Table ronde – Le cloud’n’B en France
C’est souvent autour d’une table que naissent et se construisent les conversations les plus intéressantes. Qu’elles soient le terreaux de véritables synergies ou de querelles centenaires, c’est d’abord dans une démarche accueillante que chacun choisi de partager la même table. La table ronde est donc le format que nous avons choisi pour aborder de larges thèmes avec des personnalités chevronnées.
Pour cette première table ronde, nous avons choisi de parler du cloud’n’B ; un genre musical épuré et aérien qui trouve ses racines dans le R’n’B et fait émerger des sons hybrides qui ne connaissent pas de frontières. Si outre-atlantique, ce mouvement est porté par les homologues de Jhené Aiko, il n’est pas en reste dans l’hexagone.
C’est dans l’Hotel Renaissance Arc de Triomphe que nous avons fait venir cinq artistes pour en discuter. Cinq chanteuses, à différentes étapes de leurs carrières qui partagent leurs expériences et leurs visions. MayHi (MH), Bonnie Banane (BB), Sabrina Bellaouel (SB), Nathy Green (NG) et Malia Lynn (ML).
Pour vous, qu’est-ce que c’est la différence entre une artiste et une chanteuse ?
NG : Disons que pour moi une chanteuse n’est pas obligée de créer. Elle peut être simplement interprète, on peut lui écrire des textes… Ça ne lui enlève pas ses qualités. Mais il n’y pas de création et pour moi, un artiste créé. Pour moi elle est là la différence. Vous en pensez quoi ?
BB : Je pense que c’est ça non ?
MH : Je pense qu’une chanteuse, elle sait juste chanter et elle sait chanter juste. Une artiste elle donne des émotions, elle créé des choses comme tu l’as dit. Une artiste ne sait pas forcément chanter, mais elle donne des émotions.
ML : Oui le chant c’est juste une partie de l’art, la voix c’est juste un talent on va dire. Tu n’es pas forcément une artiste quand tu chantes.
NG : La chanteuse aussi donne des émotions.
MH : Pas forcément.
[rires]
BB : Peut-être qu’on pourrait parler d’exemples. Qui n’est que chanteuse ?
Moi j’ai pensé à Rihanna. Parce que vraiment, on lui écrit ses flows, ses paroles et on lui fait ses prods. Dans son dernier album, je pense qu’elle a fait plus de choix, non ? C’est une interprète.
NG : Du coup, quand tu choisis tes sons, la direction de ton projet etc, tu deviens artiste même si ce n’est pas toi qui a créé ?
BB : Je ne sais pas. Pour moi ce qui différencie l’artiste d’une chanteuse ou d’un chanteur, c’est le côté réalisateur de ton projet et les choix que tu fais.
MH : Quand tu te dis artiste, tu parles d’art et de ce que toi tu crées. Tu ne peux pas dire que tu es un artiste si tu n’as pas tout créé pour toi.
BB : Mais après, Rihanna c’est une artiste, quand même…
MH : Mais parce que c’est un personnage public. Après, son art c’est peut-être d’interpréter le personnage qu’on lui a créé…
NG : Ce n’est pas parce qu’elle n’est pas créatrice, qu’elle n’est pas talentueuse. Mais c’est complexe. Vous avez choisi Rihanna et c’est complexe.
BB : On a choisi cet exemple, parce que justement, je ne sais pas si elle arrive en disant « Je veux faire ça », tu vois ?
SB : Je pense qu’une chanteuse, c’est par définition une artiste. Tout dépend du stade auquel elle est arrivée, peut-être qu’elle n’en est pas encore à écrire ses textes. Mais même au stade de pure interprète, elle se met quand même dans la tête de transmettre une émotion comme tu le disais. Est-ce que ça ne serait pas ça, être une artiste ? C’est chaud quand même d’interpréter le texte de quelqu’un d’autre. Ça veut dire qu’il faut se l’approprier, le vivre.
MH : Mais en fait, c’est subjectif. Parce qu’une personne va donner des émotions à quelqu’un et pas à un autre. Donc pour quelqu’un, ce sera une artiste et pas pour une autre. C’est subjectif en fait.
NG : Après une interprète peut devenir artiste, avec par le temps, par l’expérience, par le fait qu’elle écrive ses propres textes ou par le fait qu’elle compose. Je pense que c’est une évolution. Je pense qu’aujourd’hui, arriver et dire « je suis une artiste », en tout cas pour ma part, ça n’engage que moi… je ne sais pas…
« Un mec ou une meuf qui va chanter, tu vas le sentir direct. Que ça te touche ou pas. Ça peut même te mettre mal à l’aise tellement c’est horrible. »
Sabrina Bellaouel
MH : Selon toi, tu es une artiste ?
NG : Je bosse pour en tout cas. Ouais. Ca c’est clair et net… Après moi, j’accorde vraiment beaucoup d’importance au mot artiste.
MH : Pour vous qui est artiste parmi nous ? Vous vous sentez toutes artistes ?
BB : Moi je ne pense trop pas comme ça…
MH : C’est vrai ?
SB : Tu « fais », quoi. C’est tout.
BB : Ouais. Si c’est là, une chanson, une performance et tout… c’est une proposition. Tu prends ce qu’on te donne. Après t’aime ou t’aime pas, mais je ne me pose pas la question « Ah, elle c’est une artiste.. Ah elle ce n’est pas une artiste, c’est une chanteuse… » Je ne me pose pas la question.
ML : Après je pense que le simple fait qu’on sorte des idées de notre tête et qu’on essaie d’en faire quelque chose, qu’on travaille dessus et qu’on essaie de les partager… Rien que pour ça, je pense qu’on peut se considérer comme des artistes. Il n’y a pas à chercher plus loin. Le simple fait qu’on assume nos idées et qu’on essaie de les partager fait que…
MH : On peut être artiste, sans être bon artiste aussi. Parce que depuis tout à l’heure on parle du côté positif de l’artiste, mais…
BB : Je me rappelle que je connaissais quelqu’un qui me disait ça : « Pour être bon artiste… » et lui-même était artiste. Et du coup j’étais là.. « C’est quoi un bon artiste en fait ? Explique-moi ». C’est quoi en fait ?
