Sous les jupons de Marvel
Etrange changement de sexe que celui auquel nous avons assisté ces derniers jours dans le monde des Comic books. Thor, le héros viril inspiré de la mythologie nordique devient une femme. De son côté, Captain America apparaîtra sous les traits de Sam Wilson, un afro-américain. Cette étonnante passation de pouvoir atteste de la stratégie de diversification de la maison d’édition Marvel, mais souligne aussi les faiblesses de son pendant cinématographique.
Qu’on se le dise, le temps où les écoliers s’achetaient une barre chocolatée et un Comics en sortant de classe est révolu. D’ailleurs le temps où le nouveau numéro de Superman atteignait le million d’exemplaires vendus est aussi révolu. Oui, c’est dur à avaler, mais les années 1950 sont loin dernière nous. Aujourd’hui, le business est clairement sur grand écran, et il surplombe Los Angeles d’un air narquois : à hauteur de 1,5 milliard au box office pour Avengers en 2012. Robert Downey Jr. en témoignera volontiers, sur les douze derniers mois il est l’acteur le mieux payé d’Hollywood. Chris Hemsworth, qui incarne Thor au cinéma depuis 2011, est cinquième du même classement Forbes, juste derrière Leonardo DiCaprio et juste devant Liam Neeson…
En effet les affaires tournent bien pour Marvel Studios depuis qu’ils adaptent l’univers des comics au cinéma. Pour bien comprendre : Marvel Comics et Marvel Studios sont deux filiales de Marvel Entertainment, détenues par Walt Disney Company. L’une est maison d’édition, et l’autre maison de production. Cette seconde détient une franchise média qui lui permet d’exploiter la propriété intellectuelle de la maison d’édition, et donc de l’adapter librement et indépendamment au cinéma. A l’inverse, après 70 ans d’existence, la maison d’édition cherche avidement de nouvelles solutions pour continuer à plaire, quitte à tuer ses héros, les ressusciter, les métamorphoser… On peut sans conteste affirmer que l’écriture des comics s’est spécialisée dans le spin off, tissant sans limite les thèmes de ses principaux héros, devenus de vrais symboles.
Thor est mort, Vive Thor !
Thor en femme, cela peut paraître inattendu, mais après tout le géant blond bodybuildé et maître de la foudre tient ses pouvoirs de son marteau Mjöllnir, il suffit donc d’en changer le propriétaire.
Thor est déjà apparu sous d’autres formes. En grenouille (Throg), il participe à une guerre épique qui oppose les rats et les batraciens de Central Park ; également incarné par Jane Foster dans un épisode de la série « What If », ses créateurs imaginent l’histoire si Mjöllnir avait été trouvé par une femme en premier. Thor en femme, c’est donc possible, c’est déjà arrivé, et elle s’appelait Thordis. Oui mais là, c’est différent, pinaille Jason Aaron, l’auteur :
« This is not the Thor we knew transformed into a woman. This is a new character ; someone else picking up the hammer […] She’s not She-Thor or Lady Thor. She’s not Thorika. She is Thor. This is the new Thor. » / « Ce n’est pas le Thor que nous connaissions qui s’est transformé en femme. C’est un nouveau personnage, quelqu’un d’autre qui ramasse le marteau. Elle n’est pas la femme Thor. Elle n’est pas Thorika. Elle est Thors. C’est la nouvelle Thor. »
Autrement dit, il y a des transformations bidons, et des sérieuses. Cette fois-ci, c’est du sérieux. Si les soubresauts narratifs des comics sont parfois peu crédibles, les fans s’en accommodent bien, tant le superhéros s’est construit en symbole : une institution à la fois permanente et versatile.
La raison invoquée par Marvel est d’ailleurs – comme souvent – purement mercantile. Il s’agit ici de séduire un public féminin plus large. Pourquoi pas ? Après tout, s’il existe des personnages féminins chez Marvel, aucun n’est au devant de l’affiche. On pourrait reprocher à Marvel de ne pas créer une nouvelle entité, et de lancer ainsi une véritable dynastie féminine ; ils répondront que changer un personnage comme Thor en femme est un symbole beaucoup plus fort ; on insistera sur le fait que l’aventure est vouée à être de courte durée, elle sera rapidement suivie d’un nouveau revirement ; ils diront que rien n’est moins sûr, et qu’au moins une première pierre aura été posée…
Le procès d’intention est trop facile ici. Mieux vaut féliciter l’initiative qui ouvre les comics à plus de diversité. Tous (excepté peut-être Chris Hemsworth) devraient s’en réjouir.
Captain Black America
Cherchant sans cesse de nouveaux récits, et profitant pleinement de leur liberté d’écriture, Marvel et DC Comics ont effectivement entrepris depuis plusieurs années d’introduire de la diversité dans leurs bataillons de superhéros. Fini les WASP, fini les caucasiens hétérosexuels musclés, c’était vraiment über has been. Après tout, la lutte des minorités pour l’acception de leur identité est une problématique au fondement même des comics. C’est ainsi que, le 6 novembre 2013, le nouveau personnage de Miss Marvel était Kamela Khan, une jeune Américaine d’origine pakistanaise et de confession musulmane. De même dans la série « Ultimate Spider-man », Peter Parker fut remplacé par un adolescent à moitié latino et afro-américain. Parallèlement, DC Comics donnait naissance à un nouveau sidekick pour Batman appelé Nightrunner (un musulman d’origine algérienne vivant à Clichy sous Bois) ; et faisait le coming out de Batwoman et de Green Lantern.
Il est louable pour de telles œuvres à grand public de s’efforcer de représenter la société. Et on ne peut s’empêcher de comparer ce nouveau Captain America noir à Barack Obama. La réactivité des comics face à l’air du temps est d’autant plus appréciable qu’elle est catastrophique dans ses adaptations au grand écran. Entre les Batman, Spiderman, Iron Man, X-men, Avengers… aucun des rôles principaux n’est tenu par une femme, un noir, un homosexuel…
Pour Abraham Riesman du New York Magazine, « Marvel’s printed superhero books are more ethnically diverse, feminist, and queer-positive than they’ve ever been” / “Les livres de superhéros prennent en compte la diversité ethnique, féministe, le mouvement homosexuel qu’ils ne l’ont jamais fait”. Mais ce mouvement progressiste est entaché par le conservatisme des productions cinématographiques. Ce décalage crée une grande frustration pour les fans. Pour le journaliste, les studios ne veulent pas se risquer financièrement à placer une minorité en tête d’affiche.
« Big-budget action movies and shows simply don’t get made without straight, male, (usually) white protagonists ». Code Hays, sors de mon Marvel !
Peut-être faut-il voir de l’opportunisme et de la complaisance dans la ligne éditoriale de Marvel Comics, mais pas sans reconnaître et montrer du doigt la frilosité maladive des Marvel Studios. La culture est un miroir. C’est à elle (et à plus forte raison à la culture de masse) de représenter la société et de désamorcer toutes formes d’exclusion.
Texte : David Attié de Noise