Wendy Huynh shoote les visages des banlieues partout en Europe

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Un projet : Arcades. Une photographe : Wendy Huynh. Et une revanche à prendre sur l’ensemble des médias, l’industrie de la mode, le milieu de l’art… et des phénomènes bien plus larges tels que l’appropriation culturelle et son lot de conséquences. On est partis à la rencontre de Wendy Huynh, artiste et rédactrice en chef qui tente d’immortaliser les visages multiples de ce qu’on n’appelle jamais sans arrières-pensées la banlieue

Avec les années, Wendy Huynh a fini par regarder sa banlieue d’un autre œil, au point d’en faire une source d’inspiration majeure pour ses travaux. Après ses études, ​elle se consacre à la photographie et ​s’aperçoit que beaucoup ont une vision stéréotypée des quartiers. La jeune artiste a alors pour ambition de montrer que son lieu de vie de toujours n’a rien d’un monolithe, à l’instar de là où elle a grandi : Marne-la-Vallée​. Fondatrice du magazine Arcades, elle cherche à donner une vision honnête et transparente ainsi qu’à donner de l’attention à des endroits rarement perçus par l’œil de ceux qui en connaissent les moindres recoins.

Fantasmée et adulée par le milieu du luxe, ce que l’on désigne aujourd’hui comme « l’esthétique de la banlieue » — notamment à travers l’architecture brutaliste —, n’a jamais été autant la cible d’appropriation culturelle que ces cinq dernières années. De Louis Vuitton à Supreme, le luxe a notamment fait du survêtement le nouveau branché, voire le nouveau chic. ​Pour ​Wendy Huynh, il s’agit de reprendre la voix. ​Le premier numéro d’Arcades était consacré à la banlieue parisienne, le deuxième à celle de Londres et le troisième et dernier en date à la ville de Berlin et à ses alentours. Le magazine comprend des séries photos, des éditos ainsi que des interviews de différentes personnalités et artistes. À travers ses photographies, Wendy Huynh narre une autre version de l’histoire.

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Mairie de Créteil, par Wendy Huynh

Qui es-tu ?

Je m’appelle Wendy, j’ai 26 ans. Je suis photographe et en ce moment, j’habite entre Londres et Paris, mais je suis le plus souvent à Londres pour le travail. Je suis partie vivre là-bas après le lycée pour faire un bachelor en communication et mode.

Comment en es-tu venue à créer ton propre média, Arcades

L’idée m’est venue quand j’étais à Londres. J’ai toujours grandi en banlieue : à Lognes, à Torcy et à Bussy… Mais j’ai toujours détesté la banlieue. À cette époque, je ne pensais pas que je travaillerais un jour sur cette thématique. Petite, je voulais aller sur Paris, dans un lycée parisien. Mon rêve, c’était de partir de Bussy. Finalement, je suis partie à Londres, un autre de mes rêves. La culture britannique me plaisait et je visais une école en particulier, la Central Saint-Martins. Ce sont ces allers-retours entre Londres et Bussy qui m’ont permis de prendre du recul et de me rendre compte à quel point ma banlieue était différente de Londres et de Paris. Arcades incarne un peu cette relation amour/haine que j’ai entretenue avec la banlieue. Quand j’ai commencé à parler du projet à mes potes et camarades de classe, qui ne connaissaient pas vraiment la banlieue de Paris, ils ont immédiatement pensé au film La Haine, aux banlieues « difficiles », etc. Or, paradoxalement, là où j’ai grandi, ce n’est pas du tout comme ça, c’est très vert, très résidentiel. Je n’ai pas grandi dans une banlieue telle que la société peut se l’imaginer, une banlieue « dure », parce que la banlieue a plusieurs visages.

Quels sont les souvenirs marquants que tu gardes de cette époque ?

En grandissant à Bussy, vers 15 ans, je m’intéressais déjà à la photo et à l’art mais je n’avais aucun accès à ça : aucune option au lycée, aucun cours théorique sur l’art. J’ai trouvé injuste qu’il faille que je sois sur Paris pour avoir une option ou même pour faire des études d’art. C’est quelque chose qui manque énormément en banlieue et ça reflète aussi l’exclusion de la banlieue par rapport à Paris. On n’a pas les mêmes ressources, forcément, cela ne pousse que très peu les jeunes à étudier l’art ou la photographie. C’est un sujet qui me touche énormément car c’est quelque chose que j’ai vécu. Je me souviens que lorsque j’étais en prépa à l’Atelier de Sèvres dans le 6ème arrondissement, qui est une prépa un peu « bobo », avec une majorité de parisiens qui savaient tout ce qui se passait à Paris, je me sentais exclue. Je ne savais pas où il fallait sortir, je ne connaissais ni les bars, ni les expos, ni les restos cool… Je trouvais que c’était une autre vie. J’avais d’un côté mes potes à Paris et puis d’un autre mes potes à Bussy. Le délire est différent, les discussions sont différentes. Le week-end, mes potes de Bussy restaient dans le secteur ; à Paris, c’était autre chose : on sort, on boit des verres, on reste plus tard, parce qu’il y a plus de choses à faire. J’avais l’impression de vivre une double vie.