MH : C’est subjectif encore une fois.
NG : Ça c’est la question…
SB : … Sans fin.
BB : Oui, c’est sans fin et c’est comme ci ça précédait la vraie réflexion.
SB : En fait, être artiste, c’est retrouver l’innocence peut-être. Être dans un truc pur et humble, accepter qu’on soit juste de simples vaisseaux, qu’on est traversé par des émotions et qu’on soit assez généreux pour les proposer. Après il y a le côté esthétique qui fait que chacun a un don. Je trouve que la voix est le moyen de véhiculer le plus d’émotions. C’est frontal. C’est tellement frontal que tu ne peux pas mentir. Un mec ou une meuf qui va chanter, tu vas le sentir direct. Que ça te touche ou pas. Ça peut même te mettre mal à l’aise tellement c’est horrible.
[rires]
SB : C’est comme une vibration. Et scientifiquement, je pense qu’on est des vibrations et du coup…
BB : Là je vibre là.
[rires]
SB : Tu le sens ou pas ?
[rires]
MH : That was deep… That was too deep…
BB : Là je pense qu’on vibre toutes non ?
MH : Ouais moi je vibre. Mais parce que j’ai froid.
« Le simple fait qu’on assume nos idées et qu’on essaie de les partager fait qu’on peut être artiste. »
Malia Lynn
On vous a réuni sous la bannière de ce qu’on appelle le cloud’n’B. Pour nous c’est quelque chose qui est véritablement encrée dans le R’n’B, mais qui est aussi emprunt d’influences plus diverses. Le terme Cloud est vraiment éthéré, aérien… On voulait savoir si vous vous reconnaissiez dans ce terme-là ou pas du tout ? Comment vous réussissez ou pas, à définir votre musique.
MH : Perso, je n’aime pas définir ma musique. Parce que je ne cherche pas à faire une musique spécifique. Quand on me demande quel genre de musique je fais, je dis « je fais de la musique ». Après cloud’n’B… c’est ça ? C’est cool comme nom, moi j’aime bien. Il y a le côté nuageux et tout. Je n’ai pas écouté tout le monde, mais c’est vrai que pour la plupart d’entre nous, c’est ce qu’on fait. Un truc un peu aérien. Vous c’est comment ?
BB : Alors, cloud’n’B avant que tu n’utilises ce terme, je ne connaissais pas. Je sais ce que cloud signifie. Donc ouais, je comprends un peu. Je veux bien… Pourquoi pas.. En fait, quand on me demande ce que je fais, pour aller au plus simple, je dis R’n’B, parce que c’est ce que j’ai le plus écouté, ce que je fais se rapproche le plus de ça. Mais en même temps pas vraiment. C’est un truc hybride. En fait, je dis ça pour donner un spectre. Si je dis que je fais – je ne sais pas – de la polka… ce n’est pas vrai.
[rires]
BB : Je donne un spectre. Mais je pense qu’en vrai on s’en fout.
MH : C’est ça. Aujourd’hui c’est compliqué de dire qui fait quoi. Tout le monde fait tout et n’importe quoi parfois.
NG : Après je trouve ça cool cloud’n’B dans le sens où, moi j’ai eu le sentiment que dire que tu faisais ou aimait du R’n’B, à un moment donné, c’était un peu houleux. Il y avait des préjugés. Après, ça n’empêche pas que tu fasses la musique que tu aimes, tu ne vas pas changer pour ça. Mais c’est vrai que le mot R’n’B, à un moment donné, pour les gens ça avait une connotation ringarde.
BB : Mais c’est ça qui est bien !
NG : Oui, mais pas dans le ringard que tu kiffes… Genre R’n’B Vitaa tu vois.
BB : Putain, mais moi Vitaa j’aime bien.
MH : Mais Bonnie, t’aimes tout.
BB : Non j’aime pas tout, mais Vitaa…
MH : Elle a une belle voix.
SB : Elle te fait vibrer.
[rires]
BB : Elle me fait kiffer, mais pas le truc avec Diam’s ! Elle est seule avec deux gars… [elle chantonne] Je ne l’aime pas comme toi... Putain, moi ça m’avait fait vibrer pour le coup. J’avais kiffé… Bon bah j’ai fait un flop…
Vous ne trouvez pas que c’est générationnel de ne pas vouloir se donner d’étiquette ?
MH : Oui c’est ça en fait.
Vous êtes une génération où tout est à portée de main et où du coup tout est faussé. Vous pouvez faire un morceau qui est plus pop, puis plus R’n’B. J’ai l’impression que c’est quelque chose dont vous essayez vraiment de vous dissocier, de ne pas avoir d’étiquette. C’est quelque chose sur lequel vous jouez où c’est vraiment comme ça que vous vivez les choses ?
MH : Je pense que c’est parce qu’on est plus ouvert en fait.
NG : Avec toute la musique qu’on se prend et les sites de streaming, les webradios… Ça permet de découvrir des artistes que tu n’aurais peut-être pas découvert, parce que ce n’est pas ton style… dans le style indie, folk etc…je suis tombée sur certains artistes et j’ai trouvé ça lourd. Et donc du coup oui, cette mode de consommation veut qu’on se prenne plein de sons, plein d’artistes… Ça pousse de partout et je n’ai pas envie qu’on dise « ouais, elle fait du R’n’B » parce que dans la tête des gens ça va rester. Et dès que je vais vouloir tenter des trucs, tout simplement parce que mon feeling c’est « là, j’ai envie de me faire un truc pop/folk », je n’ai pas envie de me dire « non je ne le fais pas, parce que pour le public et pour les gens qui m’écoutent et qui me kiffent, il y a un truc qui ne va pas passer », et je n’ai pas envie de me prendre la tête là-dessus, donc ne me mettez pas dans une case. C’est comme ça que je le ressens.
