Chronique d’album : SCH – Anarchie
Les rappeurs courent tous après un vilain mot : le « buzz ». Récemment, certains d’entre eux ont réussi à générer cette attention si convoitée et rapidement rémunératrice mais cela ne suffit pas pour bâtir une carrière. Il s’agit de transformer concrètement l’essai par un album à la hauteur de l’intérêt suscité, beaucoup d’artistes ont explosé face à la pression de cette attente et leur incapacité à être au niveau espéré. Après A7, sa première mixtape, SCH a gagné une caisse de résonance nationale matérialisée par l’obtention d’un disque d’or en mars dernier. Avec Anarchie, son premier album, beaucoup de choses se jouent donc.
Les adages sont souvent le fruit du néant de l’intelligence humaine, ils permettent de tout justifier sans s’encombrer de la réflexion. L’un des pires se mange quotidiennement avec plus de sauces qu’un grec du boulevard de Clichy : « On ne change pas une équipe qui gagne. » Sculpteur du palmarès de Barcelone au tournant des années 2010, Pep Guardiola conscient du chantier qu’il devait accomplir pour insuffler un esprit nouveau à son équipe a décidé de quitter les blaugranas pour rejoindre l’équipe de « Götze, numéro 19 ». Timing parfait. Quand SCH et Kore décident de reprendre ensemble le chemin du studio, cela peut faire jaillir quelques interrogations : sur l’originalité, les redondances, l’hétéroclisme… D’autant plus que le producteur investit pleinement les lieux sur ce projet. Présent sur toutes les tracks, il en délègue une seule et à son frère : « Himalaya ». Mais le tour de force de Kore réside dans sa capacité à proposer un éclatement d’ambiances musicales (le truculent « Doc », le mélancolique « Allô maman », l’énervé « Dix neuf » ou encore le caverneux « Alleluia ») tout en conservant une unité dans l’esprit, cette tortuosité collant à la peau de SCH. Plus loin du cas particulier du rappeur marseillais, Anarchie rejaillit sur une jeunesse contradictoire et actuelle. Bourrée de principes, de valeurs qui périclitent avec des aspirations capitalistes portées par des fessiers toujours plus bombés, les meurtrissures de l’artiste concernent un peu tout le monde.
Il incarne ses tourments à un tel niveau que cela le dispense de « guest » sauf quand il s’agit de changer de langue dans « Cartine Cartier » où SCH invite le Lombard Sfera Ebbasta. Le rappeur donne parfois même l’impression d’être en featuring avec lui-même, sur « Trop énorme » on a le sentiment d’entendre Hamza sur le refrain mais non c’est SCH ; sur « Neuer » quelques intonations d’Orelsan mais non c’est toujours SCH. La musicalité du marseillais, sa facilité à épouser les productions de son comparse marquent la partie la plus impressionnante de sa virtuosité. Du coup, il peut se permettre de remettre au goût du jour des classiques du rap français qu’on prend plaisir à redécouvrir au fur et à mesure de l’album : le morceau de 6 minutes sur une instrumentale minimaliste avec « Anarchie », la description détaillée d’une rencontre amoureuse avec « Je la connais », l’hommage maternel avec « Allô maman » et même un clin d’œil un peu trop appuyé mais jouissif à Gyneco avec « Le doc ».
Au-delà du rap, SCH a de vraies qualités d’écriture et donne de l’intérêt à ses textes même sans musique, il nous gratifie de ses fulgurances tout au long d’Anarchie. Florilège : « La lune éclaire le visage des potos que j’ai vu s’éteindre », « J’y pense de la veille à l’aube, dans un livre j’ai tes sourires », « Cette nuit, j’ai compté : 30 000 en petits bleus, 30 000 en marrons, 2 ans de salaires de keuf », « Mon père vous a donné sa santé, je suis là pour payer l’addition. J’ai ses 40 ans de charbon dans l’âme »… SCH n’a pas explosé au contraire, il a concentré ses talents sur treize titres. L’équilibre est juste, l’artiste promet encore plus et confirme qu’il s’installe parmi les tous meilleurs du genre.