Touzepar à Monceau

Les Champs-Elysées répertorient un des mètre carrés les plus chers de la planète même si, comme à Carcassonne ou Vladivostok, le H&M est attenant au Mac Donald’s qui lui même est mitoyen du Nike Store; avec ici, noblesse oblige, Vuitton et le Fouquet’s en sus pour stimuler les bourses. Les enseignes affichent un merch et des moulures de gala et s’encastrent sans heurts dans les fantasmes de l’avenue. Les nuits sont à l’aune du chic diurne emprunté, bataillons de michetonneuses et de parvenus viennent passer la main sur la literie de soie sans pouvoir s’y endormir.
Ce cadre si particulier est le point de départ de ma seconde partouze, de loin la plus étonnante.

Nous sommes en 2005. Je fréquente assidument un club des Champs de l’époque, le Latina Café. Point d’entourloupe sémantique, le lieu propose une sélection musicale orientée salsa/reggaeton/bachata alors que deux bars intérieurs monnayent les boissons. Renzo et moi-même, Bardamu, nous y rendons jusqu’à 3 ou 4 fois par semaine et jouissons de privilèges mafieux puisque deux barmans de notre connaissance s’obstinent à nous servir gratuitement des cocktails gigognes d’alcools forts superposés, pendant que nous tentons, souvent vainement, de rester dignes et droits dans nos pantalons à pince Celio. Ce petit jeu nocif durera un an et il y a fort à parier que ma flore intestinale changea pour toujours suite à cet empoisonnement consenti.
Ce soir là, en pleine semaine, je suis sans Renzo mais avec Nicolas, un bon bougre pas né du dernier open bar. Nous sommes le reliquat d’un groupe d’amis qui s’est effiloché au cours de la nuit, les uns partant vomir dehors pendant que les autres rentraient vomir chez eux. L’heure est maintenant grave, les clients du Latina sont en voix d’extinction sur le dance floor, il n’y a qu’une vingtaine d’individus aux gestes convenus, dont Nicolas et moi, bien entrainés, avilis et avinés dans un coin du club, toujours en poste sans raison valable si ce n’est le vif plaisir de se gnôler à l’oeil.
Soudain, dans un balancement de félin endommagé, une vague copine michetonneuse, Sandra, habituée du lieu, s’approche de nous et me soumet un problème d’algèbre dans le creux de l’oreille : « Qu’est-ce que t’en penses Bardamu ? Le vieux là-bas me propose 1000 euros pour le sucer. Je suis pas trop partante mais j’ai besoin de sous. Je fais quoi ? » Ce faisant elle me désigne un sexagénaire en attente courtoise à une dizaine de mètres. Je réplique, pragmatique : « bah si t’as besoin d’oseille… » Elle réapparait une bonne demie heure plus tard, virevoltante à l’excès, les finances visiblement ragaillardies. En l’observant plus attentivement je constate qu’elle fait partie d’un groupe de trois personnes : Sandra donc, noire plutôt claire dont les charmes déclinent, une autre jeune femme bien plus affriolante, plus sombre de peau, mieux apprêtée, et un homme d’une cinquantaine d’années qui m’apparait comme un Lucifer très crédible, une sorte de Michel Blanc tueur en série dont le visage impavide dégage une forte impression de mal.

Une dizaine de minutes s’écoulent sans qu’il ne se passe quoi que ce soit de notable, si ce n’est un léger abattement généralisé. Sandra s’avance de nouveau vers moi avec une étincelle dans les yeux : « Bardamu, tu vois mes deux amis là-bas ? » Je considère Lucifer et sa compagne. Ils scrutent dans notre direction sans un sourire. « Si ça te branche on va chez le mec, Angel, et on se met bien tous ensemble… y’aura tout ce qu’il faut, de la coke et tout. » Le prince de ténèbres aime à ce qu’on l’appelle Angel, c’est piquant.
« Et mon pote Nicolas ? »
« Angel veut pas. Il fait trop racaille. » Nicolas, pourtant, a tout comme moi une tronche de laitier inoffensif. Tout au plus certains de nos vêtements indiquent qu’on préfère Ministère A.M.E.R. à la Compagnie Créole.
« J’y vais pas sans lui. »
« Attends je vais voir. »

Sandra tournicote des talons et va consulter Angel quant au sort de Nicolas. Nous aussi on brainstorm. Après une dixième de seconde de délibération le verdict tombe de notre côté : on est chauds bouillants.