SB : Je pense que le rapport à la musique a complètement changé. On est passé du style, de la catégorie musicale, avec des classements à la Fnac, à un truc où tu imposes toi-même et tu ne fais pas ce que les gens attendent de toi. Tu t’imposes toi mais aussi ton style. Et c’est ça qui est intéressant. Comme tu le disais, on peut écouter Cheikh Hasni et après James Blake, plein de trucs et ça va inspirer notre musique. Tous ces éléments-là donnent ce qu’on a aujourd’hui. Ce que tu écoutes, tu le produis. C’est pour ça qu’on a autant de mal à se placer dans une catégorie. C’est parce qu’il y a trop de choses, trop d’influences de toutes parts et donc se cantonner à un truc, c’est se limiter clairement. Et moi ça me fait peur.
NG : Mais même quand on classe ta musique dans les bacs de la FNAC, le style reste le tien ? C’est toi qui le crée.
Il y a des artistes qui ont changé de style en cours de route.
SB : Une meuf comme SZA par exemple. J’ai trop aimé son dernier son « Drew Barrymore » comme j’ai aimé son morceau « Babylon » avec Kendrick. Et tu vois, elle, elle peut poser sur n’importe quoi, ce sera pop, ce sera rock, mais ce sera elle.
MH : Parce que c’est son timbre et sa manière de poser sur les sons qui jouent, tu vois.
SB : Et c’est en ça que je dis qu’on ne peut pas se limiter. On ne peut pas dire, je fais ça ou ça. Et cloud’n’B, ça sonne bien, mais c’est limite. Il y a un canton.
« Il n’y a que les rappeurs qui font bien sonner le français je trouve. Après, il faut juste trouver des subterfuges. Mais c’est pas facile. »
Bonnie Banane
MH : Ca veut dire qu’on ne peut faire que des trucs nuageux genre. Un peu slow-mo. Alors qu’au final, bah Bonnie ce que tu fais, des fois il y a des sons qui sont loin d’être Cloud’n’B.
SB : Bonnie… elle fait de la chanson française aussi !
[rires]
BB : Voilà… Ah putain. Oh là là.
SB : Qui t’avait comparé à Christine and the Queens ?
BB : C’est chaud…Vous êtes sérieux les gars ? Non mais je ne fais pas de la chanson française, si ?
NG : Tu le prends comment ?
BB : Je fais de la variété ? C’est ça que tu veux dire ? Je rigole. Non, en fait, je ne sais pas. Je m’en fous. Après j’avoue que je n’aime pas trop quand on dit que ce que je fais c’est de la pop. Je n’ai pas l’intention de faire de la pop. Donc c’est bizarre quand on me dit que j’en fais. J’en ai pas l’intention.
NG : C’est la pire catégorie celle-là.
BB : Mais non, ça dépend des gens.
NG : Il y a des gens qui vont le ressentir en mode pop, il y a des gens qui vont le ressentir comme du R’n’B. C’est un ressenti en fait.
MH : En fait les gens veulent savoir parce qu’ils ne veulent pas être bousculés. Ils ont besoin de savoir ce qu’ils écoutent.
BB : C’est justement pour savoir où tu es. T’écoute de la salsa ou tu écoutes Bénabar, c’est pas la même quoi.
« Je préfère faire tous mes trucs toute seule, évoluer toute seule, avec mes gars, mes meufs, tranquille, plutôt que de faire des compromis sur un paraître et sur des choses éphémères, mais qui font vendre. »
Sabrina Bellaouel
Vous parliez tout à l’heure de la construction d’un artiste. Et il y a une chose dont on n’a pas encore parlé, c’est tout ce qui est visuel, que ce soit les clips, la pochette d’un projet, ou le style. Comment est-ce que vous gérez cette partie du travail et quelle importance vous lui accordez ?
MH : Moi j’ai l’impression que parmi nous, ce ne sont pas des choses auxquelles on pense. Moi je ne fais pas attention à la façon dont je vais me saper, si ça va aller avec ma musique, dans tel clip etc. Je fais de la musique comme je me sape. J’ai envie de mettre ça donc je vais me saper comme ça. Demain j’ai envie d’être une fille, je serais une fille, un autre jour je serai un gars. Ce ne sont pas des questions, en tout cas moi, que je me pose. Je ne sais pas…et vous ?
ML : Au début, quand j’étais plus jeune et que je voyais les clips, franchement je ne trouvais pas le visuel important. Je trouvais que la musique se suffisait à elle-même. Ça laissait libre cours à votre imagination, justement, de se faire son propre clip. C’est génial de faire ça. Mais quand tu avances dans la musique et que tu commences à penser pour toi, comme par exemple, à savoir comment travailler l’image c’est vachement plus intéressant pour l’artiste. Parce que tu englobes vachement ta musique avec tout ce qui est visuel. Et tous les petits éléments que tu peux mettre, que ce soit dans la couleur, les paysages, tout est lié à ta musique. Ce n’est pas forcément toi qui choisis tout le temps, mais il y a quelque chose de personnel dans les clips…quelque chose que je trouve vachement lourd. Du coup, je trouve ça hyper intéressant. C’est intéressant pour le spectateur, qui va trouver ça beau s’il y a une histoire…Mais pour l’artiste, je trouve ça encore plus intéressant. Je trouve ça lourd.
MH : Et toi tu as fait des clips ?
ML : Du tout.
BB : Et t’as envie là ?
ML : Ah non. Je ne sais pas. Montrer ma tête c’est pas encore un truc qui m’intéresse.
BB : Ça peut être un truc de ne pas se montrer. Tu n’es pas obligée en fait.
ML : Aussi…peut-être vraiment légèrement alors car je n’ai pas envie de voir ma grosse tête partout.
