Niska, l’âge de réseaux

La première interview fut celle de la première rencontre, de l’éclosion, la révélation d’un jeune rappeur. À l’époque, son prénom et son âge sont encore des infos précieuses qu’il omet volontairement de dévoiler. La seconde fut celle du premier opus, du début des enjeux et de la confirmation. On sent alors en lui plus d’aises, une confiance boostée et l’envie de gagner peut-être définitivement sa place dans le gotha du rap national. Pour cette troisième rencontre, c’est un artiste artistiquement libéré qui semble se trouver en face de nous. Au cours des derniers mois, Niska a enchaîné les tubes en arrosant de manière régulière avec des morceaux comme « Commando », « Chasse à l’homme », ou « B.O.C ». Avant d’inonder notre été avec « Réseaux », peut-être son plus gros succès solo depuis « PSG Freestyle ». Le rappeur ne semble jamais plus efficace que quand son art se crée sans calculs (apparents). Paradoxalement, la folie créatrice du natif du 91 semble proportionnelle à la rigueur que l’homme applique dans sa vie de tous les jours. Comme s’il fallait compenser pour équilibrer sa vie et assurer une réussite qui lui ouvre à nouveau ses portes, la veille de la sortie de son second album. Un mélange de folie et de raison. C’est peut-être finalement ça, être un Charo.

On peut constater que dans ta jeune carrière, tes plus gros tubes ont souvent été frappé par le sceau de la viralité, élément très difficile à maitriser. Chacun dans leurs styles différents. On peut notamment citer « Maître Simonard », « Sapés comme jamais », et aujourd’hui « Réseaux ».

Déjà, moins c’est prévisible, plus c’est jouissif. Chaque fois que je sors un son sur YouTube, personne ne peut prévoir son succès. Surtout un morceau comme « Maître Simonard », c’est pas possible de l’anticiper. Pour « Sapés comme jamais » c’était plus prévisible. Dans ma position, ce qui était moins attendu, c’est le fait d’avoir été appelé pour ce featuring. « Maître Simonard » est un morceau assez street, pas de sonorité pour vendre, ce n’est pas commercial. Dans ce genre de morceau, je suis dans mon univers et je ne cherche pas forcément à évangéliser ma musique. « Réseaux » aussi, ça reste du 100% Niska, ce sont les mêmes dynamiques. Mais je n’anticipe jamais les tubes potentiels.

On a l’impression qu’après la sortie de Charo Life et de Zifukoro, il y a systématiquement une certaine période d’incompréhension due aux diverses critiques, sur la direction artistique, la pochette, les ventes… Du coup, d’un oeil extérieur, tu peux sembler être en perpétuelle phase de reconquête, sortie après sortie.

Au début je le vivais mal. Je me disais que c’était injuste, j’essaie de faire mon truc ; ok il y a des morceaux qui marchent et d’autres un peu moins bien. Je me suis demandé pourquoi on m’en demande toujours un peu plus. Mais au final et avec le temps, j’aime bien cette situation car si les gens me demandent ça, c’est qu’ils en attendent plus de moi. Ils décèlent quelque chose que je devrais exploiter mais que je ne fais pas encore. C’est ce qui me fait repartir en studio en mode revanchard, ça me pousse à travailler mon flow, à écrire et à leur apporter ce truc qu’ils veulent. Tout en restant moi-même. Et c’est peut-être sur cet album qu’ils trouveront ce qu’ils veulent. Ou peut-être pas et dans ce cas on visera ça pour le prochain projet. Mieux vaut avoir cet état d’esprit que de se dire basta et passer à autre chose. Le public boude mais attend toujours ce que tu fais et quand tu ressors un autre truc ils sont encore là, ils sont contents. Donc au final, je l’aime bien cette situation… j’ai appris à la comprendre et à l’apprécier.

« Le mec qui s’est intéressé à Niska grâce à « Matuidi Charo » et qui n’a plus écouté ensuite, se dira qu’il y a une évolution en écoutant « Réseaux ». Je pense que ma fanbase aime que je prenne ce genre de risques. »

Niska

Sur le moment, quand cela arrive, quel sentiment éprouves-tu exactement ?

