Ugly Mely : « On me dit que je suis détestée dans le milieu… Mais quel milieu ? »

Depuis quelques années, le terme sneaker addict s’est retrouvé fortement galvaudé au rythme de la multiplication de ses courtisans. Grande passionnée de baskets, Amel Mainich, coordinatrice social média chez Publicis dans la vie « ordinaire », s’est imposée sous le sobriquet Ugly Mely comme la référence féminine de la sneaker en France. Mais la précision « féminine » est réductrice tant l’aura d’Amel dépasse les questions du genre dans le microcosme français de la basket. À 29 ans, elle peut se targuer d’avoir fait de sa passion un hobby lui permettant de rencontrer Michael Jordan ou encore d’avoir une paire à son nom. Qu’importe la « célébrité », elle aime à rappeler qu’elle n’est pas une collectionneuse. Dans son game seul compte le plaisir d’ouvrir une boite et de porter sa paire pour la première fois. Un statut que la jeune femme confirme lors de cette rentrée en sortant un livre dédié à sa collection de sneakers.

 

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Après des années de blogging et d’évènements, sortir un livre doit être un peu une consécration pour toi.

Oui, un vrai rêve car ça concrétise vraiment la collection. C’est surtout le premier bouquin sur la basket écrit par une fille, ou en tout cas le premier où une fille est mise en avant. Cela montre bien que le marché de la femme dans la basket s’est bien développé.

Comment t’es venue l’idée de ce livre et comment sa création s’est déroulée ?

Hachette m’a contacté l’an dernier en me disant qu’ils voulaient sortir un bouquin sur la basket car il manquait un ouvrage en français sur le thème, c’est essentiellement des livres traduits de l’anglais comme le Sneaker Guide de U-Dox. Ils m’ont proposé de revenir avec trois idées, en fait je n’en avais qu’une seule sur laquelle je voulais partir, c’est-à-dire un vrai projet perso, montrer ma collection et ouvrir les portes sur celle-ci. Je ne voulais pas faire un livre sur l’historique car je trouvais que celui de U-Dox est très bien fait et qu’il en existe plein comme celui de Bobbito Garcia (Where’d you get those ?, ndlr) donc ça ne servait à rien. J’ai moins de 30 ans et faire un historique de la basket, je ne pense pas que ce soit légitime. Je me suis dit en regardant les blogs et Instagram : les paires portées c’est ce qui marche le mieux. Ma rubrique sur mon blog Daily Kicks est celle qui est la plus « likée » et la plus vue.

 

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Tu présentes dans l’ouvrage 250 paires. Instinctivement, on se dit 250 pour Ugly Mely ce n’est pas énorme. C’est une sélection ou une vue exhaustive de ce que tu as réellement ?

À l’époque j’en avais vraiment 250, on a tout shooté mis à part 3 paires qui étaient dans un état lamentable et impossible à prendre. Après ce sont des paires que je porte tout le temps. J’en ai d’autres mais elles sont chez mes parents ou ce sont des OG que je ne porte plus… À Paris je ne peux pas tout garder donc j’ai mis ma rotation, les paires que je mets tout le temps. Aujourd’hui j’en ai 320, j’en ai chopé après le lancement. Je n’ai pas sélectionné les paires ce sont vraiment celles que je porte et qui sont chez moi. Pas d’entourloupes de ce côté-la, ni de paires empruntées ou louées. Et puis 250 c’est énorme…

Même en comptant ce que t’offre les marques ?

Oui mais on ne m’en offre pas énormément, ça va être une de temps en temps.

 

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As-tu rencontré des difficultés particulières dans le processus de réalisation de ton livre, notamment au niveau de l’éditorial, qui n’est pas le côté le plus développé sur ton blog ?

