applecore, le streetwear à visage humain

Aujourd’hui arborée par Koba LaD ou Niska, hier vendue chez colette. Depuis 2015, la marque parisienne applecore se plait à faire le grand écart. Ses fondateurs nous racontent leur vision.

Photos : @75streetstyle

Seulement six années séparent Moriba Koné, 31 ans, de son associé Steven Alexis, 25 ans, avec qui il a fondé en 2015 la marque applecore. À priori, c’est peu. Pourtant, à les entendre, ce maigre écart d’âge sonne comme un fossé se tenant entre les deux compères. Eux parlent d’ailleurs volontiers d’une « génération » d’écart. Au regard des tendances qui se succèdent à la chaîne, et surtout des mentalités qui – selon eux – font actuellement l’objet d’un « switch complet », on déduit que le temps avance peut-être en lecture rapide dans ce monde à part qu’est celui de la mode. Un univers que Steven n’a infiltré que tardivement, contrairement à son aîné.

« Même si j’aimais les vêtements et regarder les shows, la mode était un monde qui me dépassait totalement. De l’extérieur, ça me paraissait chelou », reconnait-il d’emblée. Lui est créatif touche-à-tout qui, par peur du cloisonnement, s’est évertué à explorer tout le champ des possibles. Son parcours est une succession de virages serrés : après le collège, le natif de Poitiers étudie les sciences de l’industrie – « une sorte de techno améliorée » – avant d’intégrer une école d’architecture, qu’il abandonne en milieu de cursus, pour prendre la direction de Bordeaux, où il se forme au graphisme. Steven Alexis force ensuite les portes de la capitale, à 20 ans, puis multiplie les missions d’agence, en tant que creative consultant« Mais à l’époque où j’étais en agence, j’avais envie de faire des projets solo, de m’exprimer sur d’autres choses », se remémore t-il. Ces « autres choses », dans un premier temps, ce seront une petite série de face masks que Steven fait produire et distribue autour de lui, et qui susciteront la curiosité de celui avec qui il fait aujourd’hui équipe, Moriba.

Ce-dernier n’a pour sa part pas mis longtemps avant de trouver sa voie. Après trois ans de fac, il passe successivement par deux écoles de mode, respectivement Mod’Art et l’IFM, avant de lancer une première marque, Maison Seine, qui sera vendue pendant près d’un an et demi chez colette. En parallèle, Moriba se fait déjà remarquer aux platines des soirées parisiennes les plus prisées, d’abord au sein du collectif Montaigne Street, puis du tandem de DJ/producteurs BLKKKOUT, avec lequel il publie un EP sur lequel figurent LaGo ou encore Papa Ghana, co-fondateur de la marque néerlandaise Daily Paper. Des accomplissement notables qui permettent à ce français d’origine malienne de se faire au forceps une petite place dans un circuit pourtant restreint. Jusqu’à applecore.

Car chez applecore, tout se construit autour de l’humain. Il s’agit constamment de connecter, de considérer l’autre, de choyer ceux aux côtés de qui on avance. « C’est ce qui justifie le nom de la marque, la relation métaphorique avec le centre de la pomme : applecore c’est l’essence, le coeur, puis tu vas avoir tout plein de gens, tout plein d’énergies qui vont se greffer autour », explique Steven. C’est dans cette logique que la marque, même naissante, a très vite pu se retrouver sur les étals du feu célèbre concept-store du 213 rue Saint-Honoré. Grâce aux bonnes relations qu’entretenaient Moriba et Sarah Andelman, depuis l’aventure Maison Seine. Ce qui ne veut pas pour autant dire que l’opportunité leur a été donnée, bien au contraire.

« Avant, je tenais vraiment à cibler LA bonne personne. Mais aujourd’hui, je me rend compte que j’ai envie que l’idée de la marque soit plus large. »
– Moriba Koné

« Au départ, elle nous a dit non, raconte Moriba. À l’époque, le rez-de-chaussée était dédié au trucs plus accessibles, plus street, et le premier étage était plus dur à intégrer, car réservé aux marques plus établies. Nous, on est arrivés avec des produits très mode, qui pouvaient limite entrer au premier étage, sauf qu’on était pas assez établis. » Alors les deux partenaires se sont adaptés. Ils cogitent, revoient la prétention de leur copie et se recentrent sur des pièces plus accessibles, qui trouvent sans mal leur place dans la fameuse boutique. Peu avant la fermeture définitive, la connexion entre applecore et colette va même s’intensifier, aboutissant sur une première véritable collaboration, présentée en grandes pompes au ComplexCon. Après seulement deux années d’existence, c’est remarquable. Mais c’est aussi prématuré. « Ce qui est marrant, c’est qu’on a fait une collaboration entre applecore, colette et ComplexCon, mais on n’était pas encore assez structuré, on n’avait pas encore assez d’oseille pour partir voir notre collection là-bas. Notre produit part, mais on ne peut pas partir avec », s’amuse Steven. Toujours trop vite.