Sur le moment… Sur un Charo Life, je viens d’arriver et je ne connais rien, donc ça me ronge. Mais sur Zifukoro ce qui m’a apaisé c’est que le disque d’or est arrivé assez rapidement. Malgré cela, je me dis intérieurement qu’on peut faire mieux, musicalement. Sur Charo Life, ça m’avait plus touché. Mais avec le temps on arrive à comprendre et je me dis que les gens ne sont pas là pour me critiquer ou me vouloir du mal, ils veulent juste de la bonne musique. Il n’y a pas d’autre coupable que moi si le public n’est pas aussi réceptif. Les mecs critiquent ce que je leur donne. Par exemple, pour la cover de Charo Life, c’est moi qui l’ai pensé comme ça, c’était instinctif, je l’ai faite dans ma cité. L’accueil de la pochette a été mitigé et ça nous a poussé à faire mieux par la suite.

On a l’impression que tu es plus relâché créativement parlant, moins sous pression.

C’est peut-être un truc que j’avais remarqué sur le précédent album. Zifukoro était mieux réalisé mais avait moins ce côté décontract’. Un peu comme si je voulais montrer que je savais rapper. Après les critiques j’ai réécouté l’album et je me suis dit qu’il fallait peut-être que je me relâche un peu, que je me fasse juste kiffer musicalement. Du coup cet album est un peu plus décontracté. Je suis plus naturel mais cela va de pair avec mon état d’esprit. Le Niska de ce nouveau projet est le Niska que je suis tous les jours. J’ai beaucoup d’autodérision et j’essaie de retranscrire cet état d’esprit dans les différents morceaux de Commando. En général mes morceaux les plus aimés sont ceux où je suis le plus décontracté, tout simplement. Après je tente aussi d’écrire des choses où je me prends un peu plus la tête. Mais au final les gens veulent un Niska simple, qui puisse les faire danser et rire mais qui sait aussi être street comme dans « Chasse à l’homme« .

Par rapport à Zifukoro où tu t’es dispersé en allant un peu toucher d’autres univers musicaux, aujourd’hui tu veux aller plus loin, mais dans ton style de prédilection.

C’est exactement ça ! Tu ne peux pas maîtriser quelque chose que tu ne connais pas. Sur Zifukoro j’essayais de m’ouvrir sur des styles que je ne maîtrisais pas. Ce n’était pas réellement du Niska. Là sur Commando je veux m’épanouir sur du Niska, avec mes propres mélodies, mes propres instrus; tous ces éléments que j’utilise d’habitude pour les rendre populaire. Cette notion est importante et se différencie du concept qu’est la musique populaire ! C’est là que réside la différence.. Avec mes propres ingrédients, rendre la musique populaire et pas l’inverse.

Tu disais il y a peu, vouloir travailler avec des artistes différents en citant David Guetta, notamment. Ce n’est pas un peu paradoxal ?

Mais pourquoi ne serait-ce pas eux qui s’ouvriraient à moi ?!  David Guetta et moi pourrions trouver un terrain d’entente, non ? Au final il fait de la musique « ambiançante », moi de même. Vu sous cet angle, trouver un terrain d’entente semble plus facile. Je n’ai pas spécialement besoin de faire du ‪David Guetta pour que ça marche. On peut ramener nos univers respectifs sur un seul et même titre.

« Zifukoro était mieux réalisé mais avait moins ce côté décontract’. Un peu comme si je voulais montrer que je savais rapper. Après les critiques, j’ai réécouté l’album et je me suis dit qu’il fallait peut-être que je me relâche un peu, que je me fasse juste kiffer musicalement. »

Niska

Le succès et les tournées t’éloignent du quartier, qui est une source d’inspiration principale dans ton rap et dans les thèmes que tu aimes aborder. Comment parviens-tu à trouver le bon équilibre et la parade pour rester connecté ?

