Yeezy, yeezy, yeezy : Just jumped over the Jumpman

Dans le morceau « Facts », Kanye West vante les mérites de sa Yeezy qui aurait surpassé la Air Jordan. Adidas qui a pris le pari coûteux – mais pas si risqué– de déloger le rappeur-designer de Nike en 2013, doit assurément s’en frotter les mains aujourd’hui. Les modèles 350 et 750, par l’originalité de leur apparence et surtout pour le culte voué à l’homme derrière ces créations, ont lourdement redistribué les cartes du paysage mondial de la basket depuis l’an dernier. À défaut d’avoir un représentant de la firme aux trois bandes, trop frileuse pour communiquer, nous avons donné la parole à divers acteurs de la sneakers pour analyser l’engouement autour du phénomène.

Axel Pauporté – Responsable du shop Sneakersnstuff

« C’était le 13 novembre, l’après-midi avant les attaques terroristes. On avait fait un tirage au sort (en réponse à l’effervescence, beaucoup de magasins choisissent d’organiser des jeux-concours pour déterminer ceux qui pourront acheter leur paire, ndlr) et on commençait à appeler les gagnants, ça s’est terminé en début de soirée, avant les incidents. On était tous forcément choqués et horrifiés le lendemain matin, mais on a reçu des dizaines et des dizaines d’appels de personnes qui nous demandaient si on allait ouvrir pour qu’elles puissent venir chercher leur Yeezy. Notre priorité était de savoir si le staff se sentait le courage de venir. Et finalement, sous la pression du nombre d’appels, on a décidé d’ouvrir l’après-midi. Cet engouement est choquant car il y avait des choses plus graves à ce moment-là, on ne voulait pas faire du business. Finalement on s’est dit, autant qu’ils viennent chercher leurs chaussures, puisque apparemment les Yeezy sont «plus importantes que tout». C’était stupéfiant le nombre de coups de fil qu’on a reçus alors que la majorité du pays était sous le choc et ne pensait pas du tout à ce genre de choses.»

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Tex Lacroix – Collectionneur expérimenté

« Le resell est dans l’ADN de base. C’est un truc qui a toujours existé, c’est intrinsèque au délire. Ces dernières années, vu le nombre de sorties limitées, on est passé de l’artisanat à l’industrie. La rareté a engendré le développement d’un autre marché noir. Avant, ils allaient aux States et rapportaient des cartons entiers de shoes, c’était déjà du resell. La plupart des revendeurs français sont avant tout des kiffeurs de basket, donc, s’ils peuvent en faire un business, tant mieux. Mais aujourd’hui, les sorties exclusives et raffles (jeux-concours) encouragent cette tendance. Si tu n’es pas dans la « galaxie sneakers », tu n’es pas au courant de toutes les sorties, donc tu ne pourras pas avoir ta paire à prix normal ; du coup, tu es obligé de passer par le marché parallèle.
L’objectif pour les marques n’est plus seulement de faire de l’argent, mais de faire de l’image. Ce qui me dérange le plus n’est pas le « bizz » en lui-même, mais que des enfants se fassent cogner pour une paire de basket. Si tu es un mouton et que tu es prêt à mettre trois fois le prix, tant pis pour toi et tant mieux pour le mec qui va se mettre le billet dans la poche. Aussi longtemps que porter des paires rares et en série limitée restera à la mode, il n’y aura pas de limites. »

Jeremy Goaziou  – Fondateur de Sneakers Addict

« La Yeezy a marqué une rupture dans le sneaker game. Une nouvelle génération d’acheteurs et de collectionneurs n’est plus reliée à la base originelle. Aujourd’hui, il y a des gens qui viennent directement de la mode, des followers de Kanye et d’autres personnalités comme Travis Scott. Cela crée une nouvelle forme de sneakers addicts, seulement intéressés par les produits portés par leurs idoles. Pour cette catégorie, c’est un must-have, une paire cool à avoir. Adidas a compris qu’il y avait un gros engouement sur ce modèle, donc la marque continue d’en sortir massivement, en déclinaison et en volume. Et ça correspondra à ce que Kanye avait promis : « Des Yeezy pour tout le monde. » Au final ce sera un phénomène dégressif : plus ils en sortent, moins elles auront de valeur sur le marché parallèle.
C’est une bonne chose d’avoir des resellers, des gens qui stockent des paires et qui te permettent de les acquérir plus tard. Tu as ceux à l’ancienne qui ont plein de vieux modèles, des pépites et une vraie culture basket; ils apportent un certain confort dans ta recherche. Ensuite tu as une génération qui n’a pas forcément eu le temps d’assimiler cette culture et qui joue à la Bourse. C’est le côté mercantile du phénomène. C’est regrettable car une grosse partie des gens qui revendent ne sont plus des passionnés.»

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Mathieu – Amateur et consommateur de Yeezy

« Dès le lancement de la première Yeezy, je la voulais absolument. J’ai vraiment fait tous les jeux-concours possibles, j’étais déterminé à les avoir. Pour obtenir le dernier coloris, j’ai dû participer à quinze jeux-concours différents, rien que sur Instagram. Ça ne sert pas à grand chose d’ailleurs, vu le nombre de participants, mais je le fais quand même car ça ne coûte rien. J’ai aussi participé à trois concours en magasin, chez Sneakersnstuff, Foot Locker ou Adidas. Quand tu es déterminé, il y a moyen de l’avoir à bon prix. Moi je l’ai touchée à 300 euros, par rapport aux 1 000 euros du resell c’est abordable. Comme je ne gagnais jamais aux raffles, j’ai demandé à cinq personnes différentes, des potes qui ne sont pas à fond dans la chaussure, de s’enregistrer aux tirages au sort. Si l’un d’entre eux gagne je lui donne 50 euros, c’est comme si je payais la paire 250 euros. Mais je ne l’aurais jamais achetée en resell, c’est pour ça qu’il y a autant de monde sur les concours. Si j’avais plus d’argent, je mettrais 600-700 euros, mais dans ma situation le prix est clairement un frein. »

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