Waly Dia : « Je ferai de la scène toute ma vie si on m’en donne le droit »

Propulsé par le Jamel Comedy Club, Waly Dia a porté pendant quatre saisons un premier spectacle à succès. Joué l’acteur aussi, à la télé et au cinéma. Aujourd’hui, le stand-uppeur revient sur scène avec un nouvel opus, plus mûr et piquant.

Devant l’objectif du photographe, avec son regard qui cherche une attache et ses façons un peu pataudes, Waly Dia ne sait pas trop quoi faire de lui. Lui, préfère les images qui vivent, quand tout son visage et son corps s’animent. Son âme perce, quand ses mots coulent. Un truc pas feint qui rayonne. Sur scène, l’humoriste dévore l’espace et débite ses pensées. Le harcèlement sexuel, les gilets jaunes, Mbappé, le rap, le terrorisme, sa fille… Des vannes qui rassemblent les coeurs le temps d’un instant. « Ensemble ou rien. »

Photos : @louis_azaud

J’ai une passion dans la vie, c’est trouver des sosies. On t’a déjà dit que tu avais un air de Thilo Kehrer?

On me l’a déjà dit oui ! Plus jeune, on me comparait à Pharrell aussi. Et récemment, on m’a dit Doc Gynéco, je ne sais pas comment le prendre parce que je n’ai que trente ans. [rires]

Je te rassure, aucun rapport ! [rires] Tu as été très médiatisé après ton passage au Jamel Comedy Club et ton premier spectacle a connu un vrai gros succès. Aujourd’hui, tu ironises sur le fait de jouer dans une petite salle entre deux bars à putes. Tu as le sentiment de tout recommencer à zéro ?

La petite salle, c’était un choix pour donner au spectacle le temps d’évoluer. J’avais envie de retrouver l’énergie de la création du premier spectacle. Le premier, je l’avais d’abord joué dans des petites salles et c’est comme ça qu’il est devenu ce qu’il était. Je n’avais pas envie de changer de processus.

Dans ton nouveau spectacle, tu évoques aussi la concurrence très dense dans l’humour. Est-ce que tu as peur de lasser, de ne plus être aimé, de ne plus être dans le coup ?

Tout est une question de travail. Si tu travailles consciemment et sincèrement, je ne pense pas que tu soûleras les gens. Et puis ce n’est pas parce qu’un mec est en place que les gens n’iront voir que son spectacle. Ils iront aussi voir les autres. Il y a aussi des humoristes qui peuvent être hype en 2017, disparaître en 2018 puis revenir en 2020. C’est fluctuant.

« On parle d’humour « communautaire » parce que ce sont des origines extérieures à la France. Si j’avais parlé de ma famille en Auvergne, on n’aurait pas dit ça. »

Quand je suis allée te voir sur scène, tu avais demandé à la fin au public s’il avait des questions à te poser et une fille a pris la parole pour dire qu’elle regrettait que tu n’aies pas parlé de tes origines et de ton père, contrairement à ton spectacle précédent. As-tu l’impression d’être prisonnier d’un certain style d’humour que les médias appellent « communautaire » ?

On parle de « communautaire » parce que ce sont des origines extérieures à la France. Si j’avais parlé de ma famille en Auvergne, on n’aurait pas dit ça. Après, ce sont peut-être les gens habitués à ce format d’humour qui ont du mal à en sortir, alors que moi je ne me définis pas que par mes origines. Ce que je n’ai pas envie de faire, surtout, c’est dévaloriser mes origines. Malheureusement, beaucoup d’humoristes, moi y compris, sommes tombés dans ce piège-là pour faire rire la masse.

Ton premier spectacle était aussi une manière de te présenter au public. Dans le second, tu as d’autres choses à dire…

Voilà c’est ça, c’était le début, il fallait « montrer ses papiers » [rires], montrer d’où on vient, qui on est. C’est toujours mieux, quand tu débarques dans une soirée, de dire qui tu es. Mais c’est un socle, ce n’est pas l’entièreté de ton identité.

J’ai aussi l’impression que le rythme et ton flow sont plus posés par rapport au premier spectacle, où tu jouais quasiment en apnée, avec une énergie complètement folle.