Oui c’était surtout des problèmes d’écritures car sur mon blog je n’écris pas et en général non plus. Je ne suis pas à l’aise avec l’écriture. J’ai été aidée par Hachette pour reformuler clairement ce que je voulais dire, parfois tu as l’impression d’être claire mais à tort. Le problème que j’ai rencontré aussi, c’est d’être trop spé dans la basket, de ne pas ouvrir au grand public. Sur ce point également, l’éditeur m’a vraiment aidée en me disant d’expliquer plus les termes, c’est pour cela qu’il y a un glossaire à la fin. Il fallait vraiment que j’axe mon bouquin à quelqu’un qui ne sait pas ce que c’est que HTM (Hiroshi Fujiwara, Tinker Hatfield, Mark Parker), ou ne connaît pas Tinker Hatfield c’était plus ça le problème. Ensuite la seconde difficulté, c’est qu’on a fait ça très vite, ça a duré 6 mois et surtout en hiver. On ressent un petit côté hivernal sur les photos mais c’était la contrainte de temps qui voulait ça. Donc je suis toujours en collant noir car il faisait froid, je ne pouvais pas ne pas en mettre car on était en plein mois de janvier et comme on voulait qu’il sorte à la rentrée littéraire, début septembre, il fallait absolument qu’il parte en impression en avril.

C’est un peu un héritage, un testament de sortir ce type de livre.

Ce sont mes mémoires en fait ! Ça concrétise vraiment la collection, tout collectionneur a envie de montrer au monde ce qu’il a : des pin’s, des Pez ou ce que tu veux. Aujourd’hui les réseaux sociaux font en sorte que tu exposes beaucoup plus ce que tu fais, mais avoir un bouquin c’est pour toute une vie. Forcément il n’y a pas les paires que j’avais il y a 10 ans mais celles que je porte maintenant. Celles qui me font plaisir : que j’ai acheté, que je porte, que j’ai galéré à avoir. C’est une vraie consécration. Je pense que c’est un projet que tout le monde rêve de faire et je suis contente que ce soit sorti, le résultat me plaît.

Avant cela tu as vécu une première consécration en tant que passionnée de sneakers, une paire a ton nom…

Cette fameuse Reebok (rires) ! Une consécration, oui mais il y avait un petit bémol car je n’avais pas le choix du modèle. On était 5 filles à revisiter ce modèle en question. On a pu faire tout ce qu’on voulait dessus mais la paire existait déjà. C’était en 2012, c’était déjà assez fou que ça arrive mais ce n’était pas la paire mythique qui représentait quelque chose pour moi, donc je n’arrivais pas trop à vendre le projet derrière. J’avais juste utilisé le cuir italien de mon vélo pour expliquer que j’aimais le vélo, les matières premiums. Le projet du livre me tient vachement plus à cœur que la paire de basket, même si c’était assez fou à l’époque de sortir une paire avec Reebok.

 

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Sortir un livre a une force symbolique plus impactante que la sortie d’une collection finalement.

Je pense que ça te fait rentrer dans un côté plus artistique. Avoir une paire de basket à son nom c’est déjà une consécration. Mais avec le bouquin tu peux montrer aux gens de n’importe quel âge ce que tu ressens, car les baskets ne sont pas que des baskets, chaque paire a une histoire, un vécu. La porter c’est affirmer qu’elles sont à moi, il y a un truc hyper personnel là-dedans. Et une paire à son nom c’est magique mais ça ne montre pas à quel point tu peux être passionné. Tout le monde peut faire une basket à son nom ! Tu peux être blogueur depuis 1 an, avoir 45 000 followers et ne pas être passionné de baskets mais avoir une chaussure à ton nom. On voit de plus en plus de gens comme ça. Avec le livre c’est plus ma passion qui est montrée aux yeux de tous avec le côté personnel et des anecdotes en plus.

Qu’est-ce qui peut t’arriver de mieux après ça en tant que passionnée ?

The Weeknd, tu m’appelles, on se marie (rires) ! La consécration de fou ! Non la troisième consécration ce serait de sortir une paire qui me tient à cœur avec une marque que j’aime, un modèle à mon nom. Un projet sur plusieurs mois, un vrai truc. Ce serait le top du top je pense. Mais The Weekend aussi !

Quand tu as commencé ce blog, j’imagine que tu ne t’ais jamais dit que tu deviendrais une référence de la sneaker ?