Déjà, je suis assez jeune. Donc même si je voulais quitter la cité et découvrir un autre mode de vie ça serait compliqué car il y a toujours ce truc qui me rapproche du quartier. Je suis jeune et je n’ai probablement pas vécu tout ce que le quartier avait à m’offrir. J’ai toujours mes potes qui sont là-bas donc c’est facile de s’y retrouver. Et puis mon lifestyle n’a pas vraiment changé. Dans mes textes il y a certains trucs qui viennent encore de la cité, c’est certain. Après il y a d’autres choses que j’apprends ailleurs, comme le morceau « Snapchat » qui m’est venu en showcase. Mais la majorité des délires continue de provenir de mes potes ou de la cité et c’est ce que je retranscris dans mes morceaux. Je le vis bien. Je pense agir et me comporter comme il faut. Ça veut dire que je ne suis pas non plus H24 à la cité. J’y suis de temps en temps et je m’y ressource quelques fois, avec la famille notamment. J’essaie de me ressourcer dans chacun de ces espaces. C’est vrai que j’ai moins les éléments de la rue maintenant, mais le truc est en moi man [rires, ndlr] ! Ça veut dire que même si je n’y suis pas, je sais ce qui s’y passe.

Avec ton statut grandissant, tu dois aujourd’hui prêter une attention plus accrue sur les collaborations ou partenariats en tous genres. C’est quelque chose auquel tu penses un peu plus ?

Bien sûr, car la moindre erreur peut te nuire. Tu peux vite passer de l’autre côté en une erreur de carrière. Il faut faire attention. Pour que ça puisse glisser il faut faire le plus de choix possibles avec le feeling. Le plus important est de passer un bon moment, que ce soit en featuring ou en interview. Quand tu vises un morceau commercial, en général cela ne marche pas.

Comment tu arrives à te motiver perpétuellement et repartir avec toujours plus d’énergie, et ce à chaque fois ? Qui sont tes inspirations au niveau de cet état d’esprit ?

Je m’étudie à la lettre ! Chaque projet que je ferais jusqu’à la fin de ma vie comportera des erreurs et il manquera toujours un truc. J’écoute ce que je fais à la mort, j’analyse les erreurs et j’essaie de les corriger. Je pense que c’est ça la véritable recette. Moi j’aime bien les winners, des mecs comme Mayweather, ou encore Booba, pour tout ce qu’il a fait dans le rap français. Migos aussi, pour la façon dont ils sont revenus. Je m’inspire aussi des sportifs comme Ronaldo, R9, qui gravement blessé au cours d’une saison revient en coupe du monde 2002. Paf ! Paf ! Paf ! Zidane qui revient en équipe de France après sa retraite… C’est lourd ! Ce sont des mecs comme ça qui m’inspirent. Ce sont des gars qui ont connu des coups de mou mais qui sont revenus beaucoup plus fort.

Tu as trois collaborations sur Commando, dont deux avec des pointures du rap hexagonal : Skaodi, Booba et MHD. Quel message se dissimule derrière ces choix ?

Le message, c’est qu’on bosse en famille. Skaodi c’est le pote avec qui j’ai commencé la musique donc c’est normal que je bosse avec lui. Booba on a pu se rencontrer et discuter plusieurs fois, il y a une certaine affinité qui s’est créé. Pareil pour MHD même si on ne se connait pas depuis longtemps. Parfois la durée ou le temps importe lors de l’initiation d’une relation. Une rencontre peut suffire et c’est ce qui s’est passé. Le feeling est passé et on a fait le morceau, aujourd’hui on est deux personnes qui s’entendent très bien. Le morceau avec MHD je l’avais fait assez tôt, c’est un des premiers morceaux que j’ai fait pour l’album. À la base je voulais faire un album sans collaborations. Mais la vérité c’est que le morceau était bon alors je l’ai mis dans Commando. Avec Booba on s’est retrouvé en studio à Miami et on a fait le morceau au feeling. Trois collaborations suffisaient parce que je voulais vraiment faire un album centré sur mes capacités et mon travail. Sur Zifukoro, j’avais beaucoup de feats. Là je voulais vraiment mettre mon identité en avant.

Qu’en est-il de ta relation personnelle avec Booba. Depuis “MLC”, il semble y avoir eu un vrai rapprochement musical et relationnel entre vous.

