Vincent Guerin

Tu as joué dans trois clubs de Paris et sa région, quelle place occupe le PSG ?

Pour moi le Paris Saint Germain c’est le club de mon cœur. Je suis né à la clinique du Parc des Princes, c’est un hasard mais c’est comme ça. Le premier match que j’ai été voir au Parc des Princes, c’était lors de l’ère Dahleb et il y avait-là les premières odeurs d’un stade professionnel. Pour moi c’est le club de la capitale. J’ai eu l’occasion par mon parcours de jouer au Matra Racing et au Red Star plus épisodiquement, mais le Paris Saint Germain reste le club de mon cœur.

Comment définirais-tu ton lien avec ce club ?

Un lien amoureux, tout simplement. J’aime intrinsèquement ce club car il m’a apporté énormément de satisfactions. Et ce avant que je sois joueur. Quand j’ai été joueur ça a été une période dorée car j’ai eu la chance de gagner des titres tous les ans, d’aller très loin dans les compétitions européennes. On a quand même été cinq fois au moins en demi-finales de Coupe d’Europe consécutivement, on est le seul club français et on doit être trois clubs européens à avoir fait ça. On a fait deux finales, on a été premier à l’indice UEFA en 1997. Donc on a une génération extraordinaire et ce club nous a procurés des émotions fabuleuses. Il n’y a que dans ce domaine-là qu’on peut vivre ces moments magiques. Ce ne sont pas que des moments magiques personnels, ce sont des moments de partage avec les partenaires, les supporters, les dirigeants, le public derrière leur écran qu’on retrouve dans la rue. Ça reste des anecdotes, des sourires et la vie c’est aussi ça ; du bonheur commun, collectif. Je crois que ça n’a pas de prix.

Que représente l’OM pour toi ?

Un grand club ! Parce que s’il y a une rivalité cela signifie qu’il y a une force en présence. À notre époque les deux équipes étaient le parterre des joueurs de l’Équipe de France, il y avait des internationaux dans les deux camps. Donc Marseille représente une place forte du football : par sa popularité, c’est un club très apprécié, par son passé, par ses résultats. Même s’il y a eu l’ère Deschamps où ils ont trusté quelques titres, ils ont fait leur histoire à travers des parcours européens très forts. S’il y a eu deux clubs français qui ont eu des parcours importants en Europe lors de ces vingt dernières années, c’est Marseille et le Paris Saint-Germain indéniablement. Ils sont aussi portés par des supporters qui sont à 300 % derrière eux et qui adorent leur club, c’est ce qui fait aussi partie de la rivalité.

Comment tu abordais les matchs face à l’OM, avais-tu un état d’esprit particulier ?

Non pas spécialement mais le contexte extérieur était changeant. Il y avait beaucoup plus de pression de la part des supporters. Pour eux c’était un match à part. Pour nous, c’était un match qui valait trois points. Après, c’était une équipe très forte qu’il fallait écarter de la course au championnat ou en Coupe quand on a eu l’occasion de les jouer. Nous on était des compétiteurs alors qu’ils s’agissent de Troyes, Valenciennes ou Marseille, le plus important c’était la gagne. Mais Marseille par rapport à l’effervescence autour du match, ça mettait un petit peu plus de piment effectivement.

Tu es arrivé au PSG à l’époque où la rivalité avec l’OM s’est créée, est-ce qu’il y avait un excès d’excitation dans les vestiaires ?

Tout dépend des personnalités, mais je pense que de notre côté on avait pour seul objectif de gagner. Il y avait cet enjeu d’être le meilleur. Il y avait aussi l’aspect de l’excitation du match qui ressemble un peu à ce qu’on retrouve en Coupe d’Europe. Mais quand on est joueur, il ne faut pas perdre ses moyens, il faut rester mesuré parce sinon tu joues les matchs avant. J’ai connu quelques joueurs qui jouaient le match dans leur lit avant de le jouer sur le terrain. Il y en avait un particulièrement et c’est terrible car nerveusement il avait lâché beaucoup de son potentiel sur l’avant-match. Il faut avoir autant de sérénité que d’anxiété car elle t’amène cette petite adrénaline qui fait que tu lâches tout dès que l’engagement a lieu.
Ce joueur c’est Jean-Luc Sassus, il était surexcité et stressé avant les matchs. Du coup, il perdait beaucoup d’influx sur ces matchs. Pour nous, c’était compliqué de le gérer. Sur un match de championnat, Daniel Bravo est à côté de lui et il demande à Daniel : « Où est mon protège tibia, il m’en manque un. » Daniel lui répond : « J’ai pas ton protège tibia, je suis dans mon match… » Il lui dit : « – Regarde dans ton sac. – Mais non je ne l’ai pas, regarde. » Après, il fait le tour du vestiaire pour vérifier s’il n’y avait pas quelqu’un qui lui avait volé. Il nous casse les pieds avec ça alors qu’on est en train de se préparer. Ça dure 20 minutes. Et quelqu’un lui dit : « Baisse tes chaussettes. » Il avait mis ses deux protège tibias sur la même jambe. C’est pour vous dire dans quel état psychologique il était avant les matchs [rires].

