Jorja Smith, to love love
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À seulement 20 ans, Jorja Smith aligne les accolades et les featurings, de Drake à Kendrick Lamar. Mais alors qu’elle sort son premier album, l’Anglaise nous donne l’occasion de découvrir qui elle est vraiment. Interview.
C’était pendant le festival We Love Green. On ne savait pas trop à quoi s’attendre avant de la rencontrer : une jeune fille de 20 ans, bientôt 21, à la voix douce, presque enfantine, et un semblant de timidité qui s’efface vite lorsqu’elle parle fièrement de son début de carrière et de sa musique. Elle pense que les festivals sont étranges, parce qu’en tant qu’artiste on imagine toujours que les gens sont là pour l’artiste suivant, la prochaine grosse apparition. « Mais après j’imagine que les gens sont bien venus pour me voir. »
Ce soir-là, je n’ai pas pu la voir sur scène. « Ne t’inquiète pas pour ce soir ! Je reviens à Paris ! Mon show sera beaucoup mieux. » Elle l’assure en souriant, confiante, se vantant presque. J’imagine qu’elle a raison puisque d’ici-là, elle aura sorti son premier album, Lost & Found, attendu pour le 8 juin.
« Beaucoup de gens ont dû écouter ces morceaux sans savoir qui j’étais. Alors voilà, tenez, mon album. »
Dès le premier titre, c’est un flot de références et de noms qui nous viennent en tête : de cette intro qui monte jusqu’à cette mélodie et ces percussions qui m’ont rappelées Amy Winehouse, jusqu’à cette espèce de spoken word, ce « All falls down… » qui arrive plus tard dans le morceau et vous rappelle Lauryn Hill, jusqu’à ce thème récurrent de l’amour et cette technique qui peut rappeler Adèle à certain. Mais les comparaisons sont assez inutiles pour décrire un artiste et sa musique. Comme les collaborations et autre « co-signs ». Vous avez peut-être découvert Jorja à travers sa collaboration avec Preditah, sur le son garage « On My Mind », ou plus probablement après avec « I Am », sorti sur la bande-son de Black Panther conçue par Kendrick Lamar, ou au moment de sa percée internationale avec son apparition sur le dernier projet de Drake, More Life. De Kendrick elle garde un souvenir assez tendre : « On s’est tellement bien entendu. Il est Gémeau. Moi aussi. […] Il m’a dit qu’on écrivait peut-être quelque chose pour Black Panther et il a ajouté que le titre serait ‘I Am’. Et on a écrit. Il m’a laissé dans une pièce pour que je puisse chanter une mélodie sur sa prod, qui était déjà le début du morceau. Et puis on a écrit ensemble. Et c’était très cool. J’aimerais retravailler avec lui. » En ce qui concerne Drake, elle estbl reconnaissante : « Apparaître sur More Life est une opportunité incroyable. Pour moi, pour Skepta, pour Giggs. Tellement d’artistes anglais ! Ça m’a ouvert à plein de gens, un tout nouveau monde. Ils auraient pu m’écouter et ne pas m’aimer, mais si, ils m’ont aimé. Beaucoup de gens ont dû écouter ces morceaux sans savoir qui j’étais. Alors voilà, tenez, mon album. »
Un album sans featuring, qu’elle a décidé de sortir une fois qu’elle s’en sentait prête.
J’ai 20 ans, 21 la semaine prochaine. Et j’ai écrit ces chansons de mes 16 à mes 20 ans. Ça n’a jamais été comme si j’avais décidé d’écrire parce que j’avais besoin de chansons. J’écris, c’est tout. Et l’année dernière j’ai dis à mon manager que je voulais un album.
Pourquoi ?
Et bien, je voulais sortir quelque chose d’énorme. Et il a dit : « Ok, tiens, une liste des chansons que tu as écris. Choisi celle que tu veux pour l’album. » C’était difficile. Et puis j’en ai écrit de nouvelles quand j’avais 20 ans et j’ai voulu les ajouter à l’album.
Lesquelles ?
« The One » et « On Your Own ». Ce sont les plus récentes.
« The One » est ma préférée.
Tu sais quand je l’entends, elle me fait parfois penser à Sade. Quelque chose dans ses lives. Quand je l’entend, je pense à Sade. Réecoute-là, tu penseras peut-être la même chose, je ne sais pas.
Non, je comprends.
Je crois que c’est le beat !
Le beat ! Et les cordes. Le violon rend le morceau mélancolique alors que le beat te donne envie de…
… de danser. Alors que tu es triste.
Comment tu l’as écrite ?
