Ty Dolla $ign : une affaire de famille

Lorsque YG déblatère « I’m the nigga with the plug » dans le titre « Who Do You Love? » en 2014, il ne croit pas si bien dire. Encore mieux, ce fournisseur pur produit des rues de Compton est le fer de lance d’un nouveau souffle. En effet, Pushaz Ink, le label/cartel qu’il a fondé abrite un autre « plug » au style complètement différent pourtant porté par la même énergie et par la même influence. Son nom, Tyrone Donnell Junior mais bientôt le monde le connaîtra sous le pseudonyme Ty Dolla $ign, la France l’approchera le 10 avril au Cabaret Sauvage. Trois mots énigmatiques qui renvoient à un personnage qui prend toute sa dimension par la voix de ses proches.

Les prémisses

Durant ce long et tortueux périple menant au succès, Tyrone aura déménagé à New York, plus précisément à Brooklyn entre Flatbush et Brownsville, avant même d’avoir atteint la majorité. Une singularité pour ce gosse de South Central (Los Angeles). Il côtoiera 50 Cent dans les studios de Sony, bien entendu il s’agit encore du Curtis Jackson de l’époque de « How To Rob », une période précédant sa signature chez Eminem. L’occasion pour lui de découvrir un univers différent de celui qui l’a bercé depuis tout petit. Mais voilà, rien ne fonctionne comme prévu et bientôt Tyrone est contraint de retourner sur sa côte ouest natale. Là-bas, il met le pied à l’étrier en signant pour le label de seconde zone Buddah Brown Ent. avec son ami de l’époque Kory. Mais le groupe, basiquement baptisé Ty & Kory, s’enlisera dans l’anonymat. Le tandem se sépare sans rancœur ni animosité, Ty comprend vite que s’il doit réussir, cela passera forcément par une carrière en solo. Il aura donc eu le temps d’écumer tous les studios de Los Angeles souvent dans le rôle du ghostwriter, même s’il est officiellement signé chez Atlantic Records depuis 2012. L’homme aux yeux verts ronge son frein en attendant son heure.

Ty Dolla $ign : une affaire de famille

C’est sans compter sur Shawn Barron, alors simple chef de projet au visage poupin chez Atlantic, qui décide de lui donner sa chance en 2013, après deux années à se croiser et à s’échanger des amabilités dans les studios de la ville des Anges. Shawn reviendra plus tard sur cette expérience en tant que ghostwriter pour Ty Dolla : « Quand tu écris pour d’autres artistes durant tant de temps, c’est comme si tu t’entraînais ». La comparaison à l’effort sportif ne s’arrête pas là : « C’est comme un pick up game au basket [style d’opposition très populaire aux Etats-Unis, ndlr], tu ne sais pas sur qui tu vas tomber, mais tu dois donner le meilleur de toi même tout en t’adaptant au style de l’adversaire. »

Tyrone Donnell Junior naît le 13 avril 1985 à Los Angeles d’une mère agent immobilière et d’un père musicien au sein du célèbre groupe funk Lakeside. Ce dernier lui donnera très tôt le goût de la musique et plus particulièrement celui des instruments. Ty Dolla $ign se dirige instinctivement vers la basse, puis cherchant à étendre son prisme artistique, il maniera la batterie, la guitare, les claviers et la MPC. Un apprentissage le plus souvent effectué de manière autodidacte : « Mes parents étaient très souvent absents à cause de leur métier très prenant. Donc avec mon frère TC et ma sœur Angel, nous avons su très tôt se débrouiller seul. » Malgré tout, la pomme ne tombant jamais loin du pommier, la fratrie excelle naturellement dans la musique. À la question de savoir s’il pense que, comme les Jackson, les Noah (ou les Kardashian), un don se transmet à travers leur code génétique, l’artiste nous répond : « C’est quelque chose qui traverse vraiment les générations chez nous. Ma grand-mère était déjà dans la musique. Ma fille Jaylynn sait, sans aucun doute, tenir la note et pourrait probablement reprendre le flambeau. Même si ça ne semble pas éveiller son intérêt pour le moment. Elle est plus à fond dans le sport, mais on ne sait jamais. »

Les connexions

En 2009, le jeune Tyrone rencontre Dijon (l’origine du surnom Mustard, « moutarde de Dijon », qui deviendra plus tard son nom d’artiste) par l’intermédiaire de Big B, un grand de son quartier qui manageait YG à l’époque. Très vite YG et Ty se lient d’amitié, ce dernier rencontrera peu de temps après le désormais célèbre producteur de la west coast qu’il lancera dans la production musicale.