BB : Ça peut être une prise de position assumée. Enfin, je veux dire que ce n’est pas une obligation. Si en plus tu dis que t’as l’impression que ce n’est pas nécessaire…
MH : Mais le visuel c’est un truc grave important. Disons que pour la pochette d’un projet…si je ne la trouve pas lourde, je ne vais pas écouter le projet. Quand je navigue sur un site de streaming, moi j’écoute par rapport à la pochette.
BB : Ah ouais ?
« Moi ce qui me chagrine le plus c’est le contraire. C’est des sons qui tuent avec un clip qui n’est pas forcément à la hauteur. »
Nathy Green
MH : Ouais. Mais le visuel c’est important. Genre, je vois un clip à la télé, il commence et je vois qu’il est pourri, et bien je ne regarde pas. Si ça se trouve, je vais manquer un putain de son. Mais j’avoue que je ne regarde pas.
BB : Bah le dernier Missy Elliott, le visuel est pourri mais je kiffe le son.
MH : Oui mais c’est Missy Elliott, c’est une icône. T’es obligé de regarder. J’écouterais le son si je connais la personne et que je sais que le son va être lourd. Mais pour un artiste que je ne connais pas du tout, si le premier visuel ne m’attire pas, je ne vais pas cliquer dessus.
BB : Après c’est vraiment différent, les goûts…
MH : C’est différent pour chaque personne c’est comme ça.
BB : Par exemple il y a des trucs qui vont me plaire et pas à toi.
MH : Par exemple Rihanna, tu l’écoutes même si tu n’aimes pas le visuel. La plupart des gens vont cliquer dessus, même si la pochette est nulle, tout ça parce qu’il y aura écrit Rihanna. Une fois que t’es là et que t’es installée, les gens s’en foutent de ton visuel. Je pense que si tu demandes aux gens s’ils regardent le visuel de la personne, la plupart des gens vont te dire oui. Ils ne vont pas te dire qu’ils s’en foutent.
BB : Moi je trouve que le plus important, c’est que ça plaise à l’artiste. Si tu es content de ton visuel et que c’est cohérent avec le son que tu as fait, c’est déjà énorme. Parce que ce n’est pas facile de trouver un visuel cohérent avec ce que tu fais.
MH : Oui mais des fois, l’incohérence c’est bien aussi. C’est marrant.
NG : Oui mais ça reste cohérent dans l’incohérence.
MH : [rires] Oui je vois ce que tu veux dire.
SB : C’est travaillé quoi, de toute manière.
En pourcentage et en tant qu’artiste, quelle importance vous accordez au visuel par rapport à la musique ?
MH : Le plus important c’est le son ! Après ça dépend de quels artistes on parle. Parce qu’il y en a qui vont beaucoup jouer sur leur image. Mais pour quelqu’un qui accorde une grande importance au son, c’est la musique qui passe en premier. Parfois tu vois des clips qui sont vraiment lourds, où ils ont tout donné…mais le son pue la merde.
NG : Moi ce qui me chagrine le plus c’est le contraire. C’est des sons qui tuent avec un clip qui n’est pas forcément à la hauteur. Admettons, après c’est purement subjectif, mais que le clip n’est pas à la hauteur du son et que du coup, il ne prend pas comme il le devrait. Le visuel, pour moi ça a trop d’importance aujourd’hui. Mais bon voilà, c’est comme ça et du coup on en tire les côtés positifs parce que comme tu dis, ça fait partie du développement artistique et qu’aujourd’hui, même dans le visuel, on créé. Mais ça a quand même pas mal d’importance, et je pense parfois un peu trop. Surtout quand je vois des artistes qui ont des clips de fou comme tu dis, avec un son….
ML : C’est vrai qu’on a l’impression qu’il y en a qui misent, pas forcément que sur ça, mais dont le but était seulement de faire un clip. Le son, c’était histoire de…
MH : De mettre du son quoi.
ML : Voilà. Après, j’ai pas forcément d’exemple là.
BB : Moi non plus. Ah Jul ! Mais moi j’adore les clips de Jul.
[rires]
BB : Oh les gars, « Ovni ». Le clip est lourd. Mais moi j’adore.
MH : Moi je ne peux pas donner mon avis, je n’écoute pas, je ne regarde pas, je…
SB : Moi j’entends. Il est dans toutes les gares. Mais il a son truc, on respecte.
BB : Ah bah ouais. Vous n’avez pas vu le clip de l’« Ovni » ?
ML : Non. Désolée.
MH : [rires] « Désolée ? », ne t’excuses pas !
BB : On se fera une session quand on aura fini.
« Je préfère que tu me dises que ce que je fais est niché, plutôt que tu me dise que je suis à la télé. »
Nathy Green
Étant donné que ce style, ou en tout cas, le genre dans lequel vous voulez évoluer est encore tout récent, comment est-ce que vous parvenez à exister et à vous construire sans la base d’un antécédent. Comment vous arrivez à créer un marché ? Comment arrivez vous à vivre ?
ML : Je pense que c’est justement parce qu’il n’y a pas eu grand chose avant… Mais je ne comprend pas. C’est parce que c’est en France ?
Disons qu’en France, il n’y a pas eu de grande star ayant tout fracassé avec ce style-là. Peut-être PNL avec le « cloud rap ».
ML : Bah je pense que justement c’est parce que ça n’a pas existé avant qu’on a peut-être plus envie de le faire exister. Ce n’est pas sensé être inconnu je pense, ça devrait être un style tout à fait reconnu en France et pas qu’aux Etats-Unis.
Clairement, dans votre musique, vous êtes dans une niche. Ce n’est pas pop, dans le sens populaire. Ce n’est pas quelque chose qu’on écoute sur des radios généralistes. Alors qu’aux Etats-Unis, si. Entre guillemets, comment voyez vous l’avenir de votre scène ?
