Souleymane Cissokho, poings d’honneur
Cinq. Cinq combats remportés avant la limite. Avec élégance, justesse et agilité. Cinq joutes professionnelles, depuis sa médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Rio. Nouvelle coqueluche de la boxe française, Souleymane Cissokho a commencé du bon poing son ascension vers le toit du monde. Ambitieux, le poids welter n’a pas pour autant perdu de son humilité. Portrait.
Photo : @alextrescool
Souleymane Cissokho est un enfant du 19ème. Ce quartier à la gueule populaire, reculé en bordure de Paris. « Le 19ème, c’est une partie de moi. Et ce qui est bien là-bas, c’est qu’il y a de tout. C’est un quartier que je kiffe à fond. » A Stalingrad, là où il a grandi, se dressent une Rotonde en colonnes et de grands arbres en rangées. Des immeubles brunis et des façades graffées. Des adresses bobos et des taxiphones. Les métros roulent en hauteur sur des ponts en acier. Et les bateaux de plaisance filent à la chaîne sur l’eau en été. Mais à Stalingrad, la bataille n’est pas finie. Beaucoup manquent de tout, vivotent de rien. Alors, naturellement, on s’identifie au mec du coin qui réussit. « Dans le 19, ils me disent tous la même chose : ‘Souleymane, tu ne sais pas la force que tu nous donnes.’ Ils galèrent et ma réussite, c’est comme si c’était la leur. » C’était pas écrit, pourtant.
Gamin, partout, autour de lui, ça dealait pour de l’argent facile. Lui, n’a jamais dévié. « Quand t’es jeune et que tu vois tout ça, tu peux être tenté. Mais je n’ai jamais manqué de rien. Mes parents ont toujours été là, je n’ai pas senti une seule fois que j’avais besoin de faire ça. Mon exemple prouve qu’en restant carré, sur le long terme ça peut payer. Tu n’es pas obligé de vendre de la drogue pour t’en sortir. » C’est d’abord pour les talents gâchés du 19ème, que Souleymane a créé son association, Secteur Sport Education. Sa mission : épauler les jeunes des quartiers défavorisés à travers le sport et l’éducation. L’organisation opère aussi à Dakar, au Sénégal, là où il est né. Dans le faubourg populaire de la Médina, on mise surtout sur l’école. Souleymane n’a pas attendu de briller aux Jeux Olympiques pour aider. Ça l’emporte, ça le remplit tout entier, c’est pas pour parader. « Lorsque je pense à tous ces enfants, ça me donne une pêche de fou sur le ring. Elle est là ma force, aussi. Les gens te disent merci lorsque tu leur donnes, mais en fait c’est moi qui leur dis merci. Parce que c’est vraiment en donnant que l’on reçoit le plus. » Le bonhomme y est attaché, au pays de la téranga. Il le visite une, deux, trois fois par an. Dans ses tuyaux, là-bas, une académie de sports de combat.
C’est à l’âge de quatre ans que Souleymane est arrivé en France. À Villiers-le-Bel d’abord, avant de glisser vers le nord-est parisien. Son père avait été affecté dans l’hexagone par son employeur, la Banque de l’habitat du Sénégal. Le garçon se trouve au beau milieu d’une fratrie de six, encadré par une sœur et quatre frangins. Depuis toujours, pourtant, il nourrit des façons de grand frère. Au détour de ses phrases, il serine « Je suis un mec posé ». Souleymane a ce truc un peu sage, responsable. Puis ce genre de gentillesse pas feinte qui déborde, qui enveloppe. Lorsque sa famille découvre qu’il boxe, elle s’étonne. « Sur le ring, je me transcende. Je suis quelqu’un d’autre. » Souleymane a enfilé les gants comme ça, sur le tard, à 14 ans. Incité par un pote de sa bande qui pratiquait. À l’entraînement, contrarié de voir ce type du même âge plus habile et puissant, il met les bouchées doubles pour rivaliser. « J’ai travaillé, travaillé… J’ai pas lâché le morceau. Et derrière, c’est allé super vite. »
En un an et demi, Souleymane devient champion de France cadet. Dans la foulée, les stages en équipe de France et les cours du lycée séchés. Son père, qui a fait des études, veille à ce que sa marmaille suive ses pas. Un jour, il presse son fils : « Il faudra choisir entre la boxe et les études. » Souleymane refuse de trancher, il veut pouvoir concilier les deux. Façon d’assurer ses arrières. « La boxe, c’est un sport à risque. Je connais plein de boxeurs pour lesquels tout s’est arrêté du jour au lendemain. Malheureusement, ils s’étaient plus investis dans leur carrière sportive que ‘professionnelle’ et se retrouvent aujourd’hui à la rue ou à faire des boulots qu’ils n’aiment pas forcément. Au moins, si ça s’arrête pour moi, j’aurai un bagage à côté qui me permettra de rebondir très vite. » Aujourd’hui, il termine son Master 2 en droit du sport à La Sorbonne, en programme adapté. Pensé comme un guide pour la professionnalisation, son mémoire sera adapté en livre de poche, à destination des jeunes pousses. C’est que le boxeur prend son rôle d’ambassadeur à coeur. Pas un hasard, si son héros d’adolescence se nomme Mohamed Ali. « C’était un champion sur le ring et une grande personne en-dehors. Pour moi, un champion, c’est ça aujourd’hui. »