Booba est un acharné comme moi. Au final quand je regarde sa manière de bosser ou quand je discute avec le mec, je me rends compte qu’on a beaucoup de choses en commun : nous sommes des acharnés et on aime ce que l’on fait. C’est là où on se rejoint, on donne du temps et de l’amour à notre travail. Tu sais ce qui m’a le plus choqué chez lui ? C’est sa simplicité. Avant, quand on te parlait de Booba, on pouvait entendre certaines remarques qui n’étaient pas forcément flatteuses. Même avec de l’appréhension tu ne sais pas comment l’artiste peut réagir face à toi. Ça reste quand même un mec qui a fait 20 ans dans le rap et que les gens respectent de ouf. Tu peux te dire que le mec est froid ou hautain, mais non. Il est grave simple en fait. Oui vraiment, c’est ce qui m’a le plus choqué.

Vous participez tous les deux à ce nouvel élan qui se veut moins porté sur l’égo exacerbé qui caractérise le rap français, un peu comme le montre ton rapprochement avec MHD alors que pas mal de personnes ont essayé de vous opposer, a priori.

Au final c’est de la musique. Pourquoi être dans un état d’esprit négatif et se dire « je l’aime pas lui » ? On ne se connaît même pas ! MHD je lui avais envoyé un message et d’ailleurs je ne sais plus la raison pour laquelle je suis rentré en contact avec lui. Mais au final quand je l’ai rencontré le feeling est bien passé. Tu peux te faire des idées, croire des choses mais on reste des mecs du même âge. Moi, j’ai pas d’égo tant que le feeling passe. Après si je ne connais pas la personne je vais être un peu plus réticent parce que je ne sais pas comment le mec va gérer sa carrière, comment il est, ou si je vais passer un bon moment avec lui pendant le featuring. Si je vois que le mec est comme moi et qu’on a la même mentalité alors pas besoin d’avoir d’égo, c’est direct. Mais si le mec est un peu relou, un peu hautain, on ferme les portes. Quand t’aimes bien quelque chose tu veux le montrer à tout le monde. Un jeune artiste que je ne connais pas mais dont je kiffe le son, je le montre aux autres. C’est pareil avec les featurings. Pour MHD j’ai envie de montrer aux gens qui m’écoutent qu’il est de la famille, qu’il est lourd. Quand j’aime bien, j’aime partager.

Tu n’as pas peur qu’avec ton statut mainstream grandissant, il y ait un risque que tu deviennes un homme-sandwich du rap français comme ont pu le devenir d’autres avant ?

Mon objectif n’est pas de devenir un homme-sandwich, loin de là. Si on me dit qu’aujourd’hui je suis devenu mainstream, je veux bien. Mais la question c’est comment je suis devenu mainstream ? Avec quel type de morceau ? Aujourd’hui quand t’écoutes « Réseaux » et que tu aimes Niska, tu ne te dis pas qu’il est devenu mainstream, qu’il va nous lâcher ou qu’il nous a fait une « Zumba » comme ils disent sur Internet. Ça reste du Niska. Si je deviens mainstream avec ce type de morceaux-là, alors pas de soucis. Je sais que je ne perdrais pas ma base de fans car elle s’y retrouve. Un mec du « bando » écoute aussi bien « Réseaux » qu’un mec qui n’a rien à voir avec la rue. Et je ne vais pas aller sur n’importe quel plateau TV faire n’importe quoi. Ce n’est pas ma vision des choses. Je sais d’où je viens et je vais resté concentré là dessus. Je ne suis pas dans un truc où il faut qu’on me voit partout et que ma musique doit être partout. Le plus important, c’est que ma musique reste authentique.

Tu sens un réel changement dans tes rapports aux gens depuis ton succès ?

Avec certaines personnes, oui. Mais ce sont des personnes qui me connaissent de loin, qui doivent avoir des aprioris et se dire que j’ai changé. Certains vont se mettre plus en retrait. D’autres vont plus me coller pour avoir l’impression d’être dans le bateau, mais ce sont des personnes qui ne sont pas réellement dans mon entourage. Il n’y a pas réellement de changements dans mon entourage proche. Ils sont les mêmes avec moi et j’essaye d’être le même avec eux. C’est très important pour moi d’avoir le même confort de vie et le même confort psychologique. Changer d’équipe c’est synonyme de nouveauté, de nouveau départ. Donc j’évite. En dehors de ça, il y a plus de respect envers moi, mais cela va de soi. Nous sommes là depuis trois ans maintenant, les gens ont beaucoup entendu ma musique et à force de nous voir et de nous entendre, le respect s’est installé.