Une poignée de mois plus tard, Ty Dolla est mis à contribution pour ce qui deviendra bientôt le premier tube de YG : le titre « Toot it and Boot it ». En effet, il est à l’origine du refrain et du beat du morceau figurant sur la mixtape The Real 4Fingaz du rappeur de Compton : « ‘Toot it and Boot it’ était ma chanson à la base, je l’ai donnée à YG parce qu’il avait l’opportunité de signer chez Def Jam. Si je n’avais pas fait ça, qui sait dans quelle situation je serais aujourd’hui. J’ai juste pensé que YG avait besoin d’un single, et tout le monde dans la rue aimait ce son. Je me suis dit qu’il devrait l’avoir, ça devait lui revenir. »

Ty Dolla $ign : une affaire de famille

En plus de s’entendre parfaitement musicalement, les trois amis développent une symbiose particulière et se promettent de développer une sonorité spécifique qui leur permettra d’atteindre la consécration. Pour se faire, ils décident de développer Pu$haz Ink, label fondé par YG, DJ Mustard et AcePushaz en 2008. Car il est vrai que depuis l’ère Death Row, Los Angeles a perdu son emblématique représentant et porte-drapeau du gangsta rap. « Pire », de nouveaux courants fleurissent aux quatre coins de la Californie (TDE, OFWGKTA pour les plus médiatisés) mais aucun ne semble se soucier de la place vacante laissée par Dre, Ice Cube et consorts. Personne ne cherche à redéfinir ce courant musical historique de L.A., DJ Mustard se chargera de venger cette omission à coups d’influences venues de San Francisco, de la scène funk de Los Angeles des années 1970 et de 1980 et de sonorités électroniques contemporaines.

« Ty est quelqu’un de naturellement talentueux, il peut exprimer ce talent à travers sa musique. Sa créativité m’a prouvé de quoi il était capable et pourquoi j’avais besoin de travailler avec lui d’un point de vue musical. »

DJ Mustard, hitmaker et ami de longue date

L’élève que fut jadis Dijon dépasse très vite le maître, Ty Dolla $ign choisit, alors, de se consacrer à l’écriture tout en développant un style à mi-chemin entre le rap et le chant. Certains verront en lui le digne héritier de Nate Dogg pour son flow, d’autres y décèleront plutôt l’influence de chanteurs à la tessiture vocale rocailleuse et soulful d’un Jaheim. Quand nous lui demandons d’où lui vient son inspiration qu’il qualifie lui même de raw r&b, il répond : « Tout ce que j’ai pu écouter, de Kurt Cobain en passant par Bob Marley à Chief Keef. »

Ty Dolla est un grand consommateur de marijuana et ne s’en cache pas, au contraire il en joue. Il suffit de s’attarder quelques minutes sur sa chaîne YouTube pour se rendre compte que l’artiste se complait dans ces atmosphères vaporeuses. Quelle fut notre non-surprise de le voir rejoindre le crew Taylor Gang de Wiz Khalifa en plein été 2013… Musicalement, ce signe d’allégeance au label du rappeur originaire de Pittsburgh ne semble pas tiré par les dreads. D’un point de vue business, encore moins, en effet les deux hommes sont connus pour collaborer avec les pontes de l’industrie musicale et jouissent tous deux d’un capital sympathie énorme chez leur paires.

La maturation

Ty Dolla a donné rendez-vous au succès, hors de question de poser un lapin à sa destinée. Pour son premier projet Beach House concocté dans son coin, il s’entoure de son noyau dur et crée D.R.U.G.S (Dirty Rotten Under Ground Sound) composé de Chordz 3D, G Casso, Nate 3D, Budda Shampoo, Fuego, DJ Mustard et DJ Dahi… Rien que ça. Cette myriade de producteurs permet non seulement à Ty Dolla d’avoir une maîtrise parfaite de l’orientation sonore qu’il souhaite apporter à sa musique mais aussi d’avoir en stock une quantité quasi-illimité d’idées et de concepts.