Pas du tout. Quand tu arrives avec ta collection de Strasbourg et que tu bosses dans la mode, tu ne te dis pas qu’un jour… Ne serait-ce que de me dire que c’est grâce à mon blog que j’ai pu changer de boulot il y a trois ans. Aujourd’hui j’ai pu travailler avec les marques en direct sur des projets, on m’appelle pour avoir mes connaissances ou pour que je prête des paires, j’ai rencontré des gens comme Michael Jordan… Pour moi c’était à des années-lumière. Je pense que personne ne s’imagine ça, c’est assez fou de savoir qu’en montrant cette passion aux marques, qu’elles te fassent confiance pour te proposer des choses assez folles. Pour moi c’est le seul paiement que j’accepte : des rencontres, des projets… Je n’ai pas envie de me faire payer quand on me demande de venir pour découvrir une paire en avant-première. À l’époque il fallait attendre un mois avant que tu puisses te l’offrir, et maintenant on te dit de venir la découvrir et peut être que tu l’auras ensuite aussi. Je ne m’attendais pas du tout à ça.

 

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Y a-t-il un moment précis où tu t’es aperçu que ton blog marchait ?

Je pense que c’est au moment de la sortie de la paire de Reebok, je ne m’attendais pas à un tel retour. Quand j’ai sorti la paire, j’étais persuadée que j’allais me faire insulter parce que la paire ne me représentait pas, qu’elle n’avait pas de semelle alors que je suis toujours en Air Force ou en Jordan. Je me suis dit que je n’arriverais pas à me montrer avec, mais j’assume parce que c’est quand même un projet que tout le monde rêvait de faire à cette époque-là. Et en fait j’ai eu des retours de sites comme NiceKicks, Hypebeast, Complex… Je crois que j’ai du avoir 60 parutions en un mois, mais essentiellement aux USA. Là, je me suis dit qu’il y avait un truc. En fait les gens étaient plus passionnés par le fait que je sois une fille, française, et en plus qui aime la basket, sans être mannequin, animatrice télé ou un truc comme ça. Ça a décollé, les marques t’appellent de plus en plus pour des projets, et c’est vraiment en 2012 que j’ai senti un intérêt, que j’ai rencontré plein de gens aussi.

Justement en tant que femme, comment tu trouves le traitement de la gent féminine par cette communauté de sneakers addicts ?

Comme dans toute la culture hip-hop, un peu macho. Au début ce n’était pas facile, même si les mecs ont toujours été un peu attirés par les filles qui portaient des baskets. Parce que c’était hyper sexy, mignon et rare donc les mecs kiffaient. Par contre quand tu rentrais dans leur business et que tu allais acheter les mêmes paires qu’eux – je me souviens qu’il y avait pas mal de mecs qui faisaient ma taille – ils n’étaient pas contents. « J’aime bien voir ça sur Vashtie, mais toi non, n’achète pas la même paire que moi ! » (rires) Et en plus avant c’était encore plus limité qu’aujourd’hui, par exemple la Yeezy n’est pas vraiment limitée. L’accès était limité mais tu avais quand même pas mal de quantité.
Avant c’était assez macho dès lors que tu étais dans le game. Je me souviens en 2005 quand j’étais sur le forum de sneakers.fr, comme tout le monde qui voulait parler basket à cette époque, je me trompe de topic, je poste un truc qui ne va pas dans ce salon de discussion. Je me fais insulter du genre : « Tu te prends pour un bonhomme. » Voilà j’avais des retours où les mecs n’étaient pas très ouverts et d’ailleurs même à l’époque ils avaient lancé une section « Filles ». C’est-à-dire que tout le monde postait dans un topic et les filles avaient leur propre truc car elles voulaient se démarquer, mais on était déjà un peu mises de côté. Je n’ai jamais eu d’expériences frontales sauf des mauvais regards quand tu campes avec les gens, ils regardent tes pieds, se demandent ce que tu fous là… Est-ce que je suis là pour mon mec ou pour un autre mec ? Non mec je suis là comme toi, je veux cette paire comme toi ! Ce n’était pas très galant.

 

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Aujourd’hui est-ce que ça s’est estompé parce que t’es connu ou la mentalité a changé dans le milieu ?