Quand il est question de s’adresser au beau petit monde parisien, colette est une vitrine sans commune mesure. Mais les regards de Moriba et Steven se lancent bien au-delà du périphérique. Il faut qu’applecore soit à leur image, et puisse rassembler des individus aux provenances et aux parcours aussi diamétralement opposés que les leurs. La « Nouvelle France », diraient-ils sûrement, en écho à une de leur campagne du même nom. Leur communication comme leurs créations sont truffées de références censées résonner auprès de ceux qui l’incarnent. Un jour, l’argot « Lovés » se verra imprimé sur un sweat ou un pantalon à pince ; le lendemain, Marianne sera brodée sur une casquette, forte d’une nouvelle devise « Multicuturel, Fédérateur, Unité ». Leur dernière collection, présentée à Paris lors de la dernière Fashion Week, s’intitule quant à elle « Identity ». « Le thème c’est la recherche de soi-même. Moriba et moi sommes deux personnes qui se remettent beaucoup en question. On se demande sans cesse pourquoi on en est arrivé là. Dans ma famille, tout le monde faisait partie de la classe ouvrière, il n’y avait personne dans le milieu artistique, alors comment expliquer que je m’épanouisse là-dedans aujourd’hui ? D’où ça vient ? Tout ce questionnement se traduit par cette collection Identity : comment tu te construis en fonction de ton éducation, des livres que tu as lus, des gens qui sont autour de toi, de ta religion ou de tes origines », détaille Steven. applecore est en phase avec le monde qui l’entoure.

Reste qu’en allant puiser l’inspiration aussi bien du côté des slangs banlieusards que de la Renaissance, applecore a de quoi nous égarer. De même qu’il peut être surprenant de voir cette marque semblant appartenir à une niche, qui s’attache à produire localement car il était « inconcevable de créer quelque chose et de ne pas être là quand c’est fait », se retrouver sur le dos des rappeurs les plus en vogue du moment, comme Niska ou Koba LaD. Alors dans le fond, qui est la cible d’applecore ? « Des gens ouverts d’esprits », glisse Moriba. Avant de préciser : « N’importe qui : tu peux être un geois-bour, un mec de banlieue ou de Province, tant que tu as cet intérêt pour des domaines artistiques, des sujets particuliers, tant que tu es curieux, tu peux faire partie de la famille applecore. » À bas l’élitisme et la culture de l’ultra-limité, il est ici question de voir plus loin. « Pour être honnête, je ne réfléchissais pas trop comme ça avant, j’étais plus niché, je tenais vraiment à cibler LA bonne personne. Mais aujourd’hui, je me rend compte que j’ai envie que l’idée de la marque soit plus large. Que son nom soit imprégné dans l’esprit de plein de monde », poursuit-il.

Koba LaD, en ensemble applecore dans son clip « La C ».

Leur référence ? Comme des Garçons, inspirant dans leur faculté à aller du sobre au folklorique, du complexe à l’accessible. « Ce que j’aime dans cette marque-là, qui fait d’ailleurs partie de mes préférées, c’est qu’ils sont capables de faire le grand écart. Ils vont te faire à la fois des trucs giga perchés que tu peux à peine porter, limite des pièces de musée, mais à côté de ça, ils vont proposer des produits qui vont être plus abordables, autant au niveau du prix que dans la pièce en elle-même. Pouvoir accéder à la marque de plusieurs manières, je trouve ça bien », confesse Moriba. « Puis au niveau de la structure de la marque, le fait d’avoir plusieurs lignes, c’est quelque chose de très intéressant quand on a plein de choses à exprimer », complète pour sa part Steven.