C’est drôle. Alors, il est produit par Joel Compass. C’est mon petit ami. Mais quand on a fait le morceau, il ne l’était pas encore. Un soir on a eu une conversation à propos du fait que je ne voulais pas de copain. Évidemment je voulais qu’il le devienne, mais j’essayais d’être cool. Et je partais en tournée, et je lui ai dit : « Je ne veux pas de petit ami, mais je ne veux pas que tu parles à quelqu’un d’autre. »
[rires]
Ouais ! Et il m’a dit « Pourquoi je t’attendrais si tu ne veux pas être avec moi ? » Dans ma tête je voulais lui dire « Oui, c’est ce que je veux que tu fasse » mais je lui ai dit « Tu sais, moi je le ferais pour toi. » Je suis tombé dans mon propre piège… Donc on a eu cette conversation, et le lendemain on avait une session. Quand je suis arrivée, ils avaient déjà commencé à écrire cette idée, qu’ils nous ont joué à Joel et à moi. Ils nous ont expliqué : « Ça parle du fait que tu rencontres la bonne personne, mais que ce n’est pas le bon moment, ou que tu n’as pas vraiment besoin d’elle. » Joel et moi, on s’est regardé, choqué. Au final c’est une chanson très honnête. Toutes mes chansons le sont, mais pour celle-ci, chaque ligne signifie quelque chose. J’imagine aussi que c’est parce qu’elle est tellement récente. Mais oui, c’est définitivement ce que j’ai ressenti. Et c’était triste, parce qu’ensuite je suis partie en tournée et il devait continuer à travailler sur le titre. Il passait son temps à m’entendre parler de lui.
[rires] Un vrai piège.
Mais tout va bien maintenant !
L’amour est partout dans son album, sous toutes ses formes : satisfait, lointain, non-partagé, brisé, romantique, égoïste, perdu et retrouvé. « I love love ! » s’exclame-t-elle. Mais certain morceaux sont hors-thème. Je n’en ai relevé qu’un et elle me corrige en affirmant qu’il y en a deux : « Blue Lights » et « Lifeboats ». Le thème des deux morceaux est social, le premier est quasiment politique. Il trouve ses origines dans plusieurs choses que Jorja a vu ou étudié : des vidéos de Ghetts (« Rebel ») et Dizzee Rascal (« Sirens ») au documentaire Noisey de JME, le frère de Skepta, de sa propre enquête sur le rapport des jeunes garçons (de 11 à 17 ans) à la police jusqu’au jour où, trop curieuse, elle a trouvé un couteau dans le sac qu’un ami avait oublié chez elle. « J’ai scrollé sur la page Soundcloud de George [Poet, producteur du titre, ndlr] et j’ai trouvé le titre ‘Dreamy Key’ qui est devenu l’instrumentale de ‘Blue Lights’. J’ai commencé à chanter en repensant à tout ce que j’avais lu et appris. Et c’est tout ce qu’on peut retrouver dans le morceau. Je demande juste pourquoi ils devraient avoir la conscience lourde alors qu’ils n’ont rien fait de mal ? C’est toute la question. Pourquoi ? Et ça n’a pas changé depuis. On se demande toujours pourquoi et j’ai écrit ce morceau il y a presque deux ans maintenant. »
En ce qui concerne la réception de son premier album, elle n’est pas inquiète : « Je pense qu’ils vont l’aimer. Les gens viennent à mes concerts, je l’ai vu en tournée. S’ils aiment mon show, il est comme mon album, alors j’espère qu’ils l’aimeront aussi. » Il restait encore quelques minutes alors qu’on finissait de parler de l’album et on ne pouvait pas la laisser partir sans évoquer de son premier EP, Project 11.
J’ai travaillé avec Charly, qui est le producteur. Je travaillais avec lui même avant de vivre à Londres en fait. On écrivait des chansons.
Toute ta vie, tu écris des chansons.
Oui. C’est comme ça que je le ressens… Je rentrais chez moi à Walsall. On avait déjà sorti trois chansons : « Blue Lights », « A Prince » – j’ai envie de refaire ce titre, avec un groupe. « A Prince » est une chanson géniale – et puis « Where Did I Go » et ensuite on a sorti l’EP. Je voulais sortir plus d’un morceau. J’en ai réécouté certains et je me suis dit qu’ils allaient bien ensemble. Alors j’ai sorti l’EP.
Et cette chanson… [cherche le titre]
« Carry Me Home » !
Oui, le poème dans la première partie !
C’est Thea Gajic qui l’a fait et qui le récite.
J’ai toujours cru que c’était toi…
Beaucoup de gens le croient. Mais c’est Thea. Peut-être que dans une édition spéciale j’ajouterais une version live pour qu’on puisse l’entendre elle ! Thea. Elle est réalisatrice. Elle est géniale.
En parlant de réalisation, est-ce que « Where Did I Go » était ta première vidéo ?
Non, ma première vidéo était celle de « Blue Lights », ensuite il y a eu « A Prince ». Mais dans « Where Did I Go », c’était la première fois qu’on me voyait vraiment et autant. C’était juste moi et ma grosse tête.
Tu l’as réalisée toi-même ?
Je me suis juste filmée avec ma caméra dans mon escalier.
[rires] Pourquoi ?
Je chantais une chanson, je voulais faire quelque chose, alors j’ai fait ça. J’avais une maison vide et voilà. Je l’ai envoyé à mon manager en lui disant que je voulais quelque chose comme ça pour la vidéo. Il a dit ok, on n’a qu’à utiliser ça.
Et c’était pas mal.
Merci. Je vais réaliser plus. J’ai tellement d’idées. Mais c’est le temps, je n’en ai pas. Je vais le trouver.