« Un jour, je lui ai demandé où il en était dans ses projets, il m’a alors remis le projet Beach House que j’ai trouvé fantastique. Nous avons donc décidé de tout mettre en oeuvre pour que sa carrière passe au niveau supérieur, il n’y avait plus de temps à perdre. »

Shawn Barron, chef de projet

Conscient de son talent, Ty Dolla ne précipite pas les choses. Tout vient à point à qui sait attendre écrivait La Fontaine et l’artiste a cette certitude intangible que son heure va bientôt sonner. À défaut d’avoir un succès fulgurant comme bon nombre de « one hit wonder », son équipe et lui décident de travailler la marque « Ty Dolla $ign » de manière plus organique. Cela se traduit par la poursuite de son activité de producteur, par la manière de pérenniser son travail de songwriter pour d’autres artistes, et en continuant de mettre en avant ses qualités naturelles de musicien. Ainsi lorsqu’il se produit sur scène il n’hésite pas une seconde à utiliser sa basse et confie à qui veut l’entendre qu’il s’épanouie pleinement lorsqu’il se retrouve au milieu de ces instruments.

Ty Dolla $ign : une affaire de famille

Joya Nemley, chef de projet et administration : « Ty Dolla est l’exemple même de ce que tout artiste émergeant doit faire pour réussir dans l’industrie musicale au vu de la conjoncture économique actuelle. Il écrit, compose, collabore avec beaucoup d’artistes et se produit beaucoup sur scène. Les nouveaux artistes ont tout à gagner à trouver leur propre zone de créativité et à en profiter. Lorsque vous signiez en maison de disque, la coutume voulait que ce soit elle qui soit responsable de votre carrière. Aujourd’hui, il y a tellement de domaines qui vous permettent de faire fructifier votre carrière sans que vous ayez à sortir d’album. Internet est une plate-forme qui permet d’exprimer ta créativité, d’élargir ton business et aussi de contrôler ce que tu souhaites développer. Chaque artiste est un business et devrait se développer en tant que tel. »

Petit à petit, Ty Dolla peaufine un peu plus son image. Le succès de ses mixtapes font de lui un artiste sur lequel on peut compter, sa touche est recherchée, son nom devient gage de qualité. Son équipe le sait et profite de cette opportunité pour asseoir un peu plus la patte « Ty », permettant ainsi à sa fanbase et au public de masse de l’identifier définitivement : « Je pense que nous essayons juste de gagner en consistance et de rester constamment sur le qui-vive. Si une période s’écoule sans qu’un de ses sons soit en rotation quelque part, nous le sentons immédiatement. Maintenant on arrive avec une stratégie qui va permettre d’alimenter des fans avec de nouveaux morceaux. Ty enregistre au moins un titre par jour et il adore collaborer, ce qui nous donne beaucoup de matériel avec lequel travailler. On essaye vraiment de rester créatifs, plus spécifiquement avec les visuels. Ses vidéos sont toutes incroyables, chacune à sa façon, elles se distinguent de ce qui se fait généralement dans les autres clips rap », affirme Brian « Busy » Dackowski, directeur artistique.

Ty Dolla n’a jamais été quelqu’un d’avare, il en tire un nombre impressionnant de mixtapes qu’il sort entre 2011 et 2015 : House On The Hill (2011), Back Up Drive Vol.1 (2011), Back Up Drive Vol.2 (2012), Whoop! (2012), Beach House (2012), Beach House 2 (2013), $ign Language (2014) et Airplane Mode sorti une poignée de semaines avant son tant attendu premier album studio Free TC.



La consécration

Si certains se demandent encore comment un artiste jusqu’alors habitué aux succès nationaux a réussi à passer au niveau supérieur en si peu de temps, c’est d’abord parce que le raz de marée Ty Dolla Sign a tout englouti à partir de son premier tube international « Paranoid ». Ce titre incarne parfaitement la marque Ty Dolla : un beat simpliste (DJ Mustard), des paroles assez crues – ou « ratchet » comme le définissent les américains – et une voix entre le rap et le chant. Il n’en fallait pas plus. Quelques mois plus tard, il écrit le tube « Loyal » pour Chris Brown, originalement pensé pour lui-même et l’artiste Bobby Brackins. D’ailleurs en y jetant une oreille attentive, on retrouve facilement dans le chant de Chris Brown l’ADN de Tyrone, sans parler de son apparition dans le clip. S’ensuit un second coup de force : « Or Nah Remix ». Le titre en collaboration avec Wiz Khalifa (déjà présent sur la version originale) et The Weeknd en 2014 culmine aujourd’hui a plus de 100 millions de vues. Puis un troisième morceaux vient parachever sa stratégie, en 2015 « Drop That Kitty » avec Charli XCX et Tinashe lui permet d’atteindre une exposition médiatique hors rap.

