Straight Outta Compton – Movie Without Attitude ?
Sorti le mois d’août dernier aux Etats-Unis, comme un film événement, Straight Outta Compton a rapidement conquis le public américain pour devenir un succès au box-office dès sa première semaine d’exploitation. Bien évidemment, ce long métrage retraçant l’histoire courte mais intense du collectif inventeur du gangsta rap ne pouvait se faire sans un tas de controverses. SOC la chronique qui raconte l’histoire et le dénouement de ceux qui se sont autoproclamés « groupe hip-hop le plus influent de l’histoire de la musique américaine ».
Il aura fallu un film, ce film, pour déterrer un tas d’affaires. Pourtant tout part d’une bonne intention, celle du studio New Line, succursale du géant des médias Time Warner. Habitué des réussites commerciales, la New Line compte à son actif des grands succès du cinéma de ses dernières années tels que la trilogie des Seigneurs des Anneaux, celle du Hobbit, la série Austin Powers ou encore l’intégralité des Rush Hour. C’est en 2009 que le projet d’un biopic de NWA est évoqué pour la première fois par le studio. Un temps prêté à John Singleton (Boyz n the Hood), le sort du biopic est finalement confié à Gary Gray, vidéaste turned cinéaste habitué des fables urbaines. Parmi ses faits d’armes, Friday, film qui a confirmé Ice Cube au rang d’acteur, ou encore Set It Off (1996), le récit de quatre amies de Los Angeles qui s’allient pour braquer une banque, où… Dr.Dre tient un rôle.
Une affaire de famille donc puisqu’on retrouve les deux membres originaux du groupe dans le rôle générique de producteurs exécutifs, autrement dit dans un rôle logique de supervision et de chapeautage de ce qui est leur œuvre, leur mission. Un enjeu important aux yeux d’Ice Cube qui explique : « On essaye simplement de raconter l’histoire du groupe le plus dangereux du monde. On tente de donner tous les aspects de nos vies que les gens ne connaissent pas et n’ont jamais été partagés. On ira dans une direction qui je pense sera plus profonde que n’importe quelle article ou documentaire sur le groupe. »
Gangsta Gangsta
Paradoxalement, la transparence promise, qui semble être le mantra de l’auteur de « No Vaseline », est justement là ou le bât blesse quelques détracteurs. Et le succès du film n’a fait qu’amplifier ces critiques sur le film, dont les plus cinglantes viendront, logiquement, des principaux concernés par NWA. La première réaction cinglante est l’œuvre de MC Ren qui regretta la minimisation de son impact au sein du groupe à la vue du trailer diffusé dévoilé l’an dernier. Le rappeur réagit de façon virulente par l’intermédiaire de Twitter. Extrait. « Mec, qu’ils aillent se faire foutre a Universal Pictures à me laisser en dehors du trailer en essayant de réécrire l’histoire. C’est ce qui arrive quand tu as des putes qui travaillent sur un film hip-hop mais n’y connaissent rien. Comment peut-on me laisser en dehors de ce projet, après tout. Les vrais fans connaissent mon rôle dans le groupe quand on parle de lyrics. Ne laissez pas ce film vous méprendre sur ma contribution au groupe. »
L’autre grand laissé-pour-compte reste le manager historique, partenaire et ami du défunt Eazy-E, Jerry Heller. Celui qui est dépeint comme un arnaqueur, celui qui a divisé le groupe a multiplié les apparitions dans les médias pour défendre son honneur et contre-attaquer, ajoutant de l’huile à un feu déjà bien crépitant. Heller distribue les phrases chocs, minimisant l’impact d’Ice Cube sur le succès de NWA, sa jalousie maladive envers Eazy-E. S’il nomme Dre comme le vrai artisan de la réussite, il n’hésite pas à égratigner sa réputation de « street guy », appuyant le fait qu’il n’ai jamais été un gangster. En outre de ces déclarations fumantes, l’ex-tête pensante semble faire preuve de sincérité quand il parle de The D.O.C (« Je pense encore que D.O.C est le rappeur le plus pur qui n’a jamais existé ») ou quand il regrette l’apparition de Suge Knight dans leur entourage («Suge Knight marquera la fin du fun dans le