ScHoolboy Q : « Ma fille a neuf ans et je sais qu’elle connaîtra la dépression »

Affecté par le décès de Mac Miller, ScHoolboy Q a annoncé qu’il ne sortirait pas d’album en 2018. Quatre ans après notre première rencontre, nous avons croisé le rappeur lors de son passage à House of Vans à Londres, pour aborder avec lui la problématique de la santé mentale dans le monde de la musique. Il nous livre une autre perspective – peu réjouissante – de ce que peut aussi être la vie d’artiste. 

Photos : @lebougmelo

ScHoolboy Q avait pris l’habitude de donner rendez-vous à ses fans tous les deux ans. Alors après Habits & Contradiction en 2012, Oxymoron en 2014 et Blank Face LP en 2016, il semblait naturel d’attendre de sa part un nouvel album en 2018. Mais même la mécanique la mieux rodée peut s’enrayer face aux imprévus de la vie. Et à l’heure où nous parlons, ScHoolboy Q n’a pas la tête à publier de nouvelles musiques, dévasté par la perte récente de son ami Mac Miller. Un décès qui a remis un énième coup de projecteur sur la question de la santé mentale des artistes. Celle du gaillard de TDE n’a pas toujours été au mieux, ScHoolboy Q ayant déjà sérieusement songé à arrêter peu après la sortie – et le succès – d’Oxymoron. Alors quand dix petites minutes nous ont été imparties pour l’interroger, en amont de son live à la House of Vans de Londres, nous avons souhaité évoqué avec lui un sujet qui importe. Plus que jamais.

Tu as toi-même reconnu avoir eu des difficultés à gérer la pression inhérente à la vie d’artiste. Comment cette pression se manifeste t-elle exactement ?

Je ne saurais pas vraiment dire. Certaines choses te tombent dessus un peu par hasard, sans que tu puisses réellement les expliquer. Juste, elle te tombent dessus. Pour ce nouvel album, par exemple, j’ai eu besoin de me reconstruire mentalement et physiquement. Des fois, tu grandis juste différemment, tu traverses certaines épreuves qui te tombent dessus sans trop que tu saches pourquoi et tu dois y faire face. Je ne saurais pas non plus te dire comment je suis devenu un rappeur, c’est juste qu’à un moment donné j’ai commencé à écrire.

Qu’est-ce qui t’as finalement donné la force de poursuivre ?

Je ne sais pas, sûrement la passion. La passion, c’est ce qui fait que tu ne t’arrêtes pas. À partir du moment où tu es passionné par quelque chose, tu n’abandonnes jamais. Tu vois ces gars sur un terrain de football qui ne rentrent jamais en jeu, qui sont comme bloqués à un certain palier, mais qui répètent sans cesse leurs gammes pour y arriver ? C’est la passion. À partir du moment où ils ne ressentent plus la passion, ils sont finis. Pour ma part, je suis passionné, donc je n’abandonne jamais. C’est quelque chose d’inconcevable pour moi, je ne sais même pas ce que c’est que d’abandonner. J’ai déjà essayé d’arrêter par le passé, mais ça ne fonctionnait pas. J’ai essayé d’arrêter le rap et ça a duré à peine deux jours. C’est juste impossible pour moi.

Que dirais-tu aux gens qui estiment que les artistes « ne sont pas à plaindre » ?

Ces gens sont stupides. Nous sommes des êtres humains comme tout le monde. On pleure, on rit, et on meurt généralement beaucoup plus jeunes que la moyenne. Puis on se met en péril juste pour que les autres puissent se sentir mieux. Beaucoup de choses que les gens font dans leur intimité sont des choses que nous faisons au grand jour, pour justement qu’il se sentent plus à l’aise au moment de les faire. Nous sommes aussi des soigneurs. Il arrive que des gens écoutent notre musique, certaines de nos paroles, et qu’ils décident de ne pas se suicider. On fait toujours en sorte de se préoccuper des autres, alors que personne n’est jamais là pour nous. Voilà la vérité en ce qui concerne les artistes.

Il suffit d’une fois où un artiste refuse de faire une photo avec un fan… As-tu seulement idée du nombre de personnes qui viennent lui demander une photo, alors qu’il est déjà triste et déprimé ? Je refuse rarement de faire des photos, mais c’est déjà arrivé que je ne sois pas forcément dans le bon mood et que je dise juste « Non ». Puis je vais sur Twitter et je vois « Connard » par ci, « Connard » par là… Mec, ça doit être seulement la deuxième fois de ma vie que je refuse une photo !