La sneakers s’est démocratisé, tout le monde porte des baskets donc une fille ou un mec, c’est la même chose. On a toujours les filles d’un côté, les mecs de l’autre mais aujourd’hui ils ont assez de modèles pour ne plus être machos et laisser les filles s’amuser avec leurs « petits trucs ». Moi perso aujourd’hui, j’ai des remarques, pas des filles mais des collectionneuses, où on me dit que c’est plus facile pour moi d’avoir telle ou telle paire. Mais non, je me lève tous les matins. La Yeezy je vais l’acheter 200 euros comme tout le monde. Après oui, parfois je suis avantagée forcément, mais je le montre hyper rarement. Quand j’ai accès à une paire avant tout le monde, soit je dois faire du teasing parce que la marque me le demande, soit je vais attendre la sortie ou un jour après pour en parler. Je ne suis pas dans le « show-off » (se la raconter) à ce point, ce n’est pas mon truc. Moi c’est juste l’avoir aux pieds et kiffer, ouvrir la boîte…

J’ai rencontré un mec dans un resto qui voit ma paire de Yeezy et ma copine en rigolant lui dit « Tu connais pas Amel, c’et Ugly Mely » et lui répond « Ah oui, mais tu sais que t’es détestée dans le milieu ». C’est quoi le milieu ? C’est tes copains ? Tout le monde pense que je ne paye aucune de mes paires, que je reçois tout. Si c’était le cas, je me la coulerais douce.

Je me souviens avoir surpris dans un magasin de sneakers parisien, la conversation entre un vendeur et un de ses amis. Le vendeur lui explique qui tu es et son ami lui répond : « Ah c’est elle Ugly Mely ! Mais à nous deux je suis sûr qu’on a plus de paires qu’elle ! »

La remarque qui ne sert à rien (rires) ! Tu soulèves quelque chose que je retrouve souvent en commentaire sur Instagram. Je n’ai pas la possibilité de parler avec les gens mais quand je vais poster mon mur de basket, je reçois des : « Non mais bientôt j’aurais pire » ou « Par rapport à toi, laisse tomber »… Ce n’est pas du show off, mais ce qui m’intéresse c’est de montrer l’accumulation des boîtes que je trouve très sympa. Et j’ai souvent des mecs qui me disent : « Laisse tomber toutes ces boîtes sont vides » ou « Les paires sont nulles ». Okay les mecs, mais je m’en fiche ! C’est surtout les jeunes qui sont dans la confrontation, ils se disent que dans pas longtemps ils auront plus que moi ou que j’ai rien…

 

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Et entre filles ça se passe comment ?

Plutôt bien. Je ne vais pas dans les évènements de sneakers donc je parle rarement avec les gens. Après il y a une fille que je respecte énormément qui est Sneaker Queen, elle me soutient et pour moi elle a la plus belle collection de baskets. Pour le lancement de mon livre elle m’a félicitée, m’a écrit un article et je lui ai envoyé le livre. Donc j’ai le soutien de ces personnes-là.
En Angleterre, il y a énormément de filles qui collectionnent, elles sont accrocs, elles ont des blogs. Après sur la scène française, je n’ai rien à dire. Ce que je vois le plus c’est tout le monde qui essaye de se comparer à tout le monde et ça ne me plaît pas trop. Je préfère rester dans mon délire. Je lis assez souvent des trucs sur moi où les nanas critiquent le fait que je n’aime pas les baskets à talons… En France, c’est une mentalité très ancrée, on se sent toujours obligé de critiquer la personne qui est en face de toi alors qu’aux US le mec tend à vouloir te copier car tu as réussi. En Allemagne, UK, Espagne aussi… Les filles avec qui je parle baskets ne sont qu’à l’étranger, on se pose des questions, s’échange des liens. Mais en France, rien.

C’est un souci de culture à deux niveaux on dirait : manque de connaissance additionné à une mentalité négative. On a l’impression qu’en France les sneakers addicts sont souvent plus des « poseurs » que des connaisseurs.

