Tony Royster Jr. : « C’était incroyable de jouer à l’investiture d’Obama, c’est l’histoire qui s’écrivait »
Il y a près d’une semaine, notre capitale accueillait un prodige sans véritablement le savoir. À 31 ans, Tony Royster Jr. fait office de valeur sûre auprès des icônes d’un grand public qui le méconnait encore. Jay-Z, Joss Stone, Justin Timberlake, Beyoncé « de temps à autres », tous ont fait appel aux services de ce virtuose de la batterie. De ses débuts précoces à sa reconnaissance actuelle, le musicien s’est installé aux côtés de YARD afin d’évoquer son parcours, l’évolution de la musique et sa relation de longue date avec Hova.
Photos : Yannick Roudier
Pour commencer, peux-tu nous dire quand et comment tu as commencé à jouer de la batterie ?
J’ai commencé à l’âge de 3 ans. Mes parents sont tous deux musiciens et mon père faisait partie d’un groupe que je m’amusais à suivre partout et tout le temps. C’était un peu comme mon centre de loisir. Quand j’avais 3 ans, je me suis levé un matin de la housse de guitare dans laquelle il m’arrivait souvent de dormir et je suis directement allé vers la batterie pendant que mon père et son groupe faisaient une pause. Là, j’ai commencé à jouer un beat, et je suis parvenu à garder le rythme. Mon père n’en croyait pas ses oreilles. Il s’est rapproché de moi et m’a demandé de m’arrêter, puis il m’a dit : « Recommence ». J’ai rejoué le beat et voilà où j’en suis aujourd’hui. J’ai commencé à assimiler la batterie et plus largement la musique à grande vitesse, et je suis devenu bon là-dedans.
Y’a t-il des artistes qui t’ont influencé à tes débuts ?
Il y a plusieurs batteurs dont j’apprécie le talent. Mon père avait l’habitude de me faire écouter des styles musicaux très divers, ce qui m’a permis d’être assez versatile sur ce point. Je dirais que Dennis Chambers est l’un des premiers batteurs que j’ai écouté attentivement. Il y avait aussi Buddy Rich, ainsi que beaucoup d’autres groupes comme Earth, Wind & Fire, The Gap Band, Frankie Beverly de Maze. Toute cette large palette d’artiste allant de George Benson, jusqu’à des musiciens de jazz comme Wes Montgomery ou Tito Puente ont eu une influence importante sur ma musique.
« Je pense sincèrement que mon talent est un don de Dieu. »
Dans une interview ultérieure, tu parlais également du rôle et de l’influence de ton père.
Tout d’abord, je souhaitais faire une mise au point. À 12 ans, j’ai réalisé un solo que j’ai dédicacé à un batteur nommé Tony Williams, et suite à cela, beaucoup de gens ont cru qu’il s’agissait de mon père. Ce n’est pas le cas.
Mon père était un musicien montant. Il savait jouer de la guitare et de la batterie, mais il m’a surtout influencé dans mon parcours en me laissant faire ce que je voulais étant petit. Il ne m’a jamais forcé ni à jouer, ni à quoi que ce soit d’ailleurs. Rien que ça, c’est une bénédiction pour moi. À côté, il n’était pas forcément strict mais il avait à cœur que je prenne les choses sérieusement et que je sois bon dans ce que je fais. Donc il me répétait sans cesse que je devais m’entraîner. Mais au fond, il devait savoir que si je faisais quelque chose qui me plaisait, ça allait me donner envie de travailler.
En grandissant, il est devenu mon manager et le fait de l’avoir eu constamment à mes côtés vers 16-17 ans, de jouer avec lui sur pas mal de scènes et de concerts, c’est ce qui m’a mis un pied dans l’industrie de la musique.
Plus que « talentueux », le mot qui semble le plus régulièrement utilisé pour te décrire c’est « béni ». As-tu le sentiment d’avoir reçu un don à la naissance ?
Absolument. Je pense sincèrement que mon talent est un don de Dieu. Ma mère est chrétienne, elle va très souvent à l’église et moi-même je crois en Dieu, donc je lui suis très reconnaissant de m’avoir fait le cadeau de pouvoir faire de la musique. Je ne m’entraîne pas forcément des heures et des heures entières, juste une heure et demi et même pas forcément tous les jours. Dieu m’a donné ce don de pouvoir écouter un beat, de l’imprégner dans mon corps et dans ma tête et d’être instantanément en mesure de le reproduire à la batterie. Je m’exprime ainsi. Mais oui, c’est clairement une bénédiction.
