Noir c’est noir, mais Kobo a de l’espoir
Rookie à 26 ans, le Belge Kobo n’a jamais planifié de faire carrière dans le rap. Il lui aura pourtant suffi d’un Rentre dans le Cercle et quelques morceaux plein de promesses pour décrocher un contrat chez Polydor et susciter l’intérêt du public et de ses favoris, Damso en tête. Rencontre avec un artiste carpe diem.
Photos : @antoine_sarl
À l’heure où l’on distingue volontiers le rappeur dit « de studio » du performeur tout-terrain, l’exercice du freestyle apparaît comme secondaire. Il fut pourtant un temps où celui-ci s’imposait comme une étape incontournable pour établir son nom et gagner le respect des acteurs du milieu, armé de sa voix, son coffre et sa plume. Combien de moments phares de l’histoire de cette culture se sont écrits au détour d’une cabine remplie de emcees animé par l’envie de se surpasser et de défier leurs semblables ? Aujourd’hui, ce qu’on appelle « freestyle » s’apparente plus à des morceaux préenregistrés ou des instants promos où l’on balance un couplet déjà connu sans réelle volonté d’époustoufler. En routier chevronné de la discipline, Sofiane a bien essayé de revenir à cette forme « d’essence » du hip-hop et son Rentre dans le Cercle se voulait être un tremplin pour bon nombre de jeunes artistes. En théorie.
Car en pratique, ils semblent être très peu à aborder le cypher de la sorte. Entre les noms déjà établis qui ne ressentent peut-être pas la nécessité d’aller au-delà de leur rythme de croisière et les rookies qui seront assurément mieux mis en valeur sur un titre bien mixé et des mélodies sous Auto-Tune, il n’y a pas vraiment matière au sursaut d’orgueil… À quelques exceptions près, comme le Belge Kobo. Passé après Roméo Elvis ou Caballero & JeanJass, grands champions des festivals de France et de Navarre, le jeune loup bruxellois sort les crocs dans un couplet à rallonge, rapidement extrait de l’émission et republié à part sur YouTube et les réseaux sociaux. Une prestation remarquée et remarquable, qui fait immédiatement gonfler les vues de ses titres jusqu’alors très confidentiels et le guide vers une signature chez Polydor. « J’ai été assez surpris au premier abord », se rappelle-t-il. « C’est vrai qu’en général, les labels ne font plus beaucoup de développement, ils préfèrent d’abord laisser l’artiste grandir, faire son petit chemin en solo et ensuite ils le signent. Mais ça montre qu’il y a des gens passionnés qui ne se fient pas qu’aux chiffres et se laissent convaincre par la musique. » Si Rentre dans le Cercle n’est pas un tremplin pour tous, il l’aura été pour lui.
Mais pourquoi donc Kobo donnait-il l’impression d’avoir plus de hargne, plus de choses à prouver qu’un autre au moment de se jeter dans l’arène ? Peut-être sentait-il qu’il n’y avait plus de temps à perdre pour lui. Sa signature effective, l’artiste d’origine congolaise s’apprête désormais à véritablement lancer sa carrière de rappeur. À 26 ans. Pas vraiment un âge à être un rookie. Il faut dire que pour Kobo, la musique n’a jamais réellement été une option, même s’il dit avoir été sensibilisé très tôt au son par l’intermédiaire de sa mère. Le hasard a juste bien fait les choses. « J’avais des amis qui faisaient déjà de la musique et qui voulaient vraiment faire en sorte de percer là-dedans. Je pense que le fait de les côtoyer, de les accompagner au studio, d’être H24 dans cette ambiance musicale, ça m’a poussé à vouloir tester aussi. Puis les gens se sont mis à me dire que je devrais peut-être prendre mon talent au sérieux. » Quand on sait que son titre « What’s My Name », sorti à l’été 2016, n’est que le deuxième morceau qu’il a enregistré, on comprend vite pourquoi.
« Quand on commence à se fixer des objectifs tels que juste ‘avoir de l’argent’, on peut facilement se perdre. Là, avec la musique, je peux avoir de l’argent, mais aussi faire ce que j’aime. »
« Comme quoi, c’est important d’être bien entouré », s’amuse-t-il. Entouré, Kobo tient encore à l’être aujourd’hui, ce qui explique notamment la poursuite en major : « J’avais besoin d’avoir un cadre, d’avoir des personnes autour de moi qui me donnent les bons conseils et qui m’aident un petit peu à bien ajuster ma stratégie. Parce que c’est vrai que quand on est tout seul, on peut faire beaucoup d’erreurs. » Le Belge en sait quelque chose. Avant la musique, il tentait tant bien que mal de se concentrer sur ses études en droit, même si la nécessité de s’en sortir le poussait à faire de l’argent à droite, à gauche. « Comme tout le monde. » La débrouille, quels qu’en soient les moyens, est d’ailleurs un thème récurrent de son rap.