MH : Franchement, moi je ne me suis jamais posée la question. Mais les retours que j’ai, c’est qu’en gros, il faut développer et qu’il faut faire autre chose si on veut que ça fonctionne. Je sais qu’à chaque fois que j’ai parlé avec des patrons, des studios et tout le reste, à chaque fois ils m’ont dit : « Ouais c’est pas mal. Mais on va faire autre chose parce que ça ne marchera pas ».
NG : Ils ne sont pas prêts…
MH : Donc en faire un marché, ce serait lourd hein. Je pense qu’on veut toutes vivre de ça. Moi après je n’essaie pas. Tu vois, je fais ce que je fais. Et malheureusement, je ne pense pas qu’un jour ça aura vraiment sa place. Je pense vraiment que les français ne sont pas prêts pour écouter ça. Ce n’est pas quelque chose qui deviendra populaire. Et d’un côté, tant mieux !
La France, c’est un frein ?
MH : Oui, la France c’est un frein de ouf. Et toi Bonnie tu chantes en français parfois, toi tu chantes en anglais aussi, toi en arabe aussi… Je sais déjà que pour moi, rien que le fait de ne pas chanter en français, c’est grave un frein en France. À chaque fois on m’a demandé de faire des trucs, en me disant « Ouais, tu vas faire la même chose, mais en français ». Sauf qu’en français, ça ne sonne pas pareil. La musicalité n’est pas la même. Donc si on reste vraiment dans ce qu’on veut et ce qu’on essaye de faire, je ne pense pas qu’il y ait un marché qui puisse s’ouvrir.
NG : Et puis il y a un quota radio. Pour que ton son passe, il faut qu’il soit en français. C’est plein de trucs comme ça qui forcément vont contribuer à freiner le truc. Pour ma part, j’ai choisi l’anglais parce que je kiffe, parce que tous les artistes que j’écoutais chantaient en anglais. Je ne comprenais pas forcément et pourtant le message passait. Donc j’ai choisi l’anglais. Et le faire en français, c’est autre chose. L’impact est différent. Quand un français écoute un son en anglais, il va prendre la vibe, il va prendre l’ensemble du morceau. Quand tu arrives avec un texte français, ça percute. Quand j’écoute un morceau de Bonnie, je vois la différence entre l’anglais et le français. D’ailleurs, je trouve que tu manies très bien le français.
MH : Mais en fait c’est une flemme. Parce que l’anglais c’est trop facile. C’est tellement musical que quand tu chantes, c’est obligé de passer un minimum si tu as la voix. Alors que le français, c’est tellement une belle langue que tu dois choisir chaque mot et il faut qu’ils soient posé parfaitement. Et par exemple Bonnie, elle le fait parfaitement.
NG : Il faut que tu réussisses à les faire sonner en fait.
BB : Ah si, c’est trop beau. Après le français, ce n’est pas une obligation. Si tu n’as pas envie de chanter en français, tu ne chantes pas en français. Moi je trouve ça intéressant, mais c’est juste qu’il faut trouver des tricks, parce que ça ne sonne vraiment pas bien le français. C’est chiant, mais tu peux exprimer plein de trucs différemment. Il n’y a que les rappeurs qui font bien sonner le français je trouve. Après, il faut juste trouver des subterfuges. Mais c’est pas facile.
ML : Le français, quand il est bien chanté, comme Edith Piaf et tout ça…c’est encore mieux.
NG : C’est sûr, la langue est belle.
BB : Moi je trouve que Wallen, elle le faisait trop bien. K-Reen aussi elle a fait des trucs de ouf.
MH : Aujourd’hui elle fait du zouk…
BB : Il y a aussi Kayna Samet.
MH : Kayna Samet c’est un truc de ouf. Mais tu vois c’est des classiques. C’est le vrai R’n’B à l’ancienne, tu vois.
NG : Mais c’est ouf, que depuis le temps, il n’y ait pas eu d’autres personnes qui nous viennent à l’esprit quand même. Parce que ça date.
BB : Mais Wallen avait refait un album là, non ?
MH : Elle, elle fait trop la promo des artistes…
SB : Pour moi, la grosse différence entre l’anglais et le français, c’est que forcément l’anglais c’est plus facile, parce que ce ne sont que des voyelles, c’est expressif, frontal, direct, tu vois. Alors que le français, c’est une langue de consonne. Du coup c’est frontal, mais dans l’idée. C’est elle qui va être primordiale et pas le son. Donc si tu veux rajouter des vibes sur du français, c’est chaud. Tu peux te casser la gueule facilement. Et là du coup on te met dans une catégorie. Donc ouais franchement c’est compliqué, mais après, il faut voir. Voir ce que tu as envie d’exprimer et comment. Si t’as envie de chanter en français dans tous les cas, il faut l’assumer.
MH : Une partie du public français est un peu hypocrite. Moi en soi, je m’en fous qu’ils m’écoutent ou pas. Mais encore une fois par expérience personnelle, on n’arrête pas de me demander de chanter en français en me disant « Ouais, on ne comprend pas ce que tu dis ». Mais vous êtes grave hypocrites parce qu’en vérité les sons qui tournent le plus aujourd’hui en France, c’est des sons américains.
BB : Ça ne veut pas dire qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils disent non plus.
MH : Non mais ça ne les dérange pas quand ce sont des américains Pourtant quand ce sont des français, ça les dérange de faire l’effort de comprendre. Au final, pour répondre à la question, moi je reste sur mon idée que, non, il n’y aura pas de place pour nous.
[rires]
NG : Disons que la langue, c’est un obstacle, qui est posé par d’autres.
Mais là vous êtes super pessimistes. C’est quoi du coup l’alternative ? S’expatrier ?
MH : Moi personnellement, je m’en fous. Parce que j’ai toujours été dans une optique où si ça marche tant mieux, et si ça ne marche pas tant pis. À côté, c’est vraiment un hobby pour moi la musique. Mais si demain on me dit que ma musique plaît et qu’on va le commercialiser, je dis ok. Par contre si on me fait passer par quatre chemins, en me disant « tu vas faire ça et ça pour que ça marche mieux », je dirais non. Pour celles qui veulent faire ça et qui ne veulent pas changer, il faut s’expatrier. Genre Londres, je pense que c’est le coin parfait pour ce genre de son.
