À Belleville avec Octavian, la nouvelle euro-star adoubée par Drake
Baladé d’une côté à l’autre de la Manche de l’enfance à l’adolescence, le franco-anglais Octavian revient d’une route sinueuse mais instructive. Il se positionne aujourd’hui comme l’un des artistes les plus prometteurs du territoire britannique et savoure désormais sa revanche.
Photos : @alextrescool
L’industrie musicale est un environnement des plus bâtards, qui réserve ses entrées à ceux qui ont appris à faire preuve d’une confiance absolue en leur art, mais qui les taxe d’arrogance dès qu’ils daignent le manifester à voix haute. Il n’y a de place ni pour les faibles, ni pour ceux qui se voient trop fort : dans une schizophrénie constante, les artistes doivent tantôt se montrer sûrs d’eux, tantôt être prêt à tout remettre en question. « Bien sûr que je crois en Dieu, mais croire en soi c’est déjà une religion », appuie d’ailleurs l’orléanais Dosseh sur « Pour vous par nous », titre extrait de son dernier album Vidalo$$a.
On peut dès lors se demander jusqu’où s’étend le flot d’assurance qui paraît abonder de leur personne. Au sortir d’une exténuante session studio, les artistes se doutent-ils seulement qu’ils viennent d’enregistrer un futur hit, ou du moins le morceau qui fera décoller leur carrière outre-mesure ? À la seule écoute de leur propre production, sentent-il déjà que leur monde est sur le point de changer ? Octavian, franco-anglais de 22 ans à peine, a peut-être vu les choses venir. « You’re gonna blow up, it’s just timing », clamait-il avec force sur « Party Here », comme pour prophétiser sa propre destinée. Publié il y a près de 10 mois sur la chaîne Views TV, ce même titre avoisine aujourd’hui le million de vues, est arrivé jusqu’aux oreilles averties de Drake, et a permis à son auteur de quitter définitivement la rue qui l’abritait jusqu’à présent pour le confort d’un bel appartement de l’est londonien. « Quand j’ai enregistré “Party Here”, j’étais vraiment pauvre. Je ne savais pas que j’allais exploser à ce moment-là, mais c’est arrivé parce qu’il le fallait, se remémore t-il, amusé. Il le fallait parce que ce j’étais tellement pauvre… Je n’avais rien. Rien à perdre non plus, ce qui n’est pas négligeable. Alors tant qu’à faire, je me suis dit “Nique ça, tu vas péter, c’est juste une question de temps.” »
Après tout, les lauriers ne pouvaient certainement pas se poser sur une tête autre que celle d’Octavian, baptisé du nom du tout premier empereur romain. Olivier, son second prénom, porte pour sa part les traces indélébiles de ses racines françaises, lui qui est natif de Lille. Une France qu’il quitte avec sa mère dès l’âge de trois ans, suite au décès du paternel, et qu’il ne regagne qu’à l’adolescence, le temps de pénibles mois passés chez un oncle violent. Pas le plus favorable contexte pour véritablement se familiariser avec son sol de naissance. « Quand je suis revenu à 14 ans, j’ai été envoyé dans une école privée à Lille. C’était tranquille, mais ça manquait de diversité vu que – justement – c’était à Lille et c’était privé. Surtout par rapport à Londres, qui est une ville que j’aime beaucoup pour cette raison », grimace celui qui jongle à sa guise entre les langues de Shakespeare et de Molière.