« Après la première mixtape Charo Life j’ai eu l’impression qu’on s’acharnait sur moi, que tout le monde m’en voulait et était contre moi, mais en fait non. C’est plus tard que j’ai compris. Il y avait peut-être des choix que j’avais mal fait et l’avenir m’a donné raison. »

Niska

As-tu connu des moments de doutes au cours de ces dernières années ?

Pour être honnête avec toi… peut-être après la première mixtape Charo Life. J’étais tout neuf et j’ai eu l’impression qu’on s’acharnait sur moi. On aurait dit que tout le monde m’en voulait et était contre moi, mais en fait non. C’est plus tard que j’ai compris. Il y a peut-être eu des choix mal négociés, mais finalement l’avenir m’a donné raison. À ce moment-là il faut des gens solides autour de toi, c’est vraiment important. Il faut que les gars autour de toi soient solides, te montrent qu’ils ont confiance en toi. Si les mecs autour de toi s’apitoient avec toi, c’est sûr que ça va couler. Vous irez dans tous les sens. Mais s’ils ont confiance en toi, tu reprendras confiance aussi. Très vite on va te faire comprendre que tu n’es pas le plus nul. Et je pense que ma force s’est manifesté à ce moment là, peu de temps après le premier projet. Ils ont cru en moi et m’ont fait croire en moi.

On parle beaucoup d’hypocrisie dans le rap, mais on a l’impression que tu as trouvé la parade avec ton entourage.

Notre posture nous permet d’éviter les parasites. « Que la famille » comme le dit très bien PNL. Ça évite les histoires de mecs infiltrés qui viennent et qui partent pour ensuite mal parler. Plus t’es discret et plus t’es dans ton coin moins il y aura de choses à régler et moins d’hypocrisie. Après dans ton entourage, il faut savoir s’entourer de personnes qui savent rester à leur place. Cela veut dire que demain le mec de la sécu ne peut pas devenir rappeur. Chacun doit rester à sa place et être le meilleur dans son domaine. Si t’es dans la sécu il faut que tu sois la meilleure sécu des rappeurs ; si demain t’es mon backeur il faut que tu deviennes le meilleur backeur ; si t’es manager tu dois aspirer à être le meilleur manager.

Est ce que ton entourage intervient dans tes choix artistiques, notamment avec un droit de regard voire un droit de véto ?

Avec moi ?! [rires] Mais mes potes sont des gros bâtards ! Ils sont méchants. Des fois ils vont me faire écouter des morceaux d’autres rappeurs qu’ils vont trouver bons et juger certains des miens nuls. Je leur dis : « Vous êtes des bâtards quand même, le son est plus nul que le mien et vous me dites ça ? » C’est ce qui est bien entre nous, on se dit vraiment la vérité. Dis-toi bien qu’à chaque projet que je sors je fais au minimum 40 ou 50 sons. Tout peut partir à la poubelle, car il faut mettre tout le monde d’accord et c’est dur. Parfois t’es pas d’accord, tu n’aimes pas le sonorité mais il y a quand même quelque chose, alors je fais tester à tout mon entourage. Ils sont grave stricts, je sais qu’ils ne vont pas me mentir.

A priori tu étais sceptique à propos du morceau « Réseaux ». Qu’est ce qui a fait pencher la balance ?

C’est le daron ! Quand j’ai fait écouter le morceau à mon père, il m’a dit qu’il le trouvait lourd, je me suis dit que ce n’était pas possible. Il ne peut pas me dire ça, pas lui ! [rires] Comment mon père peut-il me dire que le morceau est lourd ? Papus [son manager] me dit que le morceau est lourd, tu vas en maison de disques les gens se mangent le morceau tu te dis « Ah ! Il est peut-être plus lourd que ce que je pensais. » Et là tu te dis : « Je vais faire le test final je vais faire écouter au daron. » À la fin du morceau il te balance un « remets-le-moi » et il te dit que c’est le meilleur son que t’as fait de ta vie !

