Butter Bullets : « Ce n’est pas le rap qui marche en France »

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Ils traînent leur dégaine dans le rap français depuis plus de dix ans. Ils n’ont jamais fait l’unanimité, même après s’être unis avec Alkpote le temps d’un ténébreux projet. Pourtant, les trublions de Butter Bullets sont toujours là, rendent toujours fiers ceux qui les suivent sans failles depuis le commencement, et continuent de produire une musique radicale mais précieuse. Interview pour la sortie de leur quatrième album, Noir Metal.

Photos : @antoine_sarl
Co-auteur : Yera Diaby

« Je suis une énigme depuis tout petit », entonne Sidisid, moitié du duo Butter Bullets, dans le nouvel album de ce groupe majeur de l’underground français. Noir Metal est sorti ce lundi 24 juin, à l’écart des traditionnelles sorties du vendredi propres au rap qui nous donnent, souvent, d’indigestes week-ends auditifs. Il sera célébré le 27 juin au Rude Manners, dans le 11e arrondissement de Paris, où il sera distribué sous forme de… cassette. Oui, le duo formé par Sidisid (rappeur) et Dela (producteur) est une énigme depuis plus d’une dizaine d’années. Tantôt qualifié de « groupe bizarroïde pour auditeurs perchés » tantôt de rappeurs pour intellectuels — le journaliste Victor Robert leur avait rendu hommage sur le plateau du Grand Journal de Canal+ -, Butter Bullets trace sa propre route sans jamais se compromettre dans le paysage rap francophone. Leur rap est cru, corrosif, clivant. Il prend à contrepied, à l’image de choix de carrière sans dérive : là où une partie de leur public attendrait un second volet du célèbre Ténébreuse Musique conçu avec Alkpote comme troisième roue du carrosse, Butter Bullets préfère revenir aux sources et nourrir la petite — mais solide — fanbase qui les soutient depuis une décennie, sans jamais que cela ne soit par affiliation. Noir Metal est le fruit de cette volonté. Interview avec Sidisid pour mieux comprendre, l’insaisissable Dela n’ayant pas pu quitter les circuits de course suisses.

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Pourquoi Noir Metal ?

Il n’y a pas de vraies raisons. On cherche toujours des noms à la con, on les trouve au dernier moment. Genre « Demon One », par exemple, on l’a choisi car il y a une faute de français dans le track : du coup on l’a appelé « Demon One » en hommage à Demon One de la Mafia K’1 Fry qui faisait beaucoup de fautes de français dans ces morceaux. Noir métal, c’est la couleur noire métallisée des grosses voitures — on a toujours aimé cette imagerie là. Je ne suis pas un mec qui brille, je ne suis pas dans le doré, mais j’aime ce qui est précieux.

Dans le clip de « Demon One », tu fais justement une surenchère de belles pièces vestimentaires. Comme si tu voulais envoyer un message aux amateurs de drip : « Même ma garde-robe est plus pointue que la vôtre. »

Ce n’est pas volontaire, c’est ma façon d’être. Je suis comme ça dans la vie. C’est vrai qu’il y a beaucoup de tenues dans le clip : c’est Kevin Elamrani qui m’a demandé d’avoir plein, plein de tenues. Il n’ya pas de message genre, pas de leçon de style ou autre. J’ai toujours été là-dedans : ma meuf est styliste — elle a d’ailleurs bossé sur le clip , ma mère est couturière, et elle m’a toujours fait plein de tenues. Dans ce clip, il n’y a pas de pièces si recherchées que ça. Ce sont des trucs que j’ai toujours eu, genre un full Burberry  ; ce n’est pas parce qu’aujourd’hui Burberry redevient un peu cool ou autre, j’ai toujours porté ça. Je ne suis pas à la recherche de tendances, je chine juste des vêtements tous les jours, je suis sur eBay tout le temps. Après, je comprends que ça puisse donner cette impression-là : le rap s’habille très mal, c’est une catastrophe. Même les ricains, c’est une catastrophe.

Dans « Jésus », tu dis que « tu marches sur l’eau », que tu es « le meilleur » : c’est uniquement pour l’egotrip, ou alors tu te sens vraiment au-dessus et incompris ?

