Tefa : « Je fais ce que j’ai envie et si tu n’es pas content : va te faire enculer. »
2 Bal 2 Neg’ ? C’est lui ! Diam’s ? C’est lui ! Lino ? C’est lui ! Les 11 commandements ? C’est lui ! « Quand il pète il troue son slip » ? C’est lui ! Tefa semble être le producteur le plus prolifique qu’ait enfanté le hip-hop français. En plus d’être un artiste protéiforme, c’est aussi un business man qui a su faire des choix de carrière surprenants pour ses origines musicales. En interview, Tefa livre sa réflexion dans son jus quitte à dériver parfois de la question initiale. Une parenthèse à une réponse peut devenir une réponse plus importante que la réponse elle-même. Place à la très « fat, » interview de Tefa.
Tu te sens d’abord comme un artiste ou comme un businessman ?
D’abord comme un artiste. D’ailleurs ce qui est marrant, c’est que mon avocate ne défend que des artistes. Skalp et moi sommes les seuls producteurs avec qui elle taffe, elle n’en représente pas habituellement. La subtilité, c’est qu’elle ne nous considère pas comme des producteurs mais justement comme des artistes. L’artiste ne répond à aucune loi mercantile et capitaliste contrairement au producteur. Je vais dans l’extrême, il y a des cas particuliers évidemment. Mais grossièrement un producteur c’est : gérer un budget, les timings, les contrats, les deals…
Justement, ce n’est pas ça ta vie ?
Ce n’est que ça… Quand Kilomaitre s’est arrêté, quand Masta a arrêté la musique, j’avais deux choix. Je pouvais essayer de continuer dans un mouvement qui va trop vite, où avec tout ce que j’ai à gérer, je continue à faire du son au même niveau que les autres… C’est-à-dire que je dois travailler 10 heures par jour. Personnellement, quand tu as 15-20 ans, tu peux faire des sons jour et nuit, mais à 30-40, la notion du temps change. Je ressentais que j’avais besoin d’autre chose. À ce moment-là, j’ai décidé de prendre de jeunes beatmakers et de les mettre en avant pour booster mes structures. J’étais déjà dans l’idée de signer des beatmakeurs, quand aucun producteur de rap n’en signait j’en avais trois ou quatre en contrat. Cette partie business, c’est une partie très importante.
À quel moment tu as ressenti que tu avais cette fibre entrepreneuriale ? C’est quelque chose qui est arrivé sur le tas ?
Depuis le début. C’est quoi mon premier gros projet ? C’est 2 Bal 2 Neg’. On l’a fait comment ? En « indé » pur, en distrib’, sans personne. On se produisait tout seul. Fred le Magicien nous ouvrait les studios la nuit à Bastille parce qu’il commençait à être ingé son, on venait avec des bougies et on travaillait les lumières éteintes. C’était ça 2 Bal 2 Neg’, on n’avait pas de thunes. Vu que c’était 1 500 francs une bande pour enregistrer, on entrait dans les maisons de disques et on volait les bandes. Tu vois ? On a déjà enregistré sur les bandes de Michèle Torr, sans pitié. Je le dis aujourd’hui, je ne devrais pas mais c’est la vérité. Michèle Torr si tu me lis, je suis désolé.
« Vu que c’était 1 500 francs une bande pour enregistrer, on entrait dans les maisons de disques et on volait les bandes. On a déjà enregistré sur les bandes de Michèle Torr, sans pitié. Je le dis aujourd’hui, je ne devrais pas mais c’est la vérité. Michèle Torr si tu me lis, je suis désolé. »
Tu étais en charge de l’aspect commercial du projet ?
C’est Masta et moi qui avons eu l’idée de mettre les deux groupes ensemble, on travaillait avec les deux et on a pensé qu’il fallait les rassembler. C’est quelque chose qu’on trouvait hyper avant-gardiste.
Je n’aime pas trop m’exprimer là-dessus, tu devrais parler aux artistes pour leur demander : « Quel était le rôle de Tefa ? » Si tu parlais avec Mac Tyer, il te dirait : « Tefa est fou, il a trop d’idées… » Sur Tandem, So’ (diminutif de Socrate, le prénom de Mac Tyer, à ne pas confondre avec Sofiane, ndlr) passait souvent chez moi quand j’habitais dans le 18ème. On passait des soirées entières à parler et je lui disais : « Il faut qu’on fasse ça, il faut qu’on fasse ça… »
Mac Tyer qui a aussi une vision très singulière du « business ».
On est a peu près sur la même longueur d’onde là-dessus sauf que lui est beaucoup plus artiste que producteur. Mais il a une très bonne vision de l’industrie de la musique. Tyer est un mec qui a des idées précises, l’organisation de son retour avec les Banger alors que tout le monde disait qu’il ne reviendrait pas… C’est un artiste qui n’a pas peur de prendre des risques, c’est un artiste qui sait se remettre en question en permanence.
Comment tu percevais les maisons de disques lors de tes premiers pas ?
Nous quand on est arrivé, on ne connaissait rien au business. C’est la même chose que dans la rue. Tu arrives, tu es dans une cité, tu vends ton bédo, tu fais ton argent. Tu ne te rends pas compte que les mecs au-dessus de toi, ils font 4 fois plus d’argent. Et à un moment, un autre mec t’explique qu’il est parti acheter son bédo en Espagne tout seul. Tu ne savais pas que tu pouvais faire ça. C’est le même principe sur la musique.
Tu étais un peu débrouillard à tes débuts ?