C’est drôle parce qu’en lisant les commentaires des vidéos où l’on te voit jouer, beaucoup d’amateurs désespèrent de voir un batteur avec autant de talent. Alors si en plus tu me dis que tu ne t’entraînes « pas forcément », tu vas finir par rendre tes admirateurs complètement fous…
(Il rit, ndlr). Attention, je ne prends rien pour acquis pour autant. J’apprécie tout le soutien et l’amour que les gens peuvent me porter. Comme chaque personne qui excelle dans un domaine – par exemple Floyd Mayweather, qui est un boxeur incroyable, ou Usain Bolt – je ne vais pas dire que personne ne peut atteindre mon niveau, mais certains ont la chance de pouvoir l’atteindre plus vite ou plus facilement. Après, je fais partie de ceux qui pensent que tout le monde a du talent en soi. Dès qu’une personne se dit qu’elle ne pourra jamais avoir mon talent, moi je me dis que tôt ou tard cette même personne trouvera une voie où elle s’illustrera à merveille. D’un autre côté, j’ai beau te dire tout ça, je sais que je vais tout de même continuer à m’exercer parce que je pense qu’on ne peut jamais être bon au point de ne rien avoir à apprendre.
Qu’est-ce qui te plaît dans le fait de jouer la batterie ?
J’aime voir les gens sourire, les voir s’amuser. J’aime voir que je peux motiver certaines personnes, pas seulement à faire de la musique mais simplement à vivre. Beaucoup de gens m’envoient des messages disant qu’ils m’ont vu grandir et évoluer depuis que je suis tout jeune jusqu’aujourd’hui, et qu’ils sentent que je suis quelqu’un de simple, quelqu’un de très positif. Et c’est ce que j’ai toujours voulu au fond. En commençant la musique, tu ne peux pas imaginer le nombre de personnes que tu peux toucher, que ce soit au travers de ton art ou de ta personnalité. J’aime leur montrer que j’ai de la passion pour ce que je fais. Je ne considère pas cela comme un job, c’est différent, et le public le ressent quand je joue. Donc quand j’arrive à insuffler ce genre d’énergie, le public la reçoit et la garde dans son quotidien. Ça peut même les motiver à en faire quelque chose d’autre, même si ce n’est pas de la musique.
« Jouer devant le président Obama pour son investiture, c’était quelque chose d’incroyable car l’histoire était en train de s’écrire. »
Les batteurs sont quelque part le cœur de la musique, peu parviennent à être reconnus comme tel. Comment expliques-tu cela ?
Comme tu dis, peu de batteurs parviennent à obtenir la reconnaissance qu’ils méritent, mais d’un côté, je pense que la reconnaissance est assez hasardeuse et qu’il s’agit souvent d’être au bon endroit au bon moment. Prends l’exemple de Ringo Starr, on le connaît au travers des Beatles qui est un groupe légendaire. Il semble clair qu’il a obtenu sa renommée surtout parce que son groupe était génial dans son ensemble. Un batteur comme Travis Barker était dans Blink-182 mais il a explosé en solo en apprenant à bien vendre son image. La reconnaissance, ce n’est pas seulement une question de musique ou de talent, parfois le talent n’a même pas d’importance. Je connais énormément de batteurs qui sont extrêmement brillants qui sont complètement sous-cotés. J’ai eu la chance d’être « au bon endroit au bon moment » et à l’époque où j’ai commencé à monter, il n’y avait qu’une poignée de batteurs de mon âge qui faisait parler d’eux.
Avec les logiciels de M.A.O ou notamment l’auto-tune, la musique se dématérialise de plus en plus. En tant que musicien, qu’est-ce que cela t’inspire ?