C’est la base pour moi. Le rap, c’est de l’egotrip. Le rap que j’écoute c’est de l’egotrip et je fais juste le rap que j’aime écouter. Je sais faire d’autres choses pour les autres quand j’écris pour eux, mais moi je n’ai pas de trucs musicalement intéressants à raconter, des trucs qui puissent être chouette a l’écoute. Après, j’ai des thèmes très récurrents, genre l’argent et la mort, et je crois ça s’arrête là.

Tu as beaucoup écrit pour d’autres ?

Non, pas tant que ça. Mais j’ai déjà écrit pour des gens des choses qui ne sont pas sorties. Qui sortiront peut-être, je ne sais pas. J’arrive à me mettre dans un rôle, dans un personnage, quand je le fais pour d’autres. Quand je parle de moi, je ne peux pas m’inventer une vie.

C’est votre quatrième album, si on ne compte pas Crack Bizzz (2007). Comment expliques-tu que Butter Bullets reste autant niché dans le paysage rap français ?

Je parlais avec Gizo Evoracci l’autre jour. Il me disait qu’on était « trop vrais » : on fait vraiment trop ce qu’on aime, on ne va pas plus loin, on n’en a pas envie. Je le dis tout le temps, mais on ne va pas se mentir : le rap français, ça reste en France. C’est un petit pays. Des trucs un peu confidentiels comme nous marcheraient davantage si on était aux USA. On aurait une vraie carrière, on aurait bien pété, j’en suis sûr et certain. Aux USA, des mecs comme Maxo Kream ont de vraies carrières, ou les $uicideboy$, même si je n’aime pas leur musique. Je ne trouve pas qu’on soit bien plus chelous que quelqu’un comme Xxxtentacion.

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Mais du coup, quel est votre but ? Est-ce que c’est d’être écouté par cette même fanbase, petite mais fidèle depuis des années, ou alors de prendre le risque de la décevoir en rendant votre musique plus accessible ?

Forcément, il y a toujours l’envie de plus. Mais pour moi, on ne fait absolument pas de la musique « bizarre ». On fait juste du rap. Est-ce que des mecs comme Valee et Z Money, c’est du rap bizarre ? Un truc que je n’aime pas dans la musique, c’est justement les trucs bizarres. Genre des mecs qui sont en studio et qui se disent : « Viens on fait un truc bizarre. » Pour moi dans le rap, il n’y a rien de plus classique que ce que je fais. Noir Metal, c’est un album de rap pur et dur.

« Je ne trouve pas qu’on soit bien plus chelou que quelqu’un comme Xxxtentacion »

Tu rappes parce que tu en as besoin, comme un sportif qui a besoin de se défouler ?

J’en ai besoin, même si je pense qu’on en apprend plus sur moi dans une interview que dans un album. Je suis un mec qui aime rapper, clairement. Le jour où je n’aimerais plus le faire, je n’en ferais plus. Et bien sûr que j’ai envie qu’on écoute ma musique. Je pense que le fait que je me sois « séparé d’Alkpote », d’une partie de son public qui ne me connaissait qu’à travers lui, a fait que j’ai perdu une partie de mon audience qui ne comprenait pas ma musique mais que j’ai réussi à garder le public que je voulais. En vérité, je n’attends rien de particulier, j’attends que les gens soient satisfaits. Qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas, qu’ils aient un envie. Enfin, si demain je sors un clip que tout le monde déteste, là, j’arrêterai parce que ça deviendra trop bizarre. Mais les gens qui écoutent notre musique l’aiment. J’aime en faire, et je leur en donne : c’est aussi simple que ça.

« T’as jamais vu quelqu’un d’aussi têtu », tu dis dans « Jésus ». Tu te dirais têtu dans ta manière de faire de la musique depuis toutes ces années ?

Il y a une différence entre têtu et être fermé. C’est très diffèrent : être fermé, c’est négatif. Être têtu, c’est quelque chose de positif : c’est être convaincu. Quand parfois on me dit que je suis un peu fermé d’esprit, je le prends comme un truc vraiment très négatif. Je ne suis absolument pas fermé, par contre je suis radical, j’ai des certitudes qui ne concernent que moi. Je suis radical vis-à-vis de moi-même, je ne suis pas radical avec les gens. Chacun aime ce qu’il veut.

« J’ai pris des risques, j’ai pris des rides » : quel est le dernier risque que tu as pris ?

