Shondaland ne sauvera pas la télévision

Derrière le succès de Grey’s Anatomy et Scandal se cache une seule et unique personne : la scénariste, productrice et réalisatrice, Shonda Rhimes, aujourd’hui maîtresse indiscutée de la boîte de production Shondaland. C’est sous ce nom que débarque la série How To Get Away With A Murder, scénarisée par Peter Nowalk, l’un de ses plus proches collaborateurs. Avant même la diffusion du premier épisode, ABC prend les paris et inscrit la série dans une trilogie hebdomadaire consacrée à Shondaland, le Thank God It’s Friday. Une première dans l’histoire des séries et un challgenge qui semble rélevé avec un lancement à près de 15 millions de téléspectateurs pour le pilote de HTGAWM diffusé en dernière partie de soirée. Le meilleur démarrage de la chaîne depuis 2007 !

Tout ce que touche Shonda semble se transformer en or et le Hollywood Reporter l’érige déjà en “Sauveur de la Télévision”. Mais qui est Shonda Rhimes ?

 

Le don de Midas…

En moins de dix ans, Shonda Rhimes, qui figure, selon le magazine Time, dans la liste des 100 personnes les plus influentes du monde, a réussi à trus­ter un secteur de l’industrie culturelle où seuls 10 % des scénaristes sont issus des communautés minoritaires aux États-Unis . Son secret ? Avoir réussi à bousculer les codes ultra­nor­més et aseptisés des soaps diffu­sés en prime time. Sa recette ? Augmen­ter la repré­sen­ta­tion des homo­sexuels et des minorités raciales sur le petit écran et mettre des femmes fortes en avant. Oprah Winfrey, papesse de la télé améri­caine, confiait récem­ment au Time : « J’ai grandi à une époque où il était anor­mal de voir des gens qui me ressem­blaient à la télé. Rhimes nous a tous pris, tous ! Nous avons tous à notre place autour de la table de Shonda ! ».

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« J’es­pé­rais juste montrer un monde qui ressem­ble­rait au nôtre » explique la réalisatrice. Grande téléphage à l’époque où elle pouponne son premier enfant, Shonda se lasse des séries qui passent sous ses yeux. L’hégémonie de l’homme blanc hétéro et la sous-représentation des autres couches de la population l’agace. Elle se lance alors dans l’écriture du scénario de Grey’s Anatomy, son premier grand succès en tant que scénariste et showrunner. Une série qui entamait en septembre sa 11ème saison surfant toujours sur son succès des premières heures, grâce à une fanbase encore solide. Une longévité d’autant plus remarquable que la série aura survécu à son spin-of  Private Practice et à l’éphémère Off The Maps.

En 2012, Shonda Rhimes lance Scandal, portée par le personnage d’Olivia Pope, véritable symbole de la femme forte et indépendante. Un personnage controversé, qui se perd entre son rôle d’experte en gestion de crise et celui de maîtresse du président des Etats-Unis. Un cocktail explosif dont le dosage des ingrédients permet l’équilibre de la série. Un équilibre qui est aujourd’hui de plus en plus précaire. Un symbole charismatique qui ouvre sur une véritable révolution dans le monde des séries TV en installant son personnage principal, une femme Noire, au coeur d’une diversité raciale. Une image qui tranche avec celle du nombre important de shows où chaque communauté reste dans un entre-soi cloisonné et ne font que se croiser au fil des épisodes.  Si ce choix est avant tout motivé par le mentor de Rhimes, véritable source d’inspiration pour le personnage d’Olivia Pope, il ouvre le débat sur la question de la représentation à la télévision.