Les gens se font souvent des idées et finissent par penser que tu leur dois quelque chose alors que tu es déjà en train de leur donner ta vie. Je me mets déjà dans une position de vulnérabilité vis-à-vis de vous en vous déballant toutes mes peurs et mes doutes, tandis que les connards que vous êtes restez juste là, assis derrière votre clavier d’ordinateur, à dire tout ce qui vous passe par la tête sur nous. On prend déjà la peine de se mettre en première ligne, alors penser qu’on devrait juste « s’estimer heureux » est stupide. Jamais de la vie. On mérite le moindre dollar qui rentre dans nos poches.

« Les gens finissent par penser que tu leur dois quelque chose alors que tu es déjà en train de leur donner ta vie. »
– ScHoolboy Q

Quel conseils donnerais-tu à un jeune artiste qui pourrait traverser les mêmes épreuves ?

La dépression, c’est quelque chose que tout le monde traverse. Certaines personnes sont assez fortes pour que ça leur passe, et d’autres non. C’est difficile. J’ai déjà connu des phases de dépression, énormément même, mais j’ai réussi à m’en sortir parce que je suis fort. N’importe qui sait ce qu’est la dépression. Pour te dire : ma fille a neuf ans et je sais qu’un jour, elle connaîtra la dépression. Et c’est mon job, en tant que père, de la préparer à ce genre de choses. Parce que l’école ne te prépare pas à ça. Alors il est primordial de préparer ses gosses à certaines choses que chacun est amené à vivre.

Personne n’est à l’abri d’être pauvre, personne n’est à l’abri d’être dépressif. Même la personne la plus riche peut finir par être pauvre à un moment donné. Dis-toi que même Robin Williams s’est donné la mort. Le mec était super riche, et il a tout perdu en un clin d’oeil. Voilà pourquoi il faut toujours être entourés de personnes qui te veulent du bien. Plus tu restes proches d’eux, plus tu les autorises à rester auprès de toi, plus ils t’aideront à faire le vide dans ton esprit.

Il faut s’entourer de gens qui vont te sortir de cette dépression. Des gens qui vont de faire rire, qui vont te charier… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est important de savoir encaisser, parce que la dépression affecte moins ceux qui ont la peau dure. Tout ce que j’ai à faire en tant que père, c’est m’assurer qu’elle aussi ait la peau dure. Je ne lui dis pas qu’elle est belle tous les jours, je ne lui dit pas que tout ce qu’elle fait est génial même quand ce n’est pas le cas. Je n’ai pas peur de lui dire de temps en temps : « Non, ça c’est affreux ! » Il le faut.

Que peut-on attendre de ton prochain album ?

Je ne veux pas trop en dire. Parce qu’avec les réseaux sociaux et tout, les gens ont toujours tout sous la main. Ils peuvent savoir quand je me réveille, ils peuvent savoir quand je me couche. Si je sors un album, avant même d’écouter, l’album est déjà entièrement décodé. Ce n’est pas comme ça que la musique devrait être. La musique, ça devrait être : je sors mon album, vous l’écoutez et chacun en fait sa propre interprétation. Parfois il y aura un consensus sur le disque, et tout le monde en aura compris la même chose, puis parfois non.

Moi-même, je ne suis pas en mesure de t’expliquer un album tout entier. Souvent, il s’agit juste de pensées qui te viennent à l’esprit et que tu te mets à écrire. Alors certes, il y a tout un concept, mais ça n’en reste pas moins des pensées plus ou moins aléatoire. Donc m’asseoir ici pour vous dire ce que sera mon prochain album, ce serait me desservir, parce que ça ne correspond pas à ce que je fais en tant qu’artiste. Ce n’est pas l’approche que j’ai de la musique.

Tout ce que je peux dire, c’est que mes albums ne sonnent jamais pareil. Que ce soit Setbacks, Habits & Contradictions, Oxymoron ou Blank Face LP, aucun ne sonne comme le précédent. Donc je peux vous garantir que le prochain ne sonnera pas comme quelque chose que vous avez déjà entendu. Je n’ai jamais fait le même album deux fois. Jamais.

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