Un champion NBA à Paris : Axel Toupane utilise son basket pour voir loin

À quel moment un sportif de haut niveau doit-il penser à l’après-carrière ? Surtout pas quand celle-ci est sur le point de terminer. Les sportifs 2.0 l’ont bien compris : il faut faire quand t’es chaud. Axel Toupane, dernière recrue du Paris Basketball, débarque dans la capitale avec une grosse bague de champion au doigt, son éducation française, ses enseignements américains et, surtout, la vision d’un mec qui a toujours su créer ses opportunités. Interview.

« À moins d’être Tony Parker ou Zidane, il faut ouvrir les portes quand tu as le mojo. » À 29 ans, Axel Toupane ne se contente pas d’être basketteur professionnel : la dernière recrue du Paris Basketball a connu de très nombreux clubs au fil d’une décennie de carrière accomplie, mais qui ne lui permet pas forcément de se reposer sur ni sur ses acquis, ni sur ses lauriers. Et quand le parcours d’un sportif de haut niveau n’est pas un long fleuve tranquille, il est essentiel de voir au-delà. Aujourd’hui, le joueur aux 25 sélections en équipe de France défend aussi bien sur le terrain qu’il gère ses activités en dehors.

Devenu le sixième Français de l’histoire à décrocher un titre NBA avec Milwaukee en juillet 2021, Axel Toupane vient de se lancer un nouveau défi en rejoignant donc l’ambitieux projet du club de Paris. Un choix qui a surpris la planète basket mais pas ceux qui connaissent la mentalité d’un international qui a toujours dû se battre plus que les autres pour se faire une place. À 29 ans, il a aussi fait le choix de « l’énergie parisienne » qu’il met à profit en dehors des terrains pour son association « Les Prochains Leaders » et sa culture business importée des US.

Interview entre Mamba mentality, Jay-Z et amour de Paris.

Tu as récemment publié sur tes réseaux sociaux une vidéo d’extraits de ta carrière avec des critiques comme « tu ne seras jamais pro », « tu n’as pas le talent pour jouer en Euroligue », « ce sera difficile pour toi de jouer en équipe de France ». Que des commentaires que tu as fait mentir.

J’ai beaucoup de fierté pour mon parcours, car quand j’ai commencé à jouer en pro à Strasbourg, à 19 ans, très peu pensaient que je pourrais jouer au plus haut niveau. J’en parlais encore l’an dernier, avec des dirigeants de la SIG de l’époque qui m’ont avoué qu’ils ne pensaient pas que je ferais un carrière ne serait-ce qu’en France. Je me suis construit dans cette envie de leur démontrer qu’ils avaient tort.

Finalement, « ne pas être le plus talentueux t’a permis de développer ta détermination et ta persévérance », selon Jean-Aimé, ton père – ancien joueur pro et entraîneur de l’équipe de France féminine de basket. Tu es d’accord avec ça ?

Au cours de ma carrière je n’ai jamais été la tête de série numéro 1, ni la 2, ni la 3. Et je pense que c’est ce qui m’a permis d’être dans un bon mindset pour bosser, ne pas se relâcher et continuer à avancer malgré les difficultés. Encore aujourd’hui, je suis fier, mais pas satisfait. Je taffe chaque jour pour devenir le meilleur joueur que je puisse devenir, car j’ai encore quelques belles années devant moi. Je reste focus.

Dans leur éducation, tes parents n’ont jamais mis le basket en priorité…

Ils ont toujours privilégié mon éducation en tant qu’homme plutôt que ma formation de basketteur. Et je leur dois beaucoup, car ils m’ont inculqué une bonne mentalité. Contrairement à certains parents, ils ne m’ont jamais mis la pression. Cela m’a appris à toujours aller chercher les choses à mon rythme et par moi-même.

Entre ton départ de Strasbourg en 2015 et ta signature à Paris en décembre, tu as connu pas moins de dix clubs entre l’Europe et les US. Comment on gère cette instabilité ?

J’y ai été habitué très jeune, car j’avais déjà déménagé cinq fois pendant la carrière de mon père. Changer d’école, rencontrer de nouvelles personnes, c’est un peu devenu une deuxième nature pour moi. Mais, même si je m’adapte n’importe où, ce n’est jamais facile à gérer pour un joueur d’être loin de ses proches et de ne pas savoir de quoi sera fait son lendemain… Je me rappelle notamment d’un départ brutal de Toronto à Denver. C’était un lundi soir, je mangeais au restaurant avec des amis et à minuit mon agent m’appelle pour me dire que les Nuggets me proposent un contrat… Dans le même temps, en France, mes parents se levaient pour prendre l’avion pour venir me voir au Canada. J’ai dû les appeler pour leur dire que j’avais une bonne et une mauvaise nouvelle, et heureusement, ils ont pu venir à temps à Denver pour mes premiers matchs.

Personne ne va mourir du basket et il existe beaucoup de métiers ou de choses plus difficiles dans la vie.

Au moment de signer avec les Bucks pour ton deuxième passage en NBA, tu as déclaré « la peur de perdre, d’être en échec, ce sont des choses qui t’aident ». À une époque où on n’a jamais eu autant de témoignages sur la santé mentale des sportifs, comment apprend-on à maîtriser cette peur ?

