Que Varnish La Piscine et Bonnie Banane continuent d’être de grands enfants

Sorti au début d’année, le dernier « film auditif » du suisse Varnish La Piscine avec Bonnie Banane, intitulé Le Regard Qui Tue, puise toute sa qualité dans l’insouciance avec laquelle il a été conçu. Rencontre avec deux kids devant l’éternel. 

Un journaliste a souvent conscience de ce que l’exercice de l’interview peut avoir de barbant pour un artiste en pleine promo. Alors pour éviter d’obtenir les mêmes réponses aux mêmes questions qui – parfois – s’imposent, on creuse d’autres pistes, envisage d’autres angles, aborde d’autres thématiques pour donner à notre interlocuteur l’envie de se laisser prendre au jeu. Mais il arrive que nos efforts de réflexion ne suffisent pas à créer l’échange espéré. Comme lors de cet entretien avec le producteur suisse Varnish La Piscine – membre éminent de la Superwak Clique, aux côtés de Di-Meh – et son acolyte Bonnie Banane, avec qui il publiait le 18 janvier un curieux projet intitulé Le Regard Qui Tue.

Un peu moins de trente minutes passées avec ces deux joyeux lurons nous auront donné l’impression d’être comme un professeur rigide face à deux gamins un tantinet dissipés. Quand la discussion leur semble trop sérieuse, Jephté et Anaïs – leurs vrais noms – répliquent au second degré, s’échappent à travers des private jokes dont on ne voit pas la fin. Quand vient le moment de prendre les photos, ils délaissent soudainement leur escorte pour faire le même chemin… en trottinette électrique. Intenables. Reste que leurs vagues réponses à nos interrogations ne nous ont pas franchement permis d’en apprendre plus sur l’OVNI qu’est Le Regard Qui Tue. Leur attitude, en revanche, en a sans doute dit plus qu’il n’en fallait.

Car après tout, pourquoi devrait-on absolument chercher à poser des questions à ceux qui ne s’en posent pas ? Chez Varnish La Piscine, l’imagination n’est jamais contenue. Son cerveau est un bouillonnement d’idées qu’il s’efforce de concrétiser dès la minute où celles-ci germent dans son esprit, sans vraiment questionner leur bien-fondé. Plus dans l’action que dans la réflexion. « Les petits de 5 ou 6 ans n’ont pas de limites. Tu as beau leur dire : « Non, ne fais pas ça », ils ne vont pas pouvoir s’empêcher de le faire. Sur ce projet, on était un peu comme ça », raconte-t-il à propos de son dernier bébé.

Celui-ci prend la forme d’un « film d’auditif » de 29 minutes, où l’Helvète de 24 ans se veut à la fois acteur, réalisateur et directeur de casting. Dans un Monaco des années 60, il campe le personnage de Sydney Franco, un policier dérangé qui poursuit Gabrielle Solstice, une tueuse en série dotée – comme le suggère le nom du projet – d’un regard meurtrier. Un rôle que le compositeur a donc confié à la chanteuse Bonnie Banane. Les deux s’étaient croisés dans des circonstances assez floues lors de la dernière édition de We Love Green (« quand je l’ai vu à Genève pour la première fois, je me suis rendue compte que c’était lui qui hurlait pendant le set de Tyler The Creator », se rappelle Anaïs, amusée), avant de se découvrir en musique. Bonnie évoque notamment un coup de coeur pour « Youjizz », titre composé par Varnish pour son compatriote Makala : « Je n’écoute pas souvent les nouveaux morceaux qui sortent, et c’est très rare que j’aime quelque chose depuis quelques années. D’habitude, je n’écoute que des vieux sons. Mais « Youjizz », j’étais choquée. Ça correspondait tout ce que j’attends dans la musique francophone, un truc qui contrebalance en termes de groove et de funk. »

Une fois réunis à Genève, tout se fait là encore à l’instinct, au gré des pulsions créatrices de Varnish. « Je n’ai pas écrit le scénario, c’est venu direct. À la base, on voulait juste faire un son mais quand on est arrivés au studio, j’ai décidé qu’on allait carrément partir sur un projet et elle était opé. Puis finalement, je lui ai dit : « Tu sais quoi ? Viens on fait un film ! » Tout venait d’un coup, comme ça », raconte-t-il. Jamais il n’est question de calculs, comme l’assure Bonnie Banane : « Parfois, tu tiens un fil et il suffit juste de dérouler. Là en l’occurrence, c’était hyper spontané. Varnish est vachement comme ça. Souvent, il est là pour te rappeler de ne pas se prendre la tête. »

J’aime que ma musique ne soit pas ancrée dans le réel. Tout ce qui est trop terre-à-terre, ça me casse les couilles. La réalité, on la vit déjà tous les jours, ça suffit.

Varnish La Piscine

Le compositeur suisse s’évertue de conserver ce petit quelque chose qui distingue le métier de la passion quand il est question de musique, à savoir : le plaisir qu’il prend à créer. En naviguant dans son univers loufoque et déluré, qui convoque aussi bien Pharrell Williams – son idole – et Tyler, The Creator, que Jamiroquai et Stereolab, Varnish La Piscine s’amuse. « Je suis vraiment comme un gosse. Je fais juste ce que j’ai envie de faire et je fais en sorte de partager ça avec le monde. Comme un fils qui gribouille un dessin et qui le tend fièrement à son papa. » À côté de ça, qu’est-ce qu’une interview ? Un moment qui éloigne l’artiste de son terrain de jeu, et lui impose une réflexion sur son art, alors qu’il s’en dispense habituellement. Quelque chose de concret, de sérieux, quand lui cherche avant tout le fun, la déconne.

C’est aussi sans doute ce qui explique son goût pour le concept de « film auditif ». Car avant Le Regard Qui Tue, il y avait Escape (F+R Prelude), un premier EP publié en 2016 en tant que Pink Flamingo, dans lequel il s’improvisait déjà en père Castor de ce rap jeu. Toujours des histoires à raconter, Varnish. De fiction en fiction, l’artiste prend ses distances avec une réalité qui l’ennuie. « J’aime que ma musique ne soit pas ancrée dans le réel, que ce ne soit pas trop terre-à-terre. Tout ce qui est trop terre-à-terre, ça me casse les couilles. La réalité, on la vit déjà tous les jours, ça suffit. » Bonnie n’aurait pas pu être plus d’accord : « C’est trop chiant les trucs réalistes. Je pense qu’en musique, il faut rêver le truc… sinon autant faire des documentaires. »

Mais le monde de la musique n’est pas toujours ouvert aux originaux, excentriques, weirdos et autre N*E*R*D. Ceux qui se détachent justement parce qu’ils daignent penser en dehors du moule ne sont jamais à l’abri de voir l’industrie du disque les transformer en produit d’usine. Dès lors, comment réussir à conserver cette insouciance qui caractérise aujourd’hui les auteurs du Regard Qui Tue ? « Le truc, c’est de ne pas faire de concessions quant à ses idées. Le problème sur la longueur, que tu sois rookie ou confirmé, c’est que les gens vont venir te dire : « Non, on ne peut pas faire ça. » Mais en tant qu’artiste, il faut savoir s’imposer face à ça. Il faut continuer à insister, à croire en sa propre vision des choses plutôt qu’à celle que les gens projettent en toi », affirme pour sa part la chanteuse. Espérons donc que Varnish La Piscine et Bonnie Banane puissent poursuivre leur chemin en faisant les choses à leur manière. Comme des gosses.

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