Une conversation de boss lady avec Ms Banks, sensation du rap anglais 🇫🇷🇬🇧

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Avec son verbe musclé et ses rythmiques qui appellent au déhanché, la scène musicale UK se fait de plus en plus connaître en dehors de ses frontières. Mieux vaut donc vite vous familiariser avec Ms Banks, qui pourrait bien s’imposer en first lady.

Ms Banks en impose. C’est une femme forte, dans tous les sens du terme. Et il fallait bien ça pour tirer son épingle d’un jeu qui ne prévoit pas nécessairement d’issues favorables à celles qui, comme elle, ont la peau ébène. La rappeuse du Sud de Londres a toutefois su en faire une force, distillant un peu de ses origines nigérianes et ougandaises dans chacun de ses « Bad B Bop » : des hymnes au twerk et à la fête qui lui permettent aujourd’hui de toquer à la porte de l’international. Après s’être invitée avec Dadju sur le titre « Nossa », extrait de Diamond Rock, le dernier album de Kalash, Ms Banks s’apprête désormais à envoyer son premier disque, sans avoir eu besoin de s’engager auprès d’une major. Boss lady. De passage à Paris, l’artiste nous a accueillis dans son hôtel du 10e arrondissement pour évoquer avec nous l’essor récent de la scène UK, le struggle d’une femme noire dans l’industrie et le succès de Aya Nakamura – dont elle ne cache pas être une grande fan.

Vu de France, on a l’impression qu’aujourd’hui plus que jamais, il fait bon d’être un artiste anglais. Qu’en est-il ?

Grave ! J’ai l’impression que notre musique est de mieux en mieux, et qu’elle commence à se mettre au niveau des sonorités qu’on peut entendre ailleurs. Ça fait depuis un petit moment qu’il y a un vrai marché pour la musique française, avec un public conséquent. Désormais, il y a également un gros marché pour l’afrobeat, et donc pour la musique UK.

Comment expliques-tu que la musique et la culture UK soient en pleine expansion ?

Pour moi, ça fait déjà un petit moment que c’est le cas. C’est juste que maintenant, les gens commencent  réellement à accrocher à notre délire. Mais il y avait déjà plusieurs gros noms qui nous donnaient de la force, notamment Drake. Les gens commencent finalement à voir comment on évolue, ce qui se passe dans nos quartiers –  et pas seulement du côté de l’Angleterre blanche et bourgeoise. C’est réel. Il y a tellement de cultures différentes en Angleterre – et plus particulièrement à Londres -, tellement de personnes avec des backgrounds n’ayant rien à voir les uns des autres, qui viennent d’Afrique de l’Ouest, de l’Est, des Caraïbes ou d’Asie et qui travaillent ensemble, que notre musique s’en imprègne et sonne plus « internationale ».

On remarque effectivement que l’essor de la musique anglaise va de pair avec celui de la musique africaine, notamment via des artistes comme Burna Boy ou WizKid. 

C’est vrai. Comme tu l’as dit, la scène anglaise est en train de grandir, et l’Afrique a toujours été grande, mais ça y contribue. On a toujours été assez unis : la Grande-Bretagne a eu beaucoup d’amour pour la musique africaine et l’afroswing, et aujourd’hui on l’incorpore dans notre propre musique. Tu peux l’entendre dans « Location » de Dave, ou même le dernier morceau de Stormzy, « Own It ». Ce n’est plus que du rap maintenant, on fait de l’afrobeat. Et je pense que ça aide à populariser ce genre de sonorités, parce qu’on est plus nombreux à en faire.

« Je n’ai jamais vu une Noire dark skin être aussi big qu’Aya en France ou même en Europe. Elle a d’office tout notre soutien. »

Dans quelle mesure tes racines nigérianes et ougandaises ont influencé la musique que tu fais aujourd’hui ?

Énormément. Depuis que je suis jeune, j’ai toujours voulu trouvé une manière de mettre en valeur ma culture vu qu’étant née an Angleterre, je ne parlais pas ma langue couramment. J’ai toujours eu envie de représenter cette partie de moi, que ce soit à travers les prods, la manière dont je m’habille, ou même de l’argot et des expressions de mon pays. C’était une manière de ramener un peu de ma culture nigériane et ougandaise. C’est très important pour moi.

Quel genre de musique as-tu écouté en grandissant ?

Beaucoup de hip-hop et de R&B, et beaucoup de musiques africaines. Ma mère adorait Koffi Olomidé, 2Face… [Elle croise un regard complice dans la salle.] Tu t’en souviens ? Il était trop chaud, avec toutes ses tenues de taré. Voilà ce sur quoi j’ai grandi.

