De #R8 à Anti : retour sur la ré-invention de Rihanna

Après force de supputations, spéculations et paris, l’heure de #R8, finalement intitulé, ANTI a bel et bien sonnée. Quelque peu maladroite et trébuchante, ce nouveau projet marque la fin d’un processus totalement opaque pour l’œil du grand public. Pour la première fois l’artiste, qui de 2005 à 2012 a sorti un opus chaque année, décide de ne pas sortir d’album pendant deux ans. Pour autant ces quatre dernières années n’auront pas été veines, forte d’une nouvelle maturité, elle prend un autre élan et opère un tournant dans sa stratégie marketing et artistique.

 

Devenir une icône

 

Son dernier album en date ? Unapologetic sorti en France le 19 novembre 2012. Depuis, Robyn enchaîne les concerts et les tournées internationale jusqu’à l’épuisement. On se souviendra notamment du 777 Tour qui suivi cet album et où, pendant sept jours et en sept étapes, elle parcourait le globe en jet privé pour se produire chaque soir sur une scène différente, partageant au passage l’expérience avec fans triés sur le volet et journalistes.

 

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Le temps passant, Rihanna s’illustre au cours de l’année 2014, de moins en moins par sa musique, faute d’actualité, mais de plus en plus par son nom. On la retrouve sur toutes les couvertures de magazines, on se souvient notamment de son shooting à demi nue pour Lui, aux premiers rangs des défilés et commence à réellement capitaliser sur son image, en lui donnant une nouvelle consistance. Si A$AP Rocky avait déjà fait de la belle sa « Fashion Killa », elle recevra en juin 2014 un titre honorifique bien plus prestigieux quand le CFDA (Conseil américain des designers mode) la consacrera Style Icon. En Dior fait même d’elle sa première égérie Noire. En décembre de cette année, encore auréolée de son nouveau statut, l’ancienne protégée de Jay Z signe avec Puma un contrat qui fera d’elle l’une des directrices créatives de la marque, avec pour objectif de faire entrer l’enseigne dans le domaine du sportswear lifestyle. Les choses sérieuses commencent et Roc Nation n’y est pas étranger.

En effet, en avril 2014, Rihanna quitte Def Jam pour rejoindre le roaster de Shawn Carter. Autour d’elle, c’est donc Roc Nation et Universal qui se partagent les rôles. Roc Nation assure son management, la rentabilisation de son image et de sa célébrité, tout en soutenant son travail grâce à son réseaux de producteurs, songwriters et autres artisans de la musique. Universal, affilié à l’agence, prend en main la distribution de son œuvre et récupère de 10% à 13% des revenus engendrés par ces albums (voire 24% si leur accord comprend le marketing, la promotion et la publicité). Dès novembre 2014, le travail de conception de son huitième album semble amorcé, Rihanna et sa Navy le matérialise en un hashtag #R8. Mais en 2015, deux nouveaux deals viendront sceller le destin de son nouveau bébé : Tidal et Samsung.

 

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Avec le premier, elle deviendra actionnaire du service de streaming payant en qualité de son « haute fidélité ». La plateforme qui rémunère ses artistes de façon plus importante que ses concurrents, devra être le médium privilégié de la diffusion de sa musique, de ses clips et de tout autre contenus exclusifs. Le second accord, impliquant la marque coréenne Samsung, aurait été conclu en avril selon Billboard. Mis en place par les managers de Rihanna, Jay Brown et Jay Z, ce contrat fait écho au deal établit par ce dernier en 2013 pour promouvoir la sortie de son album Magna Carta Holy Grail, à hauteur de 5 millions de dollars. Cette fois-ci, c’est une somme de 25 millions qui sera engagée par la marque. À la clé pour Robyn, la sponsorisation de son album et de sa tournée. Pour Samsung, une égérie élue en fin d’année célébrité la plus marketable par le groupe NPD (leader mondial en étude de marché) et une série de vidéos destinée à promouvoir leurs téléphones. Une fois le contrat signé, les premières deadline sont fixées : l’album et la tournée seront attendues pour juin 2015. Mais rien ne se passera comme prévu.

 

Elaborer une vision

 

Depuis novembre 2014, Rihanna a fait de chez elle un véritable camp d’enregistrement. Pendant 18 mois, elle héberge des techniciens et des producteurs à plein temps pour travailler sur ses morceaux. Sa chambre judicieusement placée près du booth d’enregistrement, lui permet de travailler du début de l’après-midi jusqu’au bout de la nuit, parfois pendant des semaines d’affilées.