Au quotidien, j’essaie de toujours relativiser : personne ne va mourir du basket et il existe beaucoup de métiers ou de choses plus difficiles dans la vie. J’ai récemment réécouté une interview de Kobe Bryant dans laquelle il raconte qu’adolescent, durant un été, il a fait une summer league affreuse, ne rentrant pas un panier. Son père lui a alors dit : « Que tu marques 0 ou 60 paniers, je t’aimerais toujours. » A partir du moment où tu as l’amour de tes proches, même s’il y a énormément de pression médiatique tu dois éviter de te mettre dans des états pas possible.

Tu es un grand fan de Kobe. En quoi t’a-t-il inspiré ?

Je suis tombé amoureux de la NBA avec les finales de 2000 entre les Lakers et Indiana (4-2). C’est à ce moment-là que je me dis que je voulais y jouer un jour. Je suis aussi tombé  amoureux de Kobe et ai vécu mon meilleur souvenir de basket all-time lorsque j’ai joué contre ses Lakers en 2016. J’ai pu défendre sur lui, lui parler, c’était surnaturel. Sur le moment, tu as l’impression d’être dans un film. Et, à 38 ans, il m’a sorti deux trois moves incroyables. Sa mamba mentality est devenue une inspiration pour de nombreux joueurs car il incarne des valeurs de travail, de résilience, de sacrifice… Exceptionnelles.

Il y a d’autres joueurs qui t’ont impressionné durant tes passages en NBA ?

KD ! La première fois que j’ai joué contre Kevin Durant en 2016, lorsque je suis sorti du terrain, je me suis même demandé pourquoi je continuais à jouer au basket, si je ne pouvais jamais atteindre ce niveau-là. Impressionnant… Et j’ai également eu la chance de jouer aux côtés de Giannis Antetokounmpo, qui est incroyable. Son histoire familiale et son parcours hors-normes ont fait de lui et ses frères de gros bosseurs, qui ont la main sur le cœur et surtout n’ont peur de rien. C’est un joueur et une personne extraordinaire.

Tu t’es toujours battu pour jouer en NBA et en juillet tu es devenu le sixième Français champion de l’histoire. Est-ce que tu as vécu cela comme une fin du game pour toi ?

J’ai vécu ce titre à Milwaukee comme une récompense de quinze années faites de sacrifices,  de hauts et de bas, mais je ne me suis pas dit que c’était la fin du game. En septembre, je suis vraiment retourné en G-League, à San Francisco, avec l’intention de rejouer en NBA et d’y décrocher des minutes et un contrat.

Pourtant, tu as fait le choix en décembre de revenir en France dans un club jeune, promu dans l’élite et qui manque peut-être lui aussi de reconnaissance… Tu savais que les gens seraient surpris ?

De nature, je fais peu attention à ce que les gens pensent. Quand j’ai pris ma décision, elle me paraissait limpide. Je ne me suis jamais dit que je faisais un truc de ouf donc j’ai été surpris que les gens le soient, car pour moi le Paris Basketball est un projet qui a un potentiel extraordinaire et qui mérite d’avoir des joueurs et une organisation de haut niveau. Même si le club est jeune, c’était un choix logique.

Avec le Paris Basketball, on partage la même envie de prouver des choses aux gens

À l’image de ta vidéo, le clip d’entrée des joueurs du Paris Basketball reprend lui aussi des critiques de haters sur le club. Vous vous êtes bien trouvés…

On partage la même envie de prouver des choses aux gens, c’est pour ça que ça a si bien collé. Je n’ai jamais eu de problème à être un role player à très haut niveau, mais j’ai estimé que j’avais fait assez de sacrifices. Je me devais à moi-même, car je passe beaucoup de temps à la salle, d’exprimer ce boulot sur le terrain. Sans aucune amertume, je me suis dit qu’il fallait trouver une équipe dans laquelle j’aurais des responsabilités pour être un leader. Paris cochait toutes les cases.

C’est facile de devenir un leader ?

Il y a d’abord une part d’inné, mais, contrairement à ce que peuvent penser les gens, il n’y a pas qu’une seule manière d’exprimer son leadership. Je n’ai jamais été une grande gueule ou quelqu’un qui parle énormément, mais je me suis toujours considéré comme un leader par l’exemple et lors de discussions en tête à tête.

Entre la médaille d’argent aux JO chez les hommes, celle de bronze chez les filles, la réussite des Frenchies en NBA, l’Asvel et Monaco en Euroligue, le basket français a le vent en poupe… Qu’est ce qui manque pour qu’il soit plus reconnu ?

Pas grand chose ! Peut-être un bon résultat d’un club sur la scène européenne ou un diffuseur stable. Mais avec des projets comme ceux de Paris, l’Asvel ou Monaco, je pense que ça va se faire naturellement. Il ne faut pas oublier que dans les autres pays européens, les meilleurs joueurs jouent dans leurs clubs nationaux. En France, on arrive à faire des résultats alors que nos plus gros joueurs sont à l’étranger… Mais ça aussi, c’est en train d’évoluer et nos meilleurs prospects comme Victor Wembanyama ou Juhann Begarin restent de plus en plus longtemps dans le championnat. Il y a encore du boulot, mais le basket français va dans la bonne direction.