Culturellement parlant, la France et l’Angleterre se ressemblent beaucoup : le football est notre sport national, nos quartiers s’habillent avec les mêmes survets, les mêmes sneakers, etc. Comment se fait-il qu’on soit encore si peu connectés ?

Déjà, il faut rappeler que vous avez énormément de musique de qualité. Peut-être que vous avez tellement d’options d’écoute que vous ne ressentez pas le besoin de checker ce qui se fait en Angleterre. Après en Angleterre, on a aussi énormément de bonne musique. Puis des fois, j’ai l’impression que la barrière de la langue joue beaucoup. Mon manager et moi avons pensé à apprendre le français, mais on sait que c’est un pas une langue facile à apprendre. [rires] Ça reste dans un coin de notre tête cela dit. Mais c’est vrai qu’au-delà de ça, il y a énormément de similarités entre nous. Et je pense que le jour où les gens passeront outre la barrière de la langue, et vont entendre à quel point notre son ou nos prods peuvent se ressembler, les connexions se feront plus naturellement. Il faut qu’il y en ait plus. D’autant qu’il y a tellement d’artistes français avec qui j’aimerais travailler. J’ai déjà eu la chance de bosser avec Kalash et Dadju, sur le morceau « Nossa », mais j’adorerais bosser avec Aya, par exemple. C’est ce genre de moves qui vont créer des ponts.

Justement, parlons de cette collaboration avec Kalash et Dadju : comment a t-elle eu lieu ?

J’ai cru comprendre que son management était tombé sur mon morceau « Snack » et l’avait kiffé. Et vu qu’ils connaissaient mon management, ça s’est fait comme ça. Ils m’ont contacté, et j’ai fait le morceau. Je suis une grande fan de Kalash. Je le trouve très fort.

Sur Twitter, tu avais déjà exprimé ta sympathie pour Aya Nakamura et sa musique. Qu’est-ce qui te plaît tant chez elle ?

J’aime beaucoup son attitude, je la trouve très brave. Puis je n’arrêtais pas d’entendre ses morceaux dans les clubs, et les gens devenaient fous. Je ne comprenais rien à ce qu’elle disait, mais j’ai pris le temps de checker les vidéos, de faire mes petites recherches, et j’ai fini par capter un peu mieux. C’est cool ce qu’elle fait. Je me retrouve un peu en elle, dans son attitude, le caractère dont elle fait preuve. Puis c’est aussi bien dans le sens où c’est une femme noire. Je n’ai jamais vu une artiste oire dark skin être aussi big qu’Aya en France ou même en Europe. C’est fou. Elle a d’office tout notre soutien.

Tu as aussi dit qu’elle « représentait si bien [les] soeurs ». Peux-tu préciser ?

Je parle en tant que femme noire. Elle nous représente bien parce que sa musique est bonne, et c’est indéniable. C’est toute une vibe. J’aime les gens qui font leur taf et qui le font bien, et Aya fait clairement partie de ces gens-là. Musicalement, elle est brillante.

En France, les gens reprochent souvent à Aya Nakamura d’être « hautaine » ou « arrogante » dès lors que ses réactions ne sont pas celles que le public attend d’elle. Et on remarque qu’aux États-Unis, quelqu’un comme Summer Walker fait l’objet des mêmes reproches par rapport à son « anxiété sociale ». Est-ce que les gens n’en demandent pas trop aux femmes noires ?

Oui ! Je n’en connais aucune des deux personnellement, donc je ne peux pas dire qui est une diva et qui ne l’est pas, mais j’ai l’impression qu’on met beaucoup de pression aux femmes noires pour qu’elles restent calmes, qu’elles s’adaptent à toutes les situations et qu’elles restent très dociles même quand elles n’ont pas à l’être. Une femme qui travaille dur et est sa propre patronne, sait ce qu’elle veut et a le droit d’avoir certains standards. Ça ne devrait pas être un problème. Et s’il faut que des gens prennent du temps pour qu’elles puissent obtenir ce qu’elles veulent comme il se doit, ça ne me semble pas être trop demander. En tant que femme noire, je sais ce que c’est que de manœuvrer dans cette industrie. Ce n’est pas facile.

« Dans nos communautés, ce n’est pas mal vu d’être un peu ‘chargée’, d’être grande, d’avoir un nez épaté ou des grosses lèvres : c’est juste la norme. »

Quel genre de difficultés as-tu rencontré ? 