 

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Et même si elle sort « FourFiveSeconds«  en janvier 2015 avec Kanye West et Paul McCartney, le très vite oublié dans les tréfonds de Tidal « American Oxygen », l’incontournable « Bitch Better Have My Money«  dont elle dévoile les premiers extraits sur Dubsmash, puis la vidéo sur Vevo, aucune nouvelle de l’album ne filtre. En juin, ne voyant rien venir, Samsung repousse sa deadline. Rihanna s’affaire, toujours insatisfaite, et fait involontairement de #R8, l’un des feuilletons de l’année, au même titre que SWISH/WAVE de Kanye West… Les fans s’impatientent et s’insurgent. La Barbadienne aura beau sortir une collaboration avec Stance, être à l’origine du hit sneakers 2015 de Puma avec son modèle de Creepers, réaliser un concert historique à Rio ou s’illustrer lors de son deuxième Diamond Ball pour sa fondation Clara Lionel, une seule question « flood » les commentaires de son compte Instagram : « Where is #R8? »

Octobre. L’album n’est pas terminé, mais qu’importe, le processus de communication, lui, est lancé. Lors d’un vernissage, l’artiste annonce : l’album s’appellera ANTI et l’histoire derrière la cover réalisée par l’artiste Roy Nachum est dévoilée. Il n’en faudra pas plus pour Samsung pour lancer sa propre machine. Les dates du Anti Tour sont fixées à février 2016 et annoncée. Tout est officialisé, ne manque plus que la galette.

Les spéculations sur le moment de la sortie se suivent au fil des démentis et la rumeur gronde. Sia dévoile que Rihanna lui demande encore des morceaux pour ANTI. Le compositeur Glass John reproche à Travis Scott d’abuser de son influence et de retarder encore plus la sortie de l’album en essayant de changer une énième fois la tracklist. Rien de vraiment concret avant ce tweet.

 

https://twitter.com/rihanna/status/691627277940080640

 

ANTI est enfin terminé. Quelques heures plus tard, via Tidal, la chanteuse dévoile « Work » en featuring avec son ex, Drake. Un titre dancehall au refrain incantatoire et infectieux. Et la machine s’emballe, s’enraye et explose au nez de Tidal, qui decide de leaker l’album entier sur sa plateforme dans la nuit (heure française) qui suivra. Dans la foulée, la décision est prise de sortir d’album et Rihanna communique un lien de téléchargement gratuit et éphémère. Le vendredi qui suivra, la version deluxe (avec trois titres en plus) de l’album est disponible sur iTunes.

 

L’évangile

 

A défaut d’être l’album anticonformiste et révolutionnaire qu’elle annonçait, ANTI signe un tournant dans la carrière de Rihanna qui, loin de Def Jam a poussé aussi loin qu’elle le pouvait sa vision. Maître de son oeuvre, la chanteuse est aussi la parfaite incarnation de ses influences et des divers talents qui ont signé avec elle cet opus. On y retrouve des accents dancehall sur les titres « Consideration » et « Work » que l’artiste partage respectivement avec les deux seuls featurings de l’album, SZA, first lady de TDE, et Drake, à la patte indéniable de Travis Scott sur « Woo », dans la lignée de « Desperado » produit par Mick Schultz et Kuk Harrell,  et celle de James Fauntleroy à qui est dédié le titre « James Joint ». C’est aussi le solaire « Kiss It Better » de Glass John qui a échappé heureusement à la purge de Travis Scott. Un projet qui embrasse également des influences rocks catalysées par une reprise de « New Person, Same Old Mistake » de Tame Impala, du doo-wap sur « Love On The Brain » et sa traditionnelle ballade de fin de tracklist avec « Close To You ».

 

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Si la première écoute peut être légèrement déroutante, l’album finit par trouver son chemin. Le projet est finalement très cohérent et fait l’impasse sur l’exigence marketing de faire de chaque titre un hit et un potentiel single radio. Une prise de risque dans la lignée de l’album éponyme de Beyoncé, qui comme Rihanna, peut s’appuyer sur une fanbase gigantesque pour pouvoir faire le grand saut et s’essayer à un tout autre niveau d’exigence artistique.

 

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