Au départ, j’ai volé des claviers, des séquenceurs… C’était mon truc ça (rires). J’ai eu la chance de rencontrer Solaar, il m’a bien aimé et m’a emmené avec lui dans des tournées, il m’a présenté des gens… On ne pouvait pas rentrer en boîte nous. Jimmy Jay (producteur des deux premiers albums de MC Solaar) ne sortait pas lui, pendant dix ans, c’était moi Jimmy Jay. Les gens ne le savent pas, mais moi ça me fait rire (rires). Les mecs me voyaient, j’avais une pseudo ressemblance avec lui. On était tous les deux bien portants et on traînait avec Solaar. Du coup, tu connectes des gens comme ça. J’ai toujours été un débrouillard, je ne peux pas rester dans l’attente.
Encore aujourd’hui dans mon business, je gère un peu comme ça. Par exemple, je sais que je dois faire Lino et que ça va me coûter une somme d’argent précise par rapport aux idées de clips que je vais faire et tout ça. J’ai une opportunité, je peux faire Seb’ Patoche, je sais que je peux en vendre tant, ça me permet de financer Lino tranquillement. C’est une vision de producteur, je regarde une connerie à la télé, je flaire le bon coup. Je les appelle pour leur dire : « Ça, je vous le mets sur orbite. » Je sais que le disque le plus vendu de l’histoire de la musique française est « La danse des canards ». On est passé en première position devant Daft Punk, c’est ça qu’ils aiment ici. Toi quand tu vas dans ta famille, tu écoutes Kaaris ou tu écoutes Claude François ? En sachant ça pourquoi je laisserais ça à un autre. Je ne vais pas cracher sur un paquet de fric pour être crédible.
« Par exemple, je sais que je dois faire Lino et que ça va me coûter une somme d’argent précise par rapport aux idées de clips que je vais faire et tout ça. J’ai une opportunité, je peux faire Seb’ Patoche, je sais que je peux en vendre tant, ça me permet de financer Lino tranquillement. »
Robin des Bois quoi. Tu penses que le public n’a pas compris cet aspect de ta réflexion ?
Pas Robin des bois, c’est une gamberge personnelle. Il faut savoir que le rap génère de l’argent à un certain niveau, tu es plafonné dans ce que tu peux faire. Je ne parle pas des mecs comme Gims, je te parle de rap pur. Gims s’il n’avait que rappé, il aurait été plafonné à un certain niveau ; mais comme il a le talent de chanter, d’avoir des mélodies, de faire des chansons… À un moment son plafond explose et il va ailleurs. C’est pour ça qu’il chante plus qu’il ne rappe. D’ailleurs moi je trouve que Gims est un putain de rappeur. Il est sous-côté à ce niveau, beaucoup ont oublié les couplets qu’il a lâchés dans L’écrasement de tête.
Les gens ne pensent pas par eux-mêmes, ils ne vont pas regarder ce que tu as pu faire avant, ils ne vont pas fouiller… Ils jugent un mec sur un acte. À un moment ils ont voulu réduire Tyer à « Ha! Ha! Ha! », mais aujourd’hui tout le monde fait ça. Il est juste arrivé au mauvais moment et tout le monde lui a tiré dessus. Tout est une question de timing. Un mec comme Tyer a payé ça. Quand je te disais que So’ avait des idées en avance, je te jure que c’est vrai. Sur l’album de Tandem, on avait déjà fait un titre chantonné qui s’appelait « Trop speed », un peu électro et tout ça. À part 113 qui avait fait un peu ce truc-là, Mehdi reste la référence absolue de ce mélange entre rap et électro, personne n’osait ça. So’ et Makenzy étaient à l’affut de faire des choses nouvelles et ils étaient des « cailleras ». Dans le propos Tandem était « caillera » mais musicalement on essayait des trucs.
Ce que je reproche à l’auditeur de rap de base, c’est de se focaliser sur un truc en oubliant les classiques que tu as fait. C’est pour ça que moi maintenant, je fais ce que j’ai envie et si tu n’es pas content : « Va te faire enculer. » Et je te jure que ça va beaucoup plus vite. Parce que moi ça m’est arrivé plein de fois que les gens me disent : « Je n’aurais pas fait ça à ta place. » Mais tu n’es pas à ma place frère, tu n’as pas fait un quart de ce que j’ai fait. Je n’ai pas à me justifier vis-à-vis de gens qui ne sont pas des connaisseurs. Si demain, toi, tu veux me faire des retours sur des moments de ma carrière avec lesquels tu n’es pas d’accord, on peut en parler. Par contre, quand d’autres lâchent des commentaires assassins sur Internet alors que ça se trouve tu as 14 ans, tu t’appelles Victor, tu habites au fin fond d’une banlieue, près de Roubaix, tu es « vénère » de ta « life » parce que tu ne pourrais pas être ce que tu veux car tu es petit, tu as des tâches de rousseurs, et que tu t’es fait embrouiller par des rebeus à la gare, tu vois… Avec le Web, tu avances masqué. Ça ne m’atteint plus, je m’en fous en vrai, je m’en branle. Je suis au studio, je fais la musique, je la fais pour moi. C’est là où je suis un artiste, je fais ce que j’ai envie. À côté, il y a une vision mercantile car quand je fais des titres je veux en vendre le maximum. C’est un peu le but. D’un autre côté, si tu regardes bien mes artistes, ils sont sérieux.
Donc très rapidement, tu décides de fonder Kilomaitre. Pourquoi ?
On commence en fin 91 début 92. Au début, on voulait juste facturer nos « beats », c’était plus simple d’avoir une société. Au début on voulait produire que les 2 Bal, et c’est avec le temps qu’on a fait 2 Bal 2 Neg’.
Précisément, à ce moment-là, tu as une pleine prise de conscience de la dimension économique ?