Je suis tout à fait d’accord. C’est ce que je cherche à souligner quand je dis que les jeunes ne sont pas éduqués. Aujourd’hui j’ai l’impression que c’est ce qui manque le plus. Les gamins sont hyper-lookés mais sont incapables de te dire ce que veut dire HOA (History Of Air, des packs Air Max). Michael Jordan l’a dit de belle manière : « Tout le monde connaît mes baskets mais personne ne sait que je joue au basket. » Ils ne savent pas que Stan Smith est un joueur de tennis. Malgré ça, ils sont directement dans un délire de confrontation. Dans n’importe quelle passion, tu es censé échanger, interagir, montrer ta collection. Des évènements comme le Sneakers Event et le Sneakerness sont là pour ça. Mais aujourd’hui c’est que du show off : « Viens que je te montre toutes les Yeezys que j’ai. »

Et la mentalité qui veut qu’on ne soit pas fier de ce que font les gens, je le vois naturellement quand j’ai un projet qui sort, que ce soit la basket ou le bouquin. Tu as vachement plus de retour aux États Unis ou dans d’autres pays d’Europe qu’en France. J’ai eu des papiers dans 20 Minutes et dans Public… Par contre, il n’y a pas de blogs de baskets qui vont en parler. Je n’ai jamais été dans la jalousie de ce que font les autres. S’il y a un Français qui réussit : « Well done » ! Si une boutique ouvre, je suis la première à aller faire des photos. Après je pense que c’est une mentalité française qui ne changera jamais.

 

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Dans la relation que tu as avec certaines marques, tu ne ressens jamais de conflit d’intérêt alors que tu revendiques ton goût pour la diversité à ce niveau ?

Je pense que les enseignes avec lesquelles je suis en relation comprennent. Elles savent que j’aime plusieurs marques. Si une d’entre elles veut bosser avec moi et cherche de l’exclusivité, ils savent que c’est un contrat, c’est comme sponsoriser un athlète. Par contre, elles ont très bien compris qu’un passionné de basket n’était pas passionné que d’une marque. Si maintenant je portais que du Adidas, je ne serais plus du tout crédible dans ma passion, tout le monde m’a déjà vue avec 20 000 paires de Nike et Jordan donc forcément… Pareil pour Puma, pareil pour Le Coq Sportif. Mais sans citer de noms, certains ne l’ont pas compris.
Aujourd’hui quand j’ai envie d’acheter ma paire de Nike ou d’Asics, je le fais. Je n’attends même pas qu’on me l’envoie et je ne la demande pas. Je pense que je n’ai jamais envoyé de mail pour récupérer une paire. J’achète vraiment tout ce que j’aime. Donc je vais parler toute ma vie de toutes les marques que j’aime. Pareil pour du Filling Pieces, je n’attends pas que les gens m’envoient le modèle même s’ils font sûrement un seeding produit (envoie du produit à des professionnels). Non je ne vais certainement pas l’attendre et risquer de me retrouver sans la paire et être dégoutée toute ma vie.
Puis il y a des marques qui ont choisi d’autre « influencers », blogueurs à qui ils fournissent tout ce qu’ils veulent comme produit. Ça ne me dérange pas car je n’ai pas été baignée dans cette culture du seeding.

 

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On sent chez toi l’envie de ne jamais te mettre en avant, tu ne montres pas ton visage sur les réseaux, tu refuses certains projets qui pourraient t’amener beaucoup plus d’exposition. Est-ce de l’humilité ou simplement un moyen de protection de ta vie privée ?