C’est cette image plutôt morose qu’il gardera de l’Hexagone jusqu’à ce que sa vie ne prenne une tournure plus heureuse, et que Paname ne devienne « [son] second Londres ». Car quand nous le retrouvons sous un soleil de plomb, aux abords de la Bellevilloise, tout est différent : Octavian s’apprête cette fois à donner son premier concert parisien, un peu plus d’une semaine après avoir défilé pour la première de Virgil Abloh chez Louis Vuitton. Une expérience qu’il nous raconte avec le regard du néophyte : « C’était très mouvementé, tout le monde était très intimidant. Tu vois Kid Cudi débarquer avec ses dix gardes du corps… Forcément, c’est impressionnant. Puis c’est compliqué de parler avec qui que ce soit sur place. Mais à l’arrivée, tout le monde voit bien que tu es de la partie. Donc on présume que tu es quelqu’un. Il n’y avait pas une personne au-dessus d’une autre au défilé Louis Vuitton. On était tous ensemble et c’est ce que Virgil voulait dès le départ. »
À propos de sa rencontre avec Virgil Abloh :
« Virgil s’est mis à poster mes morceaux tout le temps. Puis il a commencé à m’envoyer des messages. Un jour, il me dit “Yo, j’ai une soirée à tel hôtel, rejoins-moi !” On s’est rencontré à cette soirée. Il y a une énergie assez indescriptible qui émane de lui. Il te parle comme s’il savait déjà ce qui allait se passer. »
Si Octavian s’est vu trimballé de la sorte entre la France et l’Angleterre, c’est que le gaillard n’est pas franchement à l’aise avec les notions d’autorité ou de hiérarchie. Lui s’est lancé dans une dévorante quête de « liberté » – un mot qui revient avec récurrence au cours de notre échange – et à ce titre, il ne peut s’assujettir à la volonté de qui que ce soit, ni professeurs, ni employeurs, ni même figures parentales. Le conflit est dès lors inéluctable. C’est à force d’exaspérer ses professeurs anglais qu’il sera expédié en France par sa mère. À force de s’étriper avec son oncle qu’il verra son séjour outre-Manche s’écourter. À force de ne jamais trouver sa place nulle part qu’il finira à la rue. « Il y a plein de choses dont ma mère, et même les mères en général, ne se rendent pas compte. Elles veulent que tu t’en sortes, mais… tranquillement, sans que tu prennes le moindre risque. Sauf que tu dois prendre des risques, justement. Ne serait-ce que pour toi-même. Parce que tu dois te prouver des choses à toi-même, plus qu’à n’importe qui d’autre », rappelle le rappeur longiligne.
Arrivé au niveau du Belvédère de Belleville, Octavian décide de prendre le temps de contempler ce Paris qu’il connait encore si peu, et de s’en griller une par la même occasion. La chaleur se faisant pesante, il dézippe l’épaisse veste blanche dont il est alors vêtu, et fait apparaître sous nos yeux l’inscription « Bizarre » – en français dans le texte -, tatouée sur le haut de son torse. « Parce que je suis bizarre, se justifie t-il d’emblée. C’est bizarre de ne jamais vouloir écouter personne, non ? Dans la vie de tous les jours, tout le monde cherche à être normal. Moi non. J’aspire à plus que ça. Et pour certaines personnes, c’est être “bizarre”. » Avant de développer : « Des fois, c’est presque comme si on était programmé à suivre les règles. Bien sûr qu’il faut des gens qui soient disposés à écouter ce qu’on leur dit, qui éprouvent le besoin d’être dans la norme. Mes parents, ou les membres de ma famille, par exemple, sont “normaux” et ce sont de bonnes personnes. Mais je n’ai pas le sentiment qu’être “normal” est ce à quoi tu devrais aspirer. Tu devrais juste chercher à être toi-même, à être bien dans ta peau. Pour moi, être bien dans sa peau implique d’être libre, parce que je ne supporte pas d’être en-dessous de quelqu’un. »
Le britannique a toutefois eu juste ce qu’il faut de bon sens et d’ouverture d’esprit pour faire en sorte que chacun de ses errements puissent lui être profitables. Car se perdre, c’est aussi une opportunité d’arpenter de nouvelles routes, d’explorer des contrées dont on ne soupçonne pas l’existence et donc, de s’enrichir. « Tu connais la drum’n’bass ? » demande t-il, tandis que les rôles s’inversent. « J’ai dû aller à ce genre de soirées parce que je devais y vendre de la drogue. Mais j’ai aimé m’y rendre. J’y ai vu des gens danser pendant des heures et des heures. Et c’était bien. C’est une scène totalement différente à étudier. Je me suis adapté à tous les environnements, et j’ai appris à apprécier toutes sortes de musique. » Idem pour la France : Octavian n’a pas manqué de jeter une oreille du côté des rappeurs de notre terroir. Juste après avoir cité Bon Iver, Jai Paul et Drake, désignés comme les artistes qu’il a le plus écouté, le Nordiste de naissance lance coup sur coup les noms de Booba, La Fouine et de la Sexion d’Assaut. Devant notre étonnement, il entonne même le refrain de Maître Gims sur « Mon gars sûr ». « Tout ceux-là, je les ai écouté quand j’étais plus petit. Je devais avoir quelque chose comme seize ans », précise t-il.