Le succès de Ty Dolla correspond à celui d’une nouvelle génération d’artistes pour qui la frontière entre le rap et le chant n’est qu’une notion abstraite. Il s’inscrit dans la lignée de Fetty Wap (en featuring sur Free TC avec le titre « When I See Ya »), Rich Homie Quan, Young Thug, mais aussi de Drake et Future… Le caractère atypique du phrasé de Ty Dolla ne semble plus poser de problème et semble avoir trouvé grâce aux yeux et surtout aux oreilles des gens : « Chaque style a sa période, et maintenant c’est la notre. Merde, j’aurai kiffé qu’elle arrive quand j’avais 17 ans, mais c’est arrivé au moment où c’était sensé arriver. Nous y sommes enfin. Même si j’ai toujours eu ce genre de style. »

Ty Dolla $ign : une affaire de famille

Ne vous trompez pas, Ty Dolla est derrière bon nombre de hits de vos artistes préférés. Il écrit assez fréquemment pour des artistes comme Trey Songz par exemple. Éternel rat de studios, il apporte sa touche au tube « Young, Wild, And Free » de Snoop Dogg et Wiz Khalifa en collaboration avec Bruno Mars (qui s’attribuera les crédits de production avec son équipe). Coïncidence ou pas, le titre ressemble à s’y méprendre à « Toot it, Boot it » qu’il avait composé quelques années plus tôt pour le rappeur YG. Enfin, une association marquante prouve qu’il joue maintenant dans la cour des grands. Il s’agit de celle avec Rihanna, Kanye West et Paul McCartney pour le titre « FourFiveSeconds ». À moins que vous vouliez vous intéresser au titre « Only One » de Kanye West, sur lequel Ty Dolla a aussi travaillé ?

« Nous ne pouvons pas communiquer sur le prix que coûte une collaboration de Ty Dolla sur le projet d’un autre artiste car la plupart des featurings sont l’aboutissement d’une amitié avec les artistes avec qui il collabore. »

Joya Nemley

Celui qui, il y a encore peu de temps distillait caviar sur caviar à une palette d’artistes tel Andres Iniesta alimentant le trident offensif du FC Barcelone, décide de penser un petit peu plus à sa propre personne à travers Free TC, son premier album chez Atlantic. Ce qui le plonge dans une introspection salvatrice où il verse quasiment dans une thérapie rédemptrice: « Je considère mon album comme parfait. J’ai pris mon temps et j’ai fait en sorte que tout soit irréprochable. Je n’aurais pas pu imaginer un meilleur premier album. »

« Si les gens ne comprennent pas le sens du titre de l’album avant la première écoute, ils sauront qui est TC après avoir écouté le disque dans son intégralité. »

Shawn Barron

Pensé depuis très longtemps, Free TC est le fruit d’un long cheminement artistique. D’après Shawn Barron, si Ty Dolla ne prêtait pas autant attention aux détails, certaines chansons auraient pu être livrées depuis presque 3 ans : « Ça lui a pris autant de temps parce qu’il est très minutieux, encore plus lorsqu’il s’agit de sa propre musique. »Exemple concret de cette névrose pointilleuse, le titre « L.A » qui réunit James Fauntleroy, Brandy et Kendrick Lamar. Créé il y a 3 ans, le morceau ne cesse d’évoluer à force d’ajustements. D’ailleurs, une version au beat plus rapide avait fuité l’année dernière avec seulement le rappeur de Compton en featuring. Finalement, le track revêt un tempo plus lent et se retrouve en première position dans le tracklisting de l’album.