C’est dur de parler de protection de la vie privée parce que quand tu es sur les réseaux sociaux, tu n’as plus de vie privée. Avant je ne montrais pas mon visage car je n’en avais pas envie. Aujourd’hui tu ne peux plus faire ça. Quand je vois qu’on me reconnaît dans la rue, je me dis : « Merde, j’ai mis une photo ! » Les gens sont curieux. Après je ne peux pas me starifier. Je me lève tous les matins, je vais bosser, je paye mes impôts je paye mon loyer et je pense que ça m’ancre aussi dans la réalité. Quand le bouquin est sorti tout le monde me disait : « C’est ta journée, le bouquin est sorti! » Mais moi j’étais en train de bosser sur le SAV de Courir. J’ai besoin de travailler et je pense que j’ai été élevée comme ça par mes parents qui étaient ouvriers. Je ne peux pas tout claquer. Tout le monde me dit : « Vis de ça ! » Mais vivre de quoi ? Tu ne peux pas vivre d’une passion, je ne suis pas une collectionneuse. Je ne suis pas Ronnie Fieg, je ne suis pas Vashtie. C’est plus la passion que je vais mets en avant. C’est un truc hyper-personnel, je n’aime pas faire des photos, je n’aime pas faire des dédicaces. Quand on m’a dit de faire des dédicaces pour le livre, je ne savais même pas quoi signer. J’ai plein de choses à dire aux gens, que j’apprécie beaucoup, mais je n’aime pas trop ça. Je préfère qu’on voie le bouquin, la paire ou le blog et puis moi plus tard.

 

T’as encore le plaisir de chiner dans des salons comme le Sneakerness ou alors tu es prête à rester jusqu’a minuit en attendant une sortie comme tu disais plus tôt ?

 

Je suis hyper-timide, je ne fais pas les salons parce que c’est du show off : « Quelle paire elle va mettre ? Quelle paire il a mis ? » Ça ne m’intéresse pas et je n’ai pas envie de me dire « Qu’est-ce que je vais sortir pour l’occasion ? » Par contre dès que je vais dans une ville, je vais faire toutes les boutiques de sneakers, il faut que j’en trouve au moins une. Si je ne rentre pas avec une paire j’ai loupé mon voyage. J’ai toujours autant de plaisir dès que je commande une paire et que j’ai attendue toute la nuit de payer l’UPS en 24h pour la recevoir, l’ouvrir et je porte toutes mes paires le lendemain. Je n’ai jamais attendu une occasion, jamais ! C’est un principe. Parfois je les reçois au bureau et je vais me changer aux toilettes pour les mettre. Je l’ai attendue et je la veux ! Parfois je me dis : « Bon demain tu les reçois, tu mets ton pantalon comme ça parce que ça va aller avec.» J’ai toujours autant de plaisir. Même celui de chiner, de trouver des paires que j’ai cherchées depuis hyper-longtemps. Chiner lors des événements, non, je ne le fais pas. Et je sais que je ne trouverais pas ce que je veux, donc ça ne me dérange pas de ne pas y aller.

 

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Comment fais-tu pour ne pas profiter du système ?

 

Je pense que c’est un trait de caractère parce que j’ai été élevée à la « Tu veux quelque chose, tu le gagnes pour l’avoir. » C’est-à-dire que quand je voulais une paire mes parents ont toujours dit oui : j’avais des bonnes notes à l’école, j’étais gentille, je débarrassais… En quelque sorte, j’ai compris que c’était dur d’avoir les choses et qu’il fallait garder la tête sur les épaules. Je ne vis pas du tout de ça, donc tous les matins j’ai besoin d’aller bosser, j’ai besoin d’avoir une carrière professionnelle, j’ai besoin de grandir. Peut-être que ça se fera en parallèle avec la basket, peut-être qu’un jour je travaillerais dans un domaine qui se rapprochera plus de la basket qu’aujourd’hui.
Tout le monde me dit : «Mets-toi en freelance, sois consultante pour les marques…» Mais non, je ne peux pas, j’ai besoin d’avoir un vrai boulot, j’ai besoin de valeurs sûres. Les projets perso à côté, c’est ce qui me fait le plus plaisir, c’est comme une récrée. Par exemple après-demain, j’ai un shooting photo vidéo pour une marque. Je ne suis pas payée, mais c’est un sample que je vais découvrir, je suis hyper-contente. En fait c’est un extra, je me dis que je n’ai pas besoin de voir grand, j’ai peur que tout ça s’arrête.
Je ne ceux pas devenir trop focus dessus à demander des paires à tout le monde. Je pourrais demander à certaines personnes de me mettre une paire de côté, de me la faire envoyer… Quand tu demandes à quelqu’un, il peut rarement dire non. C’est pour ça que les blogueurs en usent encore et encore. Je le vois les gens qui font ça, tu le vois tout de suite que ce n’est pas réglo. Il y a dix ans ça n’existait pas tout ça, tu veux ta paire tu fais comme tout le monde. Je ne vais pas cracher dans la soupe, on m’envoie des paires. Quand j’ai reçu la première Yeezy Adidas je pensais que j’étais le seul seeding de toute la France, voire même Europe. Je l’ai reçu deux mois après le lancement. Je sais que c’est exceptionnel, je sais qu’il y a des gamins qui ont dormi dehors pour l’avoir, je ne vais jamais renier ça. Ce blog m’a ouvert des portes, je ne peux pas le nier mais après j’essaye de faire mon boulot derrière pour les remercier notamment sur Instagram.