« Mais c’est un privilège en France de ne pas être connu limite. »
MayHi
SB : Moi j’avoue que je m’en fous des frontières. Quand j’écris, quand j’ai envie d’exprimer un truc en anglais, je m’en fous. Je ne vais pas faire l’hypocrite et dire que je n’aimerais pas que ça marche, ou que je m’en fous si ça marche. Si ça marche, tant mieux, mais c’est aux radios de s’adapter en fait.
MH : Voilà c’est ça !
SB : Il y a un mouvement, clair. Il y a plein de gens qui font du son et qui font des trucs qui sont hors catégories, hybrides comme disait Bonnie. Et je ne vois pas de radios françaises qui pourraient le passer et en même temps je me dis « mais qu’est-ce qu’ils ratent ! ».
BB : C’est à eux de suivre.
SB : Ils ratent un truc énorme.
MH : Oui et si tu passes ça, les auditeurs écouteront.
SB : Nous ils faut qu’on « stick to what we do », [il faut continuer ce qu’on fait, ndlr]
NG : Je pense que chacune d’entre nous bosse, créé et propose des choses. Et je pense que si quelque chose doit en ressortir, ce sera comme ça. Ce n’est pas parce que les gens ne sont pas prêts en France, que nous, on ne va pas continuer à faire ce qu’on a envie de faire et se perfectionner dans le visuel, dans la qualité sonore, dans la création d’hybride… Je pense que plus chacune d’entre nous ira au fond de ce qu’elle a envie de faire, tentera des trucs et repoussera ses limites, plus ça créera un effet de masse et les gens ne pourront pas passer à côté. Les maisons de disques ou les radios ne pourront pas passer à côté.
MH : Mais c’est un privilège en France de ne pas être connu limite. Je trouve que tout ceux qui sont dans des niches, ce sont ceux qui ont le plus de talent. Franchement, tout ce que je vois à la télé ne me donne pas envie.
NG : T’as utilisé le terme niche et en vrai, ouais. Je préfère que tu me dises que ce que je fais est niché, plutôt que tu me dise que je suis à la télé, mais en fait, il n’y a aucune proposition.
« Je ne trouve pas que ce soit forcément plus dur de percer dans le son, seulement parce que t’es une meuf. Si tu as envie de le faire, tu le fais. Ca viendra tôt ou tard, je pense. »
MayHi
Dernière question : C’est une question qui parle d’une anecdote de Björk, qu’elle a raconté une fois en interview. Elle disait qu’à chaque fois qu’elle collaborait avec un homme sur un morceau, dans les médias, il lui retirait le crédit de la globalité du travail effectué. Alors qu’on sait parfaitement que Björk est un génie, que c’est une artiste hyper complète. C’est aussi une situation qu’on peut transposer au cas de Shay à qui on demande si c’est Booba qui écrit ses textes, en insinuant qu’elle ne peut pas être totalement maître de son travail. Est-ce que vous appréhendez ce genre de perception ? Est-ce que vous pensez que c’est une question qui est aujourd’hui dépassée ?
MH : En vérité, je ne sais pas si la question se pose encore aujourd’hui.
BB : Moi je pense qu’elle se posera toujours.
MH : Le fait qu’une femme fasse de la musique ? Sérieux ?
BB : Ce sont des questions auxquelles je ne sais pas trop répondre parce que… bref. Mais c’est vrai que c’est une question évidemment nécessaire, car avec ce qu’il se passe en moment, j’ai l’impression que ce sera un truc qui sera toujours d’actualité. Le fait qu’il y ait encore des choses à remettre à niveau tout le temps quand tu es une femme…
MH : Je vois ce que tu veux dire.
BB : Apparemment, et c’est pas forcément un truc que tu vis ou que tu as envie de vivre, mais on te le rappelle tout le temps. Et toi t’es là et tu te dis ok. Donc tu es obligée de réfléchir là-dessus, mais c’est vrai qu’il y a une différence avec la perception des autres et ton vécu…comment tu travailles. Je ne sais pas comment vous travaillez, mais moi je travaille toujours en collaboration. C’est souvent des hommes et ça ne me pose pas tant de problèmes que ça. Je n’ai eu aucun problème à me mettre en avant en tant que femme, parce que je ne voyais pas où était le problème. Pour moi, ça n’a pas été un obstacle, même en studio, dans mon rapport avec mes collaborateurs. Même si la misogynie est là et qu’elle plane, elle est toujours là et elle sera toujours là. C’est un obstacle et ça n’en est pas un. Ça l’est en soi, mais dans le vécu et dans l’expérience, tu peux le désamorcer. Pour moi c’est ça. Après ça ne veut pas dire que ça y est, c’est acquis, c’est normalisé. C’est ça que j’essaie indirectement d’imposer.
ML : Moi je vois le rapport homme-femme dans la vie de tous les jours, dans le travail et tout ça. Mais après dans la musique, je ne trouve pas que les femmes aient du mal à s’assumer. Il y a tellement d’icônes. Après peut-être que je n’en ai pas encore suffisamment vu. Donc je ne sais pas. Je ne parle pas forcément en connaissance de cause.
NG : Après il y a énormément d’hommes dans la musique, dans le sens où là le rap, c’est la folie. Ça prend une place… Il y a énormément de rappeur, j’en découvre encore, je ne sais pas d’où ils sortent mais ça tape dans des centaines de millions de vues…
BB : Bah ils sortent du ventre de leurs mères déjà…
[rires]
NG : Oui…non mais se démarquer dans ce paysage-là, je trouve ça fou. Ça va hyper vite et très souvent c’est des mecs. Je suis sûre qu’il y a énormément de femmes comme nous qui chantent très bien et qui ont leur univers… Mais ça ne va pas taper dans le million de vues non plus. Aujourd’hui musicalement, c’est encore plus facile quand t’es un homme. À part si en tant que femme, tu décides de faire des compromis. Un mec va plus arriver à imposer son style. Dans le vécu, en collaboration, moi aussi je ne travaille qu’avec des hommes et ça ne m’a jamais posé de problème. Je n’ai jamais clairement ressenti de misogynie. Mais c’est un fait, c’est encore une actualité. Après c’est moins violent peut-être qu’à une période, mais je trouve que ouais, il y a encore ce décalage là.