Tous s’accordent à dire que Ty Dolla adore être en studio, et passe son temps à composer. Dans un souci de productivité, il décide d’installer son studio d’enregistrement chez lui, afin dit-il se consacrer pleinement à la musique car sa notoriété grandissante remplit les studios d’inconnus, de directeurs artistiques : « Je ne suis plus capable de dire ce que j’ai envie de dire parce que tout le monde me regarde ; cela devient une performance alors que c’est juste sensé être un endroit où je dois bosser. » D’Mile, producteur et aussi directeur artistique sur l’album décrypte ce processus de création : « Quand nous bossons ensemble, la première chose que je fais c’est de préparer toutes les machines avec son ingénieur Andy. Dès qu’on est synchro, on commence d’abord par planifier la séance. Puis on démarre. C’est beaucoup de travail d’équipe et énormément de fumette de Ty. Moi je ne fume pas mais une fois qu’on a fini, généralement la nuit, je me retrouve à quitter le studio avec une grosse odeur de weed. C’est marrant, tant que je ne fais pas de mauvaises réactions à la fumée, ça me va. »

« Si j’avais un seul conseil à donner à Tyrone William Griffin Jr. lorsqu’il était adolescent ? Reste éloigné de la drogue. »

Ty Dolla $ign
Ty Dolla $ign : une affaire de famille

D’Mile : « J’écoute l’album depuis presque un an maintenant. Ty et moi avons eu des échanges d’idées, des conversations sur les productions en passant par la couleur sonore… Pour tout en fait. Cet album ne serait pas sorti jusqu’à ce que nous – plus spécialement lui – ne soyons satisfaits. J’ai le sentiment que cela ne va faire que s’améliorer à partir de maintenant. »

Le projet Free TC est nourri par un sujet très longtemps resté dans la vie privée de l’artiste, comme si l’heure n’était pas encore venue de partager cette blessure indélébile qui marque l’homme: « Je me souviens parfaitement du jour où j’ai appris que mon frère cadet TC a été arrêté et accusé de meurtre. Je me suis senti comme une merde, ma famille entière d’ailleurs… Voir ma mère traverser cette épreuve a été la pire chose pour moi. »

« Maintenant que je suis rentré dans son intimité, je me rends compte à quel point il est porté sur sa famille. »

D’Mile

Joya Nemley : « J’ai beaucoup parlé avec le père de Ty Dolla lors de la conception de l’album car il y a participé en tant que musicien, sa sœur aussi d’ailleurs ainsi que son frère TC évidemment. Voir la manière dont une famille peut se réunir afin de travailler sur un projet au potentiel commercial énorme, pour moi, c’est la partie la plus intéressante de mon travail. »

Condamné à perpétuité, voici bientôt 11 ans que le jeune frère de Ty Dolla croupit en prison pour un meurtre duquel tous ses proches clament innocence. Artiste également, vous avez peut-être entendu sa voix sans même savoir qu’il ne s’agissait de lui. Très tôt, Ty Dolla décide d’inclure son frère dans ses projets (« In Too Deep » sur $ign Language et « Miracle » sur Free TC) et ceux de YG (« Thank God »sur My Krazy Life), malgré l’obstacle carcéral. Oubliez les micros onéreux des gros studios hollywoodiens, TC chantera par téléphone. Lorsqu’on lui pose la question de comment il a réfléchi à ce procédé, l’artiste nous confie : « L’idée m’est venue via un artiste jamaïcain qui s’appelle Jah Cure. Il était en prison pour de fausses accusations de viol, malgré son incarcération (il a été condamné à 15 ans de prison en 1999, ndlr) il réalisera 3 albums avant d’être libéré en 2007. Entendre sa musique m’a inspiré, le son restait correct alors qu’il enregistrait depuis sa prison. J’en ai donc parlé à mon frère. On a alors essayé d’améliorer ses vocalises grâce à l’ajout de productions autour. »

Leurs voix sont bourrées de similitudes, dreadlocks en moins, vous pouvez d’ailleurs retrouver sur YouTube différentes vidéos de ses performances vocales en tapant « Big TC & D.Loc » (son compagnon de cellule et acolyte vocal). Mais quand vient la question dérangeante de savoir comment TC a pu se servir d’un téléphone pour faire ces différents enregistrements, la réponse peine à se faire claire et précise.

Miracle

« TC a vraiment enregistré le morceau depuis sa cellule en prison, il chantait au téléphone tandis que son codétenu tapait sur un objet pour faire un beat, c’était complètement fou. »

Shawn Barron
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Sûrement parce que l’usage d’un portable est formellement interdit dans l’enceinte d’une prison et que se faire complice d’un tel acte peut avoir de mauvaises répercussions sur l’image de Ty Dolla, la pertinence de cette question n’a pour but que de mettre en avant les risques et les efforts consentis par le clan de l’artiste. Quand certains regards restent bienveillants, les fonds récoltés grâce à la vente de l’album serviront à défendre le cas de TC, d’autres y voient un opportunisme marketing que seuls les Américains savent manier si habilement. Et si tout simplement l’un n’empêchait pas l’autre ?