 

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Comment tu te sentais après une défaite contre l’OM ?

C’est compliqué parce que déjà quelle que soit l’équipe, je détestais perdre. J’étais un guerrier, je ne voulais qu’une chose c’était la gagne. Pas à n’importe quel prix par contre, j’étais sportif dans l’âme donc respectueux des règles.
Les défaites, on en a connu. Pas beaucoup pendant six ans quand j’étais au PSG mais contre Marseille, on en a connu aussi. Donc là pendant trois jours, c’était la soupe à la grimace, on n’était pas contents et c’était une ambiance plus morose. On ne pensait qu’au prochain match pour pouvoir tuer ceux qui arrivaient derrière [rires].

À ton époque, quelle était la relation en équipe de France dans le vestiaire entre les Parisiens et les Marseillais ?

Le France – Bulgarie [match éliminatoire de 1993 qui élimine les Bleus du mondial américain ndlr] a été un réel problème dans l’homogénéité de l’équipe de France. Il y avait des soucis avec d’un côté les Marseillais, de l’autre les Parisiens même si on essayait de faire cause commune. C’était une cohabitation obligatoire pour une tunique, pour un maillot, pour l’équipe de France. À travers ce qui s’est passé dans les confrontations PSG – Marseille, que ce soit sur le terrain, dans les déclarations d’avant match ou même pendant le match, ça a laissé des traces. Bon on avait la Bulgarie et la Suède dans notre groupe mais à deux journées de la fin on est normalement qualifiés ; même si ces deux sélections ont fait quatrième et troisième lors de la coupe du monde de 1994. Franchement avec l’effectif qu’on avait, on avait des chances de l’emporter. Là, on se rend compte qu’à partir du moment où il n’y a pas cause commune et que les objectifs ne sont pas communs et que l’entente est loin d’être parfaite, ça devient des grosses carences pour la performance.
Ce qui était complètement fou c’est qu’on se retrouvait en équipe de France et on se côtoyait, mais quand il y avait PSG – Marseille, on ne se disait pas bonjour. C’est des choses invraisemblables, les Marseillais avaient pour interdiction de nous dire bonjour. C’était de l’intimidation. Du coup, en équipe de France, les relations n’étaient pas cordiales. Avant même de rentrer sur un terrain, on a tendance consciemment à jouer avec ses partenaires de club. Sur le terrain, inconsciemment on devient moins logique dans son instinctivité de jouer avec des joueurs qui sont plus des rivaux.

Est-ce qu’il y a un joueur de Marseille que tu aurais aimé avoir à Paris ?

Il y en a un qui aurait bien correspondu au profil du public parisien, de l’équipe éventuellement : c’est Chris Waddle. À la fois déstabilisateur, percutant, « artiste » et efficace, il aurait plu au public.
C’est un joueur qui avait beaucoup de ficelles et de métier, techniquement très performant. Il fallait le surveiller comme le lait sur le feu.

Quelle a été ta plus grande joie lors d’un PSG – OM au cours de ta carrière ?

De marquer au Parc des Princes, quand on avait fait un partout, contre Fabien Barthez. J’ai ouvert le score et juste avant la mi-temps, Rudy Völler égalise sur un but foireux. C’était la qualité du renard allemand qui en taclant un ballon un peu perdu, arrive à égaliser. Alors qu’on avait maîtrisé le match mais malheureusement on avait fait nul. J’avais marqué un très beau but sur un centre en retrait de David Ginola côté gauche, j’avais mis un plat du pied à l’opposé. Je m’étais régalé, c’est le grand plaisir qui me revient à l’esprit.

Quelle est la plus grande peine que tu aies vécu lors d’un PSG – OM ?

C’est peut-être le match qu’on avait perdu 3 – 1, j’avais marqué à Marseille sur une action où j’étais parti de mon camp poursuivi par George Weah. On maitrisait les débats, on l’a perdu sur pas grand chose parce que le premier but que marque Marseille nous fait très mal et après on perd le fil de la rencontre.
Ça nous a beaucoup touché car on jouait le titre et Marseille devait être émoussé mais on avait des lions en face de nous.

 

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Tu te rappelles d’embrouilles entre des joueurs de Paris et de Marseille ?

Je m’étais pris le bec avec Jean-Jacques Eydelie, on s’était insultés. Après, il faut être costaud, moi je n’avais peur de personne. Une fois sur le carré vert, si tu m’agressais, tu peux être sûr qu’il aurait la monnaie de sa pièce. C’était des matchs engagés, athlétiquement, il fallait être fort et d’entrée de jeu. On savait qu’on n’avait pas le droit d’être en dessous. Moi c’est dans mon caractère d’être prêt pour les défis. Si vous vous faites marcher dessus, le score peut basculer.