J’ai beaucoup plus dispatché les moments mitraillette, qui sont un peu ma marque de fabrique. Parce que, si tu fais ça sur une heure, les gens n’ont pas le temps de tout suivre et capter, il y a plein de moments qui passent à la trappe. Je veux vraiment qu’aucune de mes phrases ne passe à la trappe.

En même temps, je crois qu’il y a des gens qui ont ce besoin de surconsommer le rire, d’exploser de rire à chaque minute…

Le problème du rire à la seconde c’est que ça se fait au détriment de ton propos. Il y a forcément un moment où tu es obligé de poser un contexte, sinon tu restes en surface. Quand tu prends le temps d’aller plus loin, il y a peut-être moins de rires mais le rire est plus fort.

Peut-être que ce type d’humour-là s’adresse aussi à une autre cible, un peu plus adulte ?

Non, parce que ça serait sous-estimer les plus jeunes. Les jeunes ne se bouffent pas que Les Marseillais à Cancún. Il y en a plein qui ont envie d’apprendre et je pense que, justement, c’est un moyen « d’apprendre en s’amusant ».

Tu es un peu le prof sympa !

Ouais et encore, parce que je ne donne pas de leçons, je donne juste mon avis.

Les réseaux sociaux, et notamment Twitter, sont de vraies caisses de résonance des états d’âme de l’opinion publique, qui peut très vite s’emballer contre un artiste. Aujourd’hui, avec cette donnée-là, peut-on toujours rire de tout ?

On peut rire de tout, sauf que le tout va te répondre.

C’est pas mal ça !

Ouais avant tu pouvais faire des blagues sur les noirs, les arabes, les gays, les juifs… parce qu’ils ne te répondaient pas. Aujourd’hui, ils vont te répondre et soit tu les auras fait rire et ils vont t’aimer, soit tu ne les auras pas fait rire et ils ne vont pas t’aimer. Et puis tu auras toujours les énervés qui eux n’aiment rien et veulent juste te détruire. Sur Twitter, il y a une tendance à la méchanceté parce que les gens aiment ça. C’est un peu les Jeux du Cirque, on aime bien voir quelqu’un se faire déchirer. Et, à côté de ça, il y a aussi des élans de solidarité incroyables. C’est vraiment le Yin et le Yang, Twitter.

Mais toi, en tout cas, dans la construction de tes sketchs, ça ne détermine pas ce que tu vas dire ou non…

Non, mais j’essaie de faire quelque chose qui ne peut pas être perçu comme mauvais. Et surtout, je veux être compris.

En mars dernier, tu as donné un spectacle à la Prison de Gradignan dans le cadre du festival Fous rires de Bordeaux. Je te demandais si on pouvait rire de tout, mais peut-on rire partout ?

En prison, clairement ils ont envie de rire, parce qu’ils n’ont pas grand-chose d’autre à foutre. [rires] C’est surtout moi qui m’étais demandé si des gens qui avaient déconné devaient être divertis. Mais en fait, il y avait eu un « tri » au niveau des détenus, il n’y avait pas de pédophiles, de violeurs, de meurtriers. Ce sont des gens qui n’avaient pas commis des choses trop graves et qui peuvent changer. La prison, on le sait, n’améliore personne. Plus c’est long, plus c’est pire. Et c’est peut-être une solution d’essayer d’apporter une ouverture d’esprit à des gens qui peuvent complètement tomber dans le noir.

Tu avais adapté ton humour à ce public-là ?

Ouais j’avais trouvé des trucs pour eux, autour de l’univers carcéral. Mais je ne voulais pas parler que de leur situation, parler aussi de ce qu’il se passe dehors.

Leur apporter un semblant d’évasion quoi…

Dis pas ça, parle pas d’évasion ça peut leur donner des idées. [rires] Non mais c’est surtout les garder connectés avec l’extérieur. Leur faire comprendre « Ok, vous avez foiré » – même s’ils n’ont pas tous foiré, car certains étaient là pour des histoires de papiers par exemple – « mais il y a encore des gens qui vous considèrent, ne basculez pas ». En première partie, il y avait des braqueurs qui avaient monté une pièce de théâtre. C’est bien la preuve qu’ils sont capables de faire autre chose.

« Le fait d’être sur scène, c’est forcément un besoin d’attention, de reconnaissance, de validation des autres. »

On dit souvent que l’humour guérit. Par exemple, il peut guérir la timidité de celui qui le pratique ou guérir les maux de celui qui le reçoit. Ça t’a guéri de quoi, toi, l’humour ?