SB : Je te rejoins là-dessus. Je pense qu’il y a très peu de femmes, je crois que c’est plus unique que rare, genre Björk, elle est en place, c’est une artiste complète qui par sa détermination a su imposer ses choix. Elle ne fait aucun compromis, elle reste dans son univers, dans sa musique. Elle peut faire tout ce qu’elle veut, elle sera respectée quoi qu’il arrive. Et je trouve que c’est très rare de trouver ce genre d’artiste aujourd’hui. Mais sur la scène populaire, il y a beaucoup de femmes qui décident de faire des compromis, de devenir des viandes. [rires] Moi ça m’attriste personnellement, même si je n’ai jamais ressenti de misogynie… Et je ne travaille qu’avec des gars, je n’ai toujours travaillé qu’avec des gars. On se fait confiance musicalement, le feeling passe et puis moi, j’ai mon rôle de femme, j’essaie d’être une femme amour dans la musique, donner de l’amour tout le temps. Je suis à l’aise avec ça et chacun son rôle, moi ça me plaît. Je n’ai pas envie de crier tout le temps dans ma musique « Ouais, moi je suis une femme ». En fait je suis ce que je suis. Je n’ai pas envie de me positionner en tant que femme, revendiquer des trucs. Je suis simplement qui je suis et point à la ligne. Tu te prends ma musique ou pas. Tu fais ce que tu veux. Mais je ne me suis jamais posé cette question. Après, peut-être que ça va arriver un jour.
En plus ça m’est déjà arrivé : il y a un gars, un ingé son, qui m’a dit : « Ouais, tu devrais faire du Katy Perry. »
[rires]
BB : Il est bon lui.
[rires]
SB : J’avais envie de pleurer. Et il m’a dit : « Tu devrais faire du Katy Perry, parce que blablabla. T’as des skills et tout. Mais il faut que tu refasses ça et ça. »
BB : Ah, il t’as dit ça comme ça ?
SB : Ouais. Il m’a mit un package dans la gueule et tout. Et en fait, ça m’a fait rire. Je lui ai dit qu’il n’avait rien compris.
BB : Et tu lui a pas mis un croche-patte après ?
SB : J’avais trop envie de l’insulter, mais bon… Nous sommes resté cordiaux. Mais je pense que ouais, les maisons de disques veulent ça aujourd’hui. Les maisons de disques et les professionnels qui t’approchent, en général, te disent « Il faudrait que tu ailles plus là-dedans, que tu creuses plus ce côté soul pour vendre. Et on va te relooker »… Moi ça m’angoisse. Je préfère faire tous mes trucs toute seule, évoluer toute seule, avec mes gars, mes meufs, tranquille, plutôt que de faire des compromis sur un paraître et sur des choses éphémères, mais qui font vendre.
BB : Le truc crucial, il est exactement là je pense. Dans l’idéal, le changement qu’il faudrait avoir, c’est limite…enfin nous, on a nos trucs à gérer. Mais les gens des maisons de disques, ceux qui ont cet argent et ce pouvoir entre leurs mains, et qui connaissent ce métier-là, donc ce marché, et que ça intéresse de bosser là-dedans visiblement, c’est à eux je trouve, de se pencher plus sur l’artiste. Parce que là ce qu’il se passe, c’est qu’il y a une grosse perte de qualité. Plus ça va et plus on ne sait pas si les gens ont vraiment envie d’écouter ça. ll y a une espèce de monopole et on ne sait plus en fait. Je trouve que ce serait vraiment l’idéal. Mais ce n’est pas à nous de trouver une solution. Ce serait à eux de se rendre compte de ce que tu veux faire. Je ne sais pas si eux ça les intéresse, s’ils aiment la musique. En fait il faudrait qu’ils se penchent un peu quoi. Et qu’ils fassent confiance.
NG : Vous avez des sites web de référence chacune ? Comme YARD, enfin des sites d’actu. Par rapport aux sites de références, les trucs que tu vas checker pour voir des actus, sons, lifestyle etc… est-ce que vous voyez beaucoup de femmes ? Moi je sais que les sites de culture urbaine que je vais voir, il n’y a pas beaucoup d’article sur des femmes.
MH : Oui mais pourquoi aussi ? Est-ce que la raison c’est parce que c’est des femmes, ou elles n’ont pas entre guillemet le talent que les gens qui publient veulent aussi. Il ne faut pas toujours se positionner en mode « victime », genre féministe, il n’y a pas assez de femmes. Parce que certaines ont moins de talent, ou peut-être parce qu’elles ne font pas les choses comme il faut. La plupart du temps, les mecs quand ils ont envie, ils font en sorte que ce soit là. Alors qu’il y a des meufs qui font leurs trucs, et soit c’est cheum et ça ne passe pas, soit elles ne font pas assez pour que ça passe. Ce n’est pas forcément spécifique aux femmes d’ailleurs.
SB : Ce n’est même plus une histoire de « c’est cheum » ou « c’est pas cheum ». Il y a plein de gens qui sont médiatisés et c’est cheum ! Parfois t’es là au bon moment et tu rencontres les bonnes personnes et ça va t’ouvrir les portes, direct.
MH : Oui c’est ça que je dis.
SB : C’est le karma.