hip-hop »). Si beaucoup de choses les opposent aujourd’hui, l’intégration de Jerry Heller dans la conception long métrage aurait sûrement apporté plus de contraste à une œuvre qui semble trop portée par la patte de Dre et de Cube. Des ombres un peu trop imposantes qui cachent certains aspects de leur histoire pas aussi irréprochable que voudrait le montrer le film. Misogynie, homophobie, violence conjugale, le retour du bâton fouette fort les deux protagonistes qui aujourd’hui font profil bas face à ces accusations. Interrogé au sujet des violences sur la rappeuse Michel’le et l’ex animatrice Dee Barnes dans les années 90, Dr.Dre botte en touche. « Il y a 25 ans, j’étais un jeune qui buvait beaucoup trop et j’étais sans structures dans ma vie. Cependant, cela n’excuse pas ce que j’ai fait. J’ai été marié pendant 19 ans et chaque jour je travaille à être un meilleur homme pour ma famille, cherchant a faire le bien. Je fais tout pour ne plus jamais ressembler à cet homme. »
The Documentary Fiction
Pour ces raisons, Straight Outta Compton est un film à prendre avec un certain recul. Par l’omission volontaire de plusieurs évènements, les deux producteurs exécutifs ont voulu en faire une œuvre humanisée, plus politiquement correct qu’ils ne l’ont sûrement été. Près de trois semaines après sa sortie américaine, le film qui a couté 28 millions, en a déjà rapporté plus de 140 sur le sol américain, et s’est même payé le luxe de dépasser Mission Impossible 5 sur sa deuxième semaine d’exploitation. Si le succès du film est le reflet de l’engouement du public pour la légende du groupe, il a été massivement aidé par une stratégie de communication bien pensée. L’opération StraightOuttaSomewhere de Beats by Dre, qui permet à n’importe qui de représenter sa ville d’origine sur un visuel, est devenu un véritable phénomène viral. Encore plus important, la sortie une semaine avant le film de l’album Compton de Dr.Dre après 16 ans d’attente. Un opus qui fait office de bande originale non-officielle qui booste le long métrage par son timing de sortie et l’événement qu’il représente.
Mais si le biopic fonctionne, c’est avant tout par sa qualité. Une chronique efficace d’une tranche de vie commune des différents membres d’un groupe précurseur et fortement attaché à l’histoire de la musique noire comme de l’histoire contemporaine des États-Unis. Le film de Gary Gray est porté par un casting étonnamment solide (mention à Jason Mitchell dans le role de Eazy-E, déjà pressenti aux USA comme un « Award-potential »). Straight Outta Compton a été encensé par la presse et est déjà considéré comme un des meilleurs biopics musicaux des dernières décennies. Une affaire pas si simple dans un genre si spécial et singulier au cinéma. Love & Mercy, sorti en juin dernier qui retrace l’histoire des Beach Boys avec dans son casting Paul Giamatti (Jerry Heller dans SOC), n’aura pas autant marqué les esprits en rapportant seulement 13 millions d’euros au box office.
Alors que le film n’a toujours pas eu sa sortie mondiale, l’idée d’une suite est déjà fortement évoquée. Ce sequel récupèrerait l’intrigue où le premier film l’a laissée en mettant en scène les ascensions des différentes grandes figures de la Westcoast telles que Tupac, Snoop, ou encore Nate Dogg. Une suite à laquelle Ice Cube a déjà démenti y être intégré. Ce qui est certain, c’est que Straight Outta Compton a pour ambition de documenter l’histoire de NWA au plus grand nombre, de façon simple mais subjective. Ce film, par sa forme et certains éléments de son fond, s’approche beaucoup plus de la fiction que du documentaire. Il n’apprendra peu ou pas grand chose à ceux qui sont déjà familiers de leur épopée mais restera un plaisir de deux heures et demi permettant de vivre en « live » l’aventure de l’une des entités les plus subversives de l’histoire de la musique. Et pour ceux qui cherchaient un vrai documentaire rempli de secrets et de révélations, peut-être faudra-t-il attendre la mort de tous les protagonistes pour que ce soit fait…