Sidiki Diabaté : « Jusqu’ici jamais un griot n’a eu la chance de jouer à Bercy »
5 décembre 2015. Paris Bercy. Booba quitte la scène. Les lumières s’éteignent. Un inconnu s’avance en douce, lesté d’un instrument à grosse calebasse, qu’il porte en bandoulière. Un silence parcourt la salle engorgée. Les spots se raniment. Dès les premières notes, la foule reconnait la mélodie de « Validée ». La version originale s’appelle en réalité « Ignanafi Debena ». Son auteur, Sidiki Diabaté. Bientôt, le D.U.C. rejoint l’alchimiste. Le moment est unique, envoûtant, il marquera fatalement ses quelques 17 000 témoins.
Celui que beaucoup découvrent ce soir-là est en réalité une star dans son pays, le Mali. Sidiki Diabaté, fils de Toumani, porte sur ses épaules un héritage vieux de 700 ans ; il descend de l’une des plus grandes lignées de griots. À seulement 25 ans, « le prince de la kora » se taille une place au soleil en modernisant la musique traditionnelle mandingue qu’il mâtine d’accents électroniques, hip-hop, pop et zouk. Rencontre.
Peux-tu d’abord te présenter pour ceux qui ne te connaitraient pas encore ?
Moi c’est Sidiki Diabaté aka Diabateba music. Je suis malien. Je suis musicien, auteur, chanteur, compositeur. Un jeune artiste avec des rêves. Je suis le fils de Toumani Diabaté et je viens d’une grande famille de griots, de 700 ans existence. Nous jouons de la kora de pères en fils, je fais partie de la 72ème génération.
Qu’est-ce qu’un griot aujourd’hui ? La fonction a-t-elle évolué par rapport à ce qu’elle représentait autrefois ?
Oui, déjà un griot n’avait jusqu’ici jamais eu la chance de passer à la télévision ou de jouer à Bercy. Ça a beaucoup évolué mais le message continue de se transmettre d’une manière ou d’une autre. Nous qui sommes les ambassadeurs de la culture africaine, nous continuons de prôner la paix à travers notre musique, nous parlons de situations comme celle de Lampedusa ou du terrorisme.
Tu as commencé la musique à quel âge ?
D’abord on naît griot, on ne le devient pas. Il paraît que j’ai donné mon premier temps à l’âge de deux ans. Chez nous, les premiers jouets ce sont la kora, le balafon ou un petit djembé. Chez vous c’est un ballon ou des peluches.
Quand est-ce que tu as commencé à avoir une vraie bonne maîtrise de la kora ?
Je ne dirais pas que j’ai la maîtrise car chez nous on ne termine jamais l’apprentissage. Je ne suis qu’un élève, je continue toujours d’apprendre avec le maître. Mais je dirais qu’à partir de 10 ou 12 ans j’ai commencé à vraiment savoir jouer.
Le chant est venu après ?
Oui, avec ma mère. C’est une grande chanteuse, c’est elle qui m’a appris à chanter.
De quels autres instruments tu joues ?
Du clavier.
Le fait d’être le fils et le successeur désigné de Toumani Diabaté et de porter le même nom que ton grand-père, « le roi de la kora », ce n’est pas un héritage lourd à porter ?
Non, il y a juste des principes qu’il faut respecter, transmettre le message comme il faut. Un griot c’est la paix, la bonté, « Heere » comme on dit chez nous, « le bonheur ». Si le monde était une personne, le griot serait le sang qui coule dans ses veines. Ca fait partie de moi, c’est ma carte d’identité. Je suis né pour ça.
Quel genre de père Toumani Diabaté a été avec toi ?
Toumani Diabaté a été un père formidable. Il m’a beaucoup aidé, notamment lors de nos premiers concerts dans les stades ; imaginez un Toumani Diabaté à la régie, dans les coulisses, à la technique … [il rit]. Je lui dois tout.
Penses-tu qu’un jour l’élève dépassera le maître ?
Ah, l’avenir nous le dira ! Inch’Allah.
Il y a un livre qui est sorti sur ton histoire en 2008, Sidikiba’s Kora Lesson. C’était ton idée ?
Oui j’étais gosse mais c’était un peu mon idée.
Le but c’était de vulgariser la musique mandingue auprès du plus grand nombre ?
En fait, je voudrais amener ma femme [il désigne sa kora en riant] là où elle n’a jamais été. Mon rêve est très simple, c’est de faire voyager cet instrument, qui est la carte d’identité de la musique mandingue, partout. Faire connaître ma culture. L’Occident ne connait que 2% de la culture africaine. Imaginez cette kora avec la voix de Céline Dion, ça serait magique. La kora est spéciale, elle a quelque chose de particulier, je ne peux pas l’expliquer, c’est comme ça.
Tu parlais de Lampedusa tout à l’heure. Tu avais fait une chanson avec ton père sur le sujet, sur votre album commun « Toumani & Sidiki ». Mais tes derniers morceaux en solo tournent plutôt autour de l’amour. As-tu toujours envie de faire passer des messages conscients ?
