Tiakola, le facteur feat.
À l’aube d’une carrière solo, Tiakola se raconte à travers les témoignages des artistes avec lesquels il a collaboré.
Dans une industrie qui comprend parfois mieux les chiffres que la musique, en voici un qui dit beaucoup de Tiakola : 1 384 954 auditeurs mensuels sur sa page artiste Spotify au 19 mai 2021. C’est plus que sur celle de son groupe 4keus, mais c’est surtout beaucoup pour un artiste qui n’a, pour l’heure, balancé qu’un seul titre solo, « Sombre mélodie », sorti il y a déjà deux ans de ça sur la compile CRCLR Mouvement.
La discographie naissante du phénomène de La Courneuve a cela de paradoxal : elle est aussi maigre qu’elle est bien remplie. En s’invitant sur les morceaux de Dadju, Franglish ou Gazo – pour ne citer qu’eux -, Tiakola a, au cours des derniers mois, inscrit son nom sur pas mal de succès qu’il a porté à la force de ses mélodies chaloupées et de ses gimmicks mémorables. Il est le facteur feat : celui dont on fait sonner le téléphone quand il faut transformer un bon single en hit imparable. Ce qui fait déjà peser sur lui certaines attentes, hautes comme le potentiel qu’on lui prête, à l’heure où se profile devant lui une carrière en solitaire.
Depuis ses débuts fracassants – dans tous les sens du terme – au sein de 4keus, Tiakola est une étoile qui brille plus que les autres. Il y a d’abord ce sourire, cette gueule d’ange, cette énergie radiante qui semblent le prédisposer aux sommets – tel un MHD en 2015. Et puis il y a ce « pouvoir », tel qu’il l’évoquait sur « Paris la nuit » : un flow chantonné, agile et élastique, qui l’a amené à s’auto-proclamer « La mélo ».
Ce don, le prodige d’origine congolaise présume l’avoir hérité de ses heures passées à chanter à l’Église, avec sa mère et ses tantes. Mais c’est bel et bien dans le cocon de son groupe qu’il a identifié puis dompté, sur conseil de ses frères d’armes : « Je me suis beaucoup cherché, ils m’ont beaucoup aidé à me trouver. Parce que j’ai remarqué que quand je rappais, ça sonnait comme tout le monde. Et la première fois que j’ai mis de l’Auto-Tune sur ma voix, HK et Bné m’ont dit de continuer avec ça. »
« O’KCLH », « Kassav », « Mignon garçon », « Biberon », « M.D » : autant de tubes qui promettent, autant de promesses que Tiakola devra confirmer par lui-même. Briller sur le terrain des autres, c’est une chose, être capable de définir son propre terrain, c’en est un autre. Alors le talent de 21 ans prend son temps pour arriver avec « la bonne frappe », celle qui balayera l’hypothèse qu’il puisse n’être qu’un homme de featuring. Le premier extrait d’un album solo à venir arrivera dès juin, pour donner un aperçu du véritable univers de Tiakola.
Mais pour l’heure, Tiakola reste reconnu comme étant maître dans l’art de la collaboration. Alors peut-être que ce sont ceux avec qui il a collaboré sont les plus à-mêmes de nous raconter l’homme et l’artiste, pour l’avoir cotoyé dans son élément. De sa personnalité à son potentiel, en passant par quelques anecdotes sur les hits auxquels il a contribué, Niska, Alonzo, Prototype, Gazo ou encore l’anglaise Darkoo – connue au UK pour son banger « Gangsta » – ont évoqué avec nous le Tiako qu’ils connaissent, en attendant que ce dernier se dévoile de lui-même au public rap français.
Alonzo, « Ami ou ennemi »
Ca faisait très longtemps déjà que je voulais faire un feat avec Tiakola. J’avais déjà fait un morceau avec son groupe sur la réédition de leur album [sur le titre « C’est la vie », ndlr], et depuis, vu que j’étais en train de bosser sur Capo Dei Capi Vol. II & III, j’attendais la bonne instru pour lui proposer. Quand j’ai écouté celle de « Ami ou ennemi », je ne me suis pas privé de commencer le son, puis je lui ai envoyé. Il a commencé à le bosser de son côté, mais on s’est vite rendu compte qu’on avait besoin d’être ensemble donc il a fini par descendre sur Marseille. Je pense que c’est un morceau qui nous ressemble beaucoup, et je suis d’ailleurs très content des retours vu qu’il fait partie des morceaux qui streament le plus.