Comment vois-tu l’évolution des Classicos ?

Ça n’a plus rien à voir, la rivalité a quand même baissé. C’est incomparable car les internationaux français jouaient dans ces deux équipes donc le niveau était très élevé. Aujourd’hui, le fait que les équipes se soient internationalisées et notamment au PSG, ça change tout. L’ouverture des frontières par rapport à l’arrêt Bosman en 1997 a bouleversé les choses. Puis Marseille et Paris ont eu un trou de résultat pendant dix ans au niveau national et international.

Comment tu vis le classico depuis ta retraite sportive ?

Avec plaisir. Je les suis toujours avec attention. C’est toujours un régal de voir ce genre de match. Après, je regarde toujours le contenu et ce qu’on peut voir au niveau du jeu. Mais il y a eu des matchs intéressants et il y a des joueurs qui ont rehaussé leur niveau de jeu lors de ces matchs-là même s’ils n’étaient pas exceptionnels. Je me souviens des Ronaldinho, des Pauleta qui ont marqué de leur empreinte ce genre de match. Ils ont illuminé ces rencontres sur des actions dont tout le monde se souvient. Ils ont amené cette étincelle, ce feu d’artifice qu’on attend lors de ces matchs. Ce sont des souvenirs qui sont bien ancrés.

Que penses-tu du PSG à l’ère de QSI (Qatar Sport Investments) ?

Je pense que c’est un actionnaire très fort économiquement car aujourd’hui si tu n’es pas à la hauteur ce n’est pas facile d’exister au niveau national et international. Évidemment, il y a une évolution, une progression, aujourd’hui le PSG est très international. Il y a très peu de Français qui jouent au PSG, il y a beaucoup plus d’étrangers. Mais pour avoir une équipe forte maintenant, il faut puiser sur des références étrangères sur différents postes. Aujourd’hui, moi, je suis content de voir le Paris Saint Germain en haut de tableau et de revenir au niveau européen. Nous aussi on avait un actionnaire très fort avec Canal +, à un moment ils se sont désengagés car ils ne mettaient pas assez d’argent même si c’était déjà pas mal. Il ne faudrait pas que l’histoire se répète avec les Qataris.

Si on devait opposer l’équipe de Paris d’aujourd’hui avec celle de ton époque, qui gagnerait ?

C’est très difficile de comparer des générations, car ce n’est pas le même football. Aujourd’hui, ça joue plus sur des petits espaces. Après les joueurs de ma génération s’adapteraient très bien au football d’aujourd’hui car il est très technique, très rapide, très vif et on avait des joueurs qui avaient ces qualités-là.
Peut-être qu’aujourd’hui, ils ont plus de qualités individuelles. Mais sur le côté âme, cohésion d’équipe et solidarité, on était largement au-dessus de l’équipe d’aujourd’hui. Si on a duré six ans, c’est qu’il y avait une solidarité de tous les instants et tous les joueurs se battaient pour les autres, avec une force incommensurable. Aujourd’hui je pense que cette cohésion est moins forte aussi parce qu’on était un groupe franco-français, ça unit d’avantage que quand on vient de différents pays sans racines communes.

 

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Un pronostic pour le 5 avril ?

Ça va être très serré. L’enjeu pour Marseille est colossal, il va y avoir une ambiance d’enfer au Vélodrome car l’objectif c’est la première place pour les deux équipes. Ça va être un match très intéressant. Je pense qu’il difficile à pronostiquer, même si le Paris Sains Germain à un potentiel intéressant. Je vais dire match nul pour cette rencontre, mais j’aimerai qu’on gagne. 2-2 avec des buts de Cavani et Verratti.

Quelle serait la vie du PSG sans Marseille ?

C’est une très bonne question. Mais elle vaut aussi pour Marseille : que serait Marseille sans le Paris Saint Germain ? C’est important d’avoir cette rivalité sportive et de population, automatiquement ça agrandit l’appétit des deux clubs et ça les fait grandir.

Y’a-t-il un joueur qui symbolise pour toi les PSG – OM après ta période ?

Ronaldinho même s’il est resté une trop courte période pour être estampillé PSG. Gagner 3-0 à Marseille avec le festival qui fait sur ce match-là, c’est une image qui me reste.

As-tu un joueur qui symbolise pour toi les PSG – OM durant ta période ?

Nous c’était des guérillas. Di Meco à Marseille représentait cette agressivité, il était vraiment dans la violence et parfois à la limite. Aujourd’hui, il ne pourrait plus jouer car si tu lui enlèves cette agressivité ça lui retirerait beaucoup de son potentiel. Du côté PSG, il y avait très peu de Parisien donc on va dire Vincent Guerin [rires].

 

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