À propos du soutien de Drake : « Drake est quelqu’un de très intelligent, puis c’est une légende dans ce jeu. Il prend toujours le son à la source. Il a remarqué “Party Here” dès que le morceau est sorti. Ce qu’il a fait a vraiment aidé ma carrière à décoller. Je le respecte beaucoup pour ça. D’autant que je l’ai toujours écouté, et je l’écoute encore tout le temps. C’était un grand moment. »
Toutes ces sonorités piochées à gauche à droite, un peu malgré lui, Octavian s’attèle désormais à les condenser dans une musique qui brasse large, à l’image de « Party Here », oppressant sur les couplets, festif sur les refrains. Depuis que son nom s’est inscrit sur la carte, sa discographie ne s’est étoffée qu’une poignée de pièces éparses, toutes singulières les unes des autres. À tel point qu’on ne sait réellement quoi attendre de chacune de ses sorties. Là où « Little » pourrait être un titre de Travi$ Scott, « Move Me » – sa collaboration avec le producteur électro Mura Masa – prend le pari de nous emmener jusqu’au fin fond d’un club de Kingston. Et si on distingue naturellement dans son oeuvre quelques influences typiquement britanniques, ne daignez pas prendre le raccourci qui consiste à faire d’Octavian un artiste grime. « Le grime, c’est vraiment Skepta, Wiley, des gars comme ça. Et encore, ce n’est même pas le Skepta de maintenant. Le Skepta de « Shutdown » est grime, mais pas celui de « Praise the Lord ». Ça, c’est trap. Tout le monde va dire que c’est grime uniquement parce que c’est plus facile de classer les artistes anglais comme tel. Pareil pour moi : “Octavian il vient de Londres ? Alors c’est grime.” Mais ça n’a pas de sens », certifie celui qui s’est forgé dans le Sud-Est de la capitale anglaise.
Pour son prochain projet, Octavian a déjà un nom tout trouvé : Revenge. « C’est destiné à toutes les personnes qui m’ont dit que je ne serai rien. Parce que je n’étais rien. Donc ils avaient en partie raison. Mais au bout du compte, ils ont eu tort », jubile t-il. Maintenant que celles-ci se présentent à lui, le rappeur ne manque d’ailleurs jamais une occasion de stunt sur ses médisants : à chaque single, quelques mots à leur attention. « Cause I made it and you hate it/So you’re gonna lie over me, whine over me, cry over me », rappe t-il par exemple sur « Hands ». Comme s’il puisait toute sa rage, sa détermination, son énergie créatrice dans les ondes négatives qui gravitent autour de sa personne. Aujourd’hui, Octavian savoure. Quand on l’interroge sur le soutien qu’il n’a jamais pu recevoir de sa propre mère, il répond, hilare : « Je lui ai prouvé qu’elle avait tort. Elle a eu tort. Voilà pourquoi je dois toujours faire mes preuves. Mon boulot, c’est de prouver que ma manière de penser est viable. Ça va même au-delà de la musique, il s’agit vraiment de ma manière de penser. »
Après plus d’une heure passée à suffoquer dans l’étouffante chaleur parisienne, le jeune artiste s’enquiert de connaître quelques bonnes adresses où acheter de la sape. Ses vêtements sont détrempés, et son succès naissant l’a visiblement incité à voyager léger. « Il y a un Stone Island ici ? » questionne t-il, en aficionado de la marque italienne. Affirmatif. Satisfait de la réponse, Octavian se tourne alors vers son équipe afin de s’assurer que le timing lui permettra d’y faire une halte avant son show du soir. À le voir sortir de sa poche une quantité de billets de 50 mal repliés, prêts à être dépensés dans une tenue de scène improvisée, on parvient presque à apprécier le goût de sa revanche. Bittersweet.