Aujourd’hui, il n’en est logiquement plus question. Mais au regard du chemin hasardeux qui l’a mené à la musique, celle-ci ne serait-elle pas pour lui un simple moyen de faire de l’argent ? Après tout, dans un des principaux tubes de 2018, son presque homonyme Koba rappait : « Si dans trois mois j’ai pas percé, j’me remets à revendre la C. » S’il reconnaît ne jamais avoir rêvé de faire carrière, Kobo assure tout de même le faire avant tout par plaisir. Même s’il précise : « C’est un moyen de m’en sortir en prenant les bons chemins. Quand on commence à se fixer des objectifs tels que juste ‘avoir de l’argent’, on peut facilement se perdre. Là, avec la musique, je peux avoir de l’argent, mais aussi faire ce que j’aime. Ce n’est pas donné à tout le monde. »
Un autre sujet est régulièrement évoqué par l’artiste masqué dans ses morceaux : celui de la conscience noire. Il fait même partie intégrante de l’identité artistique du rappeur du Plat Pays, « Kobo » signifiant « le noir » en lingala. Mais à l’instar d’un Kalash Criminel, également congolais d’origine, Kobo ne prend que rarement la peine d’aborder le sujet de plain-pied, en lui consacrant — par exemple — un morceau entier. Au contraire, celui-ci revient par à-coups, à travers des punchlines qui s’intercalent frénétiquement dans des textes à propos du hustle, de la foi voire même égotrip. Comme s’il ne pouvait se contenir de l’aborder. « Après, j’essaye de ne pas trop être dans la revendication pour ne pas soûler les gens, parce qu’il y en a qui écoutent la musique pour justement penser à autre chose. C’est plus une sorte de rappel », nuance-t-il.
« Il faut se laisser le temps de vivre. Parce que si tu ne vis rien, tu ne peux pas parler de choses différentes. »
Cette sensibilité lui a été héritée d’une enfance cyclique, partagée entre la Belgique et le Congo. Après avoir passé ses plus jeunes années dans sa ville de naissance Bruxelles — années dont il ne garde que peu de souvenirs —, Kobo regagne le continent africain, avec sa famille, « pour 3 ou 4 ans », avant que la chute du régime de Mobutu ne précipite son départ. Il assiste aux pillages et autres violences des groupes armés qui sévissent dans le pays. « À 4 ou 5 ans, c’est particulier quand même… Le fait d’être confronté très jeune à des évènements violents, ça a forgé une partie de mon identité. Tu découvres directement une autre facette de l’être humain : d’un côté, il y a tes parents qui te chérissent et te donnent plein d’amour, et de l’autre, il y a de choses atroces qui te frappent à la figure. Et on vit avec. » S’en suivent encore deux allers-retours entre sa terre natale et sa terre d’origine avant de s’installer définitivement à Bruxelles, où il comprend que la couleur de son épiderme n’est pas sans importance : « Je pense que je ne m’en rendais pas vraiment compte avant de rentrer en Belgique. Là, j’ai dû faire ma propre expérience de la vie : me battre, passer par certaines difficultés et réaliser qu’effectivement sur nous il y a des préjugés, certains stéréotypes qui, quoi qu’on fasse, existeront toujours. »
Le rap de Kobo s’écrit à l’encre de son vécu, et c’est en partie la raison pour laquelle on entend encore si peu de lui. Suite à sa prestation dans Rentre dans le Cercle, et sans parler du soutien dont il bénéficie de la part de Damso, qui avait teasé la mixtape BruxelleVie avec un de ses morceaux, l’artiste belge aurait pu être tenté de matraquer, abreuver le public de nouveaux titres pour souffler sur l’étincelle d’un buzz naissant. Il n’en a rien été. « Je pense qu’il faut laisser le temps à ton inspiration de grandir. Et pour ça, il faut se laisser le temps de vivre. Parce que si tu ne vis rien, tu ne peux pas parler de choses différentes », se justifie-t-il habilement.
Alors en 2018, Kobo s’est étonnamment fait discret : quelques freestyles ici et là, et quelques singles bien éparpillés dans le temps. Avec, à chaque fois, un soin particulier sur l’image. Le clip très remarqué de « Baltimore », réalisé par l’anglais Felix Brady, s’est carrément vu récompensé par deux distinctions aux Kinsale Shark Awards. « Notre génération est très portée sur le visuel, entre Instagram, les selfies, le fait de tout le temps se prendre en vidéo, etc. C’est un peu la marque de notre époque. Je pense que les gens écoutent la musique avec leurs oreilles, mais aussi de plus en plus avec leurs yeux. » Le masque qui recouvre la moitié de son visage s’inscrit également dans cette logique d’un concept fort à l’image. « Autrement, ça ne représente pas grand-chose », balaye-t-il simplement, même si « un petit peu d’anonymat, ça ne fait pas de mal ».
Pour Kobo, la suite prend la forme d’un premier projet, dont on connaît déjà le titre : Période d’essai. « C’est ce qui correspond à l’état d’esprit dans lequel je suis depuis que j’ai commencé dans la musique. Dans ma tête, c’est un peu ‘On expérimente et on voit ce que ça donne’, mais je pense que vous comprendrez mieux la logique sur les prochains projets. » Le rappeur bruxellois parle comme s’il imaginait que tout pourrait s’arrêter demain, envisage que sa « période d’essai » pourrait ne pas déboucher sur aucun contrat à long terme, mais se projette déjà sur ses prochaines sorties. Paradoxal, vous dites ? « Une partie de moi me dit que ça va aller, mais une autre m’impose de rester humble. Période d’essai, c’est un titre qui me permet de garder les pieds sur terre. Ça passe ou ça casse. De mon côté, je vais tout faire pour que ça passe, mais la vie peut en décider autrement. »