Laurent Perbos : « Je me sers des objets pour domestiquer la nature »

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Il y a quelques mois, nous vous présentions Trajectoire, un projet derrière lequel se cache Jérémie Nassir, passionné de basketball et d’art. Si le projet a récolté de très bons retours et suscité un engouement certain chez les férus de ces deux disciplines, le point de convergence entre ces deux univers se matérialisera au coeur de Paris, à travers une exposition réunissant 30 artistes et créatifs d’univers différents dans un espace de 5000m2, sur 6 étages; de 10h à 20h le 8-9-10 février prochain. 

Photos : @antoine_sarl

Histoire de vous donner un avant-goût, nous avons décidé de vous présenter – jusqu’au jour J – cinq des artistes qui présenteront leurs oeuvres lors de l’exposition. L’occasion pour nous d’en savoir un peu plus sur eux, leurs inspirations et leurs visions. Aujourd’hui, nous mettons à l’honneur Laurent Perbos.

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Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Laurent Perbos, je suis artiste plasticien, plutôt dans le domaine de la sculpture. À vrai dire, mon domaine d’intervention, c’est l’art contemporain : les centres d’art, les musées, les galeries, etc. En général, j’utilise dans ma pratique des objets issus de la grande consommation comme matériaux dans un travail de sculpture. C’est à dire que je choisis des matériaux, ensuite je les assemble et je les modèle de façon à ce qu’il en résulte des formes qui ne vont pas nécessairement représenter des objets. Au contraire, elles vont représenter des choses du naturel. L’objet est quelque chose que l’homme fabrique pour améliorer son propre confort, une production pure et simple. Alors moi, je me sers de ces objets pour « domestiquer » une nature. C’est pour cela que les pièces que je réalise, sont plutôt des évocations de la nature, un questionnement sur l’art contemporain ou sur l’art en général.

On utilise des objets créés de façon artificielle, donc par les hommes, pour s’adapter à l’individu et de l’autre côté, il y a la nature, qui ne s’adapte pas forcément à lui… Est-ce que c’est cette position que tu adoptes ou est-ce encore autre chose ?

Non, je ne voyais juste rien d’intéressant à utiliser des objets pour en reproduire d’autres. J’ai plutôt préféré questionner la place de l’homme dans son environnement, aussi bien naturel qu’artificiel. Quant à la question de représenter la nature : nous, nous connaissons les objets que nous fabriquons parce qu’ils sont de notre fait, mais on ne sait pas qui nous « fabrique ». Représenter la nature, c’est quelque part une représentation du divin. Et c’est une fabrique qui a été faite tout au long de l’histoire de l’art et des sociétés. Il s’agit là de questionner sa présence, ses actions et par extension le but de sa vie.

Comment es-tu es arrivé sur l’exposition Trajectoire ?

J’utilise des objets de la grande industrie, de l’industrie de masse, en l’occurence des objets que l’on trouve principalement dans les grandes surfaces, et donc dans les magasins de bricolage ou de de sport. Mes premières sculptures ont été des objets liés au sport que j’ai détourné. Il s’agissait à l’époque de détourner une des caractéristiques d’un objet – en l’occurence sportif – comme le poids, la taille ou la couleur, et de le restituer tel quel avec les mêmes règles et signes qui vont permettre au spectateur de le comprendre. Puisqu’une caractéristique a été changé, cela induit un changement, un autre rapport à l’objet. Par exemple, prenons une fourchette. Si elle est à la dimension de la main et de la bouche, en changeant une de ses caractéristiques, elle ne tiendra plus dans la main ou ne rentrera plus dans la bouche. En étant assez simpliste, c’est le type de rapport que j’essaie d’instaurer avec des objets sportifs. Après, on pourrait se demander pourquoi des objets sportifs. Ce qui m’intéresse dans ces objets, c’est que cela touche un plus grand nombre de gens. J’ai alors la possibilité – avec les pièces que je vais faire – d’avoir le maximum d’impact sur le spectateur. Il ne s’agit pas de faire une proposition artistique complexe avec des signes ou des matériaux qui vont créer une distance avec le spectateur. Au contraire : le spectateur ou le visiteur reconnait de suite les objets qui sont liés à son univers sportif et du coup, il rentre dans l’oeuvre beaucoup plus facilement.

Il a fallu créer des oeuvres spécifiquement pour cette exposition. Comment s’est passée toute la démarche de réflexion sur ce thème ?

