Rohff. Pour te dire : Bon Gamin doit être un des premiers groupes de rap français que j’ai vraiment écouté », nous confie t-il. Ses influences sont ailleurs.

Il y a un an ou deux, celui qui se revendique comme adepte d’un rap « ignorant » aurait sans doute évoqué les weirdos que peuvent être Lil B ou Roi Heenok. Maintenant qu’il affirme « se prendre plus au sérieux », il cite plutôt Young Nudy, Rick Ross, Drug Rich Peso, Pusha T ou Famous Dex. « J’essaye d’être une sorte de Famous Dex avec des punchlines. Enjailler les gens, tout en ayant un minimum de fond derrière. Surtout dans le message. Je pense que dans ma musique, il y a un bon message de motivation et c’est quelque chose d’important. » Reste que l’absence de solides références francophones contribuent – en partie – à faire de Rowjay un artiste « hors catégorie ». Ajoutez à cela un accent que les français ont toujours aimé moquer, une articulation volontairement exagérée et des placements pas toujours conventionnels, vous voici devant un objet pas toujours facile à appréhender pour le public hexagonal. Mais pas de quoi faire vaciller la confiance que le canadien porte en sa musique : « Je sais que c’est juste une question de temps avant que les gens s’adaptent à mon truc. On peut ne pas aimer ce que je fais, mais la qualité du produit est bonne. Il y a un travail qui est fait. Beaucoup de rappeurs que les gens écoutent ne fournissent pas ce travail, pareil pour certains rappeurs que moi-même je kiffe. »

Saint-Léonard, fenêtre sur le globe

Quand il ne parcourt pas l’Europe, Rowjay ne sort jamais de Saint-Léonard. Impossible d’aborder son oeuvre – ni même son être – sans faire mention de cet arrondissement de Montréal, auquel il a carrément dédié un titre de son quatrième projet, Carnaval de Finesse. C’est ici que s’est modelé le noyau dur de son collectif C.O.B 65, dont font notamment partie les producteurs DoomX, Rami B et Tony Stone – qui forment le trio Planet Giza – ou encore Freakey! (Famous Dex, Hamza, Krisy, Caballero & JeanJass). « Il n’y a pas vraiment de quartier comme Saint-Léonard en France. C’est très résidentiel et très métissé. À la base, c’était principalement un quartier d’italiens, mais il y a de plus en plus d’haïtiens, d’algériens, de marocains, etc. En France, on ne voit pas trop de renois de cité traîner avec des blancs. Chez nous, c’est un peu plus normal. Même au niveau de l’écart social, tu vas avoir des gens qui ont des HLM et d’autres qui ont des baraques qui valent 3 ou 4 millions de dollars. C’est assez unique », détaille t-il. C.O.B 65 n’est que le reflet du bassin multiethnique que s’avère être Saint-Léonard.

Alors quand Rowjay se retrouve devant sa feuille, il ne peut se contenter de piocher dans les innombrables slangs que le Québec conserve de sa proximité avec les États-Unis : son vocabulaire emprunte tantôt au créole haïtien, tantôt à l’argot français – qui lui-même puise dans un foisonnement de langues étrangères. « Dans mes sons, j’aime bien faire connaître aux gens des expressions d’ailleurs. Par exemple, quand je dis ‘Je roule un teh’, les gens ne disent pas ça à Montréal. Ils ne savent pas ce que ca veut dire, nous glisse Jason. C’est sur que le fait d’avoir grandi à Saint-Léonard influence la manière dont j’appréhende le monde. C’est de la connaissance aussi. Par exemple, je ne parle pas créole mais aujourd’hui j’arrive à en comprendre les trois-quarts. C’est toujours bien d’en savoir plus sur ce qui nous entoure, de comprendre l’environnement dans lequel on est. Il n’y a pas que les gens qui nous ressemblent. » De quoi nourrir son envie de voyager, de découvrir les autres, d’être « connecté ».

D’autant que Rowjay a bien conscience que sa position géographique tend à rendre la réciproque tout aussi vraie. Pour les artistes européens de France, de Suisse ou de Belgique, Montréal peut sembler être une porte d’entrée intéressante vers cette Amérique qui fait tant fantasmer. La scène locale se développe, dans le sillon d’artistes comme KAYTRANADA, High Klassified, Dead Obies, Alaclair Ensemble ou d’autres, mais demeure si marginale que nul n’est inaccessible. « Être à Montréal, c’est un avantage. Parce qu’ici, on a quand même une certaine notoriété. On connaît tout le monde. KAYTRANADA, High Klassified, Da P… ce sont nos gars. Du coup, ça nous a ouvert pas mal de portes. Quand on avait seize ans, on allait déjà dans les boîtes les plus chaudes. Ça fait longtemps qu’on est autour de cette scène. »

Au point de suivre les traces de ses glorieux aînés, et d’envisager à son tour une carrière par-delà la frontière américaine ? « C’est sûr et certain. C’est en partie pour ça que je communique beaucoup en anglais aussi. Pour un artiste francophone, j’ai déjà pas mal de feedback venant de là-bas, mais aussi d’Angleterre ou de Toronto. Mon gars Freakey! travaille d’ailleurs pas mal avec WondaGurl [compositrice canadienne ayant notamment travaillé avec Drake, Travi$ Scott et Jay-Z, ndlr], donc la connexion Montréal-Toronto est bien établie », affirme t-il, confiant. En attendant que le monde ne s’ouvre à lui, Jason continue d’aller en cours, « parce [il] ne dit jamais non à plus de connaissances. » Sans doute lui seront-elles nécessaires pour concrétiser un jour ses titanesques ambitions, lui qui s’imagine volontiers en mogul québécois du rap : « Il y a de l’argent à se faire dans la musique, mais je suis persuadé qu’il y a encore plus d’argent à se faire avec l’argent que tu fais à travers la musique. »

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