L’élément déclencheur, c’est lui. Quand il a validé, je me suis dit que coûte que coûte, il faut que je le sorte. 60 ans et il me dit que le morceau est lourd ! Et mon père, ce n’est pas l’école du rap du tout ! Aujourd’hui il en écoute un peu plus parce qu’il voit mes clips et il essaye de comprendre un peu. Il a capté que ce n’était pas de la musique tribale, qu’il y a un message et que c’était de la musique à part entière. Donc aujourd’hui quand il valide un morceau je peux lui faire confiance. Mon père était dans la musique avant, il en a fait pendant longtemps étant plus jeune donc je ne parle pas au premier venu et je sais qu’il me dit pas ça pour me faire plaisir. Même s’il y a des morceaux comme « Chasse à l’homme » qui ne sont vraiment pas pour lui et qui ne lui parle pas. Mais quand il écoute un truc mélodieux et qu’il accroche, tu peux faire confiance à son oreille.

Quelle relation entretiens-tu avec tes parents ? À quel niveau sont-ils investis dans ta carrière ?

Ce sont mes supporters numéro un ! Ils sont plus connectés que moi ! Ils sont dans l’ombre mais jouent un grand rôle au niveau de mon comportement et de la façon dont je garde la tête froide… sur tout en fait ! Même dans cette période de doute artistique où j’ai moins cru en moi, tu peux être sûr qu’ils vont être là pour me dire d’aller au charbon. Après comme tous parents, ils aiment bien voir les trucs en très grand, assez vite. Mais je pense qu’il faut savoir bien discuter avec eux et leur dire les bonnes choses. C’est-à-dire que « businessment » parlant, je suis arrivé là où je suis avec mes associés de travail, je n’y suis pas arrivé avec mes parents donc il faut que tout le monde connaisse ses prérogatives et s’y tienne. Tu veux que je réussisse ? Pas de soucis, ne t’inquiète pas. Aujourd’hui j’en suis arrivé là et dans un sens vous n’étiez pas là, vous n’avez pas pris part au truc. Il faut juste qu’ils aient confiance et me laissent faire.

Est ce que la paternité a changé quelque chose dans ton comportement et ta façon de voir les choses ?

Ça ne changera pas ma façon de rapper parce que demain mes enfants sont libres d’écouter ce qu’ils veulent. Si ça se trouve ils n’écouteront pas ma musique et même s’ils n’écoutent pas du Niska mais plutôt un autre rappeur, ce sera le même message. Il faut juste qu’ils comprennent que c’est comme un film. Nous sommes acteurs de quelque chose et si demain j’ai le comportement qu’il faut avec eux, ils sauront parfaitement dissocier ces deux univers. Par contre, si je fume un gros bédo devant mon fils, parler de certaines choses, vendre de la drogue, tenir des armes, là c’est autre chose. C’est sûr que le gosse je vais le gâter… Je préfère avoir une relation père-fils normale et quand tu me vois à la télé, tu sais que c’est juste du travail. Aujourd’hui que mon fils kiffe « Réseaux » ça ne m’embête pas. Si ce n’est pas par moi qu’il écoute, ce sera par un autre moyen.

« À la fin tu regardes tes médailles et tu te dis que t’as eu tout ça, c’est lourd. Ce sera un plaisir demain de pouvoir les mettre chez moi ; que les enfants les voient et qu’ils se disent que leur père a fait tout ça. C’est la culture de la gagne frère ! »

Niska

Tu penses déjà à pérenniser ton avenir et fructifier ton succès dans le rap en t’investissant ou investissant dans d’autres domaines ?

Bien sûr, c’est dans un coin de ma tête parce que la musique c’est éphémère. Je suis peut-être aujourd’hui dans les meilleures années que je vais vivre. Ou pas d’ailleurs. Tout cet argent que je gagne, c’est bien mais par contre il faut que ça dure. Donc il faut investir, diversifier ses portes-feuilles, etc. Mais il faut bien le faire, sans se précipiter, ne pas acheter juste pour acheter. Cela doit être fait correctement pour aller le plus loin possible dans le domaine que tu investis. Si demain je suis dans l’immobilier, il faut que je sois dans l’immobilier pour de vrai. Cette idée de prendre un appart cash parce que tout le monde t’a dit qu’il fallait investir dans la pierre, ce n’est pas la vision de l’évolution que je me souhaite. J’ai envie d’avoir les fonds nécessaires pour investir dans 20 appartements, j’ai envie de voir les choses en grand mais pour ce faire, les choses doivent se faire avec patience et méthodologie.