« Paris pour Paris », le slogan du Paris Basketball, et l’image street que le club véhicule, cela a compté aussi dans ton choix ?

En termes de valeurs et d’ADN, c’est le club parfait en France pour moi. J’ai d’ailleurs été agréablement surpris par l’ambiance à Carpentier dont je n’avais pourtant pas de super souvenirs. Mais avec la manière dont c’est organisé et les fans, c’est vraiment sympa. La nouvelle salle va être exceptionnelle, Paris est une ville avec une énergie différente de ce que j’ai pu vivre… Je suis vraiment amoureux de cette ville et de son lifestyle.

Evan Fournier nous parlait d’une mentalité différente à Paris…

C’est Paris quoi ! Il y a une sorte de mentalité caillera, une fierté, et un mindset qui font que tu ne doutes pas et développe un énorme esprit de compétition, qu’on retrouve beaucoup en équipe de France d’ailleurs.

Il y a encore une différence de considération des sportifs entre les Etats-Unis et la France.

Tu te considères « Parisien d’adoption’, c’est quoi pour toi une journée idéale à Paris ?

J’aime m’entraîner le matin donc work out, puis petit brunch dans Paris avant de voir mes potes au bureau. Ensuite, balade. J’adore mettre mes airpods et juste marcher dans la ville. C’est un kiff de ouf. Et le soir, on va dire petit restau au Malro pour conclure une très belle journée. Sauf s’il y a un match du PSG car dans ce cas, on fonce au Parc… Je suis supporter du club depuis Anelka-Okocha, on a eu des années difficiles, donc on en profite en ce moment.

Business, mode, association… Tu as également une vie très riche à côté du basket. Est-ce que tu as adopté cette mentalité en NBA, où de nombreux joueurs sont aussi des entrepreneurs et s’engagent pour des causes ?

Oui ! J’ai eu le déclic lorsque je suis arrivé pour la première fois aux Etats-Unis, en 2015. J’ai compris le potentiel et les opportunités qu’on pouvait avoir en tant que sportif. Culturellement, tout le monde partage une vision entrepreneuriale dès le college et veut jouer sa carte à fond. La NBA et le syndicat des joueurs (NBPA) font aussi un boulot de ouf pour accompagner et offrir des opportunités aux joueurs, les encadrer et être présents à la moindre interrogation. Ils te font comprendre que même si tu es une star, tu dois vraiment capitaliser sur ton image pendant ta carrière car à moins d’être Tony Parker ou Zidane, il faut ouvrir les portes quand tu as le mojo. Dans un vestiaire NBA, tu côtoies de nombreux joueurs qui, à l’image d’un Lebron James, inspirent par leurs réussites.

Pourquoi penses-tu que c’est plus rare en France ?

En Europe même ! Mais même s’il existe une différence historique et culturelle avec les US, de plus en plus de sportifs s’impliquent dans des projets entrepreneuriaux. Je pense aussi qu’il y a encore une différence de considération des sportifs entre les Etats-Unis où ils sont très respectés, et en France qui, en caricaturant un peu, a toujours été un pays d’intellectuels dans lequel le sport était secondaire. A nous de changer cette image et de prouver qu’on peut être les deux. C’est quelque chose qui me tient à cœur !

À commencer par la start-up Heex Technologies dont tu es investisseur et ambassadeur.

Il s’agit de gestion de données pour véhicules autonomes et l’idée est née en 2017, lorsqu’on était en Lituanie avec mes deux meilleurs amis. En quatre ans, on a des bureaux, des salariés et de grosses boîtes comme Google ont investi dans notre projet, donc ça avance bien et on est confiant pour la suite… A l’image d’une carrière de sportif, c’est très dur, ça demande beaucoup de travail. Je vois mes potes charbonner comme pas possible et même si je n’ai pas de rôle au quotidien, j’ai suivi une formation à HEC et je suis leur premier supporter. Cette expérience a été un super moyen pour moi de me remettre dans le coup sur le plan scolaire.

Tu as aussi créé une association, Les Prochains Leaders, pour accompagner des lycéens en Île-de-France…

Il s’agit d’un programme d’empowerment à travers l’entreprenariat et le sport. On fait rencontrer des entrepreneurs ou des athlètes à des jeunes pour qu’ils fassent office de role model. L’élément déclencheur a été le mouvement de Black Lives Matters aux Etats-Unis. Suite à l’assassinat de George Floyd, Jay-Z a fait un move qui est pour moi un exemple ultime de leadership en achetant une pleine page dans de nombreux journaux pour lui rendre hommage. J’avais 27-28 ans et commençais à avoir un petit réseau en dehors du basket. Je me suis dit que j’étais en capacité de connecter des jeunes qui avaient besoin de figures avec des gens qui voulaient être leurs mentors. Toujours avec les mêmes valeurs de persévérance.

Dans le même genre