À l’époque, on voulait juste faire du bon son, on voulait être les meilleurs. Mes premiers disques de rap, je les ai écoutés en 87, j’ai commencé à faire DJ en 89, j’ai monté ma première boîte en 92. Donc si tu calcules et que tu regardes le nombre de personnes qui étaient avec moi à ce moment-là et le nombre de personnes qui restent de cette époque-là… Encore en place, on doit être cinq. Par exemple quand je vois Sulee B qui est un producteur que je respecte énormément, humainement et artistiquement, lui est en place mais de ma génération. Qui est encore en place en producteur ?
En rappeur, il y a des mecs comme Booba. Après, je ne connais pas son parcours, je ne sais pas comment il a commencé. À partir de 93-94, il était déjà actif puisqu’on le voyait à Ticaret, il venait avec La Cliqua. Mais des mecs de cette époque qui sont encore actifs pour le rap, tu n’en as pas 15. Si on a passé ça c’est qu’on a su se repositionner et qu’aujourd’hui tu peux autant me retrouver avec des artistes comme Kery ou Diam’s, tu peux me retrouver avec Stromae en éditeur et Sofiane ou VALD sur un truc nouvelle génération. C’est qu’à un moment on s’adapte et qu’on aime vraiment ça. Si je n’aimais pas ça, un groupe comme L.E.J. ça me fait vivre, largement.
« Avec Masta, on ne connaissait rien de tout ça donc bien sûr au début on s’est fait enfler. Pour notre premier contrat, on nous a donné 10 000 francs pour les éditions de 2 Bal 2 Neg’. »
Pour revenir à tes premiers pas dans l’industrie, à quel moment tu intègres le paramètre des majors ?
Dès le début. Même si je suis en « indé », je sais qu’à l’époque, encore plus que maintenant, une maison de disques ça te changeait tout. Tous les médias ne parlaient qu’aux labels. L’avènement des indépendants est arrivé bien après. Avec Masta, on ne connaissait rien de tout ça donc bien sûr au début on s’est fait enfler. Pour notre premier contrat, on nous a donné 10 000 francs pour les éditions de 2 Bal 2 Neg’. Comme je fais partie des mecs un peu parano, on s’est posés pour comprendre pourquoi ils nous donnaient 10 000 francs. On y réfléchit et directement on décide de monter notre structure de « prod ».
Tu comprends le mécanisme de l’édition à ce moment-là ?
J’ai presque accès à tout le monde rapidement en beatmaking et artiste, quel mec en maison de disques en édition peut faire ce travail de réseau. Personne ne peut parler avec Youss’ (Youssoupha) pour lui dire : « J’ai un beatmakeur chaud, viens l’écouter. » Il va me répondre : « Vas-y, j’arrive. » C’est comme ça qu’on travaille. On a un respect artistique l’un pour l’autre. À un moment, ce travail n’est pas capable d’être fait par un éditeur. Mais à l’époque on avait signé chez un éditeur juste pour qu’il récupère nos éditions…
Et le nerf de la guerre pour un producteur, ce sont les éditions ?
Pour un producteur comme moi tu es obligé de travailler avec les éditions car je fais du développement. Sur Kery on est totalement en indé, notre économie ne peut pas tourner seulement sur les disques.
C’est une manne financière importante pour les maisons de disques ?
Pas seulement, les maisons de disques ont des visions globales. Pour moi l’avènement du streaming, c’est le développement de l’indépendance. Pourquoi ? Globalement aujourd’hui, les majors n’ont aucune utilité. Elles signent des mecs qui ont déjà percé sur Internet, elles ne font plus de développement. Moi, je prends des artistes que je développe ou je les remets en selle. C’est du temps et les mecs de maisons de disques n’ont pas le temps. Sur Sofiane par exemple, ça fait deux ans qu’on travaille. Il y a dix clips, je ne sais pas combien d’heures de studio. Il y a 7 mois, tout le monde se foutait de notre gueule pour Sofiane. Columbia nous disait « C’est trop dur ça ne marchera jamais ». Aujourd’hui tous les labels veulent le signer au final.
Pourquoi les majors ne font plus ce travail de découverte ?
À l’époque, c’était plus simple il y avait le moteur Skyrock. Tu rentrais sur Skyrock, tu vendais 100 000. Tu es dans un système où tout fonctionne. C’est toujours le même principe que le bédo, tant que ton argent rentre tu ne poses pas plus de questions.
Au début, on n’avait pas la vision de ce qu’allait devenir le rap. Déjà nous qu’on nous paye pour en faire, c’était incroyable. On vient d’un truc où on est 300, mec, on savait qui était qui, on se faisait des rendez-vous. Moi, Rockin’ Squat, je l’ai vu à la première réunion Zulu à Porte de la Chapelle avec Queen Candy. Vu d’aujourd’hui ça peut paraître honteux mais à l’époque c’était mortel. C’était le seul endroit où tu pouvais voir des rappeurs. Si à l’époque on nous avait dit qu’il y aurait un mec millionnaire dans le rap, on aurait rigolé. On était déjà bien content de faire radio Nova… À l’époque tu passais sur Radio Nova, tu étais une « re-sta » dans notre mouvement. Après en 1989, il y a eu l’arrivée de Public Enemy qui a été très médiatisée avec le concert du Zénith qui avait fait la Une des journaux. C’était la première fois qu’on parlait vraiment du rap, ils avaient titré: « le groupe qui fait peur », « les pro-black »… J’y étais, on n’est pas mort.
Tout ça pour dire qu’on ne savait pas que mercantilement ça allait devenir aussi fort. Peut-être que Kenzy (manager historique du Secteur Ä) en avait conscience. J’ai regardé une vielle interview de lui avec Ministère A.M.E.R, il en parlait déjà, il était déjà en avance lui.
« Si à l’époque on nous avait dit qu’il y aurait un mec millionnaire dans le rap, on aurait rigolé. On était déjà bien content de faire radio Nova… »
Justement tu comprends la critique autour de Skyrock qui s’est intensifiée ces dernières années autour de sa crédibilité en tant que média rap ?