Depuis sa médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Rio en poids welters, Souleymane s’est trouvé propulsé nouvelle icône de la boxe française, avec Tony Yoka. Capitaine d’une équipe de France exceptionnelle, rebaptisée « Team Solide ». Le nombre de licences boxe comme sa propre cote ont explosé. Dans de grandes salles bondées, on l’acclame d’une même voix, sonore et musclée. « Lorsque je rentre sur le ring, ça me rappelle les émotions que j’ai connues à Rio. Lors de presque tous mes combats, c’était un truc de fou, les gens criaient ‘CI-SSO-KHO !’. Ça m’a marqué. Aujourd’hui, lorsqu’on m’appelle et que la salle commence à scander mon nom, je ressens toujours ce petit truc que je ne peux pas décrire. C’est quelque chose de fort, qui me booste à mort. » De retour du Brésil, entre les propositions copieuses des promoteurs et des sponsors, il a fallu garder la tête froide. « Il y a quand même Floyd Mayweather qui avait assisté à l’un de mes combats et me voulait dans son écurie. Floyd Mayweather, le meilleur boxeur de sa génération. Un truc de fou. Mais j’ai pris du recul, je n’ai pas voulu me précipiter. J’ai pris le temps de considérer les différentes propositions avant de me décider. » C’est finalement Ringstar France, qui a remporté la mise. Souleymane aimait l’idée de cheminer aux côtés de ses acolytes de la Team Solide, Tony Yoka et Elie Konki. « Ensemble, on a beaucoup plus de force et d’impact. »
Passer professionnel, c’était le prolongement naturel. Sous l’aile de Virgil Hunter outre-Atlantique, Souleymane croit réapprendre son métier. Comme si sa carrière débutait seulement maintenant, à 26 ans. Tout est différent, plus rigoureux. L’approche de la boxe. La façon de donner et de se protéger des coups. L’hygiène de vie. « En boxe olympique, je me permettais des écarts. Là, il faut boire telle quantité d’eau par rapport à tel taux de sucre, dormir à telle heure…. Tu te dis, qu’en fait, le sport de haut niveau se joue sur la somme des détails. » Les entraînements s’enchaînent deux fois par jour, du lundi au samedi. Souleymane bouffe, dort, respire boxe, chaque minute. Confiné dans sa bulle, focalisé, couvé par une équipe entièrement vouée. « En France, on a de très bons entraîneurs mais ils ne peuvent pas être à 100% derrière toi. C’est le côté associatif. Ils sont obligés de travailler à côté. Aux Etats-Unis, ils vivent de ça, donc sont pleinement investis. » Les sparring partners, aussi, sont plus chevronnés. Ça challenge, ça malmène. « C’est là que tu sens que tu travailles, que t’apprends et que tu progresses. »
En France, « c’est très très dur de vivre de la boxe ». L’INSEP nourrit et loge ses poulains, mais l’aide personnalisée qu’elle leur octroie ne dépasse pas les 500€ par mois. Pour plus de confort, il faut pouvoir compter sur le soutien de sponsors et/ou d’institutions. Comme Souleymane, qui, avant les J.O., avait signé un contrat avec la ville de Bagnolet. En France, « c’est très très dur » d’afficher ses ambitions, aussi. « Quand tu dis ‘Je veux être champion du monde’, c’est ‘Ohlala mais il se la raconte’ Alors qu’aux Etats-Unis, les boxeurs sont sûrs d’eux et conditionnés pour être numéro 1. » Aujourd’hui, Souleymane l’assume et l’assure, il ne consent pas à tous ces sacrifices pour rien. Il grimpera sur le toit du monde.
Souleymane Cissokho est un enfant du 19ème. Les soirs de combat, c’est sur la musique d’un rappeur du quartier, Soulex la Raffal, qu’il avance jusqu’au ring dans sa tenue satinée. Un clin d’œil aux siens. « Je pourrais prendre n’importe quel autre chanteur, mais lui je le connais. C’est un mec du 19ème comme moi, on a grandi de la même façon. C’est un plaisir. » Et le public de s’époumoner en coeur sur le refrain : « CI-SSO-KHO ! »