Une révolution qui se poursuit dans la dernière série qu’elle produit,  How To Get Away With A Murder, lorsque Peter Nowalk choisit d’opter pour une représentation plus réaliste des homosexuels et de leurs relations. Cette volonté de changement de la vision télévisée de la société se prolonge avec le choix de Viola Davis dans le rôle principale : “Je suis heureuse que Shonda Rhimes m’ait vu. Elle m’a remarqué lors d’une interview avec Ophrah où je disais : “Personne ne me choisira pour un rôle sexy” et  elle s’est dit : “Pourquoi pas ?” Je pense que cela fait d’elle une visionnaire, c’est pour ça qu’elle est spéciale, c’est ce qui la rend iconique.” Au delà de leurs couleurs de peaux, Shonda démontre que ses héroïnes réussissent à fidéliser un public multiculturel qui s’identifie à des individus complexes et profonds, ni tout noir, ni tout blanc. Des personnalités nuancées, qui, au fil des épisodes, traversent des épreuves qui réussissent à toucher un large public.

 

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Et sa malédiction

La formule “Shondaland” n’est pas magique. Deux ans après le succès de Grey’s Anatomy, en plein renouvellement du genre de la série médicale (NIP/TUCK, Scrubs, Dr. House, NIH : Alerte médicale), ABC émet l’idée d’un spin-off qui surferait sur la vague du show. Pour s’assurer du même succès, rien de plus simple que d’en récupérer quelques personnages qui se chargeront de faire vivre les deux séries en parallèle, laissant par la même occasion la porte ouverte à quelques crossovers. Si Private Practice revisitait point par point la série Grey’s Anatomy dans une ville différente, Off The Map : Urgences au bout du monde, poussera le genre de la série médicale encore plus loin et conduira ses nouveaux protagonistes dans une île inhabitée. Mais ce filon s’épuise de plus en plus rapidement. Private Practice prend fin en 2013 et Off The Map ne durera pas plus d’une saison.  Encore aujourd’hui, la série Grey’s Anatomy connaît les mêmes faiblesses. Un scénario qui prend l’eau et qui tente de reprendre quelques bouffées d’oxygène à coup de fusillades sensationnelles, retournements de situations inattendues  ou de disparitions subites des personnages les plus attachants témoignent. Le fameux Jumping The Shark de Happy Days juste pour donner de la matière pour animer le fandom et lui offrir de quoi débattre, rire et pleurer.

Une théorie qui s’étaye grâce aux derniers chiffres d’audience de la soirée Shondaland. Même si Grey’s Anatomy profite du TGIF et fait son meilleur démarrage depuis deux ans, elle réunit depuis 8,43 millions de télespectateurs, soit 2,4% des parts d’audience, des chiffres en baisse. Quant à Scandal, le show rassemble 9,90 millions de téléspectateurs, et pour How To Get Away With A Murder ce sont 9,79 millions de téléspectateurs qui se donnent rendez-vous ; des chiffres en constante baisse.

 

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Le cinéma est aussi un domaine qui semble résister à l’emprise du Shondaland. À sa décharge, le cinéma ne constitue pour elle qu’un court passage au début de sa carrière qui l’amènera vers le statut d’impératrice de la série télé. Au total, sa filmographie ne compte que deux films : Crossroad, l’infâme road trip de Britney Spears vers “l’âge adulte” ( I’m not a girl, not yet a woman ), mais aussi le deuxième opus du Journal d’une Princesse, avec Anna Hathaway. Un autre film qui ne connaîtra qu’un succès relatif.

Lorsque The Hollywood Reporter encense Rhimes et la sacre sauveuse de la télévision, ou tu du moins de CBS, ils récompensent le travail fait par la productrice et sa méthode de construction des personnages. Mais les séries de Shonda Rhimes sont comme ses personnages. Forts et convainquants en surface, plus tard on découvre en eux des défauts de conceptions qui lasseront très vite les spectateurs les plus exigeants. À cela s’ajoute une vulgarisation des principes de la médecine, de la loi et de la communication de crise, qui finiront bien vite par agacer le public et même les néophytes. L’empire de Shonda Rhimes a aujourd’hui plus de 10 ans et semble encore résister à l’usure du temps avec une trilogie qui concentrent l’attention de million de téléspectateurs. Mais malgré la relance en terme d’audience qu’aura apporté le concept « Thank God It’s Thursday », l’enjeu de Shondaland sera de savoir se renouveler, au-delà de l’avancée apporté dans la représentation des minorités.

 

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