TBT : Ferguson vu par Ferguson

Pour notre troisième numéro du YARD Paper, notre journaliste Marguerite de Bourgoing s’est rendue à Ferguson dix jours après la mort de Mike Brown. Au vu de l’actualité qui frappe d’injustice semaine après semaine la communauté afro-américaine et de la dimension qu’a prise cette colère à Baltimore après les funérailles de Freddie Gray ; ce jeudi, nous avons décidé de vous partager ce papier. Une mise en perspective nécessaire pour ne jamais s’arrêter de dénoncer.

C’est dix jours après la mort du jeune Mike Brown, tué par les balles d’un policier et dont le corps a été laissé à l’abandon dans la rue plusieurs heures, que j’arrive, nerveuse, à Ferguson. En effet, la petite ville est littéralement à feu et à sang, portée par une vague de protestations et d’émeutes qui feront instantanément la Une des médias.

Les jours qui ont suivi l’assassinat, j’assistais chez moi, effarée, aux nombreux témoignages défilant sur mon compte Twitter, qui décrivaient les affrontements entre la police militarisée et les manifestants. Cette violence n’exclut personne, et même les journalistes n’étaient pas à l’abri des arrestations et des jets de gaz lacrymogène. Pendant ce temps-là, les grandes chaînes de télévision américaines menaient une campagne de diffamation sur la personnalité de la victime, décrite comme un voyou, sans un mot sur le policier l’ayant abattu. Le New York Times ira même jusqu’à écrire sur Mike Brown qu’«il n’était pas un ange». À lire les journaux, à écouter la radio et à regarder la télévision, Ferguson est une zone de guerre.

C’est poussée par la curiosité que j’ai décidé de m’y rendre, mais aussi pour devenir un témoin engagé dans le chapitre le plus récent de la sinueuse histoire afro-américaine qui une fois de plus semble se répéter. Loin des représentations médiatiques, la réalité de cette ville est toute autre. J’ai rencontré une communauté accueillante et pacifique, qui m’a immédiatement mise à l’aise. Les affrontements apaisés, je prends conscience que la population vient de Ferguson mais aussi des quatre coins du pays, un véritable carrefour militant où se côtoie un foisonnement de médias indépendants, de journalistes citoyens, d’activistes, mais aussi de jeunes des villes avoisinantes comme Chicago. Tout le monde interviewait tout le monde et les habitants de Ferguson se montraient soucieux de raconter leur histoire mais surtout déterminés à se battre contre cette injustice.

Un des épisodes les plus marquants auquel j’ai assisté est celui où Wanda, une habitante noire de Ferguson, fait la leçon à un journaliste télévisé de CNN lui semblant peu enclin à s’entretenir avec le capitaine Ray Lewis, un policier retraité de Philadelphie venu manifester. Wanda lui reproche de ne vouloir couvrir qu’une version de cette affaire, elle fait preuve d’une telle conviction que «Chris» (le journaliste qu’elle appelle par son prénom) cède, quelque peu intimidé. Avec ces événements, les habitants de Ferguson ont montré au reste des États-Unis ce qu’étaient le courage et la dignité face à l’adversité du système.

Ce sont tous ces regards, personnalités et discours à l’engagement inébranlable que j’ai pu rencontrer tout au long des cinq jours de mon séjour. Ils écrivent aujourd’hui ensemble cette histoire, et c’est vers eux que j’ai tendu mon micro.

ANTHONY

Anthony

Jeune venant du quartier où Mike Brown est mort, il manifeste avec ses amis.

« Le jour où c’est arrivé, j’étais en train de filmer sur Instagram le corps qu’ils avaient laissé plus de quatre heures dans la rue sans appeler d’ambulance. Tout le monde interpellait la police pour comprendre les raisons qui l’ont poussée à lui tirer dessus et de le laisser encore dans la rue. »

 


 

PRETRE

Prêtre de Ferguson
Organisateur de marches pacifistes dans la ville.

« Les gens sont lassés du traitement qu’ils reçoivent depuis toujours par la police, et maintenant ils ont la chance de faire entendre leur voix. Les autorités veulent utiliser la violence qui a eu lieu pour dire aux gens qu’il est dangereux de venir à Ferguson, mais ce n’est pas le cas. »

 


 

 

RAY-LEWIS

Capitaine Ray Lewis 
Ancien officier de la police de Philadelphie devenu un activiste reconnu.

« Je n’ai jamais été aussi bien reçu, j’ai rencontré des gens merveilleux tout au long de mon séjour. Ils m’ont très bien traité : ils m’ont demandé si j’avais besoin d’eau, ou si j’avais faim. Ils sont reconnaissants que je sois ici. J’aime Ferguson. »

 


 

 

JB

J.B. 
Chef d’entreprise de Ferguson distribuant des hot-dogs gratuitement pendant la durée des manifestations.

« Je n’ai pas travaillé depuis que tout a commencé, je n’ai pas gagné d’argent. Le simple fait que je prenne un risque personnel en restant dans la rue à la vue des policiers flingueurs montre combien j’adore cette communauté. »

 


 

 

DAVID-BANNER

David Banner & Jasiri X 
Artistes hip-hop internationaux, venus à Ferguson pour afficher leur soutien.

« Honnêtement, je suis fier de St Louis, je ne pense pas qu’ils aient conscience de l’importance de ce qu’ils ont accompli aux yeux du monde. Ils ont défendu des gens qui sont historiquement invisibles. Maintenant, tout le monde en a pris acte pour très longtemps. Mobb Deep a fait le titre Hell on Earth et, dans ce morceau, ils disaient : ʺLes zones urbaines sensibles sont en première ligne et l’ennemi est la police.ʺ C’est ce qui est arrivé ici. Il ne s’agit pas de lyrics de rap, il s’agit de jeunes hommes et femmes noirs courageux, qui se sont opposés aux tanks, aux policiers en gilet pare-balles, au gaz lacrymogènes. Ils ont attrapé les bombes et les ont renvoyées. »

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