C’est un faux débat pour moi. Tu peux cracher sur Skyrock autant que tu veux mais la vérité c’est que ça en a nourri plein pendant des années. À part la nouvelle politique menée, parce que ça change, pendant des années la playlist Skyrock était plus que convenable pour le rap. Quel grand rappeur n’est pas passé sur Skyrock ? À part La Rumeur, tout le monde y est passé. À cette époque-là, c’était vraiment une radio rap. Ils ont joué : Fonky Family, 2 Bal 2 Neg’, X-Men… Après, il y a eu un moment où ils ont joué des gars comme K-Maro… Mais le patron est dans un système où d’autres mecs en haut lui disent : « Fais de l’audimat ! » Comme on n’est pas à sa place, on ne peut pas se permettre de juger. Il y a des choses parfois qui me déplaisent, bien sûr, mais il ne faut pas oublier que ça a été un boosteur qui a permis de vendre des milliers et des milliers d’albums a plein d’artistes, plein. Les trois quarts du rap français sont devenus riches grâce à cette radio…
Mais Skyrock est aussi devenu riche grâce à ces artistes.
Mais grave. C’est ce que dit Kery dans « Racailles », ils se sont tous les deux utilisés. C’est la même chose avec Universal, beaucoup d’artistes se sont sentis volés. Malgré tout, ils ont fait des choses aussi bonnes qu’horribles. Quand je prends du recul et que je regarde la situation dans sa globalité, on est aussi responsable d’avoir donné les clés à une radio. Mais regarde Booba est en train de corriger en créant son propre média, ça va donner des idées à d’autres. Au final, il y aura une concurrence. Il y a l’avènement du digital qui permet aujourd’hui de ne pas forcément passer par Skyrock. C’est ça qui va bouleverser la donne.
Mais la frustration par rapport à Skyrock est la même que celle des chômeurs en France. Tu as 10% de mecs qui veulent travailler, sur une playlist tu as un nombre précis de titres et tout le monde ne peut y rentrer.
Ce n’est pas le diable Skyrock. Parce que si ta maison de disques avait fait un bon travail de promotion en quadrillant vraiment le terrain, tu ne serais pas là à attendre après Skyrock. Cette radio ne peut pas être responsable de tous nos échecs. Je n’ai pas d’intérêts chez eux, je parle comme je le pense. Quand je commence un projet je ne pense pas aux radios, je ne pense pas à Skyrock.
Ce qui est moins acceptable c’est que des artistes comme Kery James soient en position de négociation avec cette radio. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui la musique diffusée ne peut être que dansante.
C’est sûr. 30% de la playlist est construite autour de morceaux d’ambiance. Dans le reste tu as du SCH, du Lacrim, du Jul… Le problème c’est que tu ne peux pas satisfaire tout le monde. Il y a des choses qui sont critiquables mais de là à en faire le cancer du rap, je pense qu’il faut se remettre en question. Par exemple, VALD n’est jamais rentré sur Skyrock est je vends mes 45 00 albums tranquille, je fais mes 80 concerts tranquille.
Tu nous as dit tout à l’heure que tu aimais beaucoup Damso qui a récolté un véritable succès critique. Comment tu vois le fait qu’il ne passe pas sur une radio qui se proclame « première sur le rap » ?
C’est le principe de l’offre et la demande. Quand Damso arrive il y a peut-être plus de demande pour quelque chose d’autre, du coup la réaction c’est de ne pas l’intégrer en playlist. Peut-être que le programmateur fait les mauvais choix mais le média en lui-même joue des titres que j’aime bien. Mais par exemple, il faut reconnaître que le mec (Laurent Bouneau, ndlr) se fait insulter par Booba et il joue quand même « DKR ». Pourtant Booba lui a tiré dessus, tiré dessus, et tiré dessus. Aujourd’hui, il y a l’offre et la demande et quand le public demande tu es obligé d’y aller.
Tu ne crois pas que l’offre façonne aussi la demande ?
Si le 3 millions de personnes qui écoutent Skyrock envoient des messages à Laurent Bouneau pour demander Damso, il serait directement sur la playlist. On n’arrive pas à se rassembler pour créer ce genre de choses. Après Damso est au début de sa carrière, il aura le temps de rentrer en radio et tout ça.
Du coup, toi qui a vu passer toutes les époques, comment tu as vécu l’arrivée d’Internet ? Tu as connu l’avant et l’après.
J’ai un seul regret, c’est d’être arrivé trop tard sur Internet. Je poste des photos qu’au sport, ça me fatigue. Je n’ai pas ce truc, je ne viens pas de ça et je ne suis pas comme ça.
« Tu peux cracher sur Skyrock autant que tu veux mais la vérité c’est que ça en a nourri plein pendant des années. »
Pourtant comme tu le disais, économiquement, tout se joue là-dessus. Tu n’as pas pris le pli.
Si j’avais voulu prendre le pli, j’aurais acheté une société de streaming comme Jay Z. Mais bon, je n’ai pas les moyens de le faire (rires).
Pourtant tu as même connu l’effervescence des Skyblog ?
Je n’ai jamais participé à cette escroquerie de Skyblog parce qu’il y en a plein qui s’en sont sortis en les trafiquant. Pour moi le Web est une chose virtuelle, tu es face à des choses que tu ne connais pas. Mais tous les gros succès passent pas le Web, on fait nous aussi du développement Web. Regarde sur L.E.J, regarde sur Sofiane, regarde sur VALD. Le Web ça doit venir de l’artiste, il doit l’avoir dans son ADN mais ce n’est pas moi qui changera la donne. Je peux avoir les idées pour les amener à faire des vues, ça me plaît. Après tout ce qui est stratégie digitale, je paye des « community manager » pour le faire, ça ne m’intéresse pas plus que ça. Je ne vais pas te mentir. Moi ce qui m’excite, c’est : être en studio, faire des beaux titres, produire les albums, trouver les concepts, parler à mes artistes.