A l’époque de tes premiers succès, tu passais un diplôme d’éducateur spécialisé. Tu repense parfois à cette époque et aux choix que tu as dû faire à ce moment-là ?

Ouais bien sûr je m’imagine cette période là. Si je n’avais pas réussi dans la musique je serai en mode éducateur aujourd’hui ! [rires]. Tu repenses aux gens avec qui t’étais en cours, avec qui tu as travaillés, aux petits avec qui j’étais au foyer de jeunes. Ils doivent péter les plombs en me voyant aujourd’hui à crier « Bendo na Bendo » alors que j’étais tout calme avant ! Contradictoire le mec ! Je me dis que je reviens de loin et qu’on a vraiment essayé de s’en sortir par tous les moyens. Ce qui m’a vraiment dérangé c’est que j’arrivais à la fin de ma formation, j’avais tout validé au cours de ces deux ans. Il me restait une année mais j’étais à un stade où je ne pouvais plus aller à l’école, j’ai forcé un peu au début, j’ai essayé d’y aller encore un peu mais quand la musique est arrivée… Après « Matuidi Charo », c’était mort, je ne pouvais plus y retourner. Et puis, je crois beaucoup en Dieu, je me suis dit que cette opportunité s’est présentée à moi, c’est que cela faisait parti de mon destin, donc j’ai foncé.

À la fin de ta carrière, que restera t-il ? Quelles seront les choses les plus importantes pour toi : les tubes, faire des albums qui deviendront des classiques, ton statut dans le rap, l’argent et le confort que cela t’aura apporté, les disques d’or… ?

Je pense que ce seront les médailles, les certifications ! À la fin tu regardes tes médailles et tu te dis que t’as eu tout ça, c’est lourd. Ce sera un plaisir demain de pouvoir les mettre chez moi ; que les enfants les voient et qu’ils se disent que leur père a accompli tout ça. C’est la culture de la gagne frère ! Tout le monde peut donner un avis différent sur Niska, il y en a qui aiment énormément et d’autres qui détestent. Je ne mise pas sur le fait d’être le meilleur et sur ce qui reste dans la tête des gens. Dans quinze ans j’aurai mes médailles, et je ferai mon propre jugement. Dans quinze ans, on fera les comptes.

« Je suis peut-être aujourd’hui dans les meilleures années de ma carrière. Ou peut-être pas. C’est bien tout cet argent que je touche mais il faut que ça dure, donc il faut investir. Mais il faut bien le faire, sans se précipiter. Pas acheter juste pour acheter. »

Niska

C’est devenu la norme, cette démonstration de la réussite. Beaucoup plus qu’auparavant dans le rap.

Quand tu travailles un an ou plus sur un projet et qu’à la fin tu réussis à avoir une certification, c’est normal que t’aies envie de la montrer à tout le monde. Quand t’as quelque chose comme ça t’aime bien que tout le monde soit au courant. Avant c’était peut-être des sujets qui intéressaient moins, je sais pas vraiment pourquoi ils ne le faisaient pas. Mais aujourd’hui, c’est devenu normal. Pour prendre l’exemple PNL, ce sont des mecs qui sont à côté de chez nous, ils habitent aux Tarterêts. Toi, dans la ville d’à côté tu te dis : « Ah ouais bien ! Des mecs de là-bas ont réussi ! » Et quand tu viens d’Evry et que tu réussis, toi aussi tu veux le montrer. C’est une manière agréable d’afficher son succès.

Avant la sortie de Charo Life en 2015, tu te demandais pourquoi toi, tu as trouvé la réponse aujourd’hui ?

Je n’ai toujours pas la réponse. Je ne sais toujours pas pourquoi ça a pris pour moi. Après, aujourd’hui je me pose moins la question car je sais que je mets énormément d’énergie dans mon travail. À l’époque des premiers projets j’étais probablement plus surpris parce que c’était les débuts mais maintenant je suis tellement à fond et j’essaie d’être totalement carré. J’appréhende la réussite plus tranquillement, du style : « Ok on a vu ça ? On va essayer d’aller chercher autre chose ». Tout simplement.

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