Est-ce qu’il est de la trempe des anciennes têtes de Wati-B ? Ça me paraît encore tôt pour le dire. C’est comme on m’avait demandé, à l’époque des Psy4 de la rime, si un mec comme Soprano avait le potentiel pour remplir des stades comme il le fait si bien aujourd’hui. La seule certitude que j’ai concernant Tiakola, c’est que c’est un artiste avec énormément de talent, dont l’album est – je pense – très attendu. Et un premier album, c’est important dans une carrière. Donc il a besoin de concentration, mais aussi de spontanéité parce qu’il est jeune et que c’est cette génération qui va donner le ton du game pour les années à venir. J’ai énormément confiance en lui.
Il y a certains artistes qui ont des larmes dans la voix, Tiakola, c’est l’inverse : il a un sourire dans la voix. Et j’ai tendance à considérer que le plus important chez un artiste, c’est sa voix. Ça l’est d’autant plus chez un artiste comme Tiakola qui fait beaucoup de mélodies, mais même chez un rappeur qui kicke, la voix est primordiale. Pour moi, c’est ce qui résonne autant dans la musique de Tiako : il a un sourire dans sa voix qui ne laisse que très peu de gens indifférent.
Comme moi, Tiakola fait partie d’un groupe. Et quand tu es dans un groupe, tu apprends très vite à partager, à tout donner sur un seul couplet. Et quand tu passes en solo, il faut redoubler d’effort : il s’agit de construire des morceaux tout seul, de faire ses propres refrains, de raconter des histoires, etc. Donc je pense que la transition va se jouer en studio. Les heures de studio vont permettre à Tiakola de mieux se connaître et quand il aura trouvé son rythme, sa vitesse de croisière, il va pouvoir enchainer des performances solo qui vont donner petit à petit un album. Et peu importe la réception du public, il faudra poursuivre cet effort. Il y a des gens qui réussissent du premier coup, d’autres qui ont besoin de deux albums pour réussir – on a pu le voir avec moi et Sopra. Mais avec le studio et l’entraînement, la transition devrait bien se passer.
Une anecdote sur notre morceau ? Comme on le sait, Tiako est le roi de la mélo, c’est comme ça qu’on l’appelle. Et sur notre morceau, c’est lui qui fait le pré-refrain. Quand il a trouvé la mélodie de ce pré-refrain, il était en train de fredonner mais il ne voulait pas mettre de mots dessus. Il m’a dit : « Fais-moi confiance ! Regarde : dans le refrain qu’on a fait avec Dadju, il n’y a pas de mots. C’est comme ça. » Il voulait que ce soit juste une topline sans paroles. Mais ça me paraissait fou, je n’étais pas encore sur sa planète. Donc j’ai fini par le persuader d’écrire et on a trouvé cette phrase simple : « Mon ami, j’ai pas les mots. »
Prototype, « Bob Marley »
Tiakola et moi, on se connaît depuis petit. Depuis petit, à chaque vacances, il venait à la cité parce qu’il a un cousin qui habite vers chez moi. Ça fait que c’est quelqu’un avec qui j’ai beaucoup d’affinités, que ce soit humainement ou artistiquement. Déjà on est tous les deux congolais, donc on a la mélo dans le sang. [rires] Ensuite on a les mêmes délires, on est de la même génération, on écoute à peu près la même musique donc on se capte très facilement. Tout est très naturel quand tu bosses avec lui, il n’y a rien de forcé. D’autant qu’il est grave ouvert, ce n’est pas le genre de personne qui reste dans son coin. À chaque morceau, on réfléchit ensemble, on écrit ensemble… Et on rigole ensemble, avant même de parler de musique. C’est vraiment une fusion.
