xxxtentacion : la mort sans filtre vous va si bien

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Si on a fait le choix de ne pas séparer l’homme de l’artiste, l’annonce du décès d’xxxtentacion nous a fait l’effet d’une douche froide. Au-delà des accusations, on se retrouve face à la mort soudaine d’un jeune d’à peine vingt ans, symbole d’une génération qui se fiche d’aller nulle part tant qu’elle y court. 

Illustration : @bilelal

« Symbole d’une génération. » La dernière fois qu’on a vu écrit ces lignes, c’était en novembre dernier. Lil Peep, 21 ans, venait de perdre la vie des suites d’une overdose accidentelle de xanax. Sa mort avait été retransmise sur les réseaux sociaux par son proche entourage, en direct. Le temps d’une journée, Instagram et Twitter étaient devenus des crématorium 2.0, où l’artiste tout juste défunt subissait le courroux de braises enflammées par les réactions à chaud de millions d’individus à travers le monde. Des comportements qui allaient du simple « repose en paix », au moyen « c’est qui ? », jusqu’au pire « il n’avait qu’à pas se droguer, ça lui apprendra ». On pensait déjà, à l’époque, que la mort d’un jeune tout juste majeur aux Etats-Unis aurait été la sonnette d’alarme indispensable pour instaurer une prise de conscience générale. D’abord sur le tabou de la dépression, de la banalisation des drogues, de l’alarmante sur-exposition des réseaux sociaux ou des commentaires à éviter. Mais surtout sur un fait dont on ne se préoccupe pas autant que la raison le voudrait : la condition et la santé mentale dans lesquelles vivent ces types de 20 ans, qui du jour au lendemain, ont vu leur vie complexe diffusée, jugée et commentée.

Avant-hier, xxxtentacion est décédé, et la proximité de sa mort avec celle de Lil Peep, tant sur les troubles mentaux, l’âge, le genre, que sur le statut qu’ils partageaient, pose un constat lourd de sens : sommes-nous vraiment condamnés à voir mourir une génération qui n’a même pas vécu le quart d’un siècle ? L’interrogation résonne froidement dans nos têtes. D’autant plus qu’elle nous rappelle déjà celle que s’étaient posés les acteurs de la musique il y a quarante à cinquante ans lorsque les décès de Jones, Hendrix, Joplin et Morrison s’étaient succédé de 1969 à 1971, entre overdose, noyade et crise cardiaque, à tout juste 27 ans. Si le « club des 27″ n’était encore qu’un mirage à l’époque, le suicide de Kurt Cobain une vingtaine d’années plus tard l’avait popularisé dans l’inconscient collectif. Chaque annonce avait creusé un vide monumental, tant pour la culture que dans le coeur des auditeurs, et à force de voir partir une série de musiciens aussi talentueux qu’importants, morts avant d’avoir atteint la trentaine, on avait ouvert une première réflexion : les artistes ont-ils deux à trois fois plus de chances de mourir jeune ? Si on n’a jamais pu dessiner de statistiques claires, les circonstances de chaque décès, elles, sont bien presque toutes semblables : suicides, overdoses, accidents… et les pertes d’Amy Winehouse et Fredo Santana, du même âge et avec les mêmes causes, continuent d’alimenter autant la légende que la dure réalité.

Ce qui interpelle dans cette histoire, c’est que Peep et xxxtentacion avait eux-aussi sensiblement le même âge – 21 et 20 ans – et qu’ils appartenaient à cette génération qui s’identifie au mode de vie des rockeurs décédés trop tôt. Il est évident qu’il faut marquer une distinction entre les deux décès. Le premier est mort d’une overdose, apparenté à un suicide-assisté, l’autre a été assassiné au volant de sa voiture. Néanmoins, leur mode de vie respectifs se ressemblaient à s’y méprendre. C’étaient de jeunes adultes, dépressifs, qui utilisaient la musique pour guérir un tant soit peu le mal-être qui les définissait. Des types qui, avant même d’appartenir à cette industrie, avaient appréhendés la mort et jouaient sur la corde raide quotidiennement ; entre prises de drogues dures, best-of de combats à mains nues, séjours en prisons… Sur le morceau introductif de 17, xxxtentacion explique la raison qui l’a poussé à appeler son album ainsi : il avait fait le voeu de mourir à 17 ans, persuadé qu’il allait partir tragiquement. Finalement, quand on conditionne son esprit et son corps à une mort prochaine et certaine, on s’attire de fait les situations périlleuses et les risques de mortalité à la manière d’un aimant. Il s’était fait des ennemis réels par l’agressivité avec laquelle il s’était fait connaître à ses débuts, et s’il a pu trouver la force de changer pour devenir un homme meilleur, l’ironie a eu raison de lui : son passé l’a rattrapé, et son mode de vie tourné vers l’acceptation d’une mort jeune a été prémonitoire.