Elle revient et me glisse : « Ok c’est bon venez avec nous. Mais ils veulent rien faire avec ton pote. » On sort du club tous les 5 et j’affranchis discrètement Nicolas des consignes restrictives qui le concernent. Je le rassure, il va bien pouvoir glisser un ou deux centimètres dans la bataille. Angel nous invite à nous poser les miches dans sa Jaguar. Sandra, Nicolas et moi-même à l’arrière, Angel et la fille devant. Comment briser la glace alors que dans un avenir proche tous les intervenants risquent de se tripoter verges et vulves dans une ambiance saupoudrée de drogue dure ?
« Comment tu t’appelles ? » lance-je à la jeune femme inconnue.
« Angel. » Ah ! Elle aussi ! Vous m’en direz tant. Je l’ai un peu scannée en sortant du club, elle est jolie et rebondissante avec un regard satiné bien engageant. La voiture démarre, tout le monde est muet. Mon Nico ne se sent pas super à zeulai. Je le sens qui se pressurise sur la banquette arrière cuir beige.
« Et vous habitez où Monsieur Angel ? »
« Vers le parc Monceau. » Premier lyrics qu’il lâche, je m’attendais presque à ce que des flammes infernales sortent de sa bouche.
On arrive aux abords de l’immeuble, effectivement limitrophe du parc Monceau. L’aube est à venir, le monde renait dans une lente obstination et la nuit se désagrège sans faire d’histoire. La petite procession pénètre dans l’appart. Comme le laissait augurer le quartier rupin, le teum teum envoie du lourd : 150 m2, un gros réseau de moulures et du mobilier second empire. Un balcon de fils de pute donne direct sur le parc Monceau. Il doit pas être cariste chez Decathlon le Angel. On s’installe tous au salon comme pour une soirée littéraire ; la pièce doit faire 35m2 easy, deux canapés « design » se font face et rivalisent de confort. Le couple Angel s’affaire un peu pour qu’on ait des verres, des coussins. Je suis proprement fonsdé mais je m’interroge sur les orientations sexuelles de chacun. Si les amours saphiques ont ma sympathie, il est hors de question que je décalotte Angel, ou même mon ami Nicolas.
Je balaie du regard la collec de DVD. Angel, maitre des lieux et de l’Hades, m’encourage à en sélectionner un. J’exfiltre un film cochon. Play. Un bon boulard franc du collier s’élance sur la téloche. Je regarde Nicolas. Toujours pas trop rassuré par les amabilités du Marquis de Sade ; il y croit pas des masses à la super after, il reste sur ses gardes comme un chien de prairie.
Le couple Angel et Sandra commencent des allers retours vers le fond de l’appart. Angel girl me prend par la main et m’entraine jusque dans une chambre spacieuse avec un joli secrétaire, sur lequel un petit monticule maléfique de cocaïne attend sagement. Sandra aspire une trace dans un bruit sec et professionnel. Je m’attelle à la tâche de bonne grâce, le sybarite qui sommeille en moi est tout à fait disposé au stupre à venir.
« On revient on va faire un brin de toilette… » Je reste seul avec Angel homme dans la piaule. On se désape avec beaucoup de naturel, comme des vrais pros, et je m’aperçois avec une pointe de contentement qu’il n’a aucune ambition homosexuelle. Il me raconte sur un ton monocorde que ses affaires le conduisent partout en Europe et qu’à chaque escale il se démerde pour baiser à qui mieux mieux. L’individu est assez troublant… il n’affiche aucune émotion, sa voix est un courant d’air froid, ses yeux fixent avec une intensité de reptile, il s’habille en noir de pied en cape. Peut-être a-t-il été violé dans ses jeunes années par un oncle adhérent au RPR ? Ou plus simplement a-t-il manqué de caresses maternelles à quelques virages cruciaux de sa vie ?
Nos « nymphes de ruisseau », si chères à Brassens, reviennent en string sur la pointe des pieds. Et Nicolas alors ? Mon vieux pote est à ce moment précis en train de flipper sa mère dans le salon devant un film X en imaginant sans doute que des vampires me percent la carotide. Quant à moi je suis très concentré. L’idée est d’avoir rapidement et presque exclusivement une interaction sexuelle avec Angel girl, qui a mes yeux est clairement la beauté de notre quatuor. Elle coupe court à mes pensées de stratège et m’allonge sur le lit en posant son boule sur mon visage. Toujours sujet à une confortable ivresse, je laisse mon excitation mettre un coup de pression à ma timidité ; mes doigts écartent le string, ma bouche embrasse sa chatte que j’observe impeccable. Sandra s’allonge sur le lit, entre mes jambes, et agrippe ma vilaine demi-molle d’alcoolique qu’elle met en bouche aux deux tiers. Méphistophélès, avec un visage que je ne vois pas mais que je suppute totalement neutre, entame un cunnilingus sur une Sandra offerte en levrette. La chambre aménage autour de nous un silence libertin digne des Liaisons Dangereuses ou du Verrou de Fragonard, les râles s’évaporent dans le luxe des meubles et des étoffes. Quelques eunuques portant des candélabres pourraient se trouver là que je n’y trouverais rien à redire.
Angel girl est désormais incandescente mais aucune capote à l’horizon. Elle incite Angel homme à aller en chercher, il rechigne, mais en michetonneuse aguerrie elle parvient à ses fins. Et c’est complètement à poil que Angel girl, Sandra et moi-même accompagnons le commis au seuil de l’appartement.
Nicolas a pris dix piges sur le canap, on dirait un toxico qui attend le résultat d’un dépistage à haut risque.
« Yo Bardamu moi je vais me casser. »