Quant à « Bob Marley », déjà il faut savoir que, de base, c’était un autre de nos sons qui devait se retrouver sur mon projet. Puis un jour, comme ça, Tiakola m’appelle. Il avait envie de sortir, juste comme ça, sans raison, donc on est allés en studio. C’est souvent comme ça avec lui : quand il galère, il fait du son. Une fois là-bas, on commence à écouter des instrus, et la première nous tape dans le crâne. On l’a joué en boucle, puis la topline du refrain nous est venue. Lui commence à fredonner, j’enchaîne direct derrière, et dans la foulée on enregistre ce refrain – juste pour nous, comme ça. Après quoi on quitte le studio, on part faire écouter ça à nos producteurs… Et ils étaient comme des oufs. C’est limite si ils nous on pas tiré par les cheveux, en mode : « Retournez au studio et finissez ce son. » Et c’est ce qu’on a fait. Quand on a fini, on s’est regardés dans les yeux, et c’était déjà clair pour nous qu’il fallait faire sauter l’autre son et mettre celui-ci à la place.
Il y a certains artistes qui ont des larmes dans la voix, Tiakola, c’est l’inverse : il a un sourire dans la voix.
Alonzo
Darkoo, « Cinderella »
Je crois avoir entendu parler de 4keus pour la première fois en 2018, quand ils ont sorti le son « Mignon Garçon ». J’avais une amie qui était congolaise qui écoutait beaucoup ce morceau, et c’est elle qui me les avait fait découvrir. À partir de là, j’ai commencé à beaucoup écouter 4keus. C’était en 2018, donc un peu avant que ma carrière ne décolle. Par la suite, quand mon premier son a pété, j’ai relevé que beaucoup de français écoutaient ma musique. Et comme de mon côté, j’écoutais beaucoup 4keus, je me disais que si je devais collaborer avec un artiste français, ce serait avec eux.
Quand j’ai voulu établir la connexion avec les gars, c’est Tiakola que j’ai DM et il était directement partant pour ce feat. Je kiffe particulièrement ce qu’il fait parce qu’on opère plus ou moins dans le même registre, à savoir les mélodies, les flows un peu chantonnés, etc. Pour moi, c’est ce qui rend sa musique accessible même pour les auditeurs étrangers. Je ne parle pas français mais la manière dont il chante fait que ca reste très catchy que tu comprennes la langue ou non. Tout est dans la mélo. Je pense que Tiakola est conscient que c’est une star. Il a une palette large qui lui permet de briller sur les morceaux des autres, mais aussi sur ses propres morceaux – qui sont déjà presque des featurings avec lui-même. Je l’imagine totalement percer même au-delà de la France, à l’international.
Une anecdote sur « Cinderella » ? On était parti tourner une moitié du clip en France, et je me rappelle que les gars étaient arrivés hyper en retard, genre une heure avant la fin du tournage. On a du shooter le clip en à peine 45 minutes mais pendant les 45 minutes où ils étaient tous là, c’était vraiment beaucoup de bonnes vibes. Donc c’était à la fois un bon et un mauvais souvenir. [rires] Tiakola et moi sommes restés en contact depuis. On se parle souvent en DM, même parfois en live sur Instagram. Et ce qui est marrant, c’est que malgré le fait que je ne parle pas français, ni lui anglais, on trouve toujours un moyen de communiquer. Des fois je me surprends à passer tout ce que je veux lui dire par Google Traduction avant de lui envoyer par message. [rires] Une chose est sûre : on sera amené à collaborer de nouveau ensemble à l’avenir.
Gazo, « Kassav »
À une période, Tiakola et moi posions dans le même studio, par l’intermédiaire d’un ancien [MG Records, ndlr] qui s’occupait d’eux et qui venait du même quartier que moi. On donnait tous les deux de la force à cet ancien, ce qui fait qu’on se croisait beaucoup dans ce même studio. Ça fait qu’on voyait leurs exploits, ils voyaient les nôtres, donc la connexion s’est fait naturellement et ça a donné un premier morceau, quelques années avant « Kassav ». À cette époque, on sentait déjà un petit potentiel, il arrivait déjà à se démarquer des autres par la mélodie, sa façon de faire. 4keus avait déjà un petit succès, donc je me disais que si il continuait comme ça, ça pouvait aller loin.