Aujourd’hui quelle est ta relation avec les labels, comment tu te positionnes ?
Je travaille tout le temps, tout seul. Mais en ce moment, tous les quinze jours je reçois des appels des labels qui me demandent si je n’ai pas un truc… J’ai un très bon rapport avec eux. Par exemple, quand on vend 450 000 albums de L.E.J., j’ai besoin d’une force colossale comme Universal pour me pousser. À un moment, je sais où sont mes limites.
Le Web, je m’en sers que pour découvrir les jeunes talents. Je peux y passer des trois heures à regarder, écouter, aller sur des forums. D’ailleurs tous mes artistes, à part Sofiane, je les ai trouvés sur le Web : VALD, L.E.J, la plupart de mes songwriters et de mes beatmakers… J’appelle les gars, je les rencontre. Comme les maisons de disques ont déserté le développement, c’est une aubaine pour des producteurs comme moi. Je prends un petit artiste, je le développe. « Bam ! » Je lui fais tomber un gros contrat, je me fais tomber une grosse avance. Tout le monde est d’accord.
C’est toi qui va vers les maisons de disques ou l’inverse ?
Je n’attends rien de personne. So’ (Sofiane, cette fois) me disait : « Viens on va les rencontrer… » Je lui répondais : « Non, ce n’est pas encore le moment. » Sur So’, on travaillait avec Musicast avec qui on a sorti ce qui devait être le premier single de l’album : « Rapass ». Le morceau ne prend pas comme on veut. À un moment avec So’, on se pose, on appelle Musicast : « On ne sort pas l’album, on repositionne. Tant qu’on ne fait pas 1 million de vues en première semaine en vue, on ne fait rien. » Plus tard, So’ me sort le concept de « #Jesuispasséchezso ». Il m’explique qu’il veut commencer par Marseille : « Je veux aller là où personne n’a été. » Je lui demande s’il veut qu’on y aille avec lui et il me dit : « Non, non, j’y vais tout seul. » Et ce fou se casse tout seul à Marseille pour tourner dans la Castellane avec Screetch. À un moment, je lui dis : « Viens on se repositionne, viens on prend la rue. » La définition du mec de rue, c’est bien So’. Il est posé mais si tu viens le faire chier, il ne va pas partir, il va se battre. Il est comme ça. C’est un mec comme j’ai pu en voir toute ma jeunesse. C’est sa force, il est en adéquation avec les jeunes de rue. C’est un des rares mecs, si tu l’emmènes à Tours, Toulouse ou Poitiers, à 85% il se retrouve dans une té-ci à rapper et pillave avec les mecs.
Pourtant dans le cadre de VALD, c’est assez tôt que Millenium (Universal) décide de vous suivre.
Mais qu’est-ce qu’on a fait pour ça ? On a fait le clip « Autiste », sans personne. Le clip a traumatisé tout le monde, ils se sont dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ce baisé. » Bien sûr tout le monde vient mais on met combien de temps à signer ? On prend un an. On repousse NQNT de 6 mois parce qu’on n’était pas prêt. Qu’est-ce qu’on a fait sur VALD ? On a pris Kub & Cristo, qui étaient nos monteurs et qui avaient réalisé « Wolfgang » de Lino, pour les attribuer à VALD. Il est fou donc on a voulu créer son univers par l’image. Aujourd’hui, chaque clip de VALD est un événement. Tout le monde clique en se demandant ce qui va se passer. Quand je te dis qu’on a une réflexion par artiste, c’est le travail. Sur Sofiane c’est la même chose, tu te dis : « Combien de mecs ils seront cette fois-ci ? Combien d’armes ? Ils vont sortir des lance-roquettes ? » Ce sont des rendez-vous que tu donnes. Je fais partie des producteurs qui font des carrières. Je ne fais pas des coups…
« À un moment avec So’, on se pose, on appelle Musicast : ‘On ne sort pas l’album, on repositionne. Tant qu’on ne fait pas 1 million de vues en première semaine en vue, on ne fait rien.’ Plus tard, So’ me sort le concept de ‘#Jesuispasséchezso’. »
…Tu as fait quelques coups quand même.
Quand je crée une carrière, que je signe des artistes, c’est pour les développer. Après je peux signer des singles mais c’est normal. Je suis aussi là pour faire tourner ma boîte. J’ai des personnes qui travaillent, il faut les payer. J’ai une structure, il faut que je l’alimente. Les mecs qui me disent qu’il faut œuvrer pour le mouvement. À un moment frère : « Paye mon électricité ! » Moi, je fais travailler des gens. Tu sais que sur mon label et sur ma boîte de prod’ vidéo, j’ai plus de 35 personnes qui travaillent. Je suis fier de ça. Il y a qu’au Monopoly que tu as de l’argent virtuel et que tu peux acheter la rue de la Paix. Il y a des moments où tu vas chercher de l’argent pour pouvoir faire d’autres choses. Tu disais Robin des Bois tout à l’heure, je ne suis pas d’accord avec ça. Il s’agit juste de faire tourner son business.
Il y a des choses que tu as faites qui sont artistiquement contestables. Dans le milieu du rap, on t’a beaucoup reproché d’avoir travaillé avec Michaël Youn.
Je traîne avec Michaël Youn, c’est mon pote. J’écris La beuze, j’écris Les 11 commandements. On nous commande le single d’Alphonse Brown (« Le Frunkp »), on fait un titre pour un film. Après ils reprennent des titres à moi qu’ils adaptent et tout ça. Fatal Bazooka c’est signé par Warner mais vu que je suis la partie apparente, on dit que c’est Tefa.
Tu n’as rien à voir là-dedans ?