MH : Oui c’est ça, c’est le karma. Parce que moi, quand je parle de musique, je ne parle pas de personnes en vérité. Je parle d’âme. Moi je suis une âme qui fait de la musique. Parfois, tu entends ma voix sur des sons et des gens ont cru que j’étais un mec. On s’en fout, c’est du son. Donc en vrai, le problème d’être une fille ou un gars, je ne le vis pas comme ça. Je ne trouve pas que ce soit forcément plus dur de percer dans le son, seulement parce que t’es une meuf. Si tu as envie de le faire, tu le fais. Ca viendra tôt ou tard, je pense.
BB : Oui mais… J’aurais tendance à penser comme ça, mais en fait, il y a deux choses. Il faut quand même reconnaître que…je pense qu’il y a plein de meufs qui sont talentueuses et qui ont du mal à y aller, parce qu’elles n’ont pas confiance en elles. C’est ça le truc.
MH : C’est ça, les mecs ont plus confiance en eux que les meufs.
BB : C’est un truc d’éducation, c’est de la base. Je pense quand même que ça existe. Nous on n’a pas envie de penser comme ça parce qu’on l’a fait. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. J’aimerais bien moi, penser comme ça, dire « Bah allez-y ». Mais ce n’est pas aussi simple que ça. J’aimerais bien qu’il y ait plus de meufs, que ce soit abondant, mais si ça l’est mais que ce n’est pas bien, non. Ce sont deux choses et il faut essayer de rester un peu juste. Mais bon. Je dissocie les deux trucs dans ma tête quand même. Je ne les combine pas. Il faut essayer de faire la part des choses là-dessus, je pense.
MH : Après c’est un ressenti. Chaque fille autour de cette table n’a jamais eu de problème à travailler avec des mecs, à ne pas se sentir à sa place. Je pense que c’est une question de karma et d’âme.
BB : Mais je pense qu’on n’est pas à l’abri, surtout en ce moment. La façon dont notre monde fonctionne actuellement. On n’est pas insensible. Jusqu’ici on y allait, mais c’est comme si c’était quelque chose qui ne serait jamais acquis. Au final, on peut aussi se dire « je me sens à l’abri ». Mais c’est jamais acquis. Une fois que tu l’as fait, ça y est tu peux…par exemple la scène, ce n’est pas parce que tu le fais ni la fréquence de tes représentations qui font que tu te sens de plus en plus à l’aise ou que cela sera tout le temps ainsi.
SB : Cela ne vous est jamais arrivé de vous retrouver en studio, d’être la seule meuf, qu’il n’y ait que des gars…?
[Tout le temps.]
SB : Voilà. Et de subir le truc ? Parce qu’il y a cette bande de gars, et ils parlent fort et toi t’es en train d’enregistrer.
MH : Moi ça m’arrive tout le temps, je ne travaille qu’avec des mecs comme ça. Mais en vrai, tu t’imposes. C’est tout. C’est une force d’esprit que tu te dois d’avoir. C’est soit tu décides de subir le truc, soit tu décides de dire « Non, je suis une meuf ». Et quand bien même, fais pas de bruit, frère ! C’est toi qui doit t’imposer. Et pareil, moi j’ai des potes meufs et elles peuvent faire du bruit pendant qu’un mec est en train d’enregistrer ses voix. Soit le mec n’a pas de « cojones » et il pose dans le bruit, soit il dit aux meufs de se taire. Encore une fois, je trouve que ce n’est pas une question de sexe. C’est une question de force mentale. Genre toi t’es là pour faire un truc, alors tu le fais ce truc. S’il y a des gens qui essaient de te bloquer dans ton truc, bah tu les vires ! C’est juste une question de force d’esprit. La femme a souvent tendance de se dire « bon bah je suis une femme donc il va se passer ci, il va se passer ça ».
BB : Tout dépend de la façon dont tu le fais savoir. C’est à dire que si tu dis ça en anticipant, ça va pas le faire. Mais quand même, je suis assez d’accord avec toi là-dessus, moi j’essaie de faire en sorte que ça disparaisse de ma vie. Je fais abstraction de ça, mais ce n’est pas possible, si on joue la carte de l’honnêteté. Ce n’est pas pour autant que ça doit être un obstacle et que tu ne puisse pas le dépasser. Mais c’est quand même un truc qui se voit comme le nez au milieu du visage. Mais on y arrive. Tu vois ce que je veux dire ? Ça dépend…si tu le pense en anticipant la scène et que tu te braques : là non, ça ne marchera pas.
MH : C’est une question d’assurance en quelque sorte.
Est-ce qu’il y a des questions qui vous ont saoulé ?
BB : Moi le truc sur le marché et tout. Sur le marché du cloud’n’B. C’est pas que ça me saoule, mais c’est que je n’y pense pas.
MH : C’est intéressant parce que d’un côté on n’y pense pas. Et au final quand tu le fais..
BB : C’est juste que c’est difficile de répondre à ça, parce que c’est vraiment.. Enfin ça me dépasse.
NG : On dirait qu’aujourd’hui, on devrait avoir des réponses claires, nettes et précises là-dessus alors qu’au final, la vérité c’est qu’on n’y pense pas. On y pense seulement quand on y est contraint ou lorsqu’on nous demande de nous positionner.
Après il faut aussi que vous vous disiez qu’il y a, comme vous vous disiez tout à l’heure, des milliers de filles qui veulent faire cette musique-là ou chanter tout court. Et le fait que vous en parliez, même si ce n’est pas forcément point par point, mais le fait que vous en parliez et qu’elles sachent qui vous êtes, ça peut aussi les booster. Donc ces questions sont chiantes à répondre, mais elles sont néanmoins nécessaires pour faire perdurer la musique.
MH : Moi je ne trouve pas ça relou. C’est intéressant. C’est se mettre de l’autre côté. Parce qu’en tant qu’artiste, si je puis dire, ou chanteuse…
[rires]
NG : Pour moi c’était celle-là, la question la plus reloue.
MH : On ne se pose pas ce genre de questions. Du coup on se rend compte qu’il y a des gens qui peuvent se les poser. Je trouve ça cool même si c’est relou d’y répondre.