Je ne suis pas un gars qui écoute ce que les gens disent. Au contraire, j’aime plutôt aller à l’encontre de ce qu’ils attendent de moi. Avec Tiakola, on avait un bon feeling, c’est quelqu’un que j’apprécie et même si lui est plus dans la mélodie alors que de mon côté, effectivement, c’est un style plus « brut », mais dans ma tête, j’étais déjà convaincu que ça allait donner un bon mélange – et lui aussi, je pense. Et jusqu’à preuve du contraire, on ne s’est pas trompés. Après, je ne vais pas mentir : je n’avais pas imaginé que « Kassav » deviendrait un tel hit. Mais en sortant du studio, je savais au moins qu’on tenait un gros son.
Il faut pas oublier que Tiakola vient d’une ville, d’un milieu que tout le monde connaît [La cité des 4000 à La Courneuve, ndlr]. C’est la rue. Ça veut dire que même s’il ne va pas le laisser paraître à travers ses mélodies, il connaît cette réalité – et tu l’entends quand tu fais un peu attention à ce qu’il dit dans ses morceaux. Je le vois un peu comme les petits chanteurs américains : ils arrivent, ils chantent donc tu crois que ce sont des belles paroles, mais quand tu traduis, tu réalises ce qu’ils te racontent vraiment. Il n’y a que la mélodie qui va te faire croire autre chose.
Tiakola, c’est la rue. Même s’il ne le laisse pas transparaître à travers ses mélodies, il connaît cette réalité.
Gazo
Niska, « M.D »
Tiakola m’avait contacté à une période où je bossais sur mon projet. Du coup, il fallait qu’on fasse un truc assez rapide, efficace, alors les gars de 4keus se sont mis d’accord pour en envoyer un du groupe faire ce titre, et c’est lui qui a été choisi. De base, c’était déjà celui avec qui j’échangeais le plus sur Internet donc ça faisait sens.
Si je n’avais pas senti que « M.D » pouvait être un hit, je ne l’aurais pas sorti. Clairement. La musicalité de ce morceau est très forte, on a pas mal bataillé au studio pour réussir à trouver la bonne alchimie et je me souviens que, quand j’ai entendu le morceau à la fin de la session. j’aimais beaucoup comment il sonnait. C’était assez original, assez afro, puis il y avait une puissance dans le morceau qui m’a fait dire que c’était la cartouche qu’il fallait sortir. Et je pense que je me suis pas trompé.
Si je devais comparer la trajectoire de Tiakola à celle de quelqu’un d’autre, peu importe le domaine, je te dirais que c’est un Mbappé. C’est comme ca que je le vois : il est jeune, très talentueux et surtout très complet. Musicalement parlant, il sait à peu près tout faire et quand je regarde ses clips, je trouve qu’il dégage déjà quelque chose de fort à l’image. Donc je lui souhaite de prendre ma route et d’aller plus loin encore. Il en a les capacités.
Une anecdote sur « M.D » ? C’est un morceau qu’on a dû faire à l’étranger et qu’on a galéré à faire. De base, Tiakola était venu me rejoindre au Maroc pour deux-trois jours, durant lesquels on a enregistré deux premiers titres qui étaient bons, mais lui comme moi savions que ce n’était pas ceux-là. On savait qu’on voulait un truc fort. Après ces deux jours, il était censé rentrer mais je me suis dit que je ne pouvais pas le laisser partir comme ça : il était venu jusqu’au Maroc pour des morceaux dont on n’était même pas à 100% satisfaits. Donc il a fini par prolonger son séjour pour un jour de plus, et c’est justement ce jour-là qu’on a réussi à créer le morceau « M.D ». C’est la preuve que le travail paie.
Remerciements : Streamshop, Afterdrop, La Maison Du Lunetier.