« Quand j’ai commencé à parler du projet Arcades à mes potes, ils ont immédiatement pensé au film ‘La Haine’, aux banlieues « difficiles », etc. Or, paradoxalement, là où j’ai grandi, ce n’est pas du tout comme ça, c’est très vert, très résidentiel. »

Depuis, beaucoup de choses ont changé, et tu t’es donné les moyens de partager ton point de vue.

Arcades, pour moi, c’est un travail qui consiste à montrer les différents types de banlieues à travers un regard honnête. Il y a un aspect documentaire dans ce projet. ​Avec Arcades, il y a une véritable volonté d’immersion. Je ne donne pas vraiment d’avis dans mon travail ; à travers le magazine, je souhaite surtout livrer un message neutre et archiver. Ce sont principalement des photographies, des séries sur une ville en particulier, beaucoup d’architecture et de visages aussi. Mais le texte est important également : je travaille avec une amie qui s’en occupe et qui réalise des interviews avec des artistes qui vivent en banlieue ou qui réfléchissent au thème de la banlieue. C’est important pour moi d’avoir des échanges. Il y a aussi des éditos mode, car la mode fait partie de l’histoire de la banlieue. Prendre en photo une personne, c’est déjà de la mode. Trois numéros d’Arcades sont déjà parus, en vente dans différentes boutiques et librairies et accessibles en ligne. Je suis actuellement en train de travailler sur le prochain numéro, qui sortira l’année prochaine.

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Royals Allstars Cheerleaders, Surrey, par Wendy Huynh

Pourquoi ce nom, Arcades

Le nom vient du centre commercial « Les Arcades », à Noisy-le-Grand. Les Arcades, c’était l’endroit où l’on se retrouvait. Lorsque j’étais petite, en grandissant près de Noisy, c’était le seul centre commercial : on n’avait pas de lieux comme Val d’Europe ou Disney à cette époque, ce n’était pas vraiment développé. On se rendait tous aux Arcades.

Est-ce qu’on peut dire que tu portes un message à travers ce projet ?

Avec Arcades, je voulais montrer qu’il existait plusieurs types de banlieues. Il y a encore beaucoup de clichés qui perdurent. Le fait de savoir que l’on est à trente minutes de Paris en RER, qu’on n’est pas loin de la capitale, mais qu’on a des vies complètement différentes : la façon dont les gens s’habillent, parlent… Par exemple, en ce qui concerne le trajet : beaucoup s’imaginent qu’on met plus de deux heures pour venir à Paris lorsque l’on habite en banlieue. Avec le Grand Paris par exemple, les parisiens vont peut-être avoir davantage envie de se rendre en banlieue. Mais est-ce que c’est si facile de changer les mentalités ? Parce qu’aujourd’hui, tout ça est bien ancré dans l’imaginaire collectif. ​Les médias ont une telle influence… Or la banlieue change énormément et tout le temps. Il ne faut pas seulement avoir un regard réel et sincère mais aussi actuel et moderne.

« En grandissant à Bussy, vers 15 ans, je m’intéressais déjà à la photo et à l’art mais je n’avais aucun accès à ça. J’ai trouvé injuste qu’il faille que je sois sur Paris pour avoir une option ou même pour faire des études d’art. »

Qu’est-ce qui, de cet environnement, te nourrit encore maintenant que tu vis à Londres ?

Je pense qu’il ne faut pas perpétuer le cliché banlieue égale rap mais mon grand-frère était très branché hip-hop donc j’ai grandi avec ça et c’était aussi une de mes inspirations pour Arcades. Le rap, c’est un genre musical avec lequel il est plus facile de faire passer un message. Mais c’est vrai que je n’en écoute plus trop.  Il y a surtout la mode. C’est un sujet qui me passionne tout particulièrement. ​À chaque fois que je reviens sur Bussy, j’adore voir comment les jeunes s’habillent ; j’ai remarqué que le style des jeunes aujourd’hui a énormément changé, j’ai l’impression que le style en banlieue est un peu plus classique, moins street. Le style reste toujours une question importante en banlieue.