Brian « Busy » Dackowski : « Nous essayons de mettre en lumière ces injustices qui gangrènent notre pays en ce moment à travers les réseaux sociaux. Nous sommes alors venus avec le hashtag ‘#FreeMyHomieFridays’ pour dévoiler des cas de personnes dans des situations similaires à celle du frère de Ty Dolla. Nous avons alors découvert qu’un grand nombre de personnes vivaient la même chose et s’identifiaient au sujet. »

« Look at the bigger picture » (« Vois plus loin que le bout de ton nez ») comme disent souvent les Américains. Les différentes stratégies mises en place par l’équipe marketing de l’artiste semblent être payantes même si de l’avis de tous, le message aurait sûrement été plus fort si Ty avait tourné le concept de l’album autour de ce sujet, plutôt que d’incorporer son frère dans chaque interlude. Un « body of work » (projet cohérent dans le fond et la forme) qui aurait assis le message qu’il souhaite passer, à la manière d’un Kendrick Lamar sur To Pimp A Butterfly ou encore d’un YG et son My Krazy Life. Bizarrement, l’album ressemble plus à une compilation de ses morceaux préférés entrecoupés de quelques titres bien sentis et profonds (« L.A », « Straight Up », « Miracle/Wherever », « Finale »), le tout noyé par la ribambelle d’artistes invités à partager la chansonnette avec lui (sur 16 titres, 14 sont en collaboration).

Pour expliquer cette curieuse orientation artistique, D’Mile remet les choses en perspective : « Tout ce dont Ty parle dans cet album représente vraiment ce qu’il est. Il raconte la manière dont il perçoit sa réussite comme un miracle. Par extension le concept de l’album est sa vie sans TC. Il s’amuse, il profite, mais il aurait souhaité de tout son cœur partager cette aventure avec son frère. Ty explique que son frère est injustement emprisonné, il est resté au moins 10 ans derrière les barreaux et risque de passer le reste de sa vie là-bas. Cet album a donc deux buts : le premier cherche à apporter le maximum d’exposition au phénomène d’incarcération de masse qui touche la communauté noire aux USA ; le second veut simplement aider à soulever des fonds qui contribueront à la défense de son frère lors d’un futur appel au jugement. »

« Ty reçoit beaucoup d’amour des autres artistes qui apprécient réellement le travail qu’il fait. Pour lui, ces collaborations ont été faciles à gérer. Je crois que Babyface est le seul artiste qu’il a dû avoir grâce à son label. »

D’Mile

Musicalement, l’orchestration est d’un niveau largement supérieur à ce qui peut s’entendre depuis quelques années, et ce n’est pas un hasard car Ty Dolla y apporte une attention particulière. Son directeur artistique nous confiera même que l’artiste aura dépensé environ 60 000 dollars (le poste de dépense le plus important sur ce projet) pour s’offrir un orchestre live d’une trentaine de musiciens. Tout est donc question de qualité pour lui, il ne s’agit pas de lésiner sur les moyens. Seuls quelques autres artistes étiquetés urbains peuvent se permettre ce genre de folies actuellement. Ne souhaitant pas répondre à la question épineuse du coût de production de Free TC, Joya Nemley (qui gère entre autres l’administratif et le juridique à la section urbaine chez Atlantic) botte en touche en nous confiant qu’un projet similaire pour un autre artiste se budgétiserait à 500 000 dollars environ. Une belle somme.

Et tant pis si la mode est aux mots « bitch », « fuck », « weed », Ty Dolla $ign est rentré dans la sphère des très respectés « hit men » aux côtés des Future, Fetty Wap… Ceci implique une stratégie de retour sur investissement et de rentabilité du temps de production. À défaut de se conformer et de rentrer dans le moule, Ty Dolla l’a façonné à son image. Et comme dirait Jay Z, le plus grand philanthrope de Marcy projects: « I’m not a businessman, I’m a business, man. »

« Je crois vraiment que cet album va donner le ton pour tout le r’n’b en 2015 et ce à quoi il faudra s’attendre dans les années à venir. »

Shawn Barron
Ty Dolla $ign : une affaire de famille

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