De toute l’heure passée à échanger avec Mister V, son flot continu de parole ne s’interrompt que pour laisser place à un running gag moquant ses métaphores hésitantes et très alambiquées. Devant l’objectif, son visage se tord en toutes sortes de mimiques qu’aucun autre n’oserait, de peur d’avoir l’air ridicule. Intenable. On n’a pas de mal à le croire quand il nous dit qu’il n’aurait pu se faire à la discipline de la vie de bureau. Ce qu’il lui reste de sérieux, il s’en sert pour mener de main de maître une carrière qui se diversifie un peu plus chaque jour. Lui qui rêvait NBA se retrouve aujourd’hui à suivre les finales au plus près des parquets. Prendre le micro était une passion inavouée ? La voici matérialisée en un disque vendu à presque 100 000 exemplaires. Et désormais, c’est cette Amérique qu’il a tant fantasmée qui s’offre à lui. Mais que fait donc Yvick de sa vie ? Il coche une à une les cases vides de ses rêves.
Il y a neuf ans, tu publiais tes premières vidéos sur Dailymotion. Aujourd’hui, ton activité est si diverse qu’on ne sait même pas quel dénominatif utiliser pour te désigner. Qu’est-ce que tu réponds à celui qui te demande ce que tu fais de ta vie ?
Bah comme je l’explique souvent, il n’y a pas vraiment de mot en fait. On appelle ça « entertainer » généralement. Parce que sinon, youtubeur… [Il réfléchit] Déjà je ne suis plus « seulement » youtubeur. Puis maintenant, ça ne veut plus dire grand chose dans la mesure où les youtubeurs font de tout. Est-ce qu’on va me mettre dans la même case qu’un youtubeur beauté ou lifestyle ? Le youtubeur, c’est juste une personne qui poste des vidéos sur YouTube. Donc oui, j’en suis un, mais vu que ça regroupe tellement de choses, je ne peux pas être « que » ça. Non pas que ce soit réducteur, mais je pense m’être ouvert à d’autres axes artistiques, que ce soit la musique, le cinéma ou la scène avec le Woop. Plein de choses qui sont allées plus loin que juste être dans ma chambre et parler à ma caméra, même si j’aime toujours faire ça. Aux States, comment on appellerait un Jamie Foxx ? Chanteur ? Acteur ? Standupper ? On s’adapte. Pareil pour Timberlake. Quand il sort un film, on dit que c’est un acteur et quand il sort un album, on dit que c’est un artiste. J’aspire à la même chose, à la différence près que je pense que j’ai des étapes à passer avant de pouvoir me considérer comme un rappeur. Je suis encore stagiaire là-dedans.
Personnellement, je pense que tu es de ceux qui ont réussi à faire de l’amusement une profession. N’y a t-il pas quelque chose de profondément réjouissant là-dedans ?
À l’arrivée, je me dis que je n’aurais jamais pu faire autre chose. C’est tellement ce que je voulais faire depuis gamin… J’ai des journées qui ne se ressemblent pas. Je vais me lever le matin, avoir une réunion d’écriture avec mes auteurs ou le Woop ; quand je vais rentrer le soir, je vais aller dans mon studio pour enregistrer un son, me marrer avec des potes, faire une story sur Insta… En fait ouais, mon taf c’est de faire ce que j’aime. Quand j’étais en cours, mon passe-temps c’était de faire du montage, d’écrire des blagues, des choses comme ça. Aujourd’hui, j’ai transformé mes hobbys d’après-cours en job. Et ça, c’est le meilleur cadeau que j’ai pu me faire à moi-même, la meilleure opportunité que j’ai pu saisir. Après, il y a quand même des bas, des choses que je n’avais pas prévues. Me retrouver en soirée à devoir faire des photos alors que je suis avec des potes un peu éméché, disons que… [rires] Je n’avais pas parié dessus quoi. Mais je vis avec ça, sans souci. Puis ça m’a aussi permis de faire des voyages, de rencontrer plein de gens venant de tous les corps de métier. Cet été, j’ai tourné un film avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, donc du cinéma d’auteur à 100%, et le lendemain je faisais Rentre dans le Cercle avec Fianso… [rires] Donc tu vois, je passe vraiment du coq à l’âne. T’imagines un peu ? Je peux me permettre d’avoir de nouveaux métiers…
Justement : à tous les enfants du web, on sent qu’Internet a donné une force telle qu’elle vous pousse à explorer tout le champ des possibles.
Avec Internet, tu es ton propre producteur. Vu que ta chaîne, c’est ton média, t’en fais ce que tu veux. Le jour où TF1 décidera de passer des courses équestres à la place du 20h, on regardera des courses équestres. Et c’est pareil pour moi : j’ai envie de vous montrer que je fais de la musique, alors voici ma musique. Vous aimez ou vous n’aimez pas, mais au moins vous savez qu’elle est là. Dans mon cas, je pense avoir eu la bonne idée de faire une chaîne dédiée, où j’ai pu développer mes concepts musicaux sans pour autant lier ça à mes vidéos d’humour. J’ai laissé la liberté aux gens d’aller les consulter ou non. Je suis content parce que j’ai été un des premiers à tester un truc différent, et quand je vois le succès que ça a eu, je me dis que tout est possible en fait. Tout ce qui compte, c’est d’être sincère dans ta démarche. Si les gens sentent que c’est forcé, qu’on te pousse à faire ce que tu fais, ils ne kifferont pas le délire. Je pense d’ailleurs que c’est pour ça que la télé est un peu en déclin. En télé, il y a des normes, t’es brandé, tu dois faire tel contenu à telle heure pour telle personne qui a besoin de telle chose. Sur YouTube, on s’en fout. Si on veut poster une vidéo à 2 heures du mat’, on le fait.