Aujourd’hui, il y tout un fantasme autour de la banlieue et celle-ci est victime d’appropriation culturelle, notamment par la mode…

Oui, on voit beaucoup de shootings mode en banlieue, qui n’ont aucun sens. Personnellement, c’est vraiment quelque chose qui m’énerve : c’est ce qu’on pourrait appeler un tourisme de banlieue. C’est pour ça que j’insiste sur la question de l’échange. La banlieue, c’est avant tout une ville et ses habitants et je pense qu’il faut qu’on respecte ça. ​J’ai vu plein de shootings réalisés à Noisy-le-Grand, avec des mannequins vêtus de tenues hors de prix qui posaient devant ​les Espaces d’Abraxas, parce que c’est en banlieue et que ça fascine les gens de la mode. Je ne comprends pas le principe. C’est important que les gens sachent que c’est avant tout un lieu de vie, avec une culture qu’il faut respecter. C’est le cas aussi de manière globale, lorsque l’on voyage. Pour créer quelque chose de fort artistiquement et visuellement, les échanges sont la base de la création.

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Maison de Rod à Canvey Island, Essex, par Wendy Huynh

Dans une interview, tu parles de « regarder la banlieue d’un autre oeil »,​ qu’entends-tu par là ​?

C’est plutôt regarder la banlieue à travers mon oeil. Je voulais montrer ce que je voyais tous les jours, là où j’ai grandi, mon quotidien de fille de banlieue de ​l’est parisien. Il y a vraiment quelque chose de dynamique en banlieue, on en parle de plus en plus. Beaucoup de jeunes se lancent dans des projets artistiques, ils n’ont pas forcément les ressources autour d’eux et ça les poussent à s’accrocher.

Tu perçois des différences entre Paris et Londres à travers ton travail ?

À Paris, on a des banlieues qui sont beaucoup plus marquées géographiquement, déterminées par notre périphérie. Tout ce qui est en dehors de la périphérie, c’est la banlieue. Londres, c’est tellement énorme, c’est difficile de définir la banlieue, il y a des « banlieues » qui sont dans Londres même.

« C’est important que les gens sachent que la banlieue est avant tout un lieu de vie, avec une culture qu’il faut respecter. »

Comment choisis-tu tes modèles ?

Je prends en photo les gens que je vois, c’est aussi simple que ça. Le choix des visages se fait naturellement. Bien évidemment, ce ne sont pas des visages que l’on voit partout, et c’est aussi cela qui m’intéresse. ​Parmi les personnes que je photographie, il peut aussi y avoir des amis. ​On voit très souvent la diversité comme un outil marketing, notamment dans la mode. C’est important de parler de diversité, mais en même temps dans ces milieux, est-ce que c’est vraiment honnête ? C’est pour cela que dans mon travail, je ne me dis pas qu’il faut absolument que je montre un seul et même type de personnes : je montre ceux que je vois, ceux que je croise et ceux que je connais, de manière organique. ​Pour le moment, j’ai des retours positifs. J’essaie d’établir une confiance avec les personnes que je photographie. Mais ils sont aussi conscients qu’il y a tout un mythe autour des banlieues. En général, je suis très bien accueillie, les gens sont enthousiastes, car ils n’ont pas l’habitude que l’on s’intéresse à la banlieue de cette manière. Ce ne sont pas des gens que l’on représente dans les médias.

On voit à travers tes images que tu aimes déambuler dans les rues pour aller à la rencontre de ces personnes-là. Dans quelles situations est-ce que tu déclenches ton appareil photo ?

J’aime arrêter les gens. Prendre leur contact et créer un dialogue. Je pense que c’est primordial, cette prise de contact dans la photographie, d’avoir un échange. La photographie ne se résume pas à une image, ce sont aussi des discussions et des rencontres. J’aime beaucoup écouter les conversations dans le RER autour de Paris, et ça m’arrive même de prendre les coordonnées des personnes que je croise et qui m’interpellent.

Quels sont tes projets pour la suite ?

J’ai envie de développer Arcades et de lui donner une vision à 360°. C’est super de pouvoir avoir le magazine imprimé et de le tenir en main, mais j’ai envie de pousser le projet plus loin. Je pense à créer un lieu d’échange, sous la forme d’une exposition qui présente le travail de différents artistes, des conférences avec sociologues et des écrivains, et enfin à créer un espace de documentation avec une mise à disposition de livres d’art, d’essais et de romans qui évoquent la banlieue.

Wendy Huynh, par Alex Dobé

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