Les sculptures que j’ai réalisées et qui sont liées au sport, je les ai fait au début des années 2000 mais je continue à en faire avec des perspectives différentes. C’est à dire que je vais continuer à utiliser des objets liés au sport, mais peut-être plus pour questionner la sculpture et la peinture contemporaine que pour déformer des caractéristiques. C’est pour ça que dernièrement j’ai réutilisé les ballons de basket tout comme les accessoires de vélo (des roues, des guidons, les moyeux, etc.) mais plus pour réaliser des oeuvres qui vont questionner la peinture et la peinture contemporaine, que pour réellement questionner l’objet sportif en soi. Je vais faire une progression, une évolution de ma démarche artistique en utilisant toujours ce répertoire d’objet. Aussi, quand Jérémie est venu vers moi en me proposant cette exposition, j’avais déjà un répertoire d’idées pouvant répondre à ses attentes. C’est d’ailleurs là-dedans qu’on a pioché.

« Je suis assez content de pouvoir faire ce pas de côté pour à la fois aussi m’oxygéner, parce qu’une fois qu’on est dans une niche ou dans un réseau, on est un petit peu bloqué. »

Et ton rapport au basket, quel est-il ?

Pour être honnête, je n’en ai pas. Avec aucun sport de balle d’ailleurs, moi je suis plus dans les sports de glisse.

En même temps, le but de l’exposition n’est pas forcément de s’entourer de spécialistes de basket. C’était ça aussi l’intérêt.

Oui, et je pense qu’en général les artistes surfent un peu sur tout ce qui est… [Il réflechit] Après il faut quand même des atomes crochus. J’ai pratiqué pas mal de sport quand j’étais jeune et c’est quelque chose qui m’a toujours un peu intéressé, passionné, voire amusé. J’ai plus d’affinités avec le basket qu’avec le rugby, par exemple, mais je n’ai pas de préférence pour un sport plutôt qu’un autre. D’ailleurs, je ne suis pas encore arrivé à traiter des sports que je pratique, dans mon expression plastique.

Mais avec les sports de glisse, oui ?

Effectivement. Je pourrais aussi m’intéresser au curling, mais pour l’instant je n’ai pas trouvé de…

[rires] Je ne vois même plus ce qu’il y a comme matériel dans le curling. Un balai et un palais ?

Oui, un balai et la glace. Après, ce qui est pas mal – enfin, ce que je trouve aussi intéressant – c’est de s’attaquer à des choses qui semblent ne pas avoir été achevées, presque bloquées. Des choses sur lesquelles on n’a pas de projection. Par exemple, c’est vrai qu’avec le curling, on ne voit pas ce qu’on pourrait tirer d’artistique. Mais justement, c’est là où ça peut être intéressant : essayer d’inverser la chose et essayer de trouver des solutions.

C’est un prétexte pour être encore plus créatif et à repousser encore plus ses limites.

Voilà. Exactement.

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Peux-tu nous parler de tes projets en dehors de cette exposition ?

J’ai une pratique d’atelier, c’est-à-dire que je travaille dans mon atelier et je construis des formes. Comme j’ai un répertoire d’oeuvres à échelle humaine, donc assez volumineuses, ce sont quand même des grandes pièces. Je postule assez régulièrement pour des commandes publiques.

C’est-à-dire ?

C’est ce qu’on appelle des 1% et des oeuvres dans l’espace urbain. C’est le même style de pièces mais ça répond à des attentes qui vont être différentes. Il faut des matériaux costauds et faire appel à des bureaux d’études pour éviter qu’ils ne tombent. C’est une autre façon de faire, qui nécessite de travailler avec différents corps de métiers spécialisés mais aussi avec des assurances, des bureaux d’études, des bureaux de contrôle, etc. Ça prend énormément de temps. J’ai des projets d’exposition avec à la fois des oeuvres que je vais faire voyager et qui existent déjà, mais aussi des oeuvres que je vais devoir réaliser pour l’occasion. Ça et un projet de résidence pour le moment en pointillés que j’aimerais bien mener à terme, à Shanghai. Puis même, de manière générale, l’Asie est une région qui me parle beaucoup.

Cela implique t-il de déplacer l’atelier ?

La résidence est plutôt un lieu de travail qui peut s’accompagner d’une exposition, ou pas. Mais c’est plutôt un endroit où on se déplace avec l’idée d’avoir un espace où l’on va réfléchir et installer son univers. En effet, dans mon cas c’est beaucoup de machines et il me serait très compliqué de tout prendre avec moi à chaque fois.

 

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