On peut parler de ça pendant des heures, j’ai récemment eu une conversation de ce type avec des amis. Il y a quelques jours, Prince est décédé et je me suis dit que j’ai eu tellement de la chance d’avoir pu être témoin d’une époque riche d’artistes comme lui, Michael Jackson ou Whitney Houston. Beaucoup de jeunes auditeurs n’auront pas l’opportunité de vivre de telles expériences musicales. À cette époque la musique était vraie, elle avait de la substance. Maintenant, il s’agit d’avoir suffisamment d’808s (boîte à rythme électronique) pour bouger en club et d’avoir le pas de danse en vogue, ce n’est plus que des chiffres et de l’argent, mais ça ne définit pas les réelles aptitudes d’un musicien. Et c’est pourquoi des groupes comme Earth, Wind & Fire ou Frankie Beverly and Maze sont toujours en mesure de monter sur scène aujourd’hui. Cette musique manque au public. Les sonorités qui les font se sentir bien, qui donnent envie de danser, c’est une époque complètement différente. La manière dont la musique avance en ce moment… C’est juste fou, mec. Après, il y a tout de même certains artistes essayent de ramener ou de garder cette substance de ce qu’est le r’n’b, la soul ou la funk. Et ce ne sont pas forcément des vieux, parfois ce sont simplement de jeunes artistes qui aiment ce type de sons. Même si la manière de faire de la musique change, les gens comprennent l’importance des morceaux plus anciens et c’est aussi ce qui explique le fait que ces titres soient aussi souvent samplés. En réalité, je n’ai pas de problème avec ces logiciels, ça dépend surtout de la manière dont tu les utilises, et si tu arrives à insuffler quelque chose. Par exemple, si je fais un rythme batterie, que je l’enregistre et que je l’insère dans mon Fruity Loops en ajoutant des éléments plus « technologiques » je conserve quand même l’essence de la musique.
Tu as eu l’occasion d’œuvrer dans des registres musicaux très différents. Y a-t-il un genre avec lequel tu as eu plus de difficultés ?
Je ne dirais pas que j’ai rencontré des « difficultés », mais jouer de la musique latine a été un véritable challenge pour moi. Je suis capable de la jouer, je suis capable de jouer une palette très large de rythmes, mais c’est compliqué de réussir à l’emmener à un autre niveau parce que pour cela, il est très important d’assimiler toute la culture qui y est liée. C’est très différent d’être capable de jouer de la salsa, ou de jouer de la bachata. Pour te dire, je reviens tout juste du Brésil, et la manière dont ils jouent, leurs variantes de musique latine est très différente de ce que tu peux entendre dans d’autres parties du continent. Il s’agit de comprendre leur culture et à vrai dire, je pense que ce sera l’un de mes prochains objectifs. Je sais jouer du jazz, de la funk, du blues, du rock, mais assimiler pleinement la musique latine, ça risque de me prendre plus temps. La question n’est même pas de maîtriser la structure, il faut surtout ressentir la vibe.
Sur tes réseaux sociaux, tu utilises très régulièrement le hashtag « #IJustWantToPlay ». C’est une sorte de mantra pour toi ?
J’utilise ce hashtag depuis presque 7 ou 8 mois. C’est parti de presque rien. Quand tu voyages dans pleins d’endroits différents, tu partages avec les gens la musique que tu aimes. Parfois dans tel ou tel pays, je vais voir jouer un groupe de musiciens qui va avoir une énergie incroyable, avec pleins de gens autour qui vont ressentir cette énergie et apprécier le moment. Dans ces moments-là, j’ai qu’une seule envie c’est d’être là avec eux et de jouer moi aussi. Même chose quand je passe à côté d’un playground et que je vois des gens jouer au basket. Tu peux appliquer cette formule sur n’importe quoi, ca dépasse largement le cadre de la musique. « I just want to play » c’est simplement l’idée de vouloir s’impliquer dans quelque chose qui nous rend heureux, quelque chose de positif pour toi et les gens qui t’entourent. J’ai juste eu envie de le partager avec tout le monde et parfois ça aide les gens à se motiver. Pendant un moment, tu ne te préoccupes plus de tes factures, de ta meuf, de tes problèmes, tu te laisses juste aller et tu fais ce qui te rend heureux.
L’une de tes principales aventures musicales a été avec Jay-Z. Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ?
Il y en a beaucoup mec… D’abord il y a le fait d’avoir eu l’opportunité de jouer devant le président Obama pour son investiture. C’était quelque chose d’incroyable, parce que l’histoire était en train de s’écrire à cet instant. Le premier président Noir des États-Unis. Au-delà de jouer, le simple fait d’être là signifiait déjà quelque chose. Au même endroit, tu avais des superstars, artistes ou sportifs, c’était juste fou. Tu as ton pass « all access », tu rencontres toutes ses personnalités, tu te tiens à leurs côtés mais tous ces gens sont là pour une seule raison qui nous dépasse tous. Du coup, personne ne se préoccupe vraiment de savoir qui est autour de lui.
Avec Jay-Z, j’ai aussi eu l’occasion de jouer dans l’un des plus grands festivals, à Glastonbury. Là, tu as quelque chose comme 182 000 personnes en face de toi, c’était impressionnant. Le fait de jouer aux World Series était dingue également, surtout parce que juste après ce show on devait aller performer au Canada. Dès que le concert s’est fini, on a sauté dans la première voiture avec Jay et Alicia (Keys), sous une escorte de 50 policiers. Si je devais faire un top 3, ce serait probablement celui-ci.