Le fait d’être sur scène, c’est forcément un besoin d’attention, de reconnaissance, de validation des autres. Je n’en avais même pas conscience, mais je me dis que ça doit venir de là. Il y a quand même un truc d’ego là-dedans, dans le fait de vouloir qu’on nous regarde. Par contre, je n’ai pas encore identifié ce que j’avais précisément besoin de soigner par l’humour.

Qu’est-ce qui te fait marrer aujourd’hui?

Moi j’aime les gens qui n’en ont plus rien à foutre des codes sociaux, les gens qui ont craqué. Ça me fait hurler de rire. Ils ont accepté tout ce qu’ils étaient, aussi bien le bon que le mauvais. Ils ont décidé d’être eux-mêmes. J’ai hâte d’atteindre cette liberté-là, de péter un câble.

Contrairement à d’autres humoristes de ta génération, tu n’utilises pas les réseaux sociaux pour poster des vidéos d’humeur quotidiennes. C’est un exercice qui ne te tente pas ?

C’est compliqué… Ça peut me causer du tort parce que je serais peut-être plus suivi si je faisais ça mais j’ai du mal à rentrer là-dedans, à prendre la parole pour prendre la parole. J’ai l’impression que si tu fais ça, tu auras besoin de le faire tout le temps après, parce que si tu arrêtes, les gens vont penser que tu es mort. Je pense que si tu as un spectacle qui est fort et que tu en balances des extraits, si tu montres ton métier plutôt que ta vie, c’est plus intéressant. Des fois ça me prend quand j’ai un truc qu’il faut que j’extériorise, mais j’en parle parce qu’il faut que j’en parle, pas parce qu’il faut qu’on me voit. J’ai l’impression que c’est le nouveau besoin promo. Mais si ton travail est assez marquant, les gens ne t’oublient pas.

Tu as tourné dans plusieurs films. T’es-tu servi de l’humour comme d’une antichambre pour accéder au cinéma ?

En fait, le problème, quand tu es humoriste, c’est que tu as ton style mais on va rarement te laisser libre d’être ce que tu as envie d’être par rapport à ton rôle. Dans une interview, Louis de Funès disait : « Moi, quand je vais sur un film, personne ne me dit ce que je dois faire. Donne-moi le texte et laisse-moi faire, tu écris très bien mais c’est moi qui suis marrant. » Je ne suis pas du tout Louis de Funès mais j’adore cette logique-là. Tu ne peux pas expliquer à un humoriste comment être drôle.

Tu me parles d’être dirigé dans ta façon de faire rire. Mais tu n’as peut-être pas envie de te cantonner à des rôles drôles ?

Oui, là je viens de tourner une série pour Netflix, Osmosis, où ce n’est pas du tout le cas. La série est sombre mais je m’amuse parce que je fais un truc que je ne ferais jamais ailleurs. La comédie et l’humour, ce sont deux choses différentes, qui ne dépendent pas l’une de l’autre. Je ferai de la scène toute ma vie si on m’en donne le droit.

Tu parlais de série… On avait une image très ringarde des séries françaises, calées sur un modèle de héros à l’ancienne façon Navarro, et aujourd’hui, j’ai l’impression qu’elles se sont profondément renouvelées, avec des scénarios plus fouillés et une image plus sophistiquée.

C’est l’histoire de la mondialisation. C’est bien de faire des produits français mais s’ils n’arrivent pas à concurrencer le spectaculaire américain, l’audace anglaise ou l’innovation allemande, ils meurent. Donc tu es obligé de te mettre un peu au niveau. Ça se développe, mais il y a malheureusement encore trop de chasses gardées d’idées, énormément de projets géniaux refusés…

C’est quoi ton ambition ultime dans la vie ?

C’est de continuer un travail qui me permette à la fois d’être heureux et de subvenir aux besoins de ma famille et des gens que j’aime.

Ce que tu fais aujourd’hui, donc…

Ce que je fais aujourd’hui, oui, mais avoir le droit de le faire toute ma vie.

Nouveau spectacle « Ensemble ou rien » à la Comédie de Paris jusqu’au 5 Janvier puis prolongations au Palais des Glaces à partir du 18 Janvier.

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