Je n’ai pas le temps de répondre que Sandra lui propose un peu de coke et l’emmène dans la salle de bain. Une fois seuls, Angel girl commence à me reluquer avec un regard chipie, flatte de sa main deux ou trois muscles saillants. Nous glissons sur le canapé. Sa peau est idéalement douce sous mes doigts, son corps est ferme, son visage délicat, le tout est une perturbante convergence de délicatesse et de sexualité. Je m’assieds, elle s’installe à mes côtés, perpendiculaire à moi, cambrée de telle sorte qu’elle me gobe la queue en offrant son boule. Penchée avec beaucoup d’application, elle me suce avec une main ferme autour de mes couilles, j’écarte ses fesses et passe mes doigts maladroits sur son sexe, avec les gémissements du film X toujours en rotation.
Angel revient quelques minutes plus tard avec des potecas. Nicolas et Sandra font irruption dans la pièce et j’apprends que mon pote a eu droit à sa fellation de bon matin. Ni une ni deux il s’arrache dans la foulée. Toujours ivre mort, je décide de rester pour administrer le combo levrette-fessée-tirage-de-cheveux à la méritante Angel girl. Angel homme s’est refoutu à oilpé direct en bon marathonien des soirées de débauche. Il vient me trouver et me fait sniffer un peu de poppers. C’en est trop, ma tête tourne et je m’allonge dans une petite chambrette pour récupérer.
Après un laps de temps de quelques minutes je reviens conquérant dans le salon. La pièce est immobile. Sandra est en train de dormir dans le canapé. Le DVD de boule file bon train. Les Angel doivent être en train de batifoler dans la chambre. Je m’assois, toujours nu comme un ver. La lumière matinale est maintenant plus vive et semble chuchoter qu’il est temps d’arrêter les conneries. Je ne tiens pas compte du conseil et regarde le film. Une scène virulente entre quelques lesbiennes ravive mon excitation. Je tente de réveiller Sandra qui m’envoie copieusement chier : « Laisse moi tranquille c’est fini ! »
Ah c’est comme ça ? Je traverse l’appartement la bite à la main comme si je venais de désenclumer Excalibur. J’entre dans la chambre sans les civilités d’usage. Surpris, le châtelain ne veut plus entendre parler de moi tandis qu’Angel girl essaye de le convaincre de ma présence. Je vois bien dans le visage ferme et toujours inanimé de mon hôte qu’il faut que je me casse. Je fais volte face et pars me rhabiller. Au moment de sortir Angel girl me rattrape en me filant son numéro. Elle me fait coucou de la porte, toute pimpante dans sa nudité, comme si je quittais une copine du lycée après une séance de révisions. Le tableau me serre un peu le coeur, elle avait sûrement un truc plus folichon à faire de ses dix doigts que de branler des bites de riche quinqua. Je ne connais pas son histoire, il y a encore pas longtemps elle était peut être mue par l’extrême nécessité… mais j’ai peur qu’avec ce train de vie délétère elle laisse son âme sur la chaussée.

Me voilà au pied de l’immeuble. Autour de moi le 17ème argenté commence sa journée… quelques poussettes, quelques joggeurs qui investissent le parc Monceau… tous ignorants des us de leur libidineux voisin. Je suis apaisé par la banalité des scènettes qui s’offrent à moi alors que je sors d’un brasier de drogues et de sexe débridé. La fraicheur de l’air me fait du bien et rend étrangement aimable cette matinée de péché. Encore tremblant de mes excès, incapable de jeter une quelconque morale sur les quelques heures précédentes, une jolie formule de Pascal Quignard me revient en mémoire et tire définitivement le rideau :

« Tous les matins du monde sont sans retour… »

Dans le même genre