A-t-on le droit de toucher aux classiques de Vans ?

Comment faire évoluer ce qui plaît déjà tel quel ? C’est la question à laquelle nous avons essayé de répondre avec Nate Iott, en charge du footwear design chez Vans, une marque qui doit une part importante de son succès à quelques classiques indéboulonnables.

Photos : @alextrescool

Dans un article de juillet 2017 faisant état des récentes collaborations mode de Tyler, The Creator, nous évoquions le style du rappeur californien en ces termes : « Un vieux proverbe dit que même une horloge cassée donne la bonne heure au moins deux fois dans la journée. C’est un peu le sentiment qu’on est obligé d’avoir avec Tyler, the Creator. Dans un monde de la mode cyclique, où la tendance d’aujourd’hui est souvent celle d’hier, et sans doute celle de demain, le style intemporel de Tyler sonne juste. » Et cela a assurément à voir avec les marques qui se sont affiliées à l’ancien leader du collectif Odd Future, en l’occurrence Vans et Converse.

Tandis que les leaders du sneaker game comme Nike ou Adidas ne cessent de proposer de nouveaux designs dont beaucoup se révèlent immanquables, le succès de Vans repose essentiellement sur quelques grands classiques qui traversent les années et trouvent aisément leur place dans tous les dressings. Et ce, que la mode soit au luxe ou au streetwear, au triple XL comme aux coupes plus cintrées. Une intemporalité remarquable… mais qui pose tout de même un certain nombre de questions : comment renouveler ce qui plaît déjà tel quel ? Comment faire exister de nouveaux modèles en parallèle de ces indémodables ? Quel travail effectuent ceux qui opèrent dans la section « design » de chez Vans ?

À la première, la marque fondée en 1966 par Steve Van Doren répond « ComfyCush » : une nouvelle technologie censée apporter plus de confort et de durabilité aux classiques de Vans, dévoilée en grande pompe à Brooklyn, lors d’un évènement qui a vu Lil Wayne performer devant un parterre de journalistes venus du monde entier. C’est là que nous avons pu rencontrer Nate Iott, aujourd’hui Senior Director of Footwear Design après près de 18 ans passés au sein de la compagnie californienne, qui s’est efforcé de nous éclairer quant à nos autres interrogations.

Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton travail ?

Je gère tout ce qui concerne le design des paires, de ce à quoi la paire ressemble à la manière dont elle fonctionne, et je dirige nos équipes de designers. On n’en compte plus d’une vingtaine, qui travaillent sur différents domaines.

Quelle est l’ambition de Vans en ce qui concerne le footwear design ?

C’est difficile à expliquer précisément dans la mesure où Vans attache beaucoup d’importance à la fonctionnalité : on ne considère pas qu’un modèle est achevé quand le design est abouti, on considère qu’il est achevé quand il est prêt à être porté. Ce qu’on recherche en priorité à travers nos chaussures, c’est la qualité et la durabilité : on veut que les gens puissent les garder suffisamment  longtemps pour créer un lien avec leurs Vans. Qu’elles deviennent précieuses, non pas parce que leur design a l’air d’être tout droit sorti d’un vaisseau spatial, mais parce que tu finis par t’y attacher.

Vans est essentiellement réputé pour quelques modèles classiques que les gens semblent aimer tels qu’ils sont. Comment faites-vous en sorte de les faire évoluer ?

À vrai dire, on fait deux choses. La première, c’est d’essayer d’en déconstruire le design, de les emmener au-delà de leur contexte original de conception pour essayer des choses plus expérimentales. La seconde, c’est qu’on cherche encore et toujours à faire évoluer la fonctionnalité de ces modèles, comme avec cette technologie ComfyCush. Il s’agit d’apporter plus de confort à ces silhouettes classiques, de manière à ce que les gens puissent les porter toute la journée et être plus à l’aise dedans qu’ils ne le seraient dans un modèle qui a initialement été conçu pour les skateurs dans les années 70.

En ce qui concerne les collaborations, Vans est-il prêt à laisser une autre marque ou un designer déconstruire ses classiques, un peu comme ce que Virgil Abloh a fait avec Nike sur sa collection « The Ten » ?

C’est assez difficile à dire pour nous. On cherche d’abord à collaborer avec des marques et des personnes qui partagent nos valeurs, et ce qui en aboutit est finalement assez secondaire. Donc c’est compliqué de comparer avec les autres marques. Mais oui, j’imagine que si on parvient à s’accorder sur une direction, ça pourrait très bien être envisageable. On n’est pas si attachés à… [il réfléchit.] Disons juste qu’on sait d’où l’on vient. Mais il n’y a pas de raison de rester trop fermement accrochés à ces silhouettes classiques parce que le temps passe et on se doit être ouvert à ce dont le futur est fait. Ce qui nous importe avant tout, c’est d’avoir des valeurs communes. À partir de là, tout est envisageable.

Qu’en est-il des nouveaux designs ?

On a différentes manières de travailler nos nouveaux designs. Clairement, Vans a beaucoup à voir avec la chaussure de skateboard donc c’est de là que viennent beaucoup de nos nouveaux produits. Mais c’est une donnée qui peut être assez contraignante, il faut qu’il y ait beaucoup de coussins dans la structure histoire d’avoir une bonne expérience pendant que tu skates. Sur les lignes de snowboard, on réfléchit à ce qui peut être porté pendant 12 heures ou plus, au sommet d’une montagne, sous des températures frigorifiantes, de manière à ce que tu ne fatigues pas trop pendant ta pratique du snow. Enfin, au niveau des modèles lifestyle, on les conçoit vraiment pour qu’ils aient une certaine allure, on réfléchit beaucoup à ce à quoi ils doivent ressembler.

Certes, Vans a son identité « skate » mais ses modèles les plus connus ne sont pas uniquement des chaussures de skate. Aujourd’hui, qu’est-ce qui te semble le plus important : concevoir des paires qui vont parler aux skates et ainsi rester fidèle à l’identité de Vans ou concevoir des paires que n’importe qui peut porter au quotidien ?

Chacune de nos catégories se focalise sur des profils différents. Dans la catégorie skate, notre souci est de répondre aux besoins du skateboard moderne, donc il s’agit d’atténuer les chocs, d’assurer une certaine durabilité, etc. Pour ce qui est de nos lignes de classiques, on essaie de les rendre un peu plus folles, de changer quelques éléments pour qu’elles restent excitantes. Puis il y a une autre ligne lifestyle dans laquelle on essaie d’oublier un peu toutes les règles pour juste se fier à notre instinct, à ce qui nous semble bon. C’est beaucoup plus expérimental, moins conditionné par l’histoire de la marque, tout en restant pensé pour le consommateur : il faut toujours que ça soit fonctionnel et que les gens se plaisent à les porter.

Pour ce qui est du footwear design, quels challenges une marque comme Vans doit-elle relever ?

Il y a beaucoup de challenges et comme j’ai pu le dire plutôt, chaque catégorie a ses propres challenges selon les profils à qui elle s’adresse. La ligne skate est pour les skateurs, la ligne snowboard est pour les snowboarders, etc. Du côté de la mode et du lifestyle, l’idée est de faire dans l’inattendu. On passe à travers tout le processus de design, c’est assez long, on lance plein d’idées en l’air qui sont parfois surprenantes, parfois décapantes, et si ça nous semble bien, il se pourrait bien que ces idées se concrétisent.

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