Oui, c’est ce que j’ai essayé de faire avec ma chanson « Douaou djabira » par exemple. J’y explique que tous les grands ont été traités de fous quand ils ont commencé. Parce que les gens n’y croyaient pas. Mais en fin de compte, si tu réussis, ce sont les mêmes personnes qui viennent te dire que c’est toi le number one. Ceux qui y arrivent sont ceux qui ont la foi. Avoir la foi c’est être spirituel, de croire en dieu. Le but de ce morceau c’était de remercier le bon dieu et mes parents, eux qui m’ont mis au monde et béni pour faire ce métier. Je continue d’essayer de faire passer ce message-là parce que je pense que dans la vie on doit créer une famille. Nous sommes esclaves d’un papier qu’on a créé qui s’appelle l’argent. Si on n’a pas d’argent, on est rien. Et ça ne devrait pas être le cas. On ne reçoit pas de facture à la fin du mois parce qu’on respire. Personne n’a été témoin du premier jour où le monde a été créé. Qui tient le ciel ? Qui tient la terre ? Personne ne le sait. Ce sont des questions que nous devons nous poser. On doit mettre la spiritualité, l’amour et l’humanisme au premier plan, la situation économique au second.
Dans ta musique, on entend tous types de sonorités et d’influences. Mais si je regardais dans ton téléphone par exemple, quels morceaux est-ce que je trouverais ?
En tant que compositeur, j’écoute de tout. Si on veut créer, on est obligés de tout écouter pour s’inspirer.
Tu tiens à rester indépendant ?
Ca dépend. Je suis ouvert aux propositions qu’on me fera.
Avec quels artistes aimerais-tu collaborer ?
J’aimerais bien collaborer avec Céline Dion, j’aime beaucoup sa voix. C’est la seule voix française [sic] qui me fait pleurer. J’aimerais aussi faire chanter Beyoncé ou Alicia Keys sur ma kora, et pourquoi pas Jay-Z ou Lil Wayne. Tout le monde adore ce type de mélanges, les gens deviennent fous quand ils entendent ça.
Peux-tu nous expliquer la manière dont tu crées ?
Par exemple, je prends ce morceau traditionnel [il joue quelques notes sur sa kora]. Et si je prends l’accord comme ça [il rajoute un beat en frappant la caisse de l’instrument], vous le comprenez mieux, n’est-ce pas ? Je compose comme ça. Je prends les morceaux traditionnels de chez moi et j’en fais ce que je veux. Les paroles ça vient après et ça dépend de ce dont j’ai envie de parler, c’est la musique qui inspire mes mots.
Peux-tu nous parler de la scène hip-hop au Mali ?
C’est une scène qui est vraiment développée mais qui n’a pas d’aides, qui est vraiment rejetée. Moi j’ai eu la chance de travailler avec des grands, comme M ou Booba, de recevoir des prix et d’avoir été nominé aux Grammys une fois. Grâce à mon expérience, j’ai pu connaître de nouveaux genres musicaux et créer des choses différentes. La scène hip-hop de chez nous est vraiment vivante, les jeunes se battent. Au Mali, il n’y a pas de maisons de disques, il n’y a rien. Tout ce qu’on fait c’est de l’auto-production. Et c’est dommage, parce qu’il y a des vrais talents, avec des voix extraordinaires, inimaginables.
Est-ce que tu vas retravailler avec Iba One ?
Iba One, c’est mon ami. On travaille toujours ensemble. C’est l’un des premiers qui a cru en moi. Quand j’ai commencé à composer, c’est lui qui m’a poussé en me disant « Gars, tu es mieux que Swizz Beatz, tu es mieux que Dre. Ce que tu fais, eux ne le font pas ». De son côté, lui aussi est parvenu à créer son propre style, qu’on appelle aujourd’hui « yèrèfô », c’est « se vanter ». On a grandi en même temps, on a fait beaucoup de choses ensemble. Il fait partie de moi, c’est mon frère.
Ces derniers temps, le rap français montre un regain d’intérêt pour la musique africaine. Après Mokobé, on l’observe aujourd’hui avec des artistes comme MHD ou Niska. Penses-tu qu’il y a une vraie tendance de fond derrière ça? Que ça va se populariser de plus en plus ?
En fait, je suis désolé de le dire comme ça, mais les gens en ont marre d’écouter de la merde. Ils veulent du vrai, de l’authenticité, un retour aux sources. C’est pour ça que maintenant tout le monde se tourne vers l’Afrique. Les artistes se servent des rythmiques africaines comme le diansa, ils chantent dessus et ça fait un tube alors que chez nous c’est des danses de baptême ou de mariage [il rit] ! Mais moi je pense que dans tout ça, c’est l’Afrique qui gagne. Booba en est la preuve, MHD en est la preuve, Niska en est la une preuve, Maître Gims en est la preuve, Black M en est la preuve, Lefa en est la preuve.
Justement, quand Booba a repris ton morceau « Ignanafi Debena » pour « Validée », tu as eu une réaction très positive, en disant notamment que c’était, là encore, la culture africaine qui avait gagné. Finalement, ce qui compte vraiment pour toi, c’est que ta musique, et plus globalement la musique africaine, touche le plus grand nombre ? L’aspect financier c’est quelque chose qui ne t’importe pas plus que ça ?
L’aspect financier ça compte beaucoup pour un artiste pour vivre aujourd’hui. Mais quand j’ai commencé ma musique à la maison, je ne pensais pas à ça. J’ai l’amour de cet art, je l’aime vraiment. Par rapport à l’histoire de Booba, il faut dire que « Validée » a fait danser toute la France. Si Booba ne m’avait pas repris, ma musique n’aurait pas eu autant de répercussions. La communauté sénégalaise, guinéenne, ivoirienne … me connaissait déjà mais ça a donné encore plus de force à mon travail. Il faut reconnaître aussi que Booba n’est pas n’importe qui. Il ne va pas écouter de la merde. Donc s’il a écouté Sidiki Diabaté et qu’il a repris Sidiki Diabaté, ça veut dire que Sidiki Diabaté ne fait pas de la merde.
Photos : @JesseLeBabtou