Pour moi, c’était risqué de rester à Paris parce que j’ai vraiment du mal à supporter la France actuellement. Et Bruxelles, c’est à une heure de Paris. À Bruxelles, je ne sors pas de chez moi parce que je n’en ressens pas le besoin : je ne connais pas bien la ville et je ne suis pas sûr d’avoir envie de la connaître. C’est vraiment une façon de me mettre à l’écart de la société, mais d’y être quand même. En tout cas, je n’y suis pas allé pour le rap.

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La scène belge ne t’intéresse pas ?

Faire un feat. Damso, je veux bien, mais les autres jamais.

Pourquoi tu as du mal à supporter la France ? Tu parles de la France du rap ?

Encore une fois, en France, le rap, c’est ultra compliqué. On dit qu’aujourd’hui le rap n’a jamais aussi bien marché, mais ce n’est pas vrai. Ce n’est pas le rap qui marche en France, ce sont des rythmiques afro, des rythmiques des caraïbes… Je ne suis pas un vieux con, mais ce n’est pas du rap : c’est une musique vaguement inspirée du rap, mais ce n’est pas du rap. Je n’écoute plus de rap français, alors que j’en ai toujours écouté. Je ne sais plus quoi écouter, c’est très compliqué. Avant j’écoutais tout, mais par exemple prendre le métro et écouter un petit morceau, je ne le fais pas depuis un ou deux ans. Le dernier album que j’ai écouté ? C’est celui de Nekfeu. Et non, je n’ai pas aimé : personne n’a aimé à part des jeunes de 16 ans. J’ai aimé l’album de Joe Lucazz et Éloquence, mais ce sont mes potes.

Zola, je n’ai pas trop écouté, PNL, ça m’a toujours fait un peu chier même si j’ai bien aimé « Je vis, je visser ». Après, ça m’emmerde un peu, ce n’est pas fait pour moi. Il y a toujours un truc qui ne va pas, quelque chose qui va être dit, qui va me me déranger et après je ne pourrai plus écouter. Comme je t’ai dit, je suis radical. Et je trouve ma musique beaucoup moins radicale que moi. Il ne faut pas me parler d’Xxxtentacion, c’est impossible, je ne veux pas entendre parler de ce mec. J’adorais R. Kelly, mais il m’est impossible de l’écouter aujourd’hui après tout ce qui est sorti sur lui. Donc oui, je suis radical mais ma musique, elle, ne l’est pas.

« Je suis radical mais ma musique, elle, ne l’est pas »

Encore une fois, tu dis que tu as pris des rides : comment vieillir dans le rap ? Cet album, avec une cover assez funeste, n’est pas l’ultime album de Butter Bullets ?

J’aime bien les albums, j’aime bien les univers. Faire de la musique pour moi, c’est faire des albums en entier et transmettre aux gens une ambiance, un univers. Ceux qui nous écoutent veulent écouter un album entier. Je ne me vois pas faire comme Booba et balancer des morceaux par-ci par-là, vieillir dans la musique comme ça. Vieillir dans le rap en France, c’est impossible. Il n’y aura jamais un Jay-Z en France. Jay-Z, c’est le maire de New York… Tu vois, c’est impossible en France ; on ne va pas se mentir, la France n’est pas un pays de rap.

La partie production de Butter Bullets, Dela, est horloger en Suisse. Toi, tu es exilé à Bruxelles. Comment concevez-vous vos albums ?

Avec Dela on se parle tous les jours, on s’envoie des trucs tout le temps. On produit tous les jours, mais on travaille avec des gens qui sont très lents, qui traînent… Lui s’en fiche un peu. C’est l’artiste maudit qui reste chez lui et qui s’en fout parfois un peu de tout. Ce qui l’intéresse, c’est de conduire des Porsche. Aujourd’hui, j’ai plus de temps qu’avant donc je vais produire plus de trucs. Je vais prendre le temps. Et pourquoi ça s’arrêterait ? Tant que je me sentirais légitime, je ne m’arrêterais pas. Ou alors j’arrêterais le jour où personne n’écoutera plus ma musique. Pour répondre à ta question précédente : je préfère un petit public très solide qu’un énorme public volatile qui n’a pas de goût. On fait de la musique intellectuelle pour des gens qui ont du goût. Le problème, c’est que la masse en France n’a pas énormément de goût mais ça, c’est pas nouveau.

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