Qu’est-ce que cela implique de jouer avec un artiste comme Jay-Z ?
C’est un individu très intriguant. J’ai joué avec lui pendant près de 9 ans, et pendant au moins un an et demi, je le connaissais sans réellement le connaître. Ce n’est pas quelque chose que j’ai vécu avec beaucoup d’artistes. Désolé de dire ça, mais je ne suis pas quelqu’un qui va faire de la lèche et quand je travaille avec quelqu’un j’aime être moi-même. J’aime rigoler, passer du bon temps. Et par exemple, je n’ai jamais demandé à Jay-Z une photo, au moins pendant les premières années. Je ne dirais pas qu’il est difficile à comprendre, mais un peu quand même. Il peut te parler tout à fait normalement, mais ca s’arrête là. Tout le monde a un intérêt vis-à-vis de l’autre, mais quand j’étais avec lui, je voulais lui montrer que ce n’était pas le cas pour moi, que je venais juste faire mon job. Au bout d’un moment, il a finit par le voir de lui-même et à partir de là, il a commencé à m’inviter dans différents endroits, à demander de mes nouvelles, et c’est là que notre aventure a réellement débuté je pense.
Au-delà de ça, Jay-Z est une grande personnalité, un génie. Je l’ai vu faire des choses incroyables, la manière dont il réfléchit est juste dingue. Sur scène il sait toujours insuffler une bonne vibe. Sa carrière est remplie de hits, donc être en mesure de jouer tous ces titres que le monde entier connaît, et savoir que lui te fait confiance pour jouer les partitions de batterie, c’est un grand honneur. Généralement, j’extrais les morceaux sur ProTools, je les sample et je les déclenche sur ma batterie afin de les rejouer avec exactitude. C’est une grande responsabilité et je lui suis très reconnaissant de me faire confiance là-dessus. Même le fait d’avoir pu jouer aux côtés de tous les grands artistes avec lesquels il a collaboré est un honneur.
« Jay-Z est une grande personnalité, un génie. Je l’ai vu faire des choses incroyables, la manière dont il réfléchit est juste dingue. »
Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui souhaiterait apprendre à jouer de la batterie ?
Tout d’abord, je leur conseillerais de s’assurer que c’est quelque chose qu’ils ont vraiment envie de faire, que c’est quelque chose qu’ils aiment faire et qu’ils ne le font pas parce qu’ils essayent d’en retirer quelque chose. Malheureusement beaucoup de personnes et même parfois des artistes pensent ainsi. Ils vont se lancer dans une activité en ne voyant que ce qu’elle peut leur rapporter. Et quand ils s’aperçoivent que ca n’arrive pas aussi vite que prévu, ils dépriment et lâchent l’affaire. Dans le cas de la batterie, l’argent ou la reconnaissance prennent parfois du temps à arriver, alors il faut être sûr d’être passionné quand tu souhaites apprendre la batterie. Je dirais aussi qu’il est important d’avoir l’esprit ouvert, et d’être en mesure d’accepter les critiques. J’ai beau avoir de l’expérience, je reste à l’écoute des conseils de personnes qui sont dans l’industrie et qui savent de quoi elles parlent. Il faut aussi rester humble, parce que ca peut t’emmener très loin. Je pense que ce sont les meilleurs conseils que je pourrais donner.
Tu as 31 ans, mais tu sembles déjà avoir tout vécu dans ta carrière. A-t-on encore des rêves quand on fait preuve d’une telle précocité ?
Absolument. Il n’est jamais trop tard. Rien que dans mon cas, je n’aurais jamais pu imaginer la moitié des choses qui me sont arrivées dans ma carrière et dans ma vie. Tout ce que je fais c’est prier pour avoir la force d’atteindre mes objectifs et faire en sorte que de belles expériences puissent encore m’arriver.
Ces objectifs, lesquels sont-ils ?
Pour commencer, je songe à proposer autre chose que de la musique, et en l’occurrence à me lancer dans une carrière d’acteur. J’ai déjà commencé à enregistrer des petites comédies et des courts-métrages. C’est quelque chose que j’aimerais faire de manière plus concrète, illustrer un autre aspect de ma personne devant les caméras, d’autant plus que j’ai une personnalité assez folle. À part ça, j’aimerais commencer à communiquer sur mon nom et mon image en général, pas forcément dans la musique. M’étendre à de nouveaux horizons, que ce soit la mode ou la télévision, par exemple.