Pour mener à bien ses plans de conquête globale, le tandem a pourtant paradoxalement décidé de se replier sur lui-même. De faire en sorte qu’applecore puisse être sa propre rampe de lancement, indépendamment de toutes les boutiques de sapes de France, mais aussi d’ailleurs. Ce qui n’a pas toujours été le cas, comme l’assure Moriba : « Au début, applecore était disponible dans plusieurs concept stores à travers le monde, que ce soit au Japon ou en Australie, à Londres ou à Paris. Mais on a décidé de se recentrer sur le site en ligne, de manière à développer notre propre indépendance. Il faut vraiment que ce soit la base. Comme ça, quand on sera un peu plus fort, on sera en position de choisir précisément avec qui on veut bosser. » Steven, quant à lui, est plus véhément : « Quand tu es une jeune marque, c’est très dur de travailler avec le wholesale. Pour nous, en tout cas, ce n’était vraiment pas une bonne expérience. »

« J’estime juste que le gâteau est suffisamment grand pour que tout le monde puisse se le partager. » – Steven Alexis

Chez applecore, on pense plus-value. Tout doit avoir un sens, une utilité, une valeur ajoutée. À quoi bon se forcer à faire ce que tout le monde fait déjà, sans être en mesure d’y apporter du neuf ? C’est la raison pour laquelle la marque se refuse pour le moment à organiser des défilés. « À l’heure où l’on parle, ce n’est pas intéressant pour nous. Il faut qu’il y ait quelque chose de fort dans tout ce qu’on fait, que ce soit dans l’histoire qu’on raconte, dans les activations à faire, dans le procédé, etc. Autrement, on ne fait pas », jure l’ainé du duo. Le genre de mentalité qui transforme ce qui ne devait être qu’une simple interview écrite avec Vogue, en un bel édito mode entièrement réalisé à l’initiative des interrogés, paru en 2016. « On s’est dit qu’à chaque fois qu’on allait nous donner une opportunité, on allait apporter plus que ce qu’on nous propose. Pour Vogue, c’est nous qui sommes partis faire l’édito à Étretat, qui avons fait la sélection des mannequins… Tout. Le journaliste n’avait plus qu’à envoyer les questions. »

Les mentalités, tiens. Celles du milieu – et plus encore de la capitale – n’ont longtemps généré que frustration chez le jeune Steven. Une frustration que ce-dernier s’est senti le besoin d’évacuer, au travers d’un post Instagram fiévreux, publié deux jours avant que la collection « Identity » ne se dévoile. « J’estime juste que le gâteau est suffisamment grand pour que tout le monde puisse se le partager », précise t-il. « Quand je suis arrivé à Paris, j’ai vu beaucoup de “Non je ne bosse pas avec untel parce qu’il est pote avec machin, etc.” Personne ne fonctionnait ensemble. » Avec six ans de plus au compteur, Moriba avait déjà eu le malheur de se heurter à l’inhospitalité des vétérans de la mode parisienne. Mais lui et son associé sont désormais décidés à initier le changement : « Pendant longtemps j’en ai souffert, et j’aurais pu me dire que vu que personne ne m’a aidé, je vais juste faire en sorte de me mettre bien tout seul. Mais au contraire, j’ai envie de connecter, de donner aux gens l’opportunité de se développer. La nouvelle génération est beaucoup plus altruiste, et on en a grave besoin. »

Steven aime se référer au processus de création musicale, lui qui travaille en étroite collaboration avec le collectif ETMG, fondé par Elaps et maison de talents comme Pyroman, Junior Alaprod ou la polyvalente Meryl : « La notion de partage est vraiment là, il y a une énergie de ouf. Quelqu’un va commencer une prod, puis un autre va venir ajouter un élément dessus, puis encore un autre et ainsi de suite. Il y a ce truc de “Ensemble, on va plus loin” et ça, ça m’inspire beaucoup. » Aujourd’hui, les deux créateurs nourrissent l’espoir que tout le monde se mette enfin à tirer dans le même sens, de manière à ce que Paris de la mode puisse rayonner à travers de « vrais gens ». En faisant tout de même en sorte que dans cette constellation de nouveaux labels français, applecore soit l’étoile qui brille plus que les autres. Qu’elle soit à Paname ce que Daily Paper peut être à Meda. « On aimerait que quand les gens pensent à la France, ils identifient immédiatement applecore comme une marque phare », conclut Moriba.

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