Déjà, au niveau de ma musique et surtout de mon image, tout doit toujours être parfait : que ce soit mes cheveux, mon maquillage, mes tenues, etc. J’aime me faire belle, mais je réalise quand même que dans les médias, les femmes noires se font quand même un peu plus juger que les autres couleurs de peau. Les gens ont des problèmes avec nos cheveux, avec la manière dont on s’habille, donc je dois m’assurer que tout est toujours carré. Pareil pour le message que je transmets dans ma musique, j’ai l’impression qu’on en attend plus de moi en tant que femme noire. Rien que le fait de faire en sorte que des gens puissent croire en ta vision, c’est compliqué. Puis parfois, en regardant juste au sein de la communauté noire, j’ai l’impression qu’une fille avec la peau plus claire pourra se tirer de situations auxquelles moi je n’échapperai pas. Pourtant, à mes yeux, il n’y a pas de différences entre light skin et dark skin, c’est la même. Et quand il s’agit d’avoir un impact à l’international, quand tu es noire, les gens n’arrivent pas à voir à quel point tu peux être une star, simplement parce qu’ils ne sont pas attirés par toi. Or ça ne devrait même pas être le sujet, il ne devrait y avoir que le talent qui compte. Parce que si une blanche ou une femme plus claire faisait la même musique que moi, tu lui donnerais probablement un gros chèque. Alors pourquoi moi, j’ai besoin de travailler dix fois plus dur ?

Toi, Aya Nakamura, Megan Thee Stallion, ou même Lizzo, êtes toutes des femmes noires qui ne correspondent pas forcément à ce qu’étaient jusqu’à présent « les standards de beauté ». Et j’ai l’impression que sans cette culture et cette musique, il n’y aurait sans doute toujours pas de place pour les femmes comme vous.

C’est totalement vrai. Il a fallu qu’on se crée cet espace. Toutes les femmes que tu as mentionnées ont eu besoin de travailler super dur pour arriver là où elles sont. Et oui, ce ne sont peut-être pas les standards de beauté « normaux », mais c’est notre beauté. Dans nos communautés, ce n’est pas mal vu d’être un peu ‘chargées’, d’être grande, d’avoir un nez épaté ou des grosses lèvres : c’est juste la norme. Et j’espère sincèrement qu’on continuera à incarner ça. Il n’y a pas qu’un standard de beauté.

Mais est-ce que les gens mesurent vraiment l’impact que cette culture peut avoir ?

Ils s’en rendent compte, mais ils ne veulent pas avouer à quel point c’est grand. C’est bien plus grand qu’ils ne veulent le reconnaitre. L’impact de la culture urbaine, de la culture noire ? C’est fou. Massif. International.

Tu as un morceau intitulé « Bad B Bop ». C’est quoi pour toi, une « Bad B » ?

Une « Bad B », c’est une femme sûre d’elle, qui fait son propre argent, prend soin de sa famille, travaille dur et qui défonce tout, tout en étant on fleek et en restant elle-même. Voilà ce que c’est qu’une Bad B.

Pendant tes concerts, il t’arrive souvent de faire monter des gens du public sur scène pour une danse, un twerk, voire même pour performer un morceau. Pourquoi est-ce si important pour toi ?

J’adore être sur scène. À mes yeux, c’est ce qu’il y a de mieux quand tu fais de la musique – au-delà d’être en studio. Et pourquoi ça m’importe ? Parce que je pense que c’est bien d’interagir avec son public, mais c’est encore mieux de faire en sorte qu’il se sentent réellement impliqué dans ton show. De leur dire : « Monte sur scène avec moi, partage cet espace avec moi. Ce n’est pas seulement mon espace, c’est le tien. » Puis, ça détend un peu les gens du public, parce qu’ils voient d’autres gens venir sur scène et passer un bon moment.

Ton nom est en train de prendre de l’ampleur, mais tu as choisi de ne pas t’engager pleinement auprès d’une major. Pourquoi ?

Je n’ai simplement pas encore trouvé de label qui m’aie fait me sentir chez moi. Je cherche une équipe compétente, avec des gens qui me comprennent, qui captent ma vision et qui peuvent m’aider à l’élargir, et à toucher une plus grande audience. Quand je trouverai tout ça, je prendrai la bonne décision.

Que peut-on attendre de ton prochain album ?

Beaucoup de fun, de légèreté. Beaucoup de morceau pour s’ambiancer en soirée : j’ai été beaucoup en club récemment, donc c’est ce à quoi ça va ressembler. Que tout le monde s’amuse bien, avant que je revienne aux choses sérieuses. [rires]

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