Ce qui interpelle également c’est que sa mort a été diffusée sur les réseaux sociaux. Son visage : sans émotions. Son corps : inerte. On ne parle pas simplement d’un relai d’information, d’un travail fait par les médias. Mais bien de personnes, de témoins, présents sur la scène du meurtre qui, pris d’une folie morbide, se sont empressés de capturer le moment en vidéo, de zoomer sur sa tête pour montrer à tout le monde qu’ils avaient bien la preuve que c’était lui. De gens qui ont mis une tonnes de captions pour alimenter le contenu au maximum, sans se dire à un seul moment qu’au-delà de l’indécence de leurs actes, xxxtentacion était peut-être, encore, vivant. Personne ne l’a sauvé. Personne n’a eu le réflexe humain d’essayer de lui porter secours. De voir en son corps inanimé autre chose que l’ultime chapitre de la vie mouvementée d’une rockstar. Alors même qu’ils avaient devant les yeux, un homme sur le point de mourir -peut-être encore secourable. Un seul a décidé d’aller prendre son pouls, de regarder la blessure et tirer les conclusions. Le reste ? De vulgaires vautours armés d’un téléphone, des sangsues de buzz, des avares de vues. Finalement, on a volé son statut d’homme, d’humain. Dans sa voiture, inanimé, il n’était pas « Jahseh Onfroy, vingt ans, décédé », mais « xxxtentacion, la star mondiale du rap. »

Quand l’information a été relayé, les théories se sont alors mises à fuser. « C’est un coup de com, il avait dit qu’il feindrait sa mort », « c’est de la provocation c’est sûr. » Les fans étaient en alerte, ne respiraient plus, on avait l’impression de voir toute la bêtise humaine concentrée en une seule plateforme. De ceux qui profitaient de l’occasion pour essayer de faire un top-tweet. De celles qui rappelaient à tout va qu’elles connaissent xxxtentacion depuis longtemps et avaient donc, de fait, le droit de dire « repose en paix. » Des autres qui se choquaient de voir des individus rire de la mort d’un artiste quand ils riaient eux-mêmes des victimes des attentats de Charlie Hebdo pour gagner quelques centaines de followers. De ceux, encore, qui se sont improvisés médecins, infirmiers, consultants, analystes, justiciers ou moralistes… Le temps d’une nuit, Twitter est devenu le parfait miroir d’une génération qui ne réfléchit que dans l’instantané et qui voit en son sein la meilleure manière d’exprimer ce que l’on pense et ce que l’on ressent ; le vecteur principal de la dématérialisation de l’émotion.

Alors une pensée pour les pauvres types qui auraient préféré voir 6ix9ine, Russ ou Jul mourir à sa place. Une pensée pour l’artiste Juice WRLD qui émeut aux larmes sur les deux morceaux qu’il a fait en mémoire de xxxtentacion et Lil Peep le jour d’après. Et une pensée pour tous ceux qui ont su être pudiques, réfléchis et sincères dans leur démarche. Car un homme est mort, et tandis que le silence aurait été de mise, une réaction poignante vaut mieux que milles commentaires insipides dont le seul but est de dire : « Regardez tous comment je suis touché. »  Cette sur-utilisation des réseaux sociaux s’est aussi fait sentir avec les acteurs primaires du rap, dont l’ex-puis-re-meilleur pote de la victime, Ski Mask the Slump God. Si son live Instagram de trente secondes noue la gorge du fan qui le regarde ou fait marrer le vieux réactionnaire qui en profite pour cracher sa haine d’avoir vieilli, il en reste hyper alarmant. Car si on n’a jamais pu apprendre à un quidam à affronter la mort, voir que l’une des personnes les plus proches de la victime fut contraint de passer par un direct-live pour encaisser la terrible nouvelle montre la dépendance presqu’organique que la génération a avec Internet : de véritables cyborg qui ne se rendent plus compte de l’impudeur avec laquelle ils expriment leurs souffrances.

Alors oui, nous sommes condamnés à voir se succéder les décès de rappeurs toujours plus talentueux et toujours plus jeunes, à ne plus voir arriver le « club des 20/21″ comme une chimère mais bien comme une réalité. Car la dépression et la quête d’identité n’ont jamais été aussi exacerbé qu’aujourd’hui, qu’Internet ne finit pas de cristalliser, banaliser, et alimenter la curiosité morbide de tout le monde. On aura peut-être confirmation d’ici quelques semaines qu’xxxtentacion était bel et bien une ordure, qu’il a frappé, agressé, et séquestré son ex-compagne. Oui, sans doute. Ce dont on est surs, c’est qu’il est mort, et que cracher sur un défunt pour se sentir exister et faire savoir aux autres que son opinion est différente, c’est frapper du vide et séquestrer une partie de sa mémoire. En novembre dernier, quand Lil Peep est mort, on pensait à tord pouvoir tirer une sonnette d’alarme assez bruyante pour réveiller les consciences sur l’usage malsain qu’on fait des réseaux sociaux. Aujourd’hui, la mort d’xxxtentacion et les réactions qui ont suivies nous montrent avec une rare violence que malgré toute la lumière qui se dégage de nos écrans, le monde n’a jamais été aussi profondément endormi.

PS: le 18 juin 2018 a été un jour funeste aussi pour Jimmy Wopo, coqueluche du rap de Pittsburgh. À tout juste 21 ans, sa carrière pourtant sur la pente ascendante a été empêché dans son élan par une fusillade dont il a été victime. Auteur du célèbre « Elm Street », il était lui aussi prometteur. Une pensée pour lui et ses proches, qu’il repose en paix.

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