 

La première chose qu’on peut se dire en feuilletant ton bouquin, avec ces centaines de photos, c’est qu’il est assez « pied-gocentrique ». 

 

J’ai eu cette remarque-là de Greg Hervieux de BlackRainbow, qui m’a vachement aidé sur le lancement du livre et m’a beaucoup soutenu. Il m’a dit « J’adore ce que tu fais, mais on ne sent pas la meuf dans ton livre, il n’y a pas de mode, il n’y a pas de stylisme». Il a raison mais c’est un choix. Et c’est vrai que c’est peut-être les pieds d’un mec dans un collant ! C’est que du pied mais c’était l’objectif.
C’est surtout que je ne voulais pas mentir. Dans mon blog ou mon Instagram je ne me mets pas ça en avant, il n’y a pas de stylisme. Je mets simplement la paire, le fait que je la porte, le fait qu’elle m’appartienne. Et quand j’ai répondu à Greg, j’ai dit : « Oui mais c’est moi, quand on regarde le blog, c’est moi! » Je ne veux pas tromper, peut-être qu’il y aura d’autres livres après, mais en tout cas ce premier projet est vrai. Je ne peux pas arriver avec une photo de look, je pense que tout le monde aurait été choqué. Puis je ne suis pas légitime sur le sujet, il y a des gens qui le font très bien, ce n’est pas mon truc. Par contre ce que je trouve important c’est qu’on voit la paire de près, c’est plus elle que je vais starifier que moi-même.

 

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As-tu des attentes commerciales sur la sortie de ton livre? 

 

La grosse attente et le travail qui va arriver, c’est la traduction. Le livre est vachement demandé du côté de l’Angleterre, l’Allemagne et des États-Unis. Il n’est qu’en Français, et il a été commandé dans des pays qui ne parlent pas cette langue, comme il y a beaucoup plus de photos que de texte. Donc c’est vraiment mon prochain objectif.

On a réfléchi aussi à des lancements dans des villes autres que Paris, pour montrer que ce n’est la seule ville où tu peux faire des choses.
Pour l’instant c’est vraiment la traduction et la correction de quelques erreurs de titres. Il y a quelques erreurs dans mon bouquin car il a été fait en six mois, donc assez rapidement, et parfois ce n’est pas la bonne légende qui va avec la paire. Par exemple sur le Jordan III Black Cement, ma paire préférée, il y a écrit Jordan III Fire Red… Il y a plein de petites coquilles après malheureusement quand il y a cinq paires de mains qui ont travaillé sur un bouquin de quatre cents pages tu finis un peu par te perdre. C’était des choses que je gérais de quatre heures à huit heures du matin. Je ne pouvais pas me consacrer entièrement à ce bouquin.

 

Tu tiens beaucoup à la notion de passionné plutôt qu’à celle de collectionneur…

 

Être collectionneur pour moi c’est collectionneur. Les gens qui ont un besoin d’acheter qui dépasse la passion. Ils achètent mais la paire est mise de côté. La passion c’est ce devoir de porter la chaussure tout de suite, de l’attendre! Accumuler, c’est comme un réflexe qui te force à d’acheter. Je trouve ça un peu négatif « collection » : alors que quand tu l’attends longtemps, que tu l’as veux, que tu as acheté la robe exprès pour ça. S’il pleut ce n’est pas grave je l’imperméabilise et je la porte quand même, tu prends des risques. Je n’ai pas envie de dire que je collectionne, moi je porte. C’est ma passion !

 

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Photo : Melo

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