YNW Melly, trouble(s) personnalité(s)
Il avait tout pour devenir le rookie de ce début d’année 2019, la justice va peut-être le rattraper. Soupçonné du meurtre de deux proches, le jeune Floridien YNW Melly est un nouveau cas récent à inscrire dans la longue liste des rappeurs au passé trouble, tout en étant adoubés par les auditeurs sur les plateformes de streaming. Retour sur un paradoxe qui pose de plus en plus question.
Étrange jour que celui du 16 février 2019 pour la musique américaine. Alors qu’Ariana Grande surclasse la concurrence dans les charts avec son dernier album, que Cardi B et Bruno Mars dévoilent un nouveau potentiel tube avec « Please Me », c’est un titre daté d’il y a deux années, signé d’un jeune rappeur originaire de Floride, qui va finalement prendre la première place du classement Apple Music ce jour-là.
.@YNWMelly's "Murder On My Mind" has reached #1 on US Apple Music.
— chart data (@chartdata) February 16, 2019
Depuis plusieurs jours, l’Amérique du rap – voire l’Amérique tout court – n’a que ce titre en tête : « Murder On My Mind » de YNW Melly. Le track du jeune rappeur originaire de Floride explose subitement dans les charts, et ce alors qu’il date déjà de 2017. Et si le morceau a indéniablement la carrure d’un tube, la chronologie de son explosion pose question. Rappel pour ceux qui n’ont pas suivi l’actualité récente des faits divers : alors que son premier véritable album solo We All Shine vient de sortir le 18 janvier dernier (avec Kanye West au tracklisting) YNW Melly, jeune rappeur originaire de Floride considéré comme un des grands rookie de 2019, est arrêté par les autorités pour une sordide affaire de double meurtre. Selon la police, Melly et un complice auraient assassiné le matin du 26 octobre 2018 deux de leurs proches, YNW Sakchaser et YNW Juvy, eux aussi aspirants rappeurs, avant de maquiller la scène du crime, à proximité de la ville de Fort Lauderdale en Floride. Une version des faits que réfutera Melly sur son Instagram dans la foulée.
Celui qui était jusque là une star à l’échelle de la Floride va pourtant se retrouver tête d’affiche du rap américain en l’espace de quelques heures. La musique de Jamell Maurice Demons, entre rap dur hérité de sa jeunesse passée entre la prison et la rue, et sonorités chantées à la limite de la pop, va en effet squatter tous les classements possibles du pays, par le biais d’un morceau, « Murder On My Mind », au second couplet particulièrement équivoque :
Yellow tape around his body, it’s a fucking homicide
His face is on a T-shirt and his family traumatized
I didn’t even mean to shoot him, he just caught me by surprise
I reloaded my pistol, cocked it back, and shot him twice
Déjà plébiscité par les auditeurs de Soundcloud (le morceau venait d’être certifié single d’or quelques semaines auparavant), « Murder On My Mind » sonne alors pour beaucoup de nouveaux auditeurs comme la confession d’un homicide, ou autrement dit comme une œuvre musicale dans laquelle fiction et réalité semblent définitivement se mélanger. Problème : le morceau a été écrit par YNW Melly des années avant le décès des deux victimes. Ce qui ne l’empêchera pas de s’inscrire dans le top 10 des morceaux les plus streamés sur Spotify aux États Unis et dans le top 50 mondial de la même plateforme. De quoi se poser (à nouveau) des questions sur le rapport qu’entretiennent les auditeurs avec les artistes qu’ils écoutent.
C’est un fait : YNW Melly est (était ?) l’un des jeunes rappeurs les plus prometteurs de ce début d’année, et son « Murder On My Mind », triste et mélodique, avait tout d’un tube. À lire les commentaires postés sous la vidéo YouTube du morceau, on se rend pourtant compte que la question de savoir si le titre sonne comme un aveu d’un meurtre perpétré par YNW Melly anime plus les internautes que celle de la qualité avérée de sa musique. En réalité, l’histoire de Melly est même loin d’être isolée, de nombreux autres (jeunes) artistes ayant été autant suivis ces derniers mois pour leurs déboires judiciaires que pour leur musique.
Il suffit de se souvenir de « The Race » du rappeur Tay-K pour le comprendre. Véritable banger de 2017 aux États Unis, le morceau avait été écrit et publié alors que son auteur (aujourd’hui incarcéré) était en fuite suite à des accusations de meurtre. Quelques mois plus tard, c’est 6ix9ine qui prendra d’assaut les charts en 2018, en posant aux côtés de différents gangs américains dans ses clips (ou en les trollant au choix) avant de finir lui aussi emprisonné en décembre dernier pour des accusations de meurtre commandité. Ce qui n’empêchera aucun des deux artistes de faire fructifier leurs affaires, Tay-K signant par exemple un contrat de plusieurs centaines de milliers de dollars avec une maison de disque alors qu’il était toujours en prison (la famille de la victime du meurtre, Ethan Walker, portera d’ailleurs plainte contre Tay-K pour avoir capitalisé financièrement sur son acte).
Abreuvé d’images et d’informations sur les réseaux sociaux, constamment fournis en nouveaux morceaux sur les plateformes de streaming, l’auditeur de rap d’aujourd’hui n’a jamais été aussi attentif aux artistes et à leur quotidien. Au point que cela impacte la vie personnelle de rappeurs prêts à tout pour attirer l’attention sur eux ? Sans doute. Et même encore plus lorsque cela concerne une jeunesse américaine démunie, parfois prête à tout pour s’en sortir. « J’ai sacrifié une partie de ma jeunesse en prison, mais je suis passé à autre chose », déclarait YNW Melly en interview dans le magazine The Fader l’année dernière. Avant de rajouter : « J’ai juste fait ça pour le rap game. On me disait que j’étais stupide à rester dans la rue à faire ces sacrifices, mais aujourd’hui je pense que j’ai eu raison de le faire. » Une phrase, qui – innocent ou pas – ne sonne malheureusement plus vraiment de la même manière aujourd’hui.