Non ! En vrai le truc de Fatal Bazooka, ça part de quoi ? Booba fait Couvre Feu et à cette époque il était en histoire avec Sinik (un artiste que produit Tefa à l’époque), il dit « J’accuse Tefa et Masta. » C’est faux ! C’est le principe de la guerre, tu colles des dossiers sur la tête des gens. La vérité est souvent loin de ce qu’ont dit. En temps de guerre tu peux mettre tout sur le dos de quelqu’un, les gens n’iront pas vérifier et répètent bêtement ce qu’ils entendent. Après c’est de bonne guerre, moi ça me fait rire. C’est le même principe que de raconter que Booba avait des poneys, c’est la même chose. Nous on travaillait avec Sinik mais on n’avait rien à voir, c’était une embrouille entre Sinik et Booba. En France c’était les premiers clashs, on n’avait pas conscience de ce que ça donnerait. On était les dommages collatéraux.
Mais même ponctuellement tu as contribué à une caricature du rap avec Michaël Youn ? Tu comprends que ça ait pu être mal pris.
Si tu commences à faire la guerre à toutes les personnes qui font de la caricature et de l’humour… On est les premiers à se moquer des bourgeois, à se moquer de plein de choses. À un moment tout est parodiable. Quand je vois le Palmashow qui revisite PNL, ça me fait rire et je ne trouve pas ça dénigrant. Quand les Inconnus se moquaient d’Indochine ou de Florent Pagny, on peut en rire… Mais tu ne peux pas te moquer du rap ?
Ce qui était plus grave par contre c’est que les gens du rap étaient reçus comme des clowns par la télévision. On nous faisait : « Yo », « T’as vu »… Si tu regardes bien, dans l’évolution, on est devenu les caricatures qu’on a dénoncées. On est des pro-capitalistes, on fait l’apologie de l’oseille, on fait l’apologie de Vuitton. Nos seuls combats, c’est la chaîne en or et la voiture de sport avec les grosses jantes. Je trouve ça plus dramatique que Fatal Bazooka. Mieux vaut rire ou faire la promotion sérieuse de choses qui ne reflètent pas la réalité ? La vraie vie ce n’est pas ça. D’ailleurs la plupart des gars qui rappent ça n’ont pas les moyens de rouler en Ferrari. Tout le monde n’est pas Booba, tout le monde connaît les chiffres de tout le monde. Si tu vends 5 000 disques, ne me fais pas croire que tu roules en Lamborghini frère.
Je ne sais pas si je le prenais avec autant d’humour si ça n’avait pas été mes potes. Mais d’un autre côté, j’avais été capable de faire Gomez & Dubois, ça m’avait éclaté. Parce que ça fait partie de moi, j’aime rigoler, j’aime faire des vannes. Booba aime rigoler, il fait des vannes sur son Instagram ou quand il parle de la concurrence. Il utilise des trucs que Fatal aurait pu utiliser. Après on était en temps de clash avec Sinik et à un moment tu ressers les rangs derrière tes gars.
En plus tout le monde a des casseroles, il n’y a pas un rappeur qui n’a pas une casserole. Pas un. On n’est pas tous né avec une vision de mec de 35 ans. On a tous fait de la merde.
Tu as l’impression d’avoir pris pour tout le monde ?
Mais grave, regarde, on a même pris pour Diam’s. Nous avant on était hyper-crédibles dans les choix qu’on faisait : Mission Suicide (compilation sortie en 2001), Pit Baccardi, Doc Gyneco, Stomy Bugsy, Passi, 3 Coups, Ménage à Trois, 2 Bal 2 Neg’… On était sur un truc très puriste, notre son aussi. À un moment tu switch, tu as envie de faire autre chose. Quand je fais une opération comme Gomez & Dubois, je pense que c’est un truc qui est vraiment hip-hop. Si tu écoutes, on dénonçait les abus de la police par l’humour. Rire ça fait du bien. Quand Disiz fait « J’pète les plombs », j’adore ça comme j’adorais Biz Markie, Pharcyde, A Tribe Called Quest, De La Soul… Le rap un peu délirant, des gens que tu n’attendais pas. Tous les artistes que je viens de te citer ont été critiqués mais ce sont des pionniers du rap. Il y a toujours cet écart entre la dureté de la rue et quelque chose d’un peu plus amusant.
« J’ai vécu la critique extrême sur Diam’s mais ça a changé hein… Quand on a vendu 1 million d’albums, ils étaient en moonwalk frère. C’était tous devenus nos amis. »
Quelles étaient les critiques sur Gomez et Dubois ? C’était si violent ?
Tu n’étais pas là pour le vivre… On eu grave de critiques. Et d’autre part, on a été surpris par l’adhésion d’autres mecs car ils ont compris ce qu’on faisait. Gomez et Dubois, ça me permet de me retrouver avec Ardisson qui ne me parle que de ça. Il me convoque pour me dire : « C’est génial. » Je rencontre d’autres gens et je vois que le rap devient un phénomène sociétal.
Quand est sorti Alliance Ethnik, je n’aimais pas, aujourd’hui je leur dis : « Respect ». Avec le recul, quand j’écoute maintenant, je me rends compte que c’était trop bien produit, que les refrains sonnaient… Et c’est du bon rap ! Nous, au début, on n’était pas d’accord car on était dans un truc.
La critique s’intensifie sur Diam’s, les accusations sont parfois presque graves. On a pu entendre qu’il y avait un repositionnement marketing de l’équipe en place au moment de Brut de femme.
Est-ce que tu crois en ce que tu viens de dire ?
Je me fais l’écho de choses que j’ai entendues à plusieurs reprises, je préfère te poser la question.
Tu as déjà parlé à Diam’s ?
Non jamais.
Si tu avais déjà parlé avec Diam’s, tu aurais bien vu que c’est impossible que ce soit une fabrication marketing. C’est une rappeuse qui se comporte comme un rappeur car on est dans un milieu qui est très misogyne, très fermé, elle est blanche et c’est une femme. Quand elle voit que faire le rappeur, ça ne fonctionne pas, on a une réflexion toute simple. Pourquoi tu essayes de parler à des mecs qui ne t’écouteront jamais alors qu’il y a une importante population féminine qui ne se sent pas représentée et parfois même agressée par les textes de rap. La gamberge logique devient : « Je vais parler à mes ‘gonz’. » Et si quelqu’un appelle ça de la manipulation, c’est de la grande stupidité. Elle a juste décidé de parler aux meufs comme les mecs parlent aux mecs. Il y a du marketing là-dedans ? Non ! Il y a juste une prise de conscience de qui elle était réellement et à qui elle devait s’adresser. Et même si elle s’adresse aux meufs, elle s’adresse à tout le monde. Des mecs sont venus me voir pour me dire : « Le plus grand rappeur c’est Diam’s. » On peut dire ce qu’on veut sur Diam’s mais qui la prend en tête-à-tête sur un seize ? Qui que ce soit qui s’y essaierait, sait très bien qu’il peut s’en manger une à la huitième.
Moi, je suis un militant du hip-hop et je suis bien passé faire le DJ chez Cyril Hanouna. J’ai fait des choses que les gens ne comprenaient pas mais j’avais ma gamberge là-dessus. Moi j’ai envie de faire mes expériences et peut-être qu’elles m’apportent quelque chose dans ma vie. Je reviens à ma phrase : « Tu n’es pas content ? Va te faire enculer ! »
J’ai vécu la critique extrême sur Diam’s mais ça a changé hein… Quand on a vendu 1 million d’albums, ils étaient en moonwalk frère. C’était tous devenus nos amis. Est-ce que Diam’s restera dans la galaxie du rap ? Oui ! Est-ce que Dans ma bulle est un grand album de rap ? Oui ! Et à l’époque on s’est fait critiquer grave : « C’est du commercial, nanana. » Ce n’est pas du commercial, c’est de la bonne musique.
Tu as pris du plaisir à être DJ dans Touche pas à mon poste avec Cyril Hanouna ?
Je m’éclate moi, la vie est courte mec. Demain quand j’irai voir mes enfants, je leur dirai : « Tu sais que ton père a fait ça… » Qui peut dire qu’il a eu dix vies dans une vie ? Moi je peux le dire. J’ai été à la télé, j’ai écrit des films, j’ai joué dans des films, j’ai fait de la musique, j’ai produit de la musique. Je suis un artiste, je m’exprime.
Hanouna ça m’éclate frère, j’ai vécu pendant un an dans la plus grosse émission de télé. J’ai fait deux films cultes de toute une génération (La beuze, Les 11 commandements)… Qui va me reprocher de m’amuser ?
Ton rôle dans Touche pas à mon poste n’était pas un peu caricatural ?
Tout le monde à des rôles chez Hanouna. J’allais pas faire DJ Abdel, on trouvait que l’idée du DJ gaffeur c’était marrant. C’est dans ma personnalité, je suis laid back. J’ai rigolé, j’étais très bien payé. En plus ça m’a permis de rencontrer tout le milieu de la télé, du coup pour mes artistes je peux parler en direct avec les patrons. C’est un truc de gangster ça. Dans « Hold up mental » de IAM, ils parlent de cette idée : s’insérer pour mieux dominer. J’applique les préceptes du rap.
Du coup ça a donné lieu à des scènes parfois irréelles où Gilles Verdez, épinglé par Jean-Luc Lemoine, explique que tu es « un professionnel du marketing, le Gérard Louvin des DJ ».
Gilles Verdez ne connaît rien à la musique, ne connaît rien au rap. Tous les chroniqueurs sont supposés maîtriser un sujet, lui en foot il est bon. Mais quand ils parlent de rap, ils peuvent se permettre de juger comme si c’était une musique normale, sans en avoir les codes. Il ferait ça pour de la musique classique ou du jazz on leur dirait : « Ferme ta gueule, tu connais rien… » Mais le rap c’est une musique encore plus codifiée que le classique ou le jazz, il faut connaître la culture, l’histoire.
Concernant le rap, il n’y a que des incompétents en chroniqueur à part Mouloud Achour. Le reste est totalement à ramasser. Quand Enora (Malagré) explique que Booba parle d’une meuf dans un de ses morceaux alors qu’il parle de la rue. Ils sont à l’ouest.
« Après les époques ont changé, dans les années 90 c’était une période beaucoup plus violente que maintenant. Les jeunes sont plus fous maintenant mais notre époque était beaucoup plus violente gros. »
On ne t’a jamais proposé d’être directeur artistique d’une maison de disque ?
On me l’a proposé mais je suis où ? À la tête de ma boîte, ma liberté n’est pas à vendre pour l’instant. Je te dis ça aujourd’hui mais qui sait demain ? En tout cas ce sera à ma façon et à ma vision. Aujourd’hui, je suis tellement libre, je peux signer qui je veux quand je veux. Je n’ai rien à demander à personne, j’ai mon studio et il n’y a pas un boss au dessus de moi pour me valider de signer VALD. Je préfère la position où je signe VALD et les mecs viennent me chercher pour le signer.
Ça ne t’exciterait pas de faire quelque chose à plus grosse échelle avec plus de moyen un peu comme G.O.O.D. Music, YMCMB, Maybach Music aux États-Unis ?
Si j’avais été en maison de disques, je n’aurais pas pu faire ce que je voulais sur So’, je n’aurais pas pu développer VALD comme je le voulais. On verra… De toute façon, je ne suis pas un DA frère, si je dois aller quelque part ce sera à la tête d’un label. Tu crois que moi je vais écouter un mec qui va m’expliquer ce qu’est le rap. Ce n’est pas que je me la raconte mais avec tout ce que j’ai fait pour cette musique, c’est impossible. Ça voudrait dire travailler pour les autres pour gagner moins d’argent, ça n’a pas de sens.
Regarde Gims avec Monstre Marin, je trouve que c’est une super initiative. Dans le deal de co-exploitation, il doit être à 50-50 et moins la distribution il doit être à 30% des revenus net. S’il avait investit 300 000 € de son argent, il pourrait gagner 80% de ses revenus… Après, il n’a pas pris de risque financier.
Comment tu analyses ce rapport entre des producteurs comme toi et les maisons de disques ?
En ce moment, je fais un truc avec Skalp. Notre but c’est de changer le modèle économique de l’industrie de la musique. On travaille sur la montée de nouveaux types de « deal » sur des artistes notamment. Je t’en parlerai au moment voulu. Mais la répartition, 23 ou 30 % pour un producteur, n’a plus de raison d’être. Je pense que la co-exploitation est un mauvais deal, car elle est calculée sur des taux de distribution. Si je te dis que je fais une co-exploitation à 50-50, mais si Universal prend 30% de distribution, tu n’es plus à 50-50. Au final tu es déjà à 70-30 et dans les 70 tu dois donner la moitié à l’artiste. Tu te retrouves au même niveau qu’une licence sauf qu’eux n’investissent pas dans le marketing le co-payent seulement. Il n’y a aucun intérêt.
Il y a encore une place pour une approche frontale avec les labels ou tout est devenu lisse ?
Tu demanderas à l’ancien patron de Capitol, Julien Creuzard… Quand il a rendu le contrat de Kery en huit jours. Si tu te sens pas bien avec les gens, tu ne peux pas emprisonner quelqu’un. En tout cas nous, on ne veut pas être prisonnier.
Après les époques ont changé, dans les années 90 c’était une période beaucoup plus violente que maintenant. Les jeunes sont plus fous maintenant mais notre époque était beaucoup plus violente gros. Il s’est passé des choses dans ces années-là qui ne se passerait pas aujourd’hui.
Genre ?
Des mecs de maison de disques qui se font tabasser. Des mecs qui vont tuer son chien, l’ouvrir en quatre. Le rap n’était pas aussi développé, il y avait peu de concerts et peu de soirées et pas de réseaux sociaux. Tu te croisais dans la soirée (il tape son poing droit sur sa main gauche), ça y allait. Ce n’est pas comme maintenant où tu peux avoir une embrouille par réseaux pendant un an sans croiser les mecs. Pas de sécurité, pas de bodyguard… C’était toi et ton équipe.
Aujourd’hui les vrais durs sont tes avocats. Tu vas aller taper un mec, tu as perdu. Tu finis en prison avec des articles sur le Web. Tu as un problème, tu envoies ton avocat. Maintenant on met des clauses de sortie quand il y a des problèmes contractuels.
« Dans mon sens, je préfère faire des gros deals avec une vraie indépendance, je peux négocier ce que je veux dans mes contrats : pas les tournées, pas le merchandising, je ne laisse rien. »
Au tout début de cette interview, on parlait de plafond de verre, comment tu l’expliques ?
Vous vous rendez compte : Mac Tyer a réussi à rentrer sur NRJ, Alonzo a réussi à rentrer sur NRJ, Booba a réussi à rentrer sur NRJ. Le monde change !
Pourtant parfois les ventes ne sont pas à la hauteur ?
Le propos de la trap limite les ventes. Tu as un plafond de 80 000 et pour les superstar c’est 100 000. Mais des superstar en trap tu n’en as pas beaucoup : Booba, Rohff, Lacrim… Après avec le streaming, ça n’a plus rien à voir. Les maisons de disques cherchent à signer de l’électro et de l’urbain car c’est ce qui rapporte de l’argent. Ça vient de bouleverser la gamberge de l’industrie de la musique.
Après il y a très peu de millionnaires dans le rap, on pourrait faire un calcul rapidement de ce que rapporte la vente de 100 000 albums. Ce n’est pas grand chose. L’économie c’est les clubs, le merchandising… Ce sont les à-côtés.
Pour finir comment tu vois le traitement du rap chez les majors?
(Rires) Il y a des labels qui sont nuls, horribles. Je les trouve tout pétés parce qu’ils ne signent que des buzzs. Ils n’ont plus vraiment de couilles car ils ne font plus de développement. C’est plus simple pour eux de signer un buzz très cher, que de signer 10 artistes à développer. Alors que moi je mise sur mes artistes, je me dis ça va me coûter tant et ça va leur coûter tant. C’est ça la réflexion.
Par exemple, Booba prend des artistes qui ne sont pas forcément des mecs qui buzzent. Ils les pousse et il développe des carrières. C’est ce qu’il a fait sur Shay, Siboy, 40 000 Gang, Damso… Il y a une vraie volonté de développement, tu t’associes au sein d’un label et tu développes avec son argent. C’est un truc où au final tu dois t’y retrouver dans ton équilibre.
Dans mon sens, je préfère faire des gros deals avec une vraie indépendance, je peux négocier ce que je veux dans mes contrats : pas les tournées, pas le merchandising, je ne laisse rien. Ça me permet de m’associer complètement avec mes artistes, comme je le suis avec Sofiane même sur le merchandising on est à 50-50. « BAM ! » On est dans l’équilibre, on est ensemble en réalité. Je n’ai pas besoin de gagner plus d’argent que ça car quand mes artistes sont biens, mes artistes restent. Lino ça fait 3 ans qu’il est avec moi, Kery James ça fait 4 albums. On est bien avec mes artistes